Re: J A Z Z - C'est ici qu'on en parle
Posté : ven. 16 oct. 2020 05:48
Une anecdote: hier j'écoutais l'album dans la voiture, un pouce levé, je m'arrête, quand je suis seul je m'arrête toujours, c'est un impôt que je dois à ma jeunesse, le gars s'assoit à côté de moi, grand, chemise paramilitaire, mais faut pas se fier aux apparences, je lui dis "j'vous dépose où?" lui "au prochain rond-point", l'album tournait "c'est à cause de la pluie qui arrive". Je m'apprête à baisser le volume, lui "Qui est-ce qui joue?" Je lui tends la pochette, il la photographie avec son portable ..."C'est du jazz? de la musique contemporaine?" Je lui dis "Oui, plutôt jazz, mais sans l'assise rythmique habituelle, juste le piano"...
Il a été "pris"!
L’album n’est pas récent puisqu’il est paru en 2012, il n’y a pas d’actualité particulière non plus, mais au rayon des duos saxo/piano, il vaut vraiment le détour. Il est sorti sur ACT, le label allemand qui cartonne bien à la poursuite d’ECM, et met en lumière le jeune pianiste Michael Wollny qui collaborera un peu plus tard, assez souvent, avec notre duo français Emile Parisien et Vincent Peirani, tous de la même génération.
Pour l’heure il est en duo avec un vétéran, le saxophoniste ténor Heinz Sauer né en 1932. Je ne possède par ailleurs qu’un seul autre enregistrement de lui, l’excellent « Frankfurt Workshop '78 : Tenor Saxes » en co-lead avec Archie Shepp et George Adams sur Circle records, en tant que sideman il participe également à deux disques du Globe Unity que j’ai également plaisir à programmer. Je suis convaincu en écoutant cet album, où il frôle les quatre-vingts ans de quelques mois, qu’il mérite une grande attention.
Déjà, « le vieux », il le sait, est arrivé au bout d’un long parcours, comme d’autre légendes du jazz il s’est départi des artifices, du superflu, de ce qui fatigue le corps et son poumon sans plus-value, il se concentre sur l’essentiel, ce qui vient de loin, de l’intérieur, du fond de l’âme… Tout ce qui sort, qui vibre et suinte, le raclement de fond de gorge, le feulement, le mi-cri, le truc qui sonne étrange et vous sort la larme, toute cette émotion qui surgit…
Il retrouve l’émerveillement de l’enfance en jouant « Nothing Compares 2U », une telle force évocatrice n’appartient qu’à certains élus. Il fait renaître Billie dans une interprétation à fleur de peau de « Don’t Explain », lui redonne corps et vie, il franchit les barrières entre les mondes, le temps d’une apparition !
C’est sûr, il a roulé sa bosse « le vieux », et il est encore capable de longues cavalcades, mais parfois peu suffit, le bout d’un souffle court et répété cela suffit, un soupir qui mange les notes ça suffit aussi, des mi-phrases, trois notes qui montent, l’étonnement qui surgit, le vent qui franchit la fenêtre, un sourire, ça suffit. Comme sur « There Again » de Michael Wollny.
C’est leur quatrième album commun sous la forme du duo à ces deux-là, le jeune qui soutient le vieux, et le vieux qui lui montre le chemin. Beaucoup d’écoute et de tendresse ici, ça transpire, c’est une association qui marche bien, c’est enregistré au Stadtkirche Darmstadt, peut-être dans une église, les gens qui sont là et qui applaudissent à la fin des morceaux sont heureux, ça s’entend.
L'album d'une vie?
Nothing Compares 2 U (Live)
Don't Explain (Live)
There Again (Live)
Space Cake (Live)
All Blues (Live)