
Chet Baker Trio – Live In Paris: The Radio France Recordings 1983-1984 (2022)
Voici des concerts inédits de Chet Baker. Ces quelques mots ne sont pas rien, promesse de moments magiques. Chet, je l’ai vu une fois au New Morning, le plus beau concert de ma vie, entre recueillement et prière aux esprits du jazz. Alors qu’il était au « Midem » et que les gens discutaient devant leur assiette tandis qu’il jouait, Chet s’arrêta et leur parla du New Morning, où disait-il, on entendait une mouche voler, ce passage est enregistré sur une vidéo, « Let's Get Lost » il me semble.
Je vous raconterai ça une autre fois, je suis retourné le voir quelques mois plus tard, toujours au « New Morning », mais ce soir-là seulement quelques notes sortirent du son de sa trompette, et il s’en alla, c’était environ un an avant qu’il ne s’en aille, mais cette fois-ci pour toujours, là-haut, parti avec les anges, faire la nouba et jouer sa musique, les anges ne sont pas près de s’en remettre, car ils n’ont sans doute jamais entendu ça !
Ici nous sommes quelques années plus tôt, le premier concert se déroule à l’Esplanade de la Défense, le dix-sept juin 1983. J’ai connu ce lieu, quelques années plus tard, une estrade avec des chaises alignées devant, et les gens pouvaient s’installer gratuitement, j’y passais le temps que je pouvais, devant satisfaire avant tout aux exigences du boulot.
C’est ce bon André Francis, qui œuvre pour Radio France, qui s’occupe de l’enregistrement. C’est un peu le pape du jazz à l’époque, il avait la main mise sur une grande partie des diffusions d’alors, un homme difficilement contournable. Bien lui en a pris d’enregistrer tout ça.
Bien que versé dans le jazz bop et la musique assez conservatrice, il a eu cependant l’intelligence de ne pas se fermer aux musiques nouvelles et de les diffuser, certes en les accompagnant d’un petit commentaire qui révélait sa façon de penser, mais au moins n’imposait-il pas ses choix, c’est la raison pour laquelle j’avais une grande estime pour lui, malgré ces goûts qui nous séparaient, bien que j’écoutasse alors également le bon vieux jazz à papa avec une sincère délectation. D’ailleurs doit-on parler du jazz ou des jazz ?
Chet est entouré du fidèle Michel Graillier au piano, ces deux-là se devinaient, le même goût du détail, de la perfection, Dominique Lemerle était à la basse. Quatre standards, « There Will Be Another You », « Easy Living », « But Not For Me », ces trois-là tournent autour du quart d’heure, et le dernier « Stella By starlight » s’arrête avant les neuf minutes.
Des versions longues, qui s’étalent et prennent leur temps, chacun s’exprime en solo, sans contraintes autres qu’artistiques. Les standards c’est le matériau de base de Chet Baker, il les aime et les connaît sur le bout du doigt, il les joue sans jamais les réciter, car rien ne va jamais de soi, et, s’il compte, c’est sans s’en rendre compte.
Le second concert date de février quatre-vingt-quatre, dans le club du petit Opportun. Le seul changement est à la basse où le grand Riccardo Del Fra tient la barre. Le concert dépasse l’heure et demie, une partie se tient donc à la fin du premier Cd. Le club c’est là où s’écoute prioritairement le jazz, c’est sa maison, le lieu où il se trouve chez lui, dans l’environnement qui l’a vu naître, voir un concert dans un club est nécessairement un avantage, et si l’artiste est grand et en forme c’est même un privilège, certes, mais le plus souvent à la portée de toutes les bourses.
Chet fait encore dans les standards, ou bien dans les compos signées par des amis de rencontre, cette partie est plus intime, c’est celle de la nuit, avec surprises et confidences. « Lament » par exemple, signé de J.J. Johnson, est sublime, avec comme une lenteur calculée, une façon unique de jouer ce phrasé, le secret de Chet est là, dans cette façon de créer ces moments d’éternité.
Je n’ai pas lu le conséquent livret, il est en anglais et me décourage, mais les photos inédites y sont sublimes, chacune évoquant quelque chose de particulier. Chaudement recommandé, un tel pavé mérite qu’on lui accorde tout le temps qu’il faut, sans conteste du grand jazz !
Arbor Way (Live)
But Not For Me (Live)
Easy Living (Live)
Lament (Live)