JENGHIZ KHAN (Bio)

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alcat01
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JENGHIZ KHAN (Bio)

Message par alcat01 » mar. 21 sept. 2021 22:35

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Mine de rien, la Belgique aura produit au cours des années 70 une bonne poignée de bons groupes qui demeurent des créateurs de pépites recherchées par les collectionneurs et passionnés de ces folles années musicales: Jenghiz Kahn est l'un de ceux-là.

Jenghiz Khan est donc un quatuor de Hard Prog Rock Belge formé en 1970 dans le sud de la Belgique sur les cendres de deux groupes, The Tim Brean Group et The Partisans, et composé de musiciens déjà expérimentés: Tim Brean, orgue, piano, clavecin et chant, François George dit "Friswa", guitare acoustique, rythmique et chant, Christian "Chris Tick" Servranckx, batterie, percussions et chant et Rémi Bass, basse, rapidement remplacé par un certain Pierre "Peter Raepsaet" Rapsat, basse et chant, dont le groupe Liégeois, Laurélie, qui venait de sortir un album: "Laurelie", venait juste de splitter.
C'est donc le début de la longue carrière de Rapsat (après avoir enregistré avec Laurelie la même année) en tant qu'auteur-compositeur-interprète de Rock francophone.
Dans les années 60, celui-ci avait fait partie d'un orchestre de danse appelé Les Ducs mais, déjà dans son groupe suivant, Tenderfoot Kid", où il avait joué sur quatre singles, il avait prouvé qu'il était un excellent auteur de chansons.
Les amateurs de Rock Belge firent la connaissance de Friswa au milieu des années soixante quand il monta a l'assaut des podiums avec un groupe nommé The Partisans. Avec les Night Rockers et Stroff et ses Jay Five, ils étaient les principales attraction du Rocking Center, un bar aussi nommé Les Brasseurs, situé rue au Beurre, près de La Grand' Place de Bruxelles. Le patron servait de manager a ces groupes et, comme les Beatles, ils firent les belles nuits de clubs De Hambourg et d'autres villes Allemandes où ils tenaient la scène jusqu'à quatre heures d'affilée. On peut difficilement trouver l'égal comme Ecole du Rock and Roll.
Friswa était un enfant des quartiers populaires de Bruxelles. Son éducation s'était faite avec les voyous de Molenbeek et sa passion pour la musique n'avait d'égal que celle qu'il avait pour 'une bonne bagarre'. Il était capable d'une grande sensibilité musicale et d'une froide brutalité physique. Un contraste qui allait le faire aimer des uns, détester des autres et le marquer profondément.
Parce qu'en plus, il était bourré de talent, il devint un virtuose de la guitare (et une pointure au karaté), un chanteur dont la registre se trouvait quelque part entre Jim Morrison et Elvis Presley (à qui il vouait une admiration sans borne), mais il pouvait aussi composer, écrire, dessiner et avait un sens de l'humour et de l'autodérision incroyable.
Le journaliste Pierre Vermandel (Piero Kenroll), critic rock du mag TéléMoustique fut leur directeur artistique (mentor) et le parolier du groupe.

Au cours de son histoire relativement courte, le groupe a eu une bonne réputation sur scène et a donc joué à de nombreux concerts et festivals. Les plus importants ont eu lieu lorsqu'ils étaient sur la même affiche que Wallace Collection (puzzle P en juin 1970), Black Sabbath (Rock Bilzen Août 1970), Yes (Pop Hot Show Huy le 5 septembre 1970), Stray (Festival de Gand le 28 Novembre 1970), Free Show Wolu Shopping Center 27 Juin 1971, The Tremelous (Grand Place Ciney le 11 Juillet 1971) et Genesis (festival de Jemelle le 8 Août 1971).

Jenghiz Khan est l'un de ces très rares groupes de Hard Rock souvent considérés comme du Heavy Prog. Son unique album est aujourd'hui considéré comme une pièce de collection très prisée.

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En 1965, à proximité de la Grand Place, il y avait une sorte de café-concert baptisé Rocking Center, lieu exclusivement réservé au Rock. Le patron, Albert Dumortier s'occupait alors de trois excellents formations, Les Partisans, Les Night Rockers et Stroff and the Jay Five.
Très rapidement, les trois groupes s'étaient fait remarquer tant à Bruxelles, qu'au Golf Drouot à Paris et même en Allemagne, où Albert les avait envoyé en tournée dans les clubs de Hambourg.

Piero Kenroll avait fraternisè avec les musiciens des Partisans, Jacky Mauer, Rémi Bass, Marc et surtout avec Friswa qui deviendra très vite un grand copain.
"...Je ne sais pas pourquoi Friswa, le dur, prit en sympathie le freluquet que j'étais à l'époque. Peut-être parce qu'il voyait que j'étais vraiment un passionné de Rock? En tous cas, nous devinrent copains et lorsque le club Les Aigles commença des réunions 'rockanrolliennes, chaque week-end place des Martyrs, les Partisans répondirent bénévolement 'présents!' pour l'inauguration. Par la suite on pût toujours compter sur eux en cas de coup dur (un autre groupe qui se désistait en dernière minute, par exemple) et je devins encore plus copain avec Friswa, lequel aurait aussi réduit en bouillie quiconque m'aurait cherché des poux. Faut pas dire: mais quand on dirige un club d'excités, ça peut servir. (Rassurez-vous ça n'a jamais servi) (Du moins pas à moi) Mais bref... La police mis un terme aux réunions des Aigles, place des Martyrs. On se rabat sur le Rocking Center et on engage Vince Taylor qui est en pleine déconfiture et n'a même plus de musiciens. Qui monte au créneau pour l'accompagner lors de sa mémorable prestation de 1967?...Ben oui...les Partisans...".

"...Après avoir été engagé comme journaliste au magazine Télé Moustique pour la rubrique Rock, je suis un jour invité à un concours de groupes amateurs en Wallonie en tant que membre du jury. Je fais ainsi la connaissance d'un trio qui s'appelle le Tim Brean Group dans lequel on retrouve Christian Servranckx à la batterie, Mick Hart à la basse et Tim Brean au clavier et au chant. Ce trio me laisse une grosse impression. Je décide donc de voter pour eux. Mais ils sont tellement originaux et tellement au-dessus de la moyenne des autres orchestres de bal qu'ils ne remportent évidemment pas le concours...".

Il s'en va alors trouver Tim, sympathise avec les musiciens et leur explique qu'un de ses rêves les plus fous serait de s'occuper d'un groupe à part entière. Comme il a des tas d'idées de textes, il leur propose une rencontre à Bruxelles pour en discuter.
Ils ont, avant tout, besoin d'un guitariste, il leur présente Friswa et, tout de suite, ça colle avec Tim et Christian, mais beaucoup moins avec Rémi. Friswa trouve qu'il ne s'investit pas assez dans les répétitions et qu'il manque surtout de punch.

Les répétitions commencent et pendant des semaines, les musiciens travaillent à fond dans la maison des jeunes de Berchem-Ste Agathe. Piero collabore avec eux en leur fournissant des textes et des paroles en Anglais. Sur le plan musical, il se débrouille comme il peut car il n'a jamais étudié le solfège. Enfin, jour après jour, le groupe se constitue un répertoire solide.
Piero Kenroll: "...A la même époque, des membres du Pop Hot Club de Liège attirent mon attention sur un groupe de la région qui s'appelle Laurelie et qui vient de sortir un album des plus prometteurs...".

Après écoute des morceaux, il décide de prendre contact avec eux. Et là, il tombe sur Francis Dozin, leur chanteur, qu'il connaissait depuis longtemps puisqu'il s'était produit, quelques années auparavant, au Club des aigles avec son groupe Sincerity.
A son tour, Francis lui présente Eric Vion, leur producteur, qui fatalement lui fait rencontrer Pierre Raepsaet, le compositeur attitré du groupe. Pierre est né à Verviers, il est loin d'être un inconnu. On lui doit notamment le mini-hit "Time is up", une composition qu'il a écrite pour le groupe liégeois les Tenderfoot Kids, très populaire mais auquel il aurait peut-être fallu un grain de folie supplémentaire.

"...Entre Pierre et moi, ça a tout de suite bien fonctionné. Il aimait ce que je proposais comme type de collaboration et moi j'étais en admiration devant sa créativité musicale...".

Dans un premier temps, Tim, Christian, Rémi et Friswa ainsi que les membres de Laurelie se sont observés, jaugés puis appréciés. On sentait une admiration mutuelle. De plus en plus régulièrement, Raepsaet s'est mis à fréquenter la salle de répétition de Berchem. On sentait qu'il se rapprochait de plus en plus.
Puis le problème de Rémi est revenu sur le tapis. Ils se sont mis en quête d'un autre bassiste. Des contacts ont été pris avec John Valcke qui tournait avec Wallace Collection, mais pour des raisons d'agenda, la chose n'a pas pu se faire.

Ce qui devait arriver arriva et Laurelie s'est dissout et Pierre s'est retrouvé disponible. Les choses n'ont alors pas tardé, Rémi parti, il a aussitôt pris sa place.
"...Choc : Laurelie dissous! Raepsaet dans Jenghiz Khan...". On le voyait venir car Pierre avait senti la différence entre les répétitions du Jenghiz et celles de Laurelie. Aussi bons soient les musiciens de ce dernier groupe, ils ne stimulaient pas sa créativité alors qu'avec Tim et Friswa il y a une saine émulation.

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Chacun tente de faire encore et toujours mieux que l'autre, la virtuosité est omniprésente. Ce sont des bosseurs, entièrement dévoués à leur musique et, en plus, de joyeux drilles, alors Pierre se sent avec eux comme un poisson dans l'eau, les idées fusent et la créativité est constante.
De plus, Piero Kenroll continue à être derrière eux pour des tas de choses, musicales ou non. Ainsi il est particulièrement soucieux de leur look. Les groupes belges sont encore à la traîne sur le plan international. Ce n'est pas une raison pour avoir l'air d'assistés sociaux sur scène.
"...Je veille au grain aux vêtements que portent «mes» gars en public...".

Avec l'aide d'Agnès Franche qui s'occupe de la mode sur le journal «Bonne Soirée»:
Pour Friswa, elle fait confectionner par une de ses amies couturière un blouson très coloré illustré de dessins genre chambre d'enfant.
Tim n'ayant plus beaucoup de cheveux, on lui impose une perruque malgré ses protestations.
Pour Pierre, Agnès combine l'air gavroche d'une grande casquette d'artiste peintre avec une veste de coupe militaire.
Pas de problème, en revanche, pour Chris, car un batteur, ça doit être à l'aise, et un t-shirt suffit.

Piero Kenroll: "...Souvent, avant que le groupe ne monte sur scène, nous avons un petit briefing. J'insiste sur le fait qu'il faut, d'emblée, attirer la sympathie du public, lui montrer qu'on n'est pas là pour l'écraser de technique mais pour prendre du bon temps. Il faut présenter les morceaux, les expliquer, préparer les spectateurs… et avec humour S.V.P.!..."

Rapidement ils se font remarquer sur scène avec des prestations incendiaires et le tandem Raepsaet / Friswa qui assure un vrai show comique. Les deux compères y vont de vannes et de blagues salées en cascade. À côté du répertoire Rock, le public a donc droit à ce duo de fantaisistes qui s'accusent réciproquement des pires turpitudes.

Piero Kenroll: "...Les rires fusent autant que les applaudissements. Un spectateur qui n'apprécie pas cet humour se risque-t-il à protester? Friswa (je le rappelle: un mètre quatre vingt, nonante kilos, ceinture noire de karaté, grand amateur de bagarres de rues dans les bas quartiers d'Anderlecht) lui propose: «Viens dire ça, ici!»...
...Inutile d'ajouter qu'heureusement, personne ne s'y risquera jamais. J'ai ce que je veux. Sur scène Jenghiz Khan en impose autant par sa musique que par son assurance. Alors… Quoi d'étonnant à ce que Pierre voit dans le groupe la voie royale pour que «ça marche» et qu'il me laisse dormir?...".
Piero Kenroll: "...C'est moi qui ai pensé à Jenghiz Khan, car c'est un nom qui de tout temps a inspiré la peur. Avec un type du gabarit de Friswa, il n'était pas possible de faire dans la dentelle. Son look de catcheur et son comportement musclé, voire agressif sur scène devaient jouer en notre faveur...".
Et, de fait, ce groupe de furieux fait effet sur le public et mets le feu aux planches des festivals partout où ils se produisent.

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Piero Kenroll: "...Entre Tim et Friswa existait une émulation permanente. Chacun essayait de faire mieux que l'autre. Leur virtuosité technique était impressionnante. C'étaient de vrais bosseurs, entièrement dévoués à leur musique et, en plus, de joyeux drilles. Tous les deux étaient ravis des qualités de bassiste de Pierre...
...Lui-même était très stimulé par la dynamique et la créativité ambiante. Je me rappelle un jour avoir entendu Tim et Friswa discuter entre eux et dire: c'est dommage qu'il ne sache pas chanter. (Rires ininterrompus de Piero). Pour être tout à fait objectif il faut bien admettre qu'en 1970, les voix de Tim et de Friswa. Pour atteindre leur niveau, il a énormément travaillé. Il a fait des progrès considérables...".

Eric Vion, qui venait assister régulièrement à leurs répétitions s'est très vite montré enthousiaste. Il est parvenu à décrocher un contrat d'enregistrement chez Barclay Belgique. Les enregistrements se sont déroulés dans les studios Reward à Schelle près d'Anvers, l'un des trois seuls studios de Belgique qui permettent l'utilisation de… huit pistes sonores!
A noter que Roger Wollaert de Kleptomania est venu en renfort pour certaines parties de batterie.

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L'album intitulé "Well Cut", (le titre est sensé souligner qu'il a été enregistré avec soin) sort en Avril 1971 avec une pochette présentant les têtes des quatre musiciens décapités brandies par un géant, dessinée par Jamic, le caricaturiste de TéléMoustique.

Piero Kenroll: "...On nous l'avait promise double et Jamic avait réalisé un formidable dessin en fonction... Mais sans que nous soyons prévenus, elle est devenue simple. En plus il y a une faute d'orthographe dans le nom de Friswa qui est devenu Big Frisma. Le professionnalisme n'est pas encore de mise à tous les niveaux dans les firmes de disques...
...Enfin… Il y a trois compositions de Friswa et trois de Tim. Je signe toutes les paroles. Il y a aussi mon The Lighter dont j'ai aussi écrit - enfin «pensé» serait le terme plus exact – la musique...
...Pierre Raepsaet, qui n'était pas encore officiellement dans le groupe lors de l'enregistrement, n'a pas eu le temps d'achever une des compositions qu'il a commencées dès que ce fut le cas. J'ai eu l'idée du dessin de la pochette, j'ai participé à la production aux côtés de Vion...
...J'ai même chanté (enfin, crié est plus exact) dans les chœurs pour un morceau. C'est dire à quel point cet album me tient à cœur. Comme responsable d'une rubrique de présentation de disques, comment être impartial? Peut-on à la fois être juge et partie? Hélas, il n'y a malheureusement toujours pas d'autres magazines que Télé Moustique qui ont une rubrique de présentation de disques rock en Belgique...
...Alors?… J'y vais à la franchise… Sans entourloupe. Je préviens les lecteurs que je suis partie prenante dans ce coup-là, et que cette fois, c'est à eux de m'écrire ce qu'ils en pensent. Ils font mieux. Début juin 'Well Cut' est, grâce à leurs votes, en tête de notre Hit-parade des jeunes, il ira jusqu'à la troisième place dans notre Hit-Parade des disquaires où il figurera jusqu'en novembre. Pas mal pour un début non?...".

Comme la musique de Jenghiz Khan était déjà écrite, Rapsat ne s'occupa que de la basse. Les autres membres du groupe n'étaient pas les seuls compositeurs, car Piero Kenroll avait écrit tous les textes et une chanson complète.
Certaines chansons plus longues donnaient au groupe une véritable sensation d'aventure, et dévoilaient des influences possibles de Iron Butterfly et Vanilla Fudge.

Comment Piero Kenroll caractérise-t'il le style musical de l'album?
"...Un peu dans la mouvance de Iron Butterfly et de Vanilla Fudge. Les morceaux sont très longs, les mélodies répétitives, envoûtantes, puissantes. Récemment, j'ai découvert sur le net un article tout à fait dithyrambique, rédigé par un critique anglais qui s'intéresse aux anciens groupes belges des années 70. Il écrivait: Well Cut, est le meilleur album qui soit jamais sorti de Belgique. A propos d'un des morceaux, dont j'ai écrit paroles et musique, il dit textuellement: c'est un mouth droper. Traduction: quelque chose qui fait pendre la mâchoire...".

Le critique Jean-Noël Coghe (paru dans Pop Music):
Jenghiz Khan sort son premier disque. Pas un simple. Non, un album. Well Cut. Quelle claque! En quelques semaines, Well Cut est dans les cinq meilleures ventes du pays. (Le disque vient de sortir en France). Cela faisait une éternité qu'un groupe belge ne s'y était classé. Du même coup, la Belgique se retrouve à fêter un groupe, capable de faire bonne figure sur le marché international. Jenghiz Khan, c'est quatre musi­ciens. Le soliste, Big Friswa, est de poids. Au propre comme au figuré. Bon nombre de Parisiens le connaissent. A l'époque glorieuse du Club des Rockers, il a fait vibrer les voûtes de la Locomotive avec son groupe Les Partisans.
Musique hard, pratiquée dans une couleur originale, c'est ce qui se degage de Well Cut. Etonnante maturité, formidable cohésion - cela se démontre aussi sur scène - due a leur entente parfaite - pour déconner, ils ne craignent personne.
Avec Jenghiz Khan, on nage dans la mélodie et les choeurs. Puis l'orgue s'emballe, entraînant dans sa ronde infernale tous les instruments, avant de se confondre au fracassant solo de la guitare... Belle, tendre, violente, agressive, envoûtante, pleine de contrastes, telle est la musique de Jenghiz Khan...
Cela fait bien sept ans qu'on l'attend. Il est le produit d'une lutte acharnée menée par Piero, chantre de la musique pop en Belgique, face a un cartel dressé contre le phénomène pop.
Piero a su implanter dans la presse et à la radio un certain esprit pop, toujours jugé agressif, mais foncièrement honnête et sincère... En rédigeant l'acte de naissance de Jenghiz Khan et en signant les paroles de la totalité des titres, il a remporté une nouvelle victoire...
"Well Cut" atteint les meilleures ventes belges, ce qu'aucun groupe local n'avait réussi à faire depuis bien longtemps.
Cet album est une véritable curiosité avec des compositions plutôt Hard, même si les claviers leur donnent un goût tout particulier. La meilleure comparaison pourrait bien être Uriah Heep avec beaucoup de passage à l'orgue Hammond.
Le son d'ensemble est brut et sale, primitif et même terreux. Le paysage sonore ressemble quelque peu à "Very 'eavy, very 'umble" de Uriah Heep ou à "In rock" de Deep Purple, ce qui lui donne un côté très brut, lourd et par moments vraiment excellent.

C'est un bon album qui vaut la peine d'être écouté, mais il ne se situe pas dans la catégorie des albums excellents dans leur ensemble.
La qualité des chansons va pourtant de bon à excellent. On peut affirmer que les meilleures sont l'ouverture "Pain", le lourd et sombre "The moderate" et le morceau de clôture "Trip to paradise".
Le jeu de basse de Rapsat est très présent dans le mixage, ce qui fait que même aujourd'hui, "Well Cut" sonne toujours très frais!...

Le long morceau d'ouverture, "Pain", possède une introduction au chant a capella suivi d'une cavalcade Heavy façon Black Sabbath puis un passage Folk acoustique avant la reprise des hostilités, des changements de tempo, de climat, typiques du Heavy Prog de l'époque avec harmonies vocales, orgue, et gros riffs de guitare....
Suit "Campus A" qui est beaucoup plus court, pas loin du British Blues Hard à la Killing Floor.
"The Moderate", porté par un orgue caverneux et une rythmique pachydermique, aurait certainement mérité de sortir en single.
Après un court nouvel interlude Rock'n'Roll, suite du premier intitulé "Campus B", retour au prog de "The Lighter" beaucoup plus calme, avec une légère touche Psyché Californien.
"Hard Working Man" verse dans le Rock carré avec encore de belles harmonies vocales et de gros traits de guitares
et "Mad Lover" vers le Psyché acoustique avec quelques bizarreries expérimentales
et pour finir, "Trip to Paradise", morceau de clôture épique avec des humeurs et des tempos changeants, est un long voyage vers le paradis (ou peut-être l'enfer) ou se côtoient déluge de décibels (avec un gros solo de guitare de Friswa) et plages atmosphériques.

Si l'on veut absolument comparer musicalement, des noms viennent à l'esprit comme ceux de Vanilla Fudge, May Blitz,Uriah Heep, Deep Purple, Iron Butterfly, Ten Years After, Black Sabbath, Budgie...

L'album a fait l'objet d'une édition Cd il y a quelque temps et est maintenant très probablement rare aussi.

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Après la sortie de "Well Cut", pendant quelques mois, Jenghiz Khan devint le groupe Rock Belge numéro un et les frasques de Friswa et de Pierre sur scènes resteront légendaires...
Ainsi, le 11 Juillet 1971, le groupe est tellement bon sur scène qu'il manque de faire s'écrouler le chapiteau du festival annuel de la Guitare d'Or de Ciney.

Piero Kenroll: "...Dix ans! En 1971, c'est un exploit pour un festival. Et c'est celui du Festival de la Guitare d'Or de Ciney, que j'ai déjà souvent évoqué. Pour son dixième anniversaire, en ce début de Juillet, en plus de l'habituel concours de groupes amateurs, de plus en plus critiqué, on ne peut pas dire que la tête d'affiche soit à la hauteur: The Tremeloes...
...Plus Pop que Rock, puisqu'on commence à faire la distinction, et pas mauvais, certes, mais pas de quoi exciter les mouches! Pour compléter sa programmation, Jean Martin n'a pas cherché loin: quasiment toutes les pointures actuelles du Rock made in Belgium sont là: Kleptomania, Lagger Blues Machine, Arkham, Pebbles, et Jenghiz Khan. Ce n'est plus un anniversaire, c'est la fête nationale! Jean-Luc assure le reportage. Je suis déjà en vacances mais pas encore parti dans le Midi...".
Piero est donc resté en raison de la présence de Jenghiz Khan.
Il fait très chaud ce jour-là et la canicule est telle que les organisateurs appellent les pompiers pour arroser et rafraîchir le chapiteau.
"...Ça fait du bien. Mais la chaleur joue sur les réactions du public. La plupart des spectateurs sont gagnés par une douce torpeur et les complexités instrumentales du Lagger et d'Arkham ne sont pas faites pour tenir éveillés les non-initiés. Coup de chance? Parce que ces deux groupes qui le précèdent sont plutôt hermétiques… Parce que la soirée, légèrement moins chaude, commence au moment où le groupe monte sur scène…".

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Jenghiz Khan va avoir sur le public autochtone l'effet d'une véritable horde de guerriers mongols. Tim, Pierre, Friswa et Chris avaient manifestement été marqués par la prestation de Golden Earring quelques jours plus tôt et ils en veulent, ils sont en pleine forme.

"...Négligeant volontairement les morceaux calmes de leur répertoire, ils se déchaînent comme ils l'on rarement fait. Passé un moment de stupeur, durant lequel certains doivent se demander si ces types sur scène sont dangereux et s'ils vont venir les attaquer personnellement, les spectateurs sont électrifiés. C'est le réveil. C'est l'allégresse. C'est l'émeute!...
...Des tables sont renversées, des chaises piétinées, le service d'ordre se met à danser le twist, les mères de famille venues en curieuses mettent leurs moutards à l'abri, la pression monte dangereusement dans les pompes à bière, les pompiers sont en état d'alerte, les édiles communaux prêts à déclencher le plan catastrophe, un vieillard paralysé des jambes se dresse sur sa chaise roulante en criant « Miracle ! Je marche ! »… C'est du délire, je vous dis. Chaque fin de morceau est saluée par des hurlements de plaisir. Dans les coulisses je ne me tiens plus. Je fais de bonds de joie. Je suis, en esprit, à côté de «mes gars» comme l'entraîneur sur le terrain aux côtés de son équipe...
...Friswa aussi commence à sauter en l'air… Et il n'est pas léger. Ça fait «boum» quand il atterrit. Mais ce n'est pas fini: pour les rappels, le Jenghiz passe le turbo: une série de classiques du rock achève de mettre le public à genoux. Victoire totale! Triomphe. Un moment précieux qui est la meilleure des récompenses pour tout ce que j'ai investi dans le groupe. On se tombe dans les bras à la descente de scène. Nous n'oublierons jamais Ciney. Après ça, les Tremeloes? Eh bien… Le moins qu'on puisse dire, c'est qu'en effet, ils avaient l'air très molo...".

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"...Avec sa victoire au Pop Poll, son album qui continue à bien se vendre, son triomphe à Ciney, quelques incursions très appréciées hors frontières, notamment en France, au festival de Seloncourt, Jenghiz Khan a atteint le maximum de ce à quoi peut aspirer un groupe Belge en 1971. Il lui manque peut-être un Hit en single. On y travaille. Ça s'appelle "It's My Way" et cette fois Raepsaet a participé à la composition, comme d'ailleurs à un formidable morceau dont je suis en train d'écrire les paroles – ça s'intitulera sans doute "The Power And The Glory", qui constitue une suite de plus ou moins vingt minutes...
...A mon avis c'est la meilleure chose que le groupe n'ait jamais imaginé. Avec ça sur le deuxième album, la percée internationale est certaine. Gonflés à bloc, Tim, Pierre et Friswa me bombardent de nouvelles compositions et je n'arrive plus à suivre pour écrire les paroles. Pierre commence à chanter et les harmonies vocales du groupe, déjà son point fort, sont maintenant exceptionnelles. Pas plus tard que l'autre soir, tiens…J'avais convaincu mes copains de reprendre un morceau un peu gospel découvert sur un album du Vanilla Fudge, "Lord In The Country". Ils s'y sont mis a-capela autour du piano de la maison des jeunes à côté de laquelle se trouve le local de répétition. Le disc-jockey de l'endroit, un certain Pierre Guyaut, n'en revenait pas. Ça m'a donné une idée… Puisqu'on a vu des groupes Rock comme les Moody Blues, Deep Purple, Pink Floyd et E.L.P. s'associer avec un orchestre symphonique pourquoi ne tenterait-on pas la collaboration avec une chorale? ...
...Nous nous sommes donc rendu à la cathédrale Saint Michel et Gudule pour assister à un concert regroupant diverses chorales religieuses de tous les coins du pays. On nous a un peu regardés de travers, toute cette bande de chevelus en jeans et blousons colorés dans un coin de l'église, mais ça valait la peine. Rock et chants grégoriens ça pourrait faire un mélange intéressant. J'obtiens un rendez-vous avec le prêtre qui dirige l'une des chorales. Je lui explique le projet et j'arrive presque à le convaincre. Mais nous n'arrivons pas à nous mettre d'accord sur la langue. Pour moi, celle du Rock, c'est l'Anglais. Pour lui, il n'y a que le latin. Faudra essayer un autre…
...En attendant, Tim me remet toute une cassette de chansons dans un style où l'on sent l'influence d'Elton John, Friswa a un truc particulièrement swinguant dont il ferait bien un enregistrement en solo, Pierre d'ailleurs prépare aussi quelque chose de son côté...
...J'ai encore une idée… Si avant le passage du groupe, chacun de ses trois membres créateurs y allait de sa propre prestation? Le Jenghiz Khan pourrait être le premier groupe dont les membres assureraient séparément la première partie des concerts qu'ils donnent en commun. Bonne solution pour absorber leur réel trop plein de créativité...".

Mais, malgré leur notoriété, la sortie de leur LP et leur statut tout neuf de super groupe Belge, Jenghiz Khan va connaître de grosses difficultés...
Pourtant, les projets fusaient, un deuxième album était en cours d'écriture mais les problèmes allaient survenir, la faute à une scène Belge trop étroite qui ne permettait pas à ses musiciens de vivre de leur musique car les contrats ne suivaient pas et, par conséquent, l'argent faisait cruellement défaut.
C'était d'ailleurs le véritable drame pour tous les groupes Belges de l'époque...

"...Sur le plan humain la situation devenait insupportable. Même Kleptomania, gros chouchou du public, s'est retrouvé face à la même situation intenable. Il leur manquait un vrai manager. Et moi je n'étais ni un agent, ni un impresario qui aurait eu le temps de voyager, de leur trouver des contrats, de discuter avec les firmes de disques. Bref, je n'avais rien de l'homme d'affaires...".
D'autre part, il faut également tenir compte du fait qu'au début des années 70, a déferlée la vague du Glam Rock. Ce qui a obligé les groupes nationaux à reconsidérer leur look et il y a eu beaucoup de réticences de leur part.
La plupart ont refusé de se compromettre dans cette approche trop Glamour du Rock. C'est l'époque de T.Rex, Sweet, Gary Glitter, Slade, Roxy Music, David Bowie, Alice Cooper, Iggy Pop, The Stooges.
"...Je pense sincèrement que toutes ces fioritures, paillettes, maquillages, style kitch autour du rock les ont anéantit. Ce fut le cas de Jenghiz Khan… et de l'ensemble des groupes Belges qui ne s'en sont jamais remis...
...Je pense qu'ils n'ont pas compris que le public n'allait plus se satisfaire uniquement de musiciens aux qualités exceptionnelles. Mais qu'il fallait désormais compter avec l'apparence physique, le look et un certain côté glamour. Seul Kleptomania a pu résister un peu plus longtemps que les autres...
...Il faut bien admettre également que les musiciens Belges des seventies se prenaient souvent terriblement au sérieux. Ils étaient plus obsédés par leur technique, leur talent éventuel que par leur public. Or c'est le public qui fait l'artiste aussi! La plupart des groupes de cette époque auraient apprécié de pouvoir se produire devant un gigantesque miroir qui, aurait renvoyé leur reflet. Mais essayer de plaire au public, ça c'était autre chose. Bref, 1972 va marquer le glas de toute cette vague belge du Rock...".

Malheureusement, ce qui devait arriver arriva, c'est-à-dire la fin du groupe en 1972.

Image Friswa

"...Il ne manquait plus que ça: Friswa quitte Jenghiz Khan! C'est la crise pour les groupes Belges, on le sait, mais j'espérais tout de même que «mon» groupe ne serait pas touché. J'enrage. Tout semblait pourtant aller si bien pour Tim, Friswa, Pierre et Chris. Trop peut-être? Le succès local leur est sans doute un peu monté à la tête et il faut bien avouer que, malgré ça, comme tous les autres musiciens Rock Belges, ils n'arrivaient pas à ne vivre que de leur musique. Alors Friswa a accepté une lucrative proposition de rejoindre le… Wallace Collection...
...Friswa a un peu le même raisonnement que Dany de Klepto. «La Belgique, on en a vite fait le tour. Malgré la popularité du Jenghiz les engagements diminuaient parce qu'on nous avait vu partout. La solution c'est l'étranger; le Wallace y est toujours bien considéré.» Au premier abord le départ de Friswa n'est pas un trop gros problème pour les autres...
...À cause de ce fichu trop plein de créativité! Tim était le plus frustré de ne pas voir toutes ses compositions finalisées. Pierre, passionné par le travail de studio, se sent prêt à démarrer une carrière solo. Chris suit Tim dans tout ce qu'il entreprend. Mais tout de même… Que va devenir ce formidable morceau de vingt minutes auxquels ils ont tous contribué? Ils se mettent d'accord pour que chacun reprenne les parties qu'il a composées. A l'annonce de la séparation, Barclay-France intervient pour qu'il y ait tout de même un nouvel album. C'est Pierre qui prend la direction de la négociation: «Que la firme sorte d'abord le single "It's My Way" que nous avons enregistré, si c'est un succès, on verra pour l'album…». Il n'y aura pas de suite. Le groupe ne survivra pas au départ de Friswa...
...Pour moi, c'est vraiment la douche écossaise. J'ai perdu mon « enfant ». Le Jenghiz me tenait tellement à cœur. Chacun de son côté, Pierre, Friswa et Tim essaient de me consoler. Ils me disent qu'ils auront encore besoin d'un parolier et font toujours confiance à mes jugements. C'est gentil, allez. On en reparlera...".

Il reste donc un album qui, sans être un chef d'oeuvre, est un bon témoignage de cette époque, à découvrir pour les curieux et les amateurs de Rock seventies.

Friswa, le ceinture noire de karaté, s'est donc laissé tenter par une offre lucrative de tournée en tant que membre du Wallace Collection qui était le seul groupe Belge connu internationalement.
Mais après cette tournée, il se retrouva sans groupe. Il fit partie quelques temps du Two Man Sound qui était le seul groupe Belge à présenter quelque chose de visuel sur scène, mais ce groupe là n'arriva pas non plus à trouver assez d'engagements pour survivre dans cette formule. Pourtant, passant en première partie de Slade à Forest-National, il avait eu tellement de succès que les roadies du groupe Anglais avaient saboté sa sono en pleine prestation. Ce qui vaudra à Chas Chandler, ancien bassiste des Yardbirds, découvreur de Jimi Hendrix et manager de Slade, d'ajouter à ses titres celui d'être le gars le plus célèbre a s'être retrouvé avec un oeil poché signé Friswa.
Celui-ci publia ensuite deux singles en solo. Le premier, dans lequel il travaille à nouveau avec Piero, reçoit de bonnes critiques.

Piero Kenroll: "...J'avais déjà écrit des paroles, même composé un air, j'avais envie de m'essayer à la production. C'est évidemment Friswa qui m'en donne l'occasion. Toujours amoureux du Rock des pionniers nous écrivons ensemble un morceau hommage à Eddie Cochran. Je réussit à convaincre une firme de disques et en 1974 nous enregistrons le single "I Still Remember Eddie". Pour la face B. Friswa s'auto parodie avec "Big Friswa". Ce sont les gars du Kleptomania qui l'accompagnent, pas trop rassurés, car Friswa raconte un peu son histoire et chante, entre autres «I smoked with Kleptomania». Pas de succès à la clef mais on s'est bien amusé...
...Après, Friswa enregistre encore, en 1979 le single "Johnny's Girl" / "Back In Town", aussi sans succès. J'étais navré de le voir se ronger à ne plus être reconnu. Nous arrivons dans les années 80, l'époque des synthés et des groupes de studio. Je propose donc à mon pote de former un duo / concept que nous appellons Frisway, contraction de Friswa et de Ay, pseudonyme que je prends pour l'occasion. Nous mettons au point une série de compositions dont je suis encore très fier. L'idée était de mélanger des vocaux rappelant les pionniers du Rock, de la guitare très Heavy Metal des seventies et une instrumentation pré-House-Techno qui allait devenir la marque des eighties...
...Nous préparons de quoi faire un album. Je vais même faire écouter les démos chez Charisma à Londres. Un morceau, "Free Radio" (c'était l'époque de l'arrivée des «radio libres») figure sur un album compilation de présentation des groupes Belges intitulé "Sprouts" dont je m'occupais. Un autre, "N'Human" sort en single. Aucun succès...".

Déçu, Friswa essaye encore d'autres directions, même de jouer de gauche à droite avec un bassiste et un batteur sous le nom de Ma's Kitchen. Mais son manque de réussite commerciale, ses problèmes personnels, son caractère ombrageux, le plongent dans une série de déprimes qui trouvent leur triste épilogue lorsqu'il met fin a ses jours le 8 janvier 1988.
Ce jour la, le Rock Belge a perdu quelqu'un de vraiment "big".

Pierre Rapsat commença en 1973 une carrière solo très réussie avec une vingtaine d'albums à son actif et il sera très populaire en Belgique, un peu au Québec mais pas vraiment en France. Il a fait beaucoup de disques d'Or et de Platine, allant du Rock à la chanson, mais la plupart du temps chantés dans sa langue maternelle (le français). Malheureusement, il est décédé le 21 Avril 2002 à l'âge de 53 ans.

Tim Brean alla rejoindre les ex-Pebbles dans Trinity et il joua de l'orgue avec eux de 1974 à 1976. Il composa également de nombreuses chansons pour le label Barclay. Plus tard, il tenta sa chance en tant qu'artiste solo sous le nom de "Tim Turcksin" mais il ne réussit à sortir que quelques chansons sur des albums de compilation.

Enfin, Christian Servranckx travailla comme boulanger à Steenokkerzeel, en Belgique.

Sources: GruvanDahlman, ZowieZiggy, Hugues Chantraine, ROCKIN-JL, belgianmetalhistory.be, Interview de Piero Kenroll réalisée par J.Jième et d'après des écrits inédits de Piero Kenroll de 2007

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