En 1972, deux étudiants groenlandais, Malik Høegh et Per Berthelsen, sont internes à l'académie de Sorø, en métropole. Tous deux chantent et jouent de la guitare, alors ils décident de fonder un groupe de rock qu'ils baptisent Sume (« où ? »). Rejoints par un bassiste, Erik Hammeken, et un batteur, Hans Fleischer, ils sortent leur premier album, Sumut (« vers où ? ») l'année suivante sur le label Demos, une association socialiste danoise fondée par des militants contre la guerre du Viet Nâm.
Au programme, onze chansons bien dans l'air du temps, un peu prog, un peu hard, un peu folk, un peu pop. Plusieurs musiciens supplémentaires viennent enrichir la recette à coups d'harmonica, de saxophone ou de flûte par-ci par-là. Les mélodies sont bien troussées, la production compétente, bref c'est un bon album de rock comme les années 70 en ont produit des tartines, auquel on revient avec plaisir même s'il n'y a rien de foudroyant dessus.
La grosse curiosité, c'est que tout est chanté en groenlandais, cette étrange langue agglutinante où les mots peuvent atteindre une longueur incroyable à force de suffixes. Elle se marie étonnamment bien à l'idiome rock qu'on a plus l'habitude d'entendre sous des mots anglais. Les paroles de Sume reflètent le malaise de la population inuite et critiquent sans détour la politique d'assimilation culturelle menée par le gouvernement central danois.
Sumut est un succès colossal au Groenland : 10 000 exemplaires vendus. D'accord, ça a l'air peu, mais ça représente tout de même 20 % de la population de l'île. C'est comme si dix millions de Français avaient acheté Le Cimetière des Arlequins ! Le disque marque l'origine du rock groenlandais, une scène évidemment réduite mais toujours active aujourd'hui. Peut-être qu'il a aussi contribué un tout petit peu à l'autonomie acquise par le Groenland en 1979, qui sait ?