
Jim McCarty : Entrevue avec le batteur des Yardbirds
Ils étaient cinq garçons dans le vent, cinq jeunes anglais passionnés par le blues de ces vieux musiciens noirs de la lointaine Amérique qu’ils découvraient par la radio. Lorsqu’ils décidèrent de fonder leur groupe en ce mois de mai 1963, ils ignoraient alors qu’au fil des deux décennies suivantes, ils se partageraient l’honneur d’être à l’origine de quelques-unes des formations les plus extraordinaires de toute l’histoire du rock ! Jim McCarty, batteur des mythiques Yardbirds, qui fondera plus tard Renaissance, m’a accordé un entretien exclusif. Micro !
Béatrice : Enfant, quels sont les musiciens qui vous ont donné envie de faire de la musique? Qu’est-ce qui vous a poussé vers la batterie ?
Jim McCarty : Lorsque j’étais enfant, j’aimais tous les styles de musique, comme c’est encore le cas aujourd’hui. Je faisais partie de la Boys Brigade, une sorte d’organisation semi-militaire comme les Scouts. J’y ai appris à jouer du tambour de marche. C’est là que tout a commencé. Puis j’ai assisté à une répétition d’un groupe de rock dans une maison voisine, et j’étais totalement sous le charme !
Béatrice : On parle beaucoup de plagiat ces dernières années, mais il semble que c’était une pratique courante dans les années 60 et 70. Les Yardbirds ont eux-mêmes repris Dazed and Confused de Jake Holmes sans le créditer. Comment les musiciens percevaient-ils cette pratique à l’époque ? Avaient-ils le sentiment de voler un confrère ou trouvaient-ils simplement que ça faisait partie des règles du jeu ?
Jim : Je suppose que nous « volions » certaines chansons, ce qui n’était pas correct. Mais nous avons aussi joué des morceaux d’autres musiciens que nous créditions. Nous en changions tellement les arrangements qu’ils en devenaient différents des originaux. Nous les yardmerisions ! On a joué avec Billy Boy Arnold la semaine dernière. À l’époque, nous avions repris deux de ses chansons et lui avons fait gagner de l’argent (à condition bien sûr que les éditeurs l’aient payé !).
Béatrice : Selon vous, lequel des quatre guitaristes a le plus apporté aux Yardbirds ?
Jim : Je pense que Jeff Beck a vraiment mené les Yardbirds là où le groupe est devenu légendaire. C’est en grande partie à lui qu’on doit les arrangements que nous avions faits à cette époque.
Béatrice : Quel était votre sentiment quand les Yardbirds se sont séparés en 1968 ? Étiez-vous soulagé? Amer ?
Jim : J’étais très heureux de mettre fin au groupe. J’étais épuisé et j’en avais assez de tout ça. Peut-être que si nous avions fait une pause, nous aurions pu nous ressourcer, mais nous étions brûlés à force d’être toujours sur la route. C’était la seule façon de gagner de l’argent à l’époque. Quelques mois après notre rupture, quelqu’un est venu me voir avec des photos de Led Zeppelin jouant devant 50 000 personnes. C’était un sentiment étrange….
Béatrice : Avez-vous gardé de bons contacts avec Anthony, Eric, Jeff, Paul et Jimmy ?
Jim : Je suis principalement en contact avec Jeff, qui est resté un bon ami. Jimmy est venu nous voir quand nous sommes allés jouer à Reading en juin dernier. Et Top, je le vois de temps en temps. Eric, ça fait un moment que je ne l’ai pas vu.
Béatrice : Parlez-nous de "Knowing that I’m losing you". Comment la chanson a-t-elle été créée ? Qui y a principalement collaboré ? Qu’avez-vous pensé quand vous avez entendu Tangerine pour la première fois et constaté que Jimmy Page ne créditait que lui pour ce morceau ?
Jim : "Knowing that I’m losing you "est l’une des cinq chansons que nous avons enregistrées avant la séparation du groupe, probablement en 1968. Je ne pensais pas grand chose de ce matériel jusqu’à ce que je l’entende récemment. Jimmy est certes beaucoup à l’origine de ce morceau, mais c’est Keith qui en a écrit les paroles. Et il me semble qu’elles ont été en partie reprises pour Tangerine. Jimmy n’écrivait pas de paroles, alors vous pouvez en tirer vos propres conclusions…

Béatrice : Quels musiciens écoutiez-vous à l’époque où vous avez fondé Renaissance ? Lesquels vous ont inspirés ?
Jim : Pour Renaissance, nos influences allaient de Simon and Garfunkel à Hair en passant par le jazz, et évidemment la musique classique que John Hawken a ajouté à l’équation.
Béatrice : Pourquoi n’avez-vous enregistré qu’un seul album avec Shoot ?
Jim : Je souhaitais en enregistrer un autre avec Shoot, mais le succès était si mince que la maison de disques n’a pas souhaité y donner suite.
Béatrice : Les années 60 et 70 ont été un terrain propice à l’expérimentation de toutes sortes de drogues. Puis vint la mort de Jimi Hendrix, de Janis Joplin, de Jim Morrison, l’intérêt du public pour d’autres musiques qui vous poussaient hors de la scène. Comment les musiciens ont-ils vécu cette difficile période de transition ?
Jim : Cette période était très autodestructive ! Un jour, j’ai eu une si mauvaise expérience en prenant de l’acide que j’ai rejeté tout ça pour de bon. Mais d’autres n’ont pas eu autant de chance…
Béatrice : Parlez-nous de Keith Relf. Comment a-t-il vécu l’après Yardbirds ? Dans quel état d’esprit vivait-il dans les années 70 ? On lit ici ou là qu’il était ruiné, déprimé. Rumeur ou réalité ?
Jim : Keith s’est vraiment perdu avant de mourir en 1976. Il était très fauché, se droguait et devait s’occuper de ses deux fils. Je ne pouvais plus travailler avec lui. Il était trop lourdement dépressif.
Béatrice : Quel est l’album dont vous êtes le plus fier (que ce soit avec un groupe ou en solo) ?
Jim : Je pense que Roger the Engineer a été l’album le plus amusant à enregistrer. Nous composions beaucoup dans le studio, avions l’occasion de rire. Nous avons enregistré les parties de batterie plutôt chouettement, alors j’étais satisfait du résultat. C’était aussi une belle expérience d’enregistrer Out of the Dark, mon album solo. Il y a tellement de personnes qui m’ont encouragé, et quand c’était terminé, j’étais heureux d’avoir mon propre CD.
Béatrice : Quels sont vos projets sur le plan artistique ?
Jim : Je suis en train de terminer un autre album solo que j’enregistre à Toronto, avec quelques excellents musiciens locaux. Un disque de meilleure qualité que Out of the Dark, mais bientôt, je vais devoir me heurter au problème de la distribution…
Béatrice : Arrive-t-il qu’on vous aborde en vous confondant avec le Jim McCarty de Cactus? Si oui, avez-vous une anecdote à nous raconter ?
Jim : Je n’ai vécu qu’une situation où on m’a confondu avec l’autre Jim McCarty. Quelqu’un m’a envoyé un email pour me commander des enregistrements de rockabilly, et j’ai réalisé qu’il pensait s’adresser à l’autre Jim McCarty. Je suis aussi allé à un concert de Steely Dan dans les années 70, et Jeff Baxter a annoncé que la prochaine chanson était dédicacée à Jim McCarty, mais je ne sais pas s’il parlait de moi !
Béatrice : Quels sont les disques que vous aimez écouter en ce moment ?
Jim : J’écoute toujours tous les styles de musique, mais pas trop en ce moment. J’ai un CD de Ali Farka Toure que j’aime beaucoup. Il n’y a plus beaucoup de chanteur comme ça aujourd’hui !
Béatrice : Parlons de Renaissance… Quel rôle avez-vous réellement joué entre les albums Illusion et Prologue ? On sait qu’en 1970, les membres fondateurs se sont retirés un à un et que John Hawken a pris le destin du groupe en mains, réunissant de nouveaux membres, dont quelques-uns recrutés chez les Nashville Teens. On sait qu’Hawken ne s’est finalement pas reconnu dans la formation avec Binki Cullom et qu’il s’est retiré. Vous êtes alors revenu. Quel était alors votre rôle dans ce groupe ?
Jim : Au départ, Keith et moi avions décidé de cesser de jouer dans le groupe et de nous contenter de rester dans l’ombre, en écrivant ou en produisant. Puis Keith a vite disparu, et j’ai continué à travailler sur mes idées de chansons. Jane Relf m’a parlé d’une poétesse de Cornwall, Betty Thatcher, qui souhaitait écrire des chansons. Elle m’a proposé de m’envoyer les poèmes que je pourrais essayer de mettre en musique. Je pense que le meilleur exemple de cette collaboration est Bound for Infinity, qui n’était pas vraiment une réussite sur l’album de Renaissance. Ma version était meilleure, mais personne ne l’entendra jamais ! Par la suite, ils ont écrit leurs propres chansons avec Mickey Dunford, et comme je ne faisais plus partie du groupe, j’ai fini par perdre contact avec eux…