J A Z Z et musiques improvisées - C'est ici qu'on en parle

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Douglas
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Re: J A Z Z et musiques improvisées - C'est ici qu'on en parle

Message par Douglas » dim. 30 oct. 2022 09:12

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Fred Anderson - The Missing Link (1979)

Voici le premier album de Fred Anderson, mais bien qu’enregistré en mille neuf cent soixante-dix-neuf, il n’est paru qu’en quatre-vingt-quatre, en vinyle. Les rééditions ultérieures ajoutent un titre supplémentaire composé par le batteur Hamid Drake, « Tabla Peace ». Ainsi l’album comprend trois compos de Fred plus une signée Hamid, on dépasse donc l’heure d’enregistrement, et comme la musique est bonne…

Fred Anderson est né le vingt-deux mars mille neuf cent vingt-neuf, on comprend qu’il n’a enregistré que sur le tard, pourtant il a toujours été actif, épousant le be bop, puis le free jazz. C’est une figure rassurante et paternelle de la ville de Chicago. Il devient un des tout premiers membres de l’AACM de Chicago en compagnie de Roscoe Mitchell, Joseph Jarman et Muhal Richard Abrams. Mais il ne participera pas aux voyages vers l’Europe, et se rattrapera plus tard.

En soixante-douze, il rencontre le batteur Hamid Drake, alors appelé « Hank » qui figure sur cet enregistrement. C’est ce dernier qui lui parle du percussionniste Adam Rudolph, pour remplacer le trompettiste Billy Brimfield qui a fait faux bond au dernier moment. Larry Hayrod tient la basse et bien sûr le leader est au sax ténor.

A ce stade il faut parler d’Ornette Coleman dont l’influence s’entend dans le jeu du vieux Fred, particulièrement sur les passages, ou les titres lents comme « A Ballad For Rita ». Le jeu du saxophoniste est arrivé à maturité depuis bien longtemps, il sait déjà tout faire et sert de guide et de référence pour les musiciens plus jeunes, il en a déjà tant vu !

On comprend également que, s’il est adepte de Trane pour les longues chevauchées, il tient énormément de Coleman pour la sonorité et le phrasé. Son « son » sur l’instrument est puissant et son goût pour l’aventure le pousse à explorer longuement, avec détermination. Il y a « le flow » bien entendu mais également une façon de détacher les notes typiques des anciens boppeurs, c’est un curieux mélange des deux. Pour tout dire il est souvent énorme lorsqu’il lâche les chevaux et devient inarrêtable, comme sur « The Bull » !

Le titre d’ouverture est dans une sorte d’entre-deux, mais on comprend vite à qui on a affaire, car il s’y passe des choses dans ce "milieu", ni lent ni rapide mais toujours juste et percutant, entre Ornette et les audaces de l’AACM. C’est probablement la dernière pièce, « Tabla Peace » la plus surprenante, elle se traîne un peu, répétitive et hypnotique, avec les tablas qui chantent et prennent le rôle des solistes. Fred se détache de son rôle premier, petit à petit, puis nous offre un magnifique et long solo, très cool sur ce délicieux tapis de percus. On croirait entendre la musique de Kahil El Zabar, magnifique !

***

La vidéo ne correspond pas du tout à l'album, c'est juste pour illustrer, on y voit Fred Anderson, Hamid Drake, Ken Vandermark et Kent Kessler "at the Hideout chicago 12/21/08"

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Message par Douglas » lun. 31 oct. 2022 05:09

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Mal Waldron / Jean-Jacques Avenel / Steve Lacy – One More Time (2002)

Mal Waldron fait partie de mes pianistes préférés, juste un géant avec l’envergure des plus grands. Ici il est accompagné par deux autres pointures, Jean-Jacques Avenel, l’un des meilleurs contrebassistes français, sur cet instrument il ne manque pas, en France, de très grands spécialistes, il y a également un autre fidèle de Mal Waldron, Steve Lacy au saxophone soprano, l’un des tous meilleurs praticiens mondiaux, si ce n'est le numéro un. L’album est enregistré à Pernes les Fontaines, gage d’une très grande qualité et d’une belle clarté dans la prise de son.

Ça commence très, très fort avec une pièce au piano solo, « All Alone », interprétée avec une grande sensibilité par Mal Waldron qui nous offre une pépite, toute en sensibilité, délicatesse, attente voulue pendant laquelle le temps est suspendu. (Malheureusement chef d’œuvre absent sur youtube)

Pour le second, Jean-Jacques Avenel rejoint Mal et les deux improvisent autour d’un thème qu’ils cosignent, « Rites Of Initiation », une pièce vive et spontanée. Pour la troisième pièce, c’est Steve Lacy qui se joint au duo, pour interpréter le magnifique hommage à Jean-Jacques Avenel composé par Mal Waldron « Blues For JJ’s Bass », on ne saurait être plus clair pour mesurer l’estime que Mal porte envers son bassiste.

Le titre suivant fait partie des morceaux « repères » pour les complices Mal Waldron et Steve Lacy. Cette pièce fait partie des incontournables qu’ils jouent à chaque concert, il faut dire que le thème est très beau, « The Seagulls Of Kristiansund » est cependant interprété cette fois-ci en duo avec le bassiste qui nous démontre à nouveau son savoir-faire. Et Steve Lacy me direz-vous ? Si son nom apparaît en plus petit c’est tout simplement parce qu’il n’intervient que deux fois sur cet album.

La pièce suivante « Waltz For Marianne » est à nouveau jouée en duo, le lyrisme du pianiste est toujours vibrant, le classant du côté de ces pianistes économes qui jouent toujours la juste note, celle qui envoie vers le cœur. « In The Land Of Clusters » est interprétée au piano solo, on sait que Cecil Taylor est un adepte des « clusters », écrasant très souvent de multiples notes en même temps en utilisant différentes parties de son corps, ici Mal envoie un petit geste vers l’avant-garde et montre que lui aussi, il sait faire, mais sans rechercher la force où la puissance, ni le bruit ou le tumulte, juste une dissonance pesée ou mesurée, avec cette classe qu’on lui connaît.

« Soul Eyes » qui finit l’album au son du trio, est désormais devenu un standard, qu’il écrivit en mille neuf cent cinquante-sept pour John Coltrane, c’est sans doute le plus repris de son répertoire, il en existe des centaines de versions et celle-ci est probablement une des plus belles.

C’est que cet album est un peu spécial, il intervient à la fin de la vie de Mal Waldron, enregistré les vingt-neuf et trente janvier de l’année deux mille deux, déjà malade. Il enregistrera quelques jours plus tard l’album « Left Alone Revisited », en duo avec Archie Shepp, qui sera son dernier enregistrement. Il ne verra pas l’année deux mille trois, c’était un grand fumeur, c’est la raison pour laquelle il n’allait plus très souvent jouer aux Etats-Unis, car là-bas les clubs étaient devenus non-fumeurs. C’est ainsi que sa vie est partie, en fumée...

Blues for jj's bass


Mal Waldron - Soul Eyes (Mal Waldron)


Mal Waldron - "The Seagulls of Kristiansund"
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Message par Douglas » mar. 1 nov. 2022 05:29

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Black Music Disaster – Black Music Disaster (2012)

Voici une formation qui signe ici son unique album, mais elle formée de musiciens très reconnus, Matthhew Shipp joue de l’orgue farfisa ce qui est assez inhabituel, pour ce que je connais de ce musicien. J Spaceman et John Coxon jouent de la guitare électrique, ils ont joué dans la formation « Spiritualized », et Steve Noble joue de la batterie, ce dernier est juste une légende de l’instrument.

Une seule pièce est jouée ici, vous en devinez le titre, elle dure un peu plus de trente-huit minutes. C’est Matthew Shipp qui occupe le plus d’espace dans le spectre sonore, il impose le farfiza, cet orgue électrique, au centre de la composition, à mon avis il doit bien s’amuser. L’ambiance est évidemment noire, sombre et inquiétante, charriant de l’angoisse, de la noise et du bruit.

Les guitares, que l’on pourrait qualifier de psychédéliques, sont bien sûr présentes et actives, mais souvent recouvertes par l’énorme son de l’orgue tentaculaire, pourtant ce sont malgré tout elles qui donnent vie et nuances à ce noir ombrageux transpercé de lumière. Steve Noble lui-même qui tape et frappe comme un beau diable est fondu dans cette masse sonore, c’est souvent lui qui indique les changements de directions.

Car il y en a… Les séquences s’enchaînent et dessinent des territoires plus ou moins furieux ou énergiques et certains moments sont carrément épiques comme vers la vingt-huitième minute où la tension monte sévère, ce qui apparaissait inatteignable se produit pourtant et nous voilà groggys, assommés, victimes innocentes de ce désastre programmé !

L’enregistrement est live, au « Cafe Oto » de Londres, en février deux mille dix, et on entend les acclamations du public qui se manifestent en fin de concert, certes nous n’avons pas l’image mais le son était bon, pantagruélique même, entre jazz, rock, psychédélisme et noise bien sentie…

Black Music Disaster
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Re: J A Z Z et musiques improvisées - C'est ici qu'on en parle

Message par Douglas » mer. 2 nov. 2022 02:34

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Raoul Björkenheim / Bill Laswell / Morgen Ågren – Blixt (2011)

J’ai mis un coup de projecteur sur Bill Laswell ces temps derniers, en soulignant son influence et son importance dans le champ musical assez récent, embrassant les genres sans en reniant aucun. Les étiquettes vont encore voler sur cet album à l’orientation rock très marquée, c’est électrique et c’est du lourd, du gros, du massif, ce qui ne veut pas dire brutal et basique, bien au contraire.

Ils sont trois, une formule qui plaît à Bill Laswell, l’homme à la basse, il est accompagné par le guitariste Raoul Björkenheim, qui s’est fait connaître par ses albums ECM, aux côtés d’Edward Vesala, et du batteur Morgan Ågren alors très en vogue et très recherché (noté Morgen à l’arrière du Cd). C’est enregistré en studio en septembre deux mille dix.

Une nouvelle fois Bill s’est acoquiné avec deux musiciens bien pêchus, Björkenheim connaît son Hendrix sur le bout des doigts et on sent que ça le titille de lâcher les chevaux, allant jusqu’à sortir quelques plans métalleux bien sentis sur le titre d’ouverture. Mais il aime également les sonorités jazz qui se rappellent à lui de temps en temps, particulièrement lors des improvisations, comme sur « Invisible One » ou « Ghost Strokes ».

Morgen Ågren est également excellent, à la fois puissant et subtil, penchant d’un côté puis de l’autre, il bétonne quand l’intensité l’exige et se montre fin et délicat lors des phases plus calmes, c’est à la fois un piston qui envoie et un commentateur assez léger quand les circonstances le demandent.

Bill tient la barque et le cap, c’est son boulot et il assure avec sa grosse basse qui gronde. Ça tombe bien car ici c’est plutôt du lourd quand même, « Drill Beats » par exemple ça déchire et on se dit que Slayer n’est pas si loin, et sur « Storm » ça envoie du lourd avec distorsions et larsen, histoire de bien enfoncer le clou.

Cette formule à trois nous fait évidemment penser à Massacre avec le vieux Bill déjà, et on remonte le fil avec Cream, WB&L et Hendrix évidemment, et je me dis que ces trois-là sont à leur place au milieu de cette prestigieuse compagnie. Il faut dire que tout s’est souvent passé en une prise bien saignante lors de la prestation en studio, avec des impros tout du long et de l’énergie à revendre !



BLIXT LIVE
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Message par Douglas » jeu. 3 nov. 2022 06:09

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Chris McGregor – Sea Breezes: Solo Piano - Live In Durban 1987 (2012)

Chris McGregor, on l’a vu, est un membre éminent des Blue Notes, on se souvient que ce groupe, à l'origine d'un mix de musique Sud-Africaine et de jazz, était obligé de jouer dans la clandestinité pour des raisons raciales, Chris était blanc au milieu d’autres musiciens noirs, c’était alors inenvisageable au pays de la ségrégation raciale. Ils s’exilèrent donc en Europe, plus précisément en Angleterre, après un passage en France. Le reste je vous l’ai déjà raconté, il faut juste insister sur l’importance de leur arrivée, qui secoua toute la scène londonienne d’alors.

Cet album marque le retour, après de si longues années passées loin de chez lui, de Chris McGregor dans le pays qui le vit naître, à l'Université de Natal, à Durban, où il donna ce concert, enregistré en public le quatorze octobre mille neuf cent quatre-vingt-sept. Il vient de France, de St Pierre de Caubel, petit village du Lot et Garonne, où il est installé.

C’est un concert en solo, dans un contexte assez inhabituel, lui qui a créé et mené le célèbre et fameux « Chris McGregor's Brotherhood Of Breath », qui comprenait un mélange de musiciens anglais et de membres des « Blue Notes ». Mais tout cela c’est l’histoire quand il s’assoit devant son piano, il interprète principalement le répertoire du dernier album du Brotherhood, « Country Cooking » qui sortira en quatre-vingt-huit, cinq parmi les sept pièces de cet enregistrement sont au menu, il est alors le seul membre des Blue Notes encore présent sur cet album.

Parmi les autres pièces on remarque le titre « Sonia » qui est signé par le trompettiste Mongezi Feza, ainsi qu’une reprise de « Prelude To A Kiss » de Duke Ellington dont il était un grand admirateur. Il y a également deux autres reprises, « Big G » de George Lee, un musicien ghanéen, et « Two Ladies » de David Defries qui joua avec le Brotherhood. Le Cd est plein à raz bord et les amateurs du pianiste seront comblés.

On remarque un musicien habité par le rythme, possédant une folle technique, qui n’est pas sans rappeler Dollar Brand aka Abdullah Ibrahim, autre pianiste et compositeur SudAf qui connut une gloire internationale. L’analogie est évidente, il faut dire que les deux ont baigné dans un creuset voisin, mais il faudrait aussi évoquer l’influence de Monk, bien que celle-ci soit présente chez de nombreux pianistes de jazz.

Son jeu est sautillant, bondissant, plein de lumière et de clarté, très pétillant, il respire le plaisir de jouer, il aime la densité et le lyrisme et ne s’attarde guère dans les ballades, bien qu’il y ait également de la tendresse dans son approche. Il joue en cultivant les contrastes et utilise abondamment les grappes de notes, mais ne recherche pas à tout prix les dissonances. Sa reprise de « Prelude To A Kiss » est très réussie.

You and Me


Sonia


Prelude to a Kiss


Kwa Tebugo
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Re: J A Z Z et musiques improvisées - C'est ici qu'on en parle

Message par Douglas » ven. 4 nov. 2022 04:36

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Frank Lowe / Billy Bang Quartet – One For Jazz (2001)

Heureux d’être tombé sur celui-ci, ce n’est pas le dernier album de Franck Lowe, mais je crois bien l’avant dernier, « Lowe-Down & Blue » sortira l’année suivante et Frank nous quittera en deux mille trois, à l’âge de soixante ans. Il est avec son vieux pote le violoniste Billy Bang, tous les deux réunis sur cette belle couverture, il y a quelque chose en commun dans leur pratique instrumentale, d’ailleurs ça se sent ici, c’est même terriblement évident.

Ils sont souvent rangés côté free, pourtant ils n’effraient personne, ou alors c’est la pureté de leur jeu qui peut faire peur ou désarmer. Ils sont tellement proches, l’un tournant autour de l’autre, tantôt c’est le violon qui est devant et le saxo juste derrière, et parfois c’est l’inverse, ils se cherchent et se complètent, enfantins et si simples, la naïveté de ceux qui ont trouvé le secret de leur âme d’enfant, il y a quelque chose de pur qui s’écoule ici.

Les deux je les ai toujours aimés, je les ai suivis mais pourtant je n’ai pas tout, loin de là, et chaque trace retrouvée est un moment de choix, un bonheur véritable, comme une évidence. A l'écoute je ne me pose pas de questions et me laisse transporter, cet album me berce une fois par jour en ce moment, et il me procure de la joie et de la sérénité.

La musique est assez fragile en fait, le violon et le sax sont au diapason, sans efforts ni esbroufe, et puis il y a la basse d’Ed Schuller qui joue son rôle élégamment, très présente, calme, mais volubile. Et puis Abbey Raider est également là à la batterie et aux percussions, lui aussi assure sans économie, mais en restant dans le ton, feutré, efficace et essentiel, mais sans trop en montrer.

La concentration lors de l’écoute peut se poser n’importe où, sur le jeu de l’un ou de l’autre, qu’importe, ils jouent la même musique, c’est un jeu auquel on peut jouer, quitter l’ensemble et partir à la découverte, il n’y aura que des satisfactions, avoir le désir de vagabonder est souvent bon signe.

Toutes les pièces sans exception sont remarquables, il n’y a rien à trier, tout va car l’esprit est là. L’album est dédié au batteur Denis Charles avec lequel chacun des deux leaders joua. La chanson titre de l’album « One For Jazz » lui est dédicacé, il contient un poème écrit pour lui :

« Papa drum of the sun…
Roll into syncoped rhythms of a colorful
Caribbean Lower East Side Sunset
Magical, like the pulse of St. Croix
Tropical cadences of a vibrating calypso, hips
Shaking hot into the night […] »


Il y a peu de renseignements sur le cd, six titres sont de Billy Bang et trois de Frank Lowe, la neuvième pièce est composée par Bilal Abdur Rahman, magnifique également, très enlevée, ça s'appelle « Know Your Enemy », en effet: c’est lui qui vous choisit. L’album est copieux, soixante-dix minutes, une sorte de gavage de bonne musique, un truc de fou !

Frank Lowe / Billy Bang Quartet ‎– One For Jazz

1 Echoes - 00:00
2 Smoke & Mirrors - 08:19
3 Times Squared - 15:18
4 Slamma Jamma - 23:23
5 Show Real - 29:04
6 Zoom Tipsky - 37:18
7 Aliens - 44:52
8 I Promise You The Moon - 51:40
9 Know Your Enemy (Bilal Abdur Rahman) - 57:40
10 One For Jazz - 1:06:06

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Re: J A Z Z - C'est ici qu'on en parle

Message par Douglas » ven. 4 nov. 2022 16:41

Une petite remontée concernant un album avec Frank Lowe millésimé mille neuf cent quatre-vingt-quinze:

Bernard Santacruz – Latitude 44 (1995)
Douglas a écrit :
mer. 12 août 2020 05:08
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Vous ayant fait part il y a peu de ma découverte du bassiste Bernard Santacruz et l’ayant vivement apprécié aux côtés de Frank Lowe, je viens de renouveler l’expérience d’écoute avec « Latitude 44 », signé par le contrebassiste, enregistré en 1994 et sorti l’année suivante. Franck Lowe est déjà là, compagnon de route jouant du ténor, le percussionniste africain Cheick Tidiane Fall et l’homme aux tambours, Denis Charles (oui celui qui jouait aux côtés de Lazro et d’A.R. Penck, si on suit ça de très près).

Si on passe l’effet de fraîcheur et de surprise ressenti à propos de « Short Tales », on comprend, en écoutant le présent album, que le choc aurait eu lieu à l’écoute de celui-ci, si elle s’était déroulée dans l’ordre chronologique. La présence de Tidiane Fall est importante, il apporte avec lui les couleurs de l’Afrique, les senteurs originelles des percussions premières, on se souvient de l’extraordinaire « Diom Futa » qu’il enregistra aux côtés de Bobby Few et de Jo Maka.

Frank Lowe est tout simplement l’un des meilleurs saxophonistes de sa génération, un gros son bien rond qui sait se faire léger à l’occasion, ayant fait ses classes auprès des pionniers du free il n’a pas oublié non plus Sonny Rollins. Il se régale ici, virevolte et tisse de chouettes thèmes accompagnés de riches impros toujours justes, il manifeste avec simplicité la force de l’évidence. Quant à Denis Charles, le hasard fait qu’il joue partout dans mes récentes écoutes, un fil rouge qui se glisse sans même que je m’en aperçoive.

La beauté de « Short tales » est toute contenue dans ce « Latitude 44 ». Santacruz signe ou cosigne cinq titres, c’est un compositeur doué, un bassiste rigoureux, extrêmement lyrique, avec une âme grosse comme ça. Cheick Tidiane Fall et Frank Lowe ont également emmené une compo dans la valise et, petit clin d’œil à l’album du dessus, Ornette Coleman et Charles Tyler sont repris également !
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Re: J A Z Z et musiques improvisées - C'est ici qu'on en parle

Message par Douglas » sam. 5 nov. 2022 03:21

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Spontaneous Music Orchestra – For You To Share (1973 ou 1998)

Deux datations différentes, car l’album a connu, dès mille neuf cent soixante-treize, une sortie vinyle en mono, sous l’appellation « Spontaneous Music Ensemble ». La vente se faisait au profit du « désarmement nucléaire ». C’est aujourd’hui une pièce assez rare.

Il y a eu une réédition augmentée en quatre-vingt-dix-huit, avec une pièce supplémentaire d’une durée de près de vingt-huit minutes, « Peace Music », ce qui donne un album qui frôle le "plein", avec plus de soixante-cinq minutes de musique au total. Le Cd est agrémenté d’un livret fourni, hélas en anglais, ce qui n’est pas très pratique pour moi qui ne le lit que très lentement.

Curieusement les premières lignes nous mettent en garde en nous demandant de sursoir à la lecture avant d’avoir écouté l’album. Je vais donc « spoilé » un peu, prière à ceux qui veulent garder la surprise de ne pas aller plus avant, bien que, les années ayant passées, il y ait aujourd’hui, je pense, moins de préjugés qu’autrefois pour ce genre de mystère…

Tout tient dans la distribution des rôles, l’ossature du « Spontaneous Music Ensemble » est bien là, avec ses deux principaux représentants, John Stevens aux percussions et à la voix, et Trevor Watts au saxophone soprano et à la voix également. Il y a également d’autres participants, de jeunes musiciens anonymes et des membres du public, ces derniers jouent des saxophones, guitares, basse, percussions et bien sûr des voix.

Vous l’avez compris je n’ai pas lu tout le livret, mais il me semble que rien n’est dit sur la direction d’orchestre et des chœurs, car à l’écoute, il est certain qu’une main organise ce flux musical. La musique est étonnamment belle et coordonnée, sans doute avec des consignes simples mais extraordinairement efficaces.

Une partie a été enregistrée en extérieur à l’Euston Square de Londres, le neuf mai mille neuf cent soixante-dix. Une autre, le vingt mai, toujours à Londres « live in The Crypt, Ladbroke Grove ». « Peace Music » a été enregistré en studio le vingt-trois janvier de cette même année. Rien qu’à la vue de la pochette l’ambiance est hippie et fait référence au signe de la paix, au désarmement et aux idéaux de l’époque auxquels les plus sincères croyaient.

Cette idée de mettre la musique et la création à la portée de tous est également une idée généreuse qui mise sur ce qu’il y a de meilleur en chacun de nous, ainsi la création est collective chacun y ajoutant sa cote part. Cette totale improvisation fonctionne sur un canevas très lent qui permet des modulations. A l’évidence la notion de « musique naturelle » peut alors être invoquée, chacun jouant avec les autres, animé par le désir d’être bien et de partager.

Ce résultat musical est le fruit de plusieurs années de travail et d’essais. La musique est si belle et surprenante qu’elle semble maîtrisée, alors qu’elle n’est que le fruit de circonstances rassemblées, jusque dans les détails, allant de la formation de groupes au placement de chacun.

On comprend mieux l’avertissement du livret, car l’écoute seule ne permet pas de savoir qu’il y a autant d’amateurs au centre de ce projet.

***

Un extrait qui n'a rien à voir avec l'album, puisqu'il ne s'agit pas strictement de la même formation, mais qui permet de se plonger dans l'ambiance d'époque, avec probablement John Stevens (d), Trevor Watts (sx), Julie Tippets (g,vx), Ron Herman (b). L'extrait est entièrement improvisé :

Spontaneous Music Ensemble - 1972
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Re: J A Z Z et musiques improvisées - C'est ici qu'on en parle

Message par Douglas » dim. 6 nov. 2022 03:28

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Leyla McCalla – Breaking The Thermometer (2022)

On se souvient de l’album précédent de Leyla McCalla, « The Capitalist Blues » dont on avait parlé ici, et bien un nouvel opus est arrivé « Breaking The Thermometer », tout frais et véritablement magnifique. On se souvient que Leyla était installée en Louisianne, à New Orleans. Sur ce nouvel album elle remonte vers ses racines encore plus loin, jusqu’en Haïti dont sa famille est issue, et où elle allait tisser des liens pendant son enfance, particulièrement avec sa grand-mère, à qui elle portait une grande affection.

Cette remontée dans le temps se fera au travers d’un média, Radio Haïti, la première station de radio à réaliser des reportages en "kreyòl haïtien". Ces journalistes diffusaient les informations, les idées et la culture populaire Haïtienne, parfois au péril de leur vie. Leyla s’est souvenue de ces moments où elle écoutait cette Radio, dans la maison de sa grand-mère, à Port-Au-Prince, alors qu’au dehors régnaient les dictateurs, Duvalier puis le Père Aristide.

En avril deux mille, le mythique directeur de la station, Jean Dominique, a été assassiné, ce qui a bouleversé toute la communauté Haïtienne, cet album lui est dédié. C’est lui qui avait prononcé cette phrase qui figure dans le titre : « « Casser le thermomètre ne brisera pas la fièvre ».

Leyla a pu avoir accès aux archives de Radio Haïti, on peut convenir que cet album est une sorte de mix entre ses souvenirs personnels et tous ces documents qu’elle a pu consultés, tant que les ondes émettaient, car elles cessèrent définitivement en deux mille trois.

Il reste de la période pendant laquelle Haïti était une colonie française, la pratique de notre langue que l’on entend beaucoup ici, au travers des documents et des chants, même le créole est compréhensible, ce qui nous procure une fenêtre privilégiée. D’ailleurs tout se mélange sur cet album pétillant, français, anglais, créole Haïtien ou de Louisiane, les folklores aussi sont présents et les instruments qui vont avec.

Il restera ce petit regret de ne pas avoir de livret avec les paroles, mais le vinyle, sur le label « Anti-», est de très bonne facture, dans les deux sens. Toutes les compos sont splendides et restent gravées dans la mémoire, sans qu’on y fasse attention. C’est sûr que le virage ici est plutôt folk, auquel s’ajoute un mélange dépaysant d’épices locales.

Leyla McCalla - "Fort Dimanche"


Leyla McCalla - "Dodinin" (Full Album Stream)


Leyla McCalla - "Le Bal est Fini" (Full Album Stream)


Leyla McCalla - "Vini Wè"
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Re: J A Z Z et musiques improvisées - C'est ici qu'on en parle

Message par Douglas » dim. 6 nov. 2022 18:35

L'année 95 est à l'honneur, un nouvelle suggestion d'écoute...
Douglas a écrit :
dim. 3 avr. 2022 06:25
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Barondown – Crackshot (1995)

Restons dans le monde des trios, et même dans les plus étranges et les plus atypiques. Celui-ci est en effet formé d’un batteur, Joey Baron, d’un saxophoniste ténor, Ellery Eskelin et d’un tromboniste, Steve Swell.

L’album est sorti sur le label « Avant », son numéro d’identification est « avan 059 » et il date de 1995. Il faut dire que ce label basé au japon est consacré aux musiques d’avant-garde ou expérimentales, il a été créé par l’intrépide John Zorn avant que n’arrive et se déploie Tzadik en 1995. Le dernier album du label Avant paraîtra en 2004, seule la compile « Naked City » sortira en 2005 !

Je suis assez fan de ce label, souvent audacieux comme ici, mais dans la forme seulement car la musique qu’il contient est très jazz, la couleur est assez inédite mais la musique est accessible. Il faut dire que les trois réunis ici sont des pointures incroyables. La liste des musiciens que Joey Baron a accompagnés est plus longue que le bras et contient des très grands noms du jazz genre Chet Baker, Art Pepper, Lee konitz, Jim Hall ou Marc Ribot, il y a même David Bowie ! Joey a également été leader de formation, comme ici, mais surtout il a été membre de « Naked City » et du groupe « Masada », avec John Zorn, Dave Douglas et Greg Cohen pour ce dernier.

Pour faire vite j’éclipse tout le bien que je pense du saxophoniste Ellery Eskelin et du tromboniste Steve Swell, mais l’écoute de l’album en dira beaucoup sur l’étendue de leurs talents. L’enregistrement a été capté « live », en deux jours, au « Sorcerer Sound » à New-York, en août 95, la qualité de la prise de son est véritablement au top.

Toutes les compos sont signées Baron et c’est un festival ici. Les deux solistes jouent parfois des riffs ensemble ou bavardent gentiment, mais plutôt en même temps, ce qui est tout simplement fascinant. La complémentarité est grande, il y a des rendez-vous dans les compos, et on sent que tout cela est millimétré, mais, en même temps c’est énormément improvisé.

Tous les titres sont excellents, mais je retiendrais « Toothpick Serenade » et son rythme lent, avec une structure assez simple qui ménage alternativement les solos, tandis que chacun accompagne l’autre, comme au temps d’avant. Il y a aussi « Punt » qui décoiffe, fait taper du pied et envoie du bois.

« Games On A Train » est la première composition longue, elle dépasse les onze minutes, tout comme le dernier titre de l’album. Aménageant quelques espaces free, le titre est assez fabuleux car on y sent presque physiquement le déplacement du train, propulsé par le jeu tout en tension de Joey Baron qui est absolument phénoménal ici, s’enrichissant constamment, on comprend assez rapidement à qui on a à faire, et c’est tout simplement bluffant. Les deux déploient leurs solos sur ce feu ardent, et ça pulse vraiment de partout !

L’album dépasse les soixante-dix minutes, imaginez la mine ici, à ce point je n’en suis qu’à la moitié !

Mais il y a quelques respirations avec des titres plus calmes, comme « Friend » ou « Oseola », des ballades qui s’étirent dans l’espace et font place à la rêverie et à l’imaginaire…

Bien que moderne, cet album est sans âge, tant il plonge dans la tradition, le funk ou le free, délivrant un mélange habile et haut de gamme, très accessible, un bijou conçu par des orfèvres…
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Re: J A Z Z et musiques improvisées - C'est ici qu'on en parle

Message par Douglas » lun. 7 nov. 2022 04:14

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Underground Jazz Trio – Radio Free Europa (2007)

Un album un peu ancien qui plaira sans doute aux amateurs de guitares aventureuses, Mark O’Leary sait y faire, en ouvrant le livret on remarque ses anciennes collaborations au regard de sa discographie antérieure, ainsi voit-on paraître des noms familiers, Mat Maneri, Matthew Shipp, Tomasz Stanko, Billy Hart, Uri Caine, Steve Swallow et Pierre Favre, je n’ai pris que les plus connus, chacun des musiciens cités est une référence, un gars qui joue avec de tels collaborateurs ne doit pas manquer de qualités.

Il s’entoure d’un autre guitariste électrique, mais à la basse, c’est Matt Lux qui tient le poste, John Herndon joue de la batterie, et voici notre trio au complet. Les compositions sont toutes signées à égalité par les trois membres, ce qui est bien, mais ce n’est que justice car la musique jouée semble entièrement improvisée.

On sent l’ambiance cool et décontractée, la musique coule, vraiment agréable, ça roule tranquillou. L’atmosphère est légère, pas de lourdeur ici, ça tient beaucoup à la guitare très fluide, mais pas que, la basse est plutôt ronde, en mode free elle aussi, du coup ça discute sans cesse, l’une répondant à l’autre ou, plus souvent s’enroulent l’une autour de l’autre.

La guitare de Mark O’Leary est rapide, insaisissable, elle s’enfuit et se cache, réapparaît et se sauve encore… La basse est plus statique, incapable de telles envolées alors elle dessine des lignes, des courbes, subjuguée par les tours de passe-passe de sa consœur, mais rendez-vous au titre suivant !

John Herndon improvise lui aussi, il faudra s’y faire, avec ses futs et ses baguettes, ses caisses et ses cymbales, c’est un esthète, il a décidé un jour de ne jouer que le nécessaire, mais tout le nécessaire, sans y ajouter le superflu, ou alors pas trop, juste pour épater un peu la galerie, ceux qui dressent l’oreille à son jeu, verront naître des sons discrets mais bien présents, qui remplissent les vides, comblent les trous, des petites percus qui vibrent ici ou là, de quoi occuper le terrain.

C’est à Chicago que ça se passe, au Semaphore Studio, il faut dire que c’est leur coin, John est le batteur de Tortoise et rejoint Max, le bassiste, dans la formation d’Isotope 217 avec Jeff Parker et Rob Mazurek, c’est dire s’ils sont intuitifs, à l'écoute des uns envers les autres.

Du coup ce sont soixante-treize minutes de bonne musique qui sont fixées sur ce Cd, qui passe comme le bon miel…
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Re: J A Z Z et musiques improvisées - C'est ici qu'on en parle

Message par Douglas » lun. 7 nov. 2022 14:59

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Melanie De Biasio - Blackened Cities - EP - (2016)

Melanie De Biasio, chanteuse belge, est certainement l'une des vocalistes les plus singulières que l'on ait été amené à entendre ces dernières années. Ici, elle prend le temps, plus de 24 minutes pour chanter les cités industrielles, comme celles de son enfance, à Charleroi.

Une voix qui serpente, qui s'arrête et écoute, ici on improvise, en ce sens on peut appeler ça jazz, même si les étiquettes, c'est pour rassurer les acheteurs de Manchester ou de Détroit, ces villes qui l'ont tant marquée. Un titre d'ambiance, une plongée juste lancinante, dans un monde brut, de brique, de pierre et d'acier...

En toile de fond, un synthé souffle un vent froid qui nappe le paysage. La vie cependant éclate, les rythmes s'affolent, le trio piano, basse, batterie porte les sons de la flûte de Mélanie qui s'échappent en volutes fiévreuses vers le ciel, comme soufflées par ces cheminées qui se dressent avec vanité, en noir et blanc, en écho au superbe cliché de la pochette, signé Stephan Vanfleteren.

Une étape de plus sur le parcours riche et prometteur d'une artiste dont la voix, devenue trop rare, nous caresse, à fleur de peau...

Melanie De Biasio Blackened Cities 2016

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Re: J A Z Z et musiques improvisées - C'est ici qu'on en parle

Message par Douglas » mar. 8 nov. 2022 04:33

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Horace Tapscott Quintet – The Quintet (2022)

Le label « Dark Tree » qui s’est fait une spécialité de déterrer les concerts inédits d’Horace Tapscott, au grand bonheur des amateurs, vient de se découvrir une sorte de concurrent avec le label « Mr Bongo ». En effet ce dernier ne s’est pas contenté de l’enregistrement d’un concert oublié, mais nous présente des bandes originales enregistrées en mille neuf cent soixante-neuf, prévues pour devenir le second volume de l’album « The Giant Is Awakened », qui ne verra jamais le jour… avant cette résurrection !

Du coup c’est du format d’époque, trois titres et un peu plus de trente-sept minutes d’une musique enflammée et même torride ! Horace est au piano, il bénéficie du concours du stupéfiant Arthur Blythe au meilleur de sa forme au saxophone alto, d’Everett Brown Jr. à la batterie et de deux bassistes complémentaires, David Bryant & Walter Savage Jr.

C’est Bob Thiele lui-même qui supervisa l’enregistrement, il venait de quitter « Impulse » avant de créer « Flying Dutchman » et de se lancer dans une longue série d’enregistrements. L’album est très dense, il commence sur les chapeaux de roues avec « World Peace », une pièce signée Everett Brown qui connaît des passages pleins de turbulences, propices aux embardées d’Arthur Blythe qui se régale sur ce genre de terrain.

Mais ce n’est que le début du parcours qui s’élève encore avec la seconde pièce, « Your Child », qui s’ouvre sur une chouette mélodie, très lyrique, une sorte de spiritual un peu blues qui fonctionne bien avec ces deux basses, une frottée à l’archet et l’autre pizzicato. Cette première partie est illuminée par un magnifique solo d’Horace Tapscott qui déploie son immense savoir-faire sur le clavier, jusqu’à nous émouvoir profondément.

C’est Arthur Blythe qui assume la seconde partie en prenant la relève à l’avant, ils sont tous derrière à l’accompagner, le saxophoniste s’inscrit parfaitement dans le sillage du pianiste et conduit à son terme cette magnifique pièce. La dernière, « For Fats » provient directement de « The Giant Is Awakened », mais en lui donnant une dimension et une ampleur exceptionnelle, elle passe d’un peu plus de deux minutes à seize !

La pièce signée Arthur Blythe est plus sombre, plus chargée, elle avance saccadée, comme par bribes, hoquette, elle semble vouloir échapper aux règles communes et s’avère plus libre dans sa forme, mais obéissant sans cesse à une pulsion, à une poussée qui l’emmène contre vents et marées, dans un second mouvement c’est Horace qui s’empare du solo et se retrouve à son tour le jouet de cette énergie.

Il semble que cette expérience avec une major n’ait pas été si profitable à Horace Tapscott puis qu’il continua sa trajectoire discographique en faisant confiance aux labels indépendants. Mais l’album est vraiment très bon !

World Peace


Your Child


Horace Tapscott Quintet - For Fats
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Re: J A Z Z et musiques improvisées - C'est ici qu'on en parle

Message par Douglas » mer. 9 nov. 2022 04:10

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Mototeru Takagi, Susumu Kongo, Nao Takeuchi, Shota Koyama – Live At Little John, Yokohama 1999 (2021)

Un album NoBusiness Records en provenance de la « Chap Chap Series » c’est-à-dire du label « Chap Chap Records » fondé en mille neuf cent quatre-vingt-quatorze. Ici ce sont des inédits live qui sont proposés, captés « At Little John, Yokohama » en mille neuf cent quatre-vingt-dix-neuf.

Ils sont quatre au départ, deux anciens, Mototeru Takagi au saxo ténor et Shota Koyama le batteur. Les deux autres appartiennent à une génération plus jeune, Susumu Kongo joue du sax alto, Nao Takeuchi du ténor, et tous les deux de la flûte et de la clarinette basse.

La version vinyle est très écourtée, un peu plus de quarante minutes, et la version Cd contient soixante-treize minutes, soit l’intégralité du concert. Pour ma part j’ai penché lors de l’achat côté Cd, celui-ci est annoncé en série limitée, mais il ne doit pas être compliqué à trouver.

La première pièce « Yokohama Iseazaki Town » est remarquable par sa durée, quarante minutes d’improvisations continuelles, c’est assez difficile à décrire mais il y a des phases calmes, souvent méditatives, pendant lesquelles les dialogues ou trilogues entre les souffleurs font part belle aux saxophones, bien qu’une flûte se fasse également assez souvent entendre, apportant une certaine légèreté.

C’est rarement torride, et le cri ne se fait guère entendre, c’est plutôt bucolique, avec un Shota Koyama à la batterie, plutôt sur une sorte de réserve, très présent, mais dans les subtilités, la recherche des timbres, mais il est souvent au départ des virages musicaux. Le grand maître ici c’est toutefois Mototeru Tagaki, improvisateur très complet et leader naturel, par son prestige et son âge, il est ici vers la fin de sa vie.

Le morceau phare de l’album n’est toutefois pas le plus long, c’est même l’inverse, « Yokohama Yamashita Town », avec ses douze minutes, est empreint d’un formidable lyrisme, c’est Mototeru qui insuffle l’énergie, improvisant entre retenu et explosivité. Une clarinette basse, côté gauche, entre les mains de Takeuchi, joue une partie absolument extraordinaire en souffle continu, tissant comme une toile aux côtés de Mototeru, tandis que côté droit s’entend l’alto de Kongo. La pièce est magistrale.

La dernière pièce « Yokohama Yamate Town » est dédiée dans un premier temps aux flûtes des deux plus jeunes qui dialoguent avec une belle vivacité, puis ce sont les saxophones qui jouent simultanément.

Une pierre de plus dans le catalogue « NoBusiness Records » qui s’étoffe en s’ouvrant de plus en plus aux musiciens japonais, nous les faisant découvrir au travers d’inédits bien souvent remarquables, comme ici.

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Re: J A Z Z et musiques improvisées - C'est ici qu'on en parle

Message par Douglas » mer. 9 nov. 2022 15:25

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Jeanne Lee, Ran Blake - The Newest Sound Around (1962)

Voici un album exceptionnel qui scelle la rencontre entre deux talents rares, le pianiste Ran Blake et la vocaliste Jeanne Lee. L'album qui sera le fruit de cette rencontre est tout simplement une merveille absolue. Soixante années sont passées sur cet enregistrement sans parvenir à y déposer une ride, comme s’il se moquait du temps qui passe, accroché quelque part dans un cloud, protégé par la grâce.

Le piano de Ran Blake puise dans le jazz sans doute, mais aussi dans le courant "Third stream", bâtissant des ponts entre les musiques. Son écriture joue avec la fluidité, les creux, les déliés et les pleins. Le toucher est tout en délicatesse et sensibilité, les notes sont frôlées, esquissées ou au contraire puissamment martelées, parfois elles s'envolent, suspendues, ou s'écrasent sous la force de la pesanteur.

Ran Blake joue des silences et de la merveilleuse diversité que lui offre la palette de son clavier, bâtissant des univers noirs ou des jardins généreux, des espaces flottants dans lesquels la voix de Jeanne Lee se déplace ou se pose avec une infinie délicatesse et une absolue pureté qui subjugue. Escaladant les notes, les façonnant, s'en servant avec une facilité et une liberté totale elle bâtit sans vibrato, une toile intense et vraie, un monde unique où il est doux d'entrer.

Laura


Summertime


Lover Man


Sometimes I Feel Like a Motherless Child
Modifié en dernier par Douglas le mer. 9 nov. 2022 21:15, modifié 1 fois.
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Re: J A Z Z et musiques improvisées - C'est ici qu'on en parle

Message par Harvest » mer. 9 nov. 2022 16:24

Un de mes albums préférés, tout genres confondus. Un miracle de musicalité et de grâce.
Les disques solo de Ran Blake sont le plus souvent d’un très haut niveau musical, aussi.

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Re: J A Z Z et musiques improvisées - C'est ici qu'on en parle

Message par nunu » mer. 9 nov. 2022 17:57

Je revise mon Avishai Cohen, je vais le voir en concert dans un mois en trio aussi (je ne sais pas si ca sera cette formation par contre, apres vérif non ca sera pas cette formation la, dommage la batteuse est super)


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Re: J A Z Z et musiques improvisées - C'est ici qu'on en parle

Message par Douglas » jeu. 10 nov. 2022 05:04

Harvest a écrit :
mer. 9 nov. 2022 16:24
Un de mes albums préférés, tout genres confondus. Un miracle de musicalité et de grâce.
Les disques solo de Ran Blake sont le plus souvent d’un très haut niveau musical, aussi.
Je n'ignorais pas ton goût pour ce magnifique album et je partage ta passion pour Ran Blake. Jeanne Lee a enregistré également un très bel album en duo avec Mal Waldron, elle a été en couple avec Gunter Hample, ils ont enregistré quelques beaux albums également.
nunu a écrit :
mer. 9 nov. 2022 17:57
Je revise mon Avishai Cohen, je vais le voir en concert dans un mois en trio aussi (je ne sais pas si ca sera cette formation par contre, apres vérif non ca sera pas cette formation la, dommage la batteuse est super)
Tu fais bien d'y aller faire un tour, il s'entoure toujours d'excellents musiciens, pas d'inquiétude à ce sujet...

Mon fils est allé voir le trio Portal, Texier, Fresu hier soir à Amiens, en rapport avec "Le Label Bleu", il va me raconter ça au téléphone...

Y'en a qui ont du bol!
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Re: J A Z Z et musiques improvisées - C'est ici qu'on en parle

Message par Douglas » jeu. 10 nov. 2022 05:12

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Woody Shaw – Blackstone Legacy (1971)

Même si cet album n’est jamais entré dans la catégorie des albums « classiques » ou « incontournables », il aurait pu et il s’en est sans doute fallu d’un cheveu, bien que cette reconnaissance ne lui apporterait sans doute pas grand-chose, finalement.

C’est le contexte qui a joué, d’abord le millésime, enregistré en mille neuf cent soixante-dix, c’est-à-dire dans l’ombre du « Bitches Brew » de Miles Davis, sur lequel deux des participants, Bennie Maupin et Lenny White se retrouvèrent et sur l’album de Miles, et sur celui de Woody. Bien qu’il y ait des influences communes, on ne peut pourtant pas prétendre qu’ils se ressemblent.

Cet album de Woody Shaw est son premier, un, plus ancien, viendra se glisser plus tard dans sa discographie, mais c’est bien celui-ci qui ouvrit la route de la notoriété. Ce qui peut se rapprocher de la musique de Miles c’est surtout la partie de George Cables, au piano électrique, dont les sonorités sont assez proches, il apporte également un côté funk, on pourra évidemment évoquer aussi le jeu de Lenny White à la batterie, terriblement comparable à celui de Tony Williams, peut-être même plus en avance…

Par contre les structures ici sont plutôt hard bop, comme par exemple « Think On Me », on retrouve ce canevas assez traditionnel, évidemment dans une forme souvent plus lâche, que l’on nomme souvent « post-bop », une sorte de fourre-tout bien pratique pour y caser la musique moderne qui se cale aux références plus anciennes.

Mais ce serait trop simple si ça s’arrêtait là, car Woody Shaw, avec des solos souvent ébouriffants, évoque tantôt Don Cherry ou Miles Davis, frôle avec le free sans pourtant s’y engouffrer totalement, « New World » est à cet égard très évocateur, une des pièces les plus remarquables ici, mais il n’en manque pas. Il faut aussi remarquer la dernière pièce « A deed For Dolphy », qui est plus free et un peu à part.

Et puis il y a cette formation assez extraordinaire, autrefois, à l’époque du bop, les musiciens qui n’étaient pas des têtes de gondole, mais s’avérait en tous points excellents, en attente de franchir la dernière marche, étaient appelés des « petits maîtres », et bien ici il n’y a que des petits maîtres, Gary Bartz au saxophone alto et soprano, Bennie Maupin au ténor, à la flûte et à la basse clarinette, Clint Houston à la basse, Woody Shaw lui-même, George Cables et Lenny White. On pourrait en discuter pour le second bassiste Ron carter dont la notoriété est déjà très ancienne.

Tout ça pour vous dire que cet « All Stars » est magnifique, les compos sont brillantes et prétextes à de superbes solos souvent enflammés, Woody Shaw bien sûr mais les autres également qui régalent.

L’enregistrement original constituait en un double album de quatre-vingt-une minutes et cinquante-huit secondes, ce qui dépasse d’un peu plus de deux minutes la capacité du Cd, du coup « Lost And Found » et « New World » apparaissent sous une forme légèrement modifiée, mais c’est inaudible. A noter que les vinyles d’époque sont souvent très onéreux.

Blackstone Legacy


New World


Think On Me


Lost And Found
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Re: J A Z Z et musiques improvisées - C'est ici qu'on en parle

Message par Harvest » jeu. 10 nov. 2022 11:08

Celui-ci aussi fait partie de mes albums préférés. :chapozzz:

J’ai eu beaucoup de difficultés à me le procurer et c’est seulement au début des années 90 qu’un ami m’en a ramené un exemplaire de Londres.

Depuis je me le passe régulièrement avec Bitches Brew.

Sinon, oui, Jeanne Lee a fait de bien beaux disques. J’ai celui avec Waldron bien sûr. :super:

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