Sur le chemin de l'Anthologie de la musique folk Américaine

Tout est dit. Musique des années 50. Et même d'avant si ça vous chante.
vox populi
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Sur le chemin de l'Anthologie de la musique folk Américaine

Message par vox populi » sam. 12 déc. 2020 13:19

Nous y voilà.
ce disque me tourne autour depuis quelques temps
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L'anthologie de la musique folk Américaine est , ni plus ni moins, que la pierre angulaire sur laquelle s'est construite toute la musique que j'aime.

Je savais que tôt ou tard il faudrait que je me consacre à l'étude de cette œuvre, si bien sûr je voulais prétendre connaitre, au moins un peu, la musique populaire Américaine.
Ne pas le faire serait un peu comme se présenter en fervent catholique sans avoir étudié la bible.
Un croyant ne peut pas se contenter de survoler les textes sacrés, il doit s'y plonger corps et âme.

Il en est de même pour moi.
J'aime tellement cette musique que je ne pouvais plus me contenter d'écouter, à intervalles irréguliers, les 84 chansons qui composent cette anthologie.
Il fallait, à un moment donné de ma vie, que je prenne le temps de les analyser afin de comprendre ce qu'étaient réellement ces chansons.
D'où viennent t'elles?
De quoi nous parlent t'elles ?
Pourquoi est ce qu'on les jouent encore aujourd'hui?

Je vais faire ce travail sans prétention en compilant différents textes auxquels j'aurais apporté mon point de vue et ma sensibilité.

Je m'engage dans cette aventure comme une pèlerin sur le chemin de Compostelle.
La route est si longue et la destination est si lointaine que je ne suis pas certain, loin s'en faut, d'arriver au bout du voyage.
Peut être que je vais me décourager?
Peut être que je mourrai avant.
Tout est possible. Le plus improbable étant que j'arrive finalement à destination.
La tâche est si grande qu'elle est impossible à réaliser sans l'intervention de la magie..
La magie,
la magie, il en sera beaucoup question dans ce voyage, vous verrez.
Modifié en dernier par vox populi le mar. 13 avr. 2021 05:27, modifié 1 fois.

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Monsieur-Hulot
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Re: Sur le chemin de l'Anthologie de la musique folk Américaine

Message par Monsieur-Hulot » sam. 12 déc. 2020 15:07

Sainte, pieuse, bonne, charitable et louable oeuvre à laquelle tu t'attaches ! Merci de passer avant nous sur le chemin caillouteux et de nous en indiquer les pépites ! :priezzz: That's all, Folk !
FILLES & MOTEURS, JOIES & DOULEURS.

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Re: Sur le chemin de l'Anthologie de la musique folk Américaine

Message par vox populi » sam. 12 déc. 2020 18:06

Monsieur-Hulot a écrit :
sam. 12 déc. 2020 15:07
Sainte, pieuse, bonne, charitable et louable oeuvre à laquelle tu t'attaches ! Merci de passer avant nous sur le chemin caillouteux et de nous en indiquer les pépites ! :priezzz: That's all, Folk !
Merci Mister Hulot,
je sais déjà que ca va être une sacrée traversée, mais un jour ou l'autre faut se jeter à l'eau. :)

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Maxime
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Re: Sur le chemin de l'Anthologie de la musique folk Américaine

Message par Maxime » sam. 12 déc. 2020 21:57

Je te souhaite bien du plaisir, ça fait partie de mes disques de chevet !
Au delà du côté historique, qui me parle beaucoup, il y a vraiment de très chouettes musiciens et morceaux.
Harry Smith avait vraiment fait une très belle sélection.
Je n'ai pas les vinyles, mais j'ai fini par dégoter le coffret CD de 1997 (la photo que tu présentes) encore sous scellé, il y a bientôt deux ans.

Ça me fait songer que l'excellent label Dust-To-Digital a sorti il y a quelques mois une compilation des faces B des 78t de la compilation originale.
Je n'ai pas encore eu l'occasion de jeter l'oreille dessus, car ce n'est malheureusement pas l'habitude du label de proposer du streaming gratuit pour se faire une idée.

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Re: Sur le chemin de l'Anthologie de la musique folk Américaine

Message par vox populi » sam. 12 déc. 2020 23:21

Maxime a écrit :
sam. 12 déc. 2020 21:57
Je te souhaite bien du plaisir, ça fait partie de mes disques de chevet !
Au delà du côté historique, qui me parle beaucoup, il y a vraiment de très chouettes musiciens et morceaux.
Harry Smith avait vraiment fait une très belle sélection.
Je n'ai pas les vinyles, mais j'ai fini par dégoter le coffret CD de 1997 (la photo que tu présentes) encore sous scellé, il y a bientôt deux ans.

Ça me fait songer que l'excellent label Dust-To-Digital a sorti il y a quelques mois une compilation des faces B des 78t de la compilation originale.
Je n'ai pas encore eu l'occasion de jeter l'oreille dessus, car ce n'est malheureusement pas l'habitude du label de proposer du streaming gratuit pour se faire une idée.
Oui, j'en toucherai un mot, de ce projet de faces B :hello:

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Harvest
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Re: Sur le chemin de l'Anthologie de la musique folk Américaine

Message par Harvest » lun. 21 déc. 2020 12:44

Ces disques furent parmi les graals que quelques amis et moi poursuivions dans les années 70 et début 80. Trouver ces disques était une sinécure et souvent il fallait les commander aux US par courriers avec dollars dans papier allu. Et attendre six mois avant de les recevoir. Quand ils étaient enfin là, écoute religieuse et rebelote pour trouver d’autres enregistrements des découvertes ainsi faites.

C’est aussi dire qu’à ce moment là on découvrait pas un truc nouveau toutes les heures et qu’on savait hiérarchiser nos plaisirs. :chapozzz:

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Re: Sur le chemin de l'Anthologie de la musique folk Américaine

Message par vox populi » dim. 27 déc. 2020 12:19

Bon, nous y voilà, Voici l'introduction, histoire de poser le décor autour de cette grande Oeuvre.
On y parlera de Harry Smith ,un homme aussi fou que génial mais aussi d'histoire, de musiciens et de politique avec en arrière fond la magie du diable

Introduction

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Harry Smith fût très certainement l’un des plus grands défricheurs de l’Art. Un des grands explorateurs des contrées de l’imaginaire. Un des artistes les plus importants du XXème siècle,
Harry Everett Smith était reconnu, au premier chef, en tant que cinéaste avant-gardiste. S’était un vrai cinglé qui peignait sur les pellicules et usait pour ses films de techniques de collages en stop motion qui lui permettaient de travailler image par image. Chaque film lui prenait des années de boulot!
Son œuvre est aujourd'hui considéré comme une référence par de nombreux cinéaste comme Terry Gilliam.
Voyez ce que ça donne avec ce long métrage d’animation qui date de 1957 en noir et blanc nommé « Heaven + Earth Magic ».
A propos de ce film André S. Labarthe dira : "Harry Smith est probablement le cinéaste le plus inconnu de la planète. Mais je ne connais personne qui soit resté indifférent devant Heaven and Earth Magic.


Flashback

Harry est Né en 1923 d'une mère qui avait connu le magicien Aleister Crowley et d'un père alchimiste qui lui offrit une forge pour son douzième anniversaire qui devait lui permettre de transformer le plomb en or. Mais s'était sans doute encore trop banal pour Harry, alors très vite il s'inventa des vies, comme plus tard le fera Dylan. Il dira qu'il avait été enfanté par la princesse Anastasia, et qu'il avait découvert le monde, un jour de 1918, sur un navire de guerre russe au large de l'Alaska. Dans une autre version de lui même mais plus proche cette fois ci de ses implications dans les milieux de la magie, il dira qu' il était le fils d'Aleister Crowley qui avait séduit sa mère sur une plage de Californie.

Quel besoin avait donc Harry smith de romancer une enfance qui était déjà tellement atypique?

Les parents de Smith étaient en effet des théosophes. La Théosophie est une religion "alternative", fondée aux États Unis à la fin du 19eme siècle par la Russe Helena Blavatsky qui affirmait qu'il existait une ancienne et secrète fraternité d'adeptes spirituels connus sous le nom de Maîtres. Blavatsky prétendait que ces Maîtres avaient cultivé une grande sagesse et des pouvoirs surnaturels. Ils étaient sensé travailler par l'intermédiaire de Blavatsky à faire revivre la connaissance d'une ancienne religion autrefois dominante et qui viendra, en son temps, à nouveau éclipser les religions mondiales existantes.

La mère de Harry , Mary Louise, originaire de Sioux City, en Iowa, avait beau avoir des croyances "atypiques" elle était aussi issue d'une longue lignée d'enseignants et elle-même a enseigné pendant un certain temps dans la réserve indienne de Lummi près de Bellingham. Smith déclarait qu'il s'était familiarisé avec les Indiens Lummi grâce au travail d'enseignement de sa mère et affirmait avoir participé à une initiation chamanique lors de son jeune âge. A 15 ans Harry Smith rédigea un dictionnaire des dialectes indiens de sa région. Il enregistra également des chansons et des rituels des Lummi en utilisant du matériel fait maison. Des photos prises pour un article dans un journal local témoignent de la réalité historique de ces évènements. A partir de cette époque il ne cessa de développer son intérêt pour les religions païennes, et les sciences occultes. il se serait rapproché, peut être par intermédiaire de sa mère, de Aleister Crowley . Crowley, fondateur de la religion thelema qui est une des branches originelle de ce que l'on définira plus tard comme étant le "satanisme". La réputation sataniste de Harry Smith s'était également répandu par le fait qu'il fréquentait la Samuel Weiser Antiquarian Bookstore , une librairie d'occasion de New York qui s’était spécialisé dans les ouvrages sur la religion comparée , l' hermétisme et l' occultisme . Le magasin avait également une maison d'édition, Weiser Books, qui utilisait les dessins de Smith pour son édition de poche des Holy Books of Thelema d'Aleister Crowley .

Cette obsession pour les religions alternatives le conduisit bientôt à collecter une somme considérable d'objets sacrés ou religieux qui feront de lui un des plus grands expert des religions non conventionnelles au monde.
Mais sa passion des collections ne s'arrêta pas aux objets ésotériques. Harry Smith collectionna à peut près tout ce qu’un être humain pouvait collectionner, et il le faisait avec beaucoup de sérieux! Pour lui l'accumulation de tous ces objets avait pour but de trouver ce qui les reliaient et au final de comprendre ce qui était caché derrière le rideau de la réalité. Pour vous donner quelques exemples, il possédait une collection d'œufs de Pâques ukrainiens qui est aujourd'hui exposé dans un grand musée d'Europe centrale. Il avait également acheté des centaines de figurines à cordes, aujourd'hui exposé dans une galerie de Brooklyn. une autre de ses collections consistait à rassembler tout ce qui avait la forme d'un hamburger. Il reste aussi, à ce jour, le plus grand collectionneur d'avions en papier du monde! Bref le mec était dingue! Dingue au point de congeler son sperme pendant plusieurs années dans le but de trouver, en partant de cette "matière première", la formule alchimique de la vie éternelle.

Parallèlement à ses obsessions Harry Smith était également un passionné de musique folk, mais pas que de musique folk! À la fin de la guerre, Smith, âgé de 22 ans, déménagea dans la région de la baie de San Francisco, où se trouvait alors une scène jazz particulièrement bouillonnante . Smith était surtout attiré par le Bebop. et San Francisco regorgeait de boîtes de nuit et de clubs où Dizzy Gillespie et Charlie Parker pouvaient être entendus. À cette époque, il se lie d'amitié avec eux et peint plusieurs ambitieuses peintures abstraites inspirées du jazz (détruites depuis par Harry Smith lui même, comme la plus grande partie de son œuvre) ​. Il commença à réaliser des films d' animation d' avant-garde mettant en vedette des motifs qu'il peignait directement sur le film et qui étaient destinés à être montré en accompagnement de la musique Bebop. Quelque années plus tard il profita d'une dotation de la famille Guggenheim pour déménager à New York dans le but premier d'étudier la Kabbale et de rencontrer son maître : Thelonious Monk. Outre sa passion folle pour le jazz , il développa à partir du début des années 40 une collection de 78 tours dédié à la musique folk originelle des Etats Unis d'Amérique. A l'époque absolument personne, ou presque, ne s’intéressait à ces chansons. On trouvait les disques pour quelques dollars dans les vides greniers des villages.

Pour créer sa collection Harry Smith s'appuya sur un livre que lui avait offert sa mère.
"American songbag" a été publié en 1927 par le poète américain Carl Sandburg . Il s'agissait d'une collection littéraire de chansons folkloriques américaines . Comme la compilation ultérieure d'Harry, ces chansons ont traversé les siècles et les continents. Il s'appuya également sur le travail de la famille Lomax qui avait traversé les Etats Unis pour enregistrer, avec les moyens du bord, des centaines de musiciens dont les œuvres sont aujourd’hui conservées à la Bibliothèque du Congrès des États-Unis sous le nom : Archive of American Folk songs

Grâce à ces boussoles et beaucoup d'abnégation Harry possédait bientôt une des plus grandes collection de vinyle du pays.. On parle là de dizaines de milliers de 78 tours!
Allen Ginsberg dira plus tard combien Harry Smith pouvait être dangereux lorsqu’un vendeur lui refusait une pièce pour sa future collection. Il pratiquait des séances vaudou durant lesquelles il promit milles châtiments au vendeur récalcitrant. La plupart du temps cela fonctionnait parfaitement, ce qui fit beaucoup pour agrandir sa réputation de magicien !

Toutes les obsessions de Harry avaient un prix et les subsides de la fondation Guggenheim ne tardèrent pas à s'épuiser.

Dès la fin de la guerre Harry avait besoin d'argent pour payer ses pièces de collections mais aussi et surtout ses grands projets cinématographique qui lui demandaient des années de travail minutieux. Ces difficultés ne firent que s'accentuer avec le temps. Il réussit à se faire accepter en tant que résident permanent du Chelsea Hôtel, ce qui lui évita, pour un temps, de finir SDF. N'imaginez pas pour autant qu'il s'agissait d'une chambre de luxe, non, Harry vivait dans une minuscule pièce remplie des déchets de l'hôtel, sans cuisine et sans salle de bain! Dans ce minuscule espace il stocka ses vastes collections. Du sol au plafond s’enchevêtraient des tours de cartons marrons et des piles de livres dont certains s'étaient effondrés en tas sur le sol. Il restait un petit espace pour un vieux lit rouillé où était posé en vrac ses vêtements et ses appareils photos. A côté du lit il y avait une toute petite table, mais pas n'importe quelle table! On devrait davantage parler d' un autel ésotérique! L'autel de fortune était décoré de reliques immondes et d'objets aux pouvoirs macabres. il y avait là des fétiches et des totems faits de cheveux, d'os, de perles et de tissus. De tous les habitants inspirés, excentriques ou carrément fous de l'hôtel, aucun individu ne représentait mieux l'esprit du Chelsea Hôtel que Harry Smith! Harry avait beau vivre comme un clochard céleste, beaucoup de grands artistes de l'époque venaient discuter avec lui de poésie, de magie ou de vieille musique. On peut citer, entre autre, les poètes Gregory Corso et Allen Ginsberg, la collectionneuse d'art Isabella Gardner, le guitariste Mike Bloomfield ou Leonard Cohen.


En 1947, en proie à de nouvelles difficultés financières il rencontra le directeur du label Flokways pour lui proposer la vente de sa collection de 78 tours.
A ce stade il faut que je vous parle de Moses Ash et de son label !

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Cette bonne bouille c'est celle de Moses Ash, le fondateur du label Folkways record en 1948.
Ce label s'était donné pour objectif d'enregistrer des musiques traditionnelles du monde entier. Entre 1948 et 1986, date de la mort de Moses Ash, le label publia 2168 albums de musique traditionnelle et contemporaine qui provenaient de toute la planète. Le soutien que Moses Asch apporta à des auteurs-compositeurs-interprètes tels que Leadbelly et Woody Guthrie fit de son entreprise l'un des labels indépendants les plus influents de tous les temps. Quand Moses Asch disparut, le catalogue et les archives commerciales de Folkways Records furent cédés à la Smithsonian Institution où ils constituent l'une des plus importantes collections de musique traditionnelles de la planète. Moses Ash et Harry étaient du même monde, tous les deux ont passé leur vie à défendre un répertoire qui sans eux auraient certainement été complètement oublié. Ils étaient fait pour se rencontrer !

Plutôt que de racheter la collection de Harry, Moses proposa à Smith d'éditer sa collection sous la forme d'une anthologie. Il suggéra à Harry de sélectionner les plus belles pièces de sa collection et de les éditer dans la forme qui lui semblait la plus pertinente.
Harry Smith pris le projet très au sérieux! Il commença par choisir la période que devait couvrir le projet. Pour Smith la question fut rapidement tranchée . L'Anthologie devrait être entièrement composée d'enregistrements édités entre 1927 et 1932.

1927 était la date qui marquait le début des enregistrements professionnels. Pour Harry smith cette période était absolument essentielle dans l'historie de la musique traditionnelle puisque les musiciens enregistraient sans réellement comprendre ce qui était en train de se produire. Avant de savoir ce qu'était un mixage et la façon dont celui ci pouvait influencer leur travail, les musiciens enregistraient leurs chansons naturellement, sans vouloir plaire à un auditoire de masse, cet auditoire qu'allait développer l'apparition des 78 tours. 1927 était donc la source pure à laquelle l'anthologie pouvait puiser les chansons les plus sincères et authentiques de la musique folklorique Américaine.
1932 était la fin du rêve. Harry smith estimait en effet qu'après 1932 la crise économique empêcha la classe ouvrière de continuer à acheter des disques Folk, en conséquence de quoi le genre s'est petit à petit éteint.
Une fois la période définie, Harry Smith prit un long temps de réflexion pour choisir les chansons.

Il analysa les disques à sa manière, c’est à dire de façon obsessionnelle. Il nota les phrases répétées d'une chanson à l'autre et la récurrence de certains thèmes selon les conditions historiques. Il compta par exemple combien de fois les mots « chemin de fer » étaient utilisés pendant la grande dépression et il fit ensuite la même opération en se penchant sur la période 39-45. Il rattacha également les paroles des chansons à la littérature classique et aux légendes millénaires afin de sélectionner les morceaux les plus représentatifs. Ce travail de fourmi lui permit de sélectionner un répertoire et de définir ensuite l'ordre des chansons.

La compilation a été divisée par Smith en trois volumes de deux albums: "Ballads", "Social Music" et "Songs"
Comme son titre l'indique, le volume "Ballads" se compose de ballades, dont de nombreuses versions américaines sont issues de la tradition folklorique Anglaise. Chaque chanson raconte une histoire sur un événement ou un moment spécifique. L'ordre des chansons est également très important pour Smith, certaines théories affirment que Smith voulait suggérer un récit historique dans ce premier volume. Cette supposition, jamais confirmé par Smith lui même, est cependant crédible puisque bon nombre des premières chansons de ce volume sont de vieilles ballades folkloriques anglaises, tandis que les dernières chansons traitent des difficultés d'être agriculteur dans les années 1920.
- Le premier album du volume "musique sociale" se compose en grande partie de musique probablement jouée lors de rassemblements sociaux ou de danses. Beaucoup de chansons sont instrumentales. Le deuxième album du volume est composé de chants religieux et spirituels.
- Le troisième volume, "Songs", comporte des chansons traitants de la vie quotidienne.

Smith édita et dirigea également la conception de l'anthologie. Il créa lui-même les notes , et celles ci sont presque aussi célèbres que la musique. Le livret , d'un aspect étrange était décoré, par Smith, de fac-similés des pochettes de disques, d'instruments de musique mystérieux datant du début du siècle et de la photographie. Smith intégrât également dans le livret des bouts de partitions, des titres de chansons écrits en caractères gras, des indications sur les dates d'enregistrements des œuvres ou encore des informatisations partielles sur les musiciens. Il ne précisera jamais par contre la couleur de peau des musiciens. Dans une Amérique profondément ségrégationniste où iil existait une musique destinée aux blancs et une autre pour la population noire, Smith avait pour objectif de proposer à tous les Américains une histoire commune, des chansons qui leurs rappellent qu’ils sont un seul et unique peuple ! Pour son livret Il créa aussi de faux titres de journaux et composait de petits poèmes de présentation pour les chansons..le tout était saupoudré de citations mystiques de Robert Fludd,Rudolph Steiner, Aleister Crowley ou RR Marrett. Ces références ésotériques reflétaient les penchants spirituels de Smitth et l'aspect magique qu'il retrouvait dans les chansons. Sur ces citations il précisera simplement "qu'elles ont été utiles à l'éditeur dans la préparation des notes pour ce manuel".


Autre point, fondamental pour smith, les pochettes!

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Chacun des trois ensembles de deux disques comportait la même pochette, une gravure de Theodore de Bry représentant un instrument que Smith appelait le "Monocorde céleste", tirée d'un traité mystique du scientifique / alchimiste Robert Fludd . Cette gravure fût imprimée sur un fond de couleur différente pour chaque volume: bleu, rouge et vert. chacune de ces couleurs était considérée par Smith comme correspondant à un élément classique alchimique : l'eau, le feu et l'air,
Cette histoire de Monocorde céleste remonte en fait à l'antiquité.
Le monocorde est un instrument à corde, très lointain ancêtre de la guitare, dont on retrouve une trace jusque dans la civilisation des sumériens mais il a surtout été utilisé à l'époque Grec. Pythagore s'en est servie pour comprendre les rapports entre la longueur d’une corde et le son émis par cette corde.
La musique tenait une place absolument essentielle dans la société grec. Presque aucune activité sociale ou humaine n’avait lieu sans un accompagnement musical. Ainsi On a estimé que plus d’un vase peint sur dix représentait une scène avec un instrument de musique, c’est une proportion énorme dont n’approche aucun autre thème iconographique. (Jacques Chailley, La Musique grecque antique, Belles Lettres, 1979)
Pour Platon , la musique influençait l’âme, en bien ou en mal. Comme il l’écrivit, « l’éducation musicale est souveraine parce que le rythme et l’harmonie ont le pouvoir de pénétrer l’âme et de la toucher fortement ». L’éducation musicale avait ainsi un rôle de premier plan en contribuant à la construction de la cité idéale que le philosophe expose dans « La République ». Mais cette éducation était très normative et s’accompagnait d’un contrôle, assorti de sanction si nécessaire, sur ce qui devait être enseigné. Ainsi, certains modes musicaux étaient proscrits à cause des valeurs négatives qu’ils véhiculaient.

Au passage, Harry Smith savait tout cela lorsqu’il a compilé les trois volumes de son Anthology Of American Folk Music en 1952, et le confirmera dans une interview . «Je sentais que des changements sociaux résulteraient de la sortie de ce disque, J'avais lu la république de Platon. Il discute de musique, comment il faut faire attention lorsqu'on change la musique parce que cela peut bouleverser ou détruire le gouvernement."

Pour Harry Smith le projet avait donc un aspect politique évident, outre l’héritage grec, Harry smith faisait régulièrement allusion à l’histoire biblique des murs de Jericho quand la ville prétendument imprenable est tombée lorsque 7 prêtres ont joué de 7 trompettes pendant 7 jours au pieds des murs de la cité. Dans un registre plus historique et plus dramatique on sait aussi le rôle qu’a joué la musique de Wagner dans la propagande nazi. Nous verrons un peu plus loin comme le projet
d'Harry Smith de changer l'Amérique à réussi, sans doute au delà de toutes ses espérances.

En attendant revenons sur cette histoire de Monocorde céleste qui sert de couverture aux trois volumes de la collection. Lorsqu'on découvrit le rapport mathématique entre la longueur des cordes vibrantes et les notes de la gamme Platon y vit , comme beaucoup de grands penseurs de la Grèce ancienne, l’expression d’une loi naturelle rattachant le monde sensible au monde idéal des nombres..tout est mathématique!
Platon était le premier à faire allusion à cette idée qu’il existe une loi naturelle qui harmonise l'ensemble de l'univers et lorsque l'univers est en harmonie les sphères célestes produiraient une musique parfaite qui serait la preuve de cette harmonie. Cette idée restera prégnante jusqu’à la Renaissance,et sera reprise par le médecin et physicien mystique Robert Fludd

Qui était Robert Fludd?

Pour le savoir il faut refaire un autre voyage dans le temps,
Robert Fludd est né en 1574 en Angleterre, en pleine renaissance Italienne.
Il faisait partie du mouvement humaniste de la Renaissance : ses connaissances portaient sur l'ensemble des sciences humaines. En matière de médecine, Fludd était un précurseur. On lui doit la description du premier baromètre et des découvertes sur la circulation du sang. Mais contrairement à beaucoup d'autres scientifiques Fludd avait également un aspect très mystique. il établie une distinction entre la partie physique mortelle et la partie animique immortelle de l'homme. Pour lui, l'âme était liée à Dieu, tandis que le corps physique restait une partie de la nature. Dans ses livres, Robert Fludd s'attachait aussi à présenter l'harmonie entre le macrocosme (le monde) et le microcosme (l'homme). Poursuivant une connaissance universelle, il s'intéressa aux correspondances harmoniques qui existent entre les planètes, les anges, les parties du corps humain et la musique. ...jusqu'au fameux monocorde universel qui est l'instrument mythique accordé par Dieu lui même , qui, d'une seule note , permettrait à l'univers entier d'entrée en équilibre. C'est le dessin de ce monocorde qu'a repris Harry Smith, s'attachant ainsi à symboliser l'aspect magique que pouvait avoir ,sur l'auditeur, la pureté des musiques primitives contenu dans son anthologie. "Il y a dans ce disque des notes parfaites qui vous mettrons en harmonie avec votre passé, votre présent et votre futur". Voilà, ni plus ni moins, la promesse d'Harry Everett Smith à tous ceux qui allaient acheter son anthologie.

Il y a donc de la magie dans cette anthologie, oui, c'est vrai, et pas que dans le choix de la pochette! Il y avait de la magie, aussi, dans les chansons sélectionnés par Harry! Comme nous allons le voir tout au long de notre voyage les chansons folk se réfèrent sans cesse aux esprits, aux anges et aux démons. Le surnaturel est là, juste à côté de nous, nous dit Harry Smith, et il conduit les peuples bien davantage que la connaissance ou la raison.

Pour Greil Marcus ce thème est devenu une obsession, il a écrit un livre sur le sujet.
Dans American Folk il dit que l'anthologie d'Harry Smith a fait réapparaître l'Amérique occulte, celle qui vivait, dans l'ombre, à côté de l'Amérique triomphante et moderne. Au fin fond de l'âme de ce pays, qui dominait alors le monde, il restait quelque chose du mythe originel. Dans ce monstre de puissance et de technologie il subsistait une part de magie, et c'est cette part d’irrationnel que Harry Smith a remis sur le devant de la scène. Il ne l'a pas ressuscité car elle n'avait jamais complètement disparue, il s'est contenté de la réveiller. Il a rappelé aux Américains qui ils sont vraiment, un peuple qui croit aux sorciers et aux explosions d'extases religieuses.

Greil Marcus avait raison sur tout, sauf sur un point!..La collection d'Harry Smith ne parlait pas que de l'Amérique. La plupart des chansons avaient en effet des racines Européenne et c'est, en vérité, toute l'histoire de l'occident que Harry Smith allait revisiter dans son anthologie!

Le disque sortira finalement en 1952 , soit cinq ans après que Harry smih et Moses Ash aient eu l'idée du projet! Cependant, les deux hommes ne disposaient pas de toutes les licences nécessaires afin d'officialiser l'anthologie. Techniquement, c'est donc sous la forme d'un bootleg de grande envergure que l’œuvre circula pendant 45 ans jusqu'à l'obtention de la totalité des licences, en 1997, à l'occasion de sa réédition par la maison Smithsonian Folkways.
A leur sortie les 6 disques ont été vendu pour 25 dollars. Cela peut sembler peu mais avec l'inflation cela représenterait environ 250 Euros aujourd'hui! La collection n’était donc pas destinée à une clientèle populaire. Harry Smith voulait faire découvrir ce répertoire à un public bourgeois qui avait oublié ses racines. Il voulait tendre un miroir à l’Amérique triomphante pour lui dire « regardes qui tu es vraiment ! ».

Pour que l’histoire s’écrive il faut un concours de circonstances.
Il en va de l’histoire de l’Art comme de l’histoire des Hommes : A un détail près tout aurait été différent.
Harry le savait. Il croyait à la magie et il croyait à son destin. Il était persuadé que son œuvre allait changer l’histoire et que ce disque ne serait pas un album de plus dans la grande collection de Folkways. Il avait ses entrées dans le royaume des esprits et ceux ci l’avaient guidés tout au long de la création de son anthologie. Il le disait à qui voulait bien l’entendre, mais qui pouvait croire à la parole d’un pauvre fou qui vivait au milieu des détritus dans une chambre d’hôtel  minable?

Greenwich village

Visite d’un quartier au cœur de la contre-culture Américaine au milieu des années 50.
Au début, il y a le village, un quartier ouvrier où les ménages pauvres vivent une existence simple. Cette vie populaire est le terreau pour les sympathisants du parti communiste,
Dans les années 50, le quartier bouillonne d’activités culturelles. Les meilleurs théâtres sont dans cette partie de la ville. Mais ce qui fait la renommé du Village sont les Hootananny organisés dans les appartements. Les Hootananny sont des célébrations où n’importe quel artiste peut venir et diffuser son art au public. Bientôt des café folk ouvrent leurs portes pour sortir les Hootanny des murs des habitations et permettre aux artistes d’atteindre un plus large public.
En 1959, par exemple, un certain Manny Roth entend parler d’une vieille écurie à rénover sur MacDougal St. . Il achète le lieu qui devient le fameux Café Wha?
Dans son café , Roth fera venir des chanteurs dans la cave qu’il a spécialement aménagé pour les shows. Dylan viendra y jouer ses premiers concerts. Un certain Jimmy James (futur Jimmie Hendrix) y jouera avec son groupe The Blue Flames.    Un autre jeune inconnu y fera ses débuts en 1967. Plus tard on l’appellera Bruce Springsteen.
Un peu plus loin, sur Bleeker St. il y a le Bitter End. Ouvert en 1961 ou le fameux Gaslight café qui est devenu mythique pour avoir été l’endroit où pour la première fois Blowin in the wind a été joué devant un public.
Mais bientôt devant le nombre croissant d’artistes folk qui viennent de tout le pays pour tenter leur chance dans le village, les cafés folk ne suffisent plus à accueillir une scène devenu pléthorique !
la culture folk s’étend alors à l’extérieur et en particulier au  Washington Square Park. C’est un petit parc où les musiciens et joueurs d’échecs cohabitent. Bordé de pelouse et d’arbres, son centre est une place avec une fontaine faisant face à une grande arche. Les chanteurs folks viennent jouer pour la foule de curieux. Au début il y a plus de musicien que de spectateurs dans ce parc ! En effet ils viennent de tous le pays pour participer à ce mouvement culturel unique dans l’histoire des Etats Unis. Les plus connus sont Dave Van Ronk qui deviendra très vite avec Woody Guthrie le parrain du village, celui autour duquel on se retrouve, mais la liste est presque sans fin : Karen Dalton, Tim Hardin, Pete Seeger, Richie Havens, Pete La farge, Tom Paxton, Dino Vanlenti, Joan Baez, Josh White, Peter paul And Mary, Ramblin’ Jack Elliott, Phil Ochs Tom Rush, Billie Holliday ..Au delà de ces noms qui feront tous une grande carrière Greenwich village abritait des artistes folk de grande qualité, aujourd’hui malheureusement un peu oubliés. Je pense à  Michael Hurley , ou à Moondog un musicien extraordinaire. Très jeune il perd la vue suite à un accident causé par une dynamite. Cela ne l’empêche pas d’apprendre le piano et d’obtenir en 1943 une bourse qui lui permet d’aller étudier à New York où il passera les trente années suivantes de sa vie. Il assiste pendant un temps aux répétitions de l'Orchestre Philharmonique de New York, mais son style vestimentaire extravagant le coupe peu à peu du monde de la musique « sérieuse » . À l'époque, sa barbe et ses longs cheveux lui donnent une apparence christique qui tranche par trop avec le classicisme de la musique savante new yorkaise Il décide alors de ne plus porter que des vêtements qu'il fabrique lui-même, notamment une cape et un casque de viking inspiré par la mythologie nordique. Et il commence à jouer dans les rues du village, à partir du début des années 50, souvent à l'intersection de la 53e rue et de la 6e Avenue . Il lit des poèmes qu’il a composé et joue des instruments qu’il a lui même fabriqué comme la "trimba", des percussions triangulaires, ou le "oo", un instrument à cordes triangulaires. Il commence a enregistrer au milieu des années 50 en intégrant dans ses disques, outre ses instruments extravagants, le bruit de la ville ou de la nature. Il se dégage de ses enregistrements une ambiance tout à fait unique. Moondog établi sur ses albums, un trait d’union entre la musique tribale, très influencé par la culture amérindienne et l’ambiance des grandes métropoles ou alors à l’inverse des vieilles forêts dans lesquelles il allait régulièrement se retirer pour jouer sa musique. Greenwich village était sans doute le seul endroit au monde où un artiste aussi étrange que Moondog pouvait trouver sa place.

A la fin des années 50 le village est donc devenu le repère des marginaux et des artistes en tout genre. La plupart de ses musiciens ne sont pourtant pas des compositeurs et bientôt ils cherchent un répertoire à interpréter lors de leurs concerts.
Très vite L’anthologie D’Harry Smith devient la bible dans laquelle viennent puiser tous les folkeux du village. Dave Van Rock dira plus tard : «  au milieu des années 50, peu de choses sont à la disposition de l’amateur de musique folklorique.  les disques sont rares, les auteurs inconnus. Heureusement des ethnologues préservent ce patrimoine immatériel. Le disque qui eut l’influence la plus forte sur tous les artistes du village était celui d’Harry Smith. Nous connaissions tous chaque note, chaque mot de cette anthologie ». Ce disque est devenu une bible, un totem, un objet sacré dans lequel tout le monde allait chercher la lumière ! Il n’était bien sûr pas le seul. Le travail d’Alan Lomax eût lui aussi une influence fondamentale sur la scène folk new-yorkaise, mais l’anthologie avait l’avantage d’être un objet formel que l’on pouvait se passer de main en main. Très vite ces titres sont donc repris par de jeunes musiciens, relançant ainsi la circulation de thèmes anciens. Le décor est posé pour ce que Van Ronk appelle la « Grande Panique Folk  . Les Producteurs se pressent dans les café et les parcs pour signer les artistes, des disques sortent et permette à un public adolescent de découvrir des chansons ancestrales.
L’Amérique redécouvre son histoire, exactement comme l’avait prédit Harry Smith ! Bientôt les vieux bluesmen reviennent sous les feux de la rampe. La plupart d’entre eux avaient depuis longtemps raccrochés les gants et étaient retournés travaillés dans les champs ou les usines. Des festivals sont crées pour permettre à la nouvelle génération d’entendre, en live, ces vieux musiciens. Quelle expérience fantastique cela devait être que de pouvoir écouter des artistes comme Robert Pete Williams qui a connu un début de carrière prometteur dans les années 20, avant d’être emprisonné pour une sordide affaire de meurtre qui avait tout l’air d’être, en fait, de la légitime défense. C’est grâce au renouveau de la musique traditionnelle que l’ethnomusicologue Harry Oster se rendra à la prison de Louisiana State Penitentiary, et obtiendra sa libération conditionnelle pour le faire enregistrer sur le label de John Fahey. Cet enregistrement lui permettra de jouer, en 1964, au festival de Newport. Ensuite, Il continuera à jouer jusqu'à la fin des années 1970, en Europe, lors des American Folk Blues Festivals de 1966 et 1972 ou en France en 1979 lorsqu’il partage avec Dick Annegarn une scène ainsi que l'album Ferraillage.

Les exemples sont innombrables de musiciens noirs redécouvert par un public blanc à partir de la fin des années 50. Son House, Robert Pete Williams, Fred McDowel, Furry lewis, Belton Sutherland et tant d’autres..
le blues qui était jusqu’alors cantonné à un public noir est devenu une des musique de l’Amérique, de toute l’Amérique ! La porte est désormais ouverte pour des militants comme Martin Luther king. Son combat pour l’égalité devient universel. La scène folk New yorkaise s’engage à ses côtés, Bob Dylan vient chanter lors de la grande marche de Washington en 1963, l’histoire comme à chaque fois, après des siècles d’immobilité, change vite, très vite, et en partie grâce à la musique !
L’intuition de Harry smith, la même que celle de Platon se vérifie. La musique transforme les âmes et bouscule les gouvernements !
Au delà du combat pour les droits de l’Homme la musique folk influence l’opinion publique lors de la guerre du Vietnam dans laquelle l’Amérique rentre de plein pied à partir de 1964. Au début les Américains sont favorables à la guerre car ils s’imaginent que le conflit sera court. Si la longueur de la guerre et l’arrivée des téléviseurs dans toutes les familles américaines, à partir du milieu des années 60, va peu à peu faire basculer l’opinion, la musique a été , elle aussi, une des causes fondamentales de l’opposition des jeunes à ce conflit. On parle là bien entendu du mouvement Hippies qui trouve ses racines dans la folk music que le disque de Harry Everett Smith a participé à faire revivre à partir du milieu des années 50 en Amérique.

La musique fait l’histoire

La musique folk a été la première à dénoncer cette guerre, presque 5 ans avant que le mouvement Peace And Love ne gagne tout le pays. Parmi les morceaux les plus marquants de cette période on retrouve Masters Of War de Bob Dylan , Vietnam song de country Joe Mcdonal, et surtout les chansons de Phil Ochs, qui a été le premier a écrire un morceau sur ce conflit en 1962. Malheureusement ce titre n’a jamais été enregistré par Ochs mais il nous reste les paroles qui attestent de l’existence de la chanson. Il écrira beaucoup d’autres œuvres contre cette guerre dont talkin vietnam blues publié en 1964. Dans ses chansons il dénoncera aussi bien le gouvernement, qui envoie à la mort des soldats Américains innocents, que l’armée qui brûle des villages entiers à l’autre bout de la planète . Ce qui est impressionnant chez Ochs c’est qu’il livrera ce combat avant même que la guerre ne soit officiellement déclaré en 1964. En 1962, les médias ne faisaient alors que quelques brèves sur les 15000 soldats Américains qui étaient là bas pour former la soit disante armée de la république du Vietnam. Longtemps Ochs sera donc seul au front avant d’être rejoint par d’autres musiciens pourtant restés plus célèbre que lui pour leur engagement. On pense à Joan Baez, par exemple, qui s’est beaucoup investit dans la cause et sera même arrêté par la police et emprisonnée pour une dizaine de jours lorsqu’elle participera à une manifestation en 1967. D’autres artistes plus inattendus sont venus faire grandir les troupes. Loretta Lynn, par exemple, chanteuse folk/country , a pris position dès 1965, soit plusieurs années avant les hippies, contre le conflit du Vietnam en publiant la chanson Dear Uncle Sam. Elle sera bientôt rejoint par des chanteurs comme Willie Nelson qui la même année publie « jimmy’s road » ou Joe McDonald qui à travers la chanson « I-Feel-Like-I'm-Fixin'-To-Die Rag eu un impact considérable sur l’opinion publique au moment de la sortie du disque en 1967.   IL est donc frappant de constater que les artistes des musiques anciennes ont été les premiers à se soulever contre le conflit. Bien avant les groupes de rock et les musiciens psychédéliques.

Au milieu des années 60, les musiques anciennes étaient bel et bien en train de changer l’Amérique, exactement comme Harry Smith l’avait prévue 15 ans plus tôt !
S’était son plus grand tour de magie, il avait fait ce que personne ne considérait comme possible. Il n’était bien sûr pas le seul à avoir fait renaitre la folk de ses cendres mais son apport a été absolument capital !
Lorsqu’en 1991 on lui remettra un Grammy pour son apport à la musique populaire Américaine harry smith dira la chose suivante : « Je suis heureux de pouvoir affirmer que mes rêves sont devenus réalité. J’ai vu l’Amérique changer à travers la musique! »




Quelques semaines plus tard, le 27 novembre 1991 il mourut dans une chambre du Chelsea Hotel dans les bras d'une dulcinée à qui il chantait une sérénade. Il est mort en étant un de rares hommes au monde à pouvoir dire à la fin de sa vie « j’ai vécu sans rien céder de mes désirs »
C’est ainsi que ce termine l’histoire de Harry Smith, mais son anthologie, elle, est éternelle. Depuis sa parution en 1952 il y a eu de nombreuses rééditions avec des pochettes différentes (ce qui, maintenant que vous en connaissez l’histoire, est, vous en conviendrez, une absurdité!). Le label Smithsonian qui a hérité du catalogue de Moses Ash a également produit un 4eme volet de l’œuvre à partir des notes laissé par Harry Everett Smith. Ce volet est consacré aux « labour songs ». Enfin cette année, en 2020, l’anthologie a refait parler d’elle. Le label vient de sortir les face B de chaque chanson de l’anthologie en le traitant comme le négatif de l’œuvre originale. Trois chansons explicitement racistes ont été retiré du produit final provoquant une polémique outre atlantique comparable à celles que nous pouvons connaître en France sur le sujet du « révisionnisme » dans l’art.
70 ans après leur parution et presque un siècle après leur enregistrement ces chansons continuent donc de résonner avec l’actualité. Un tel prodige a peut être, comme le pensait Harry Smith, une cause surnaturelle. Peut être que ce disque est réellement magique ? Pour le savoir il faut plonger dans le cœur de chansons, comme Alice au pays des merveilles, pour se retrouver confrontée, comme elle, au paradoxe, à l’absurde et au bizarre…



Sources
https://fr.wikipedia.org/wiki/Robert_Fludd
https://edutheque.philharmoniedeparis.f ... ienne.aspx
https://www.blogotheque.net/articles/en ... arry-smith
http://www.zoanima.fr/hommage-a-harry-smith/
https://www.lemonde.fr/archives/article ... 819218.htm
https://fr.qaz.wiki/wiki/Harry_Everett_Smith
https://www.nova-cinema.org/prog/2007/9 ... can-magus/

https://www.thewire.co.uk/about/artists ... ic-volume4
http://www.desoreillesdansbabylone.com/ ... rican.html
https://section-26.fr/karen-dalton-la-v ... ntretemps/
https://www.oystahmusic.com/greenwich-v ... 20Gaslight.
https://fr.wikipedia.org/wiki/Moondog
http://www.les-lettres-francaises.fr/20 ... e-la-folk/

https://www.rts.ch/play/radio/la-musiqu ... ?id=408133
Modifié en dernier par vox populi le mar. 29 déc. 2020 12:00, modifié 1 fois.

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Re: Sur le chemin de l'Anthologie de la musique folk Américaine

Message par Harvest » lun. 28 déc. 2020 19:33

Ouch...le pavé. Je vais m’y prendre en plusieurs fois.

vox populi
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Re: Sur le chemin de l'Anthologie de la musique folk Américaine

Message par vox populi » jeu. 31 déc. 2020 16:39

Aujourd'hui on va embarquer dans le premier volume consacré aux ballades :)

VOLUME 1 : BALLADS

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Harry smith baptise le premier volume de son anthologie : Ballads
Il est composé de 2 disques et 27 chansons en tout

Un peu d’histoire :

La tradition des ballades telle que nous la connaissons aujourd'hui est liée aux ménestrels et troubadours qui ont voyagé dans la majeure partie de l'Europe au Moyen Âge. Cette tradition était particulièrement importante dans les îles britanniques du XVe au XVIIIe siècle. Ces vieilles compositions  racontent des histoires de noblesse, de romance, d'amour, de conflits familiaux, de héros, de monstres, de fantômes, de mort, de trahison et de meurtre. Leurs thèmes sont fortement ancrés dans des sociétés où la magie et le mystère sont encore très présentes. Elles sont apportés, aux Etats Unis, par Les migrants d' Angleterre , des basses terres écossaises et d' Ulster qui sont arrivés aux 17e et 18e siècles . Il s’agit de chansons qui se présentent toujours comme une suite de strophes racontant une histoire avec peu de changement mélodique et harmonique. Concernant les compositeurs il existe deux grandes écoles de pensée sur le sujet. Les communautaristes qui soutiennent que les ballades sont à l'origine des compositions communautaires, et les «individualistes» qui affirment qu'il y existe un auteur unique.
Si Les ballades britanniques, pour d’évidentes raisons historiques composent la grande majorité de l’héritage sur lequel se fondera la folk Américaine, il existait également, pour la petite histoire, une tradition de ballades en France. Ces chansons ont davantage migré vers le Québec
On en retrouve des témoignages discographiques chez des musiciens comme Paul Brunelle par exemple.

La chanson du prisonnier


Si les Ballades Francaises ont connu un certain succès au Québec elles sont néanmoins restés ancrées dans le répertoire trad. Il en est allé tout autrement aux Etats Unis où les artistes contemporains se sont saisie de ce répertoire pour sans cesse le réinventer et l'adapter à leur époque..

Pour ce qui concerne le répertoire britannique un travail d’inventaire absolument fondamental a été réalisé par Francis James Child au cours de la seconde moitié du 19e siècle.

Ce professeur né en 1825, a réussi à intégrer l’université d’Haward malgré la pauvreté de sa famille. Il était en quelque sorte un précurseur pour ce qui concerne le rêve Américain. Il est monté à force de travail et d’intelligence jusqu’au poste de professeur émérite de l’université. Il en a gardé une reconnaissance éternelle pour la littérature et la poésie à laquelle il a consacré toute sa vie. Son objectif était de rendre la culture accessible à tous car il savait d’expérience qu’elle représentait le plus sûr moyen d’émancipation sociale. Pour ce faire Il supervisa, par exemple,  la publication d'un recueil de plusieurs volume consacré aux œuvres des poètes britanniques, dont le travail étaient auparavant peu accessible au public. De 1882–1898, il travailla à répertorier les ballades Écossaises et Anglaises qui ont été importé par les migrants au cours du 17eme et 18ee siècle. Dix recueils furent publiés sous le nom générique de « The English and Scottish Popular Ballads ». recensant et contextualisant 305 chansons en tout et..1600 variantes !. Si le travail de Child n’est pas exhaustif il reste à ce jour le plus complet. D’autres ouvrages ont abordés le même sujet avant child, mais jamais de manière aussi détaillé. l’érudition de Child brille en effet tout au long de cette collection par sa capacité à replacer le répertoire britannique dans un contexte plus large, danois, serbes ou turcs en particulier. . 
Ce travail lui demanda un investissement presque inhumain. Il mourra avant d’avoir achevé l’œuvre dont le dernier volume sera posthume. Aujourd’hui encore les motivations de Child sont mal connues. Il n’écrira en effet jamais l’introduction à ses volumes qui aurait pu expliquer le choix des chansons où ses motivations pour s’être lancé dans un tel projet. Ce mystère continue à travailler de nombreux historiens de la musique folk , à tel point que Michael Bell, un professeur qui a enseigné au Grinnell College avant de terminer sa carrière en tant que vice président à l’université Transylvania à Lexington, s’est récemment penché sur le sujet.

Les seules sources qui restent à ce jour existantes sont les lettres que Child envoyaient à ces proches tout au long de sa vie. Après les avoir toutes étudiées, Michael Bell en conclut qu’ il s’agissait probablement pour child de faire remonter la culture populaire à la hauteur de celle des élites. Child a en effet toujours ressentie une certaine culpabilité de s’être extrait de la classe ouvrière et pauvre dans laquelle il avait grandi. En ce penchant sur ce vieux répertoire il disait avoir le sentiment de retrouver un temps où la séparation des classes sociales étaient moins marquées. Le travail sur l’héritage folk serait un hommage à cette période où le peuple était unis et indivisible. Ce point de vue a depuis été largement remis en cause par les historiens qui se sont penchés sur le travail de Child. En effet Child a principalement collecté des œuvres postérieures au 16eme siècle, une période où la société était déjà très hiérarchisée.

Une autre critique du travail de Child repose sur le choix des Ballades. Les critères de Child n’avaient rien de scientifiques. Il se reposait essentiellement sur son goût et son intuition pour décider s ‘il fallait inclure ou non une chanson à son travail. certaines ballades ont été laissées de côté, principalement à cause de thèmes sexuels, scatologiques et blasphématoires que Child exécrait. Ses tabous expliquent, en grande partie, l’absence de très vieilles ballades populaires telles que" The Sea Crab ", qui raconte l'histoire d'un coquillage laissé dans un pot de chambre, qui saisit les parties génitales d'une femme lorsqu'elle s'accroupit pour l’utiliser . Une autre ballade du nom de "The Bitter Withy",s'inspirant d'une légende chrétienne apocryphes qui dépeint un jeune Jésus tuant avec colère trois enfants et recevant ensuite une raclée de la Vierge Marie, a probablement été laissé de côté à cause de son aspect blasphématoire. D'autres ballades ont été omises pour des raisons encore plus obscures. "Frog and Mouse", une très ancienne chanson connue sous des titres différents comme "Froggy would A-Wooing Go" et "Uncle Rat", en est un exemple. Les relations entre deux animaux d’espèce différentes ont t’elles renvoyé Child au sujet alors tabou des amours interraciales? Ou y avait-il simplement une règle tacite selon laquelle les ballades ne devaient concerner que les humains? Nous ne le serons sans doute jamais. Certaines chansons ont été intégré dans un volume mais retirées des rééditions, là encore Child ne s’en est jamais expliqué.

Quoi qu’il en soit le travail de child eut un tel écho qu’ on désigna peu à peu ce répertoire sous le nom de : The Child Ballad’s. Cette dénomination est encore utilisé aujourd’hui par les musiciens lorsqu’ils se penchent sur ces chansons. Les artistes qui ont fait vivre ce répertoire son innombrables. On peut citer Joan Baez qui en a chanté une dizaine, répartie sur ses cinq premiers albums, en les répertoriant dans les notes des pochettes comme telles. Des groupes de rock folk britannique tels que Fairport Convention , Pentangle et Steeleye Span se sont fortement inspirés des Child Ballads dans leurs répertoires,  "Gallis Pole" apparaît sur l'album Led Zeppelin III sous le nom de "Gallows Pole". Fleet Foxes a inclus " The Fause Knight Upon the Road " en face B du single  Mykonos..la liste est presque sans fin.
Certains auteurs compositeurs ont également utilisé ce répertoire comme matière première pour créer leurs propres chansons. On pense à Woody Guthrie mais le plus célèbre d’entre eux reste, bien entendu Bob Dylan. A Hard Rain is gonna fall est en partie une réécriture de « Lord Randall ». Cette Ballade, qui date du 17eme siècle consiste en un dialogue entre un jeune Lord et sa mère. Lord Randall rentre chez sa mère après avoir rendu visite à son amant. À travers l'enquête de la mère, il est progressivement révélé que le Seigneur a été empoisonné par son amant, qui l'a nourri d'anguilles empoisonnées. Le motif de son amant pour l'empoisonner n'est jamais révélé. Bob Dylan a modélisé sa chanson sur "Lord Randall", en reprenant en particulier la forme interrogative de la chanson ainsi que les personnages de la mère et de l’enfant.
Voici une des nombreuses versions de la chanson originale


Girl from the North Country, autre exemple, est une réinvention d’une vieille ballade écossaise du nom de Scarborough Fair que l’on retrouve, bien entendu, dans la liste des child ballad.


Outre les historiens de la folk music Harry Smith a également été fortement inspiré par certains lieux géographique pour construire son anthologie. Les montagne des Appalaches, en particulier, ont constitué pour Smith un réservoir très important d’artistes et d’enregistrements .

Là bas, les migrants en particulier britanniques ont apportés avec eux les traditions musicales de leurs pays d’origine. Leur musique s’est au fil des générations transformé, lorsque les descendants des colons ont oublié les personnes et les événements qui inspiraient les chants d’origines. Bientôt les ballades d’origines ont été adapté à des évènements locaux. Les mélodies elles mêmes ont été modifié sous les influences de la musique d'autres colons, Allemands, Néerlandais ou Français. L’influence la plus importante reste cependant celles des afro américains. Ils apportèrent au répertoire orignal de nouveaux instruments tel que le banjo. Cet instrument, appelé aussi banjar, bangie, banjer ou banza était joué au début du 17ème siècle par les esclaves africains. Ils construisaient leurs instruments à partir de gourdes, de bois et de peaux tannées, et utilisaient du chanvre ou du boyau pour faire leurs cordes.
Le banjo « standard » du 18ème siècle avait 4 cordes en boyau, et sur le manche, il n’y avait pas de frettes. Au début du 19ème siècle, on a rajouté une corde aiguë et, plus tard, les cordes en métal remplacèrent celles en boyau, et les frettes sur le manche furent rajoutées.Le premier écrit mentionnant des blancs jouant du banjo date de 1773, en provenance d’une plantation de Virginie. Le propriétaire scandalisé, nota dans son journal que deux garçons à sa charge (des adolescents) avaient passé la nuit à jouer sur des banjers avec les « nègres ». Pourtant A partir du 19eme siècle le banjo devint un partenaire presque indispensable des ballades des Appalaches. il jouait la même mélodie que le violon tout en en procurant un accompagnement rythmique dynamique.

Bientôt cette musique, au croisement entre le violon Européen et le Banjo Africain sera appelé Hillbilly Music. Il est difficile de déterminé l’origine exacte de ce terme mais il semblerait qu’il fut adopté dans les années 20 lorsque le producteur Ralph Peer cherchait des groupes à enregistrer dans les Appalaches; il enregistra l’orchestre à cordes du violoniste Al Hopkins; il lui demanda alors quel était le style de cette musique et Hopkins lui répondit « We’re just a bunch of hillbillies from North Carolina and Virginia. Call it anything you want » La musique des Appalaches fut ainsi dénommée la « Hillbilly Music ». Ce terme plutôt péjoratif finit par désigner tous ceux que l’Amérique des villes considérait comme les ploucs habitants dans les vieilles montagnes, loin de la civilisation. Lorsque la musique des Appalaches commença, grâce à des musiciens comme Pete Seeger, à intéresser les milieux bourgeois on rebaptisa le style « Old Music » effaçant au passage toutes une partie de l’héritage des musiques traditionnelles provenant d’autres régions des États Unis (en particulier du Midwest et du Texas)

Si d’autres régions des Etats Unis ont donc connu la même histoire que celles des Appalaches du sud, et possédaient, eux aussi, leur répertoire incluant leur spécificité et leur richesse, aucune de ces régions n’a su préserver l’héritage de manière aussi remarquable. Cette spécificité est essentiellement dû à des raisons géographiques. La géographie très accidentée a empêché pendant longtemps la construction de grandes routes et le développement économique de la région. Jusqu’au début du 20eme siècle les Appalaches restaient des territoires isolés et pauvres. Cet isolement à contribué à préserver leur patrimoine musical intact.
Au début du 20ème siècle, les Etats-Unis commencèrent pourtant à s'industrialiser de façon intensive, les besoins en énergie furent donc très importants. Les Appalaches, en particulier leur partie méridionale, regorgeaient de charbon. Pour amener le matériel et évacuer le minerai il fallait des routes, des chemins de fer. Dans cette contrée faiblement peuplée qui vivait depuis plus d'un siècle repliée sur elle-même, on a donc vu arriver une nuée de migrants attirés par les bons salaires que versaient les compagnies charbonnières. Ces migrants eurent une influence sur les musiciens des Appalaches. Les nouveaux venus apportèrent avec eux des guitares qui serviraient bientôt d’instruments d’accompagnement tout comme le banjo. Les italiens emmenèrent des mandolines et des autoharpe qui peut à peu remplaçaient le dulcimer qui était un des instruments traditionnel des Appalaches. A partir des années 20, avec l’industrialisation et l’augmentation de la population la radio fit son apparition dans les montagnes et des programmes musicaux destinés plus particulièrement à la population locale, basés sur la musique de la région, virent le jour. Ces programmes connaissait un vif succès et décidèrent les compagnies discographiques du Nord à se pencher sur cette musique.


C’est au milieu des années 20 que furent enregistrées les première chansons dont celle de Dick Justice « John Henry » que Harry smith a choisi pour ouvrir son anthologie.

Morceau 1 : HENRY LEE interprété par DICK JUSTICE

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1929. A cette époque un mineur de fond du nom de Dick Justice a 23 ans. Pour se changer les idées, après le travail, il joue, pour ses amis, des chansons traditionnelles britanniques. C'est un excellent guitariste, très influencé par des artistes noirs, en particulier un bluesman du nom de Luke Jordan qui n'habite pas très loin de chez lui , en virginie occidentale, mais ségrégation oblige, ils ne se sont jamais rencontrés. Dick rêve de faire carrière à l’image de son collègue de travail et ami Frank Hutchison, qui bosse avec lui dans les mines du comté de Logan.. Le week end Franck se rend régulièrement à New York pour enregistrer des chansons blues pour le label Okeh records. Franck est plus qu’une inspiration pour Dick, c’est une référence ! Hutchison est, pour la presse, le premier musicien blanc à s’intéresser au blues,un style jusqu’alors réservé à un public exclusivement noir. Si l’affirmation est contestable , Al Bernard, un chanteur blanc, ayant enregistré dès 1918 le standard St louis Blues, il n’en demeure pas moins que Hutchison maîtrise l’art de la guitare blues comme aucun musicien blanc ne le fit avant lui. Il est connu pour jouer avec sa guitare posée à plat sur les genoux et changer de tonalité en faisant glisser un couteau le long des cordes. Huctchison dit un jour à Dick que c’est un voisin, un guitariste noir du nom de Bill Hunt, qui lui apprit cette technique. Dick et Franck jouent régulièrement ensemble dans les rues de Logan ou dans les rades de la ville. L’un vie cependant dans l’ombre de l’autre, jusqu’au jour où un producteur du nom de Jack Kapp travaillant pour le label Brunswick Records remarque Dick pendant que celui ci joue, comme presque tous les soirs, des chansons traditionnelles dans les rues de la ville. Outre son talent de guitariste le producteur est aussi intéressé par son répertoire de vieilles ballades irlandaises qui tourne depuis quelques années en boucle sur les radios locales. Brunswick records s’intéresse en effet depuis quelques temps à ce répertoire et à même ouvert une section entièrement consacré au genre, que dirige Jack Kapp. Il propose à Dick de venir enregistrer quelques titres dans son studio de Chicago. Une session est organisé à l’été 1929. Pour ces enregistrement le label lui suggère l'appui d'un violoniste professionnel, du nom de Reese Jarvis. Une dizaine de chansons sont enregistrées durant cette séance dont plusieurs compositions de Dick Justcie. l’intégralité de ce travail sera réédité sur la compilation Old Time Music of West Virginia. A l’écoute de ces enregistrements on se rend compte de la grande influence qu’avait le blues sur Justice. Il suffit pour s’en convaincre d’écouter sa merveilleuse interprétation de Brown Skin Blues ou sa reprise note à note de la chanson cocaine blues composée par son idole Luke Jordan. Durant cette session il chante également des ballades traditionnelles britanniques dont Herny Lee

C'est seul à la guitare qu'il interprète ce morceau. Il la chante dans un registre aiguë assez différent de ses enregistrements blues. On peut supposer que Dick se souvint que le registre des Ballades était jusqu’au début du 20eme siècle essentiellement interprété par des femmes, d’où peut être une approche vocale plus aiguë, pour ce titre, que pour le reste de la séance. Pour remettre cette chanson au goût du jour il emprunte la mélodie de the storms are the ocean enregistrée deux ans auparavant par la famille Carter. Un problème subsiste cependant... La chanson est trop longue pour rentrer dans le format du 78 tours! Dick la réduit à 5 strophes en prenant bien soin de garder l'essence de l'oeuvre.


Voici les paroles
“Get down, get down, little Henry Lee, and stay all night with me.
The very best lodging I can afford will be fare better’n thee.”
“I can’t get down, and I won’t get down, and stay all night with thee,
For the girl I have in that merry green land, I love far better’n thee.”

She leaned herself against a fence, just for a kiss or two;
With a little pen-knife held in her hand, she plugged him through and through.
“Come all you ladies in the town, a secret for me keep,
With a diamond ring held on my hand I never will forsake.”

“Some take him by his lily-white hand, some take him by his feet.
We’ll throw him in this deep, deep well, more than one hundred feet.
Lie there, lie there, loving Henry Lee, till the flesh drops from your bones.
The girl you have in that merry green land still waits for your return.”

“Fly down, fly down, you little bird, and alight on my right knee.
Your cage will be of purest gold, in deed of property.”
“I can’t fly down, or I won’t fly down, and alight on your right knee.
A girl would murder her own true love would kill a little bird like me.”

“If I had my bend and bow, my arrow and my string,
I’d pierce a dart so nigh your heart your warble would be in vain.”
“If you had your bend and bow, your arrow and your string,
I’d fly away to the merry green land and tell what I have seen.”

En changeant les paroles et la mélodie Dick justice propose donc une version nouvelle d’une chanson qui naquit deux siècles plus tôt sur les lointaines terres écossaises.
Henry Lee est, en effet, une variante d'une ballade qui se nomme Young Hunting. Ce morceau était originellement composé comme une chanson de .....30 couplets !

L'histoire est est fondamentalement simple et pourtant originale - une fille abandonnée se venge en tuant son ancien amant - En donnant ici le rôle de la victime à l'Homme la chanson affiche déjà une certaine personnalité. Sa puissance d’envoûtement est aussi dû au drame et au mystère qui entoure l'histoire à travers des allusions récurrentes à magie et au surnaturel - En effet dans cette chanson, outre le meurtre on retrouve un oiseau qui parle, une bougie flottante utilisée pour indiquer l'endroit d'un corps noyé et le corps de l'homme assassiné saignant en présence du meurtrier..Autant d'indices d'une société encore fortement ancrée dans les traditions populaires et les mythes originaux. L'oiseau qui observe la scène du meurtre est un personnage récurent dans les ballades.. On le retrouve dans de nombreuses chansons où des humains tentent d'acheter la faveur d’un animal avec un succès variable.Sa présence ici peut être une référence à la transfiguration de l'âme de la victime ou, plus probablement est il le symbole de l'innocence.

Voici une interprétation de la chanson Young Hunting


cette chanson comme beaucoup d'autres va subir de nombreuses transformations lorsqu'elle sera importée aux Etats Unis. Si les premières versions sont retrouvées dans les Appalaches, l’œuvre a, par la suite, beaucoup voyagé et on en trouve des déclinaisons dans la plupart des régions à l’est du Mississippi jusqu'au texas. On a répertorié jusqu'à aujourd'hui 43 mélodies différentes de cette chanson..dont celle de Dick Justice !


Que sont ils devenus ?
Dick Justice et son ami Frank Hutchison seront tous les deux victimes de la grande crise des années 30 qui conduira à la l'effondrement des ventes de disques folk et blues.
Dick retourna à la mine. Il continuera à faire de la musique jusqu'à sa mort en 1962 dans le comté de l'Etat Virginie Occidentale où il était né.
Frank Hutchison investira ses économies pour acheter une épicerie et mourra en 1945, à l'âge de 54 ans dans l'Etat de l'Ohio.
Luke jordan, qui a tellement influencé Dick et Franck ,connaitra, lui aussi une petite carrière discographique à la fin des années 20. La crise aura raison de ses ambitions et il continuera de faire de la musique de rue jusqu'à son décès en 1952 à Lynchburg. Il avait 60 ans.
Jack Kapp, producteur des sessions de Dick Justice en 1929, fondera, en 1934, la branche Américaine de Decca Records avec Edward Lewis  . Il emmènera de nombreux artistes avec lui, ce qui entrainera, dans les années 30, une guerre des prix restée célèbre entre les Decca et Brunswick Records . Decca survivra à ce bras de fer à tel point que, à l'aube de la guerre, en 1939, plus de la moitié des disques vendus aux Etats Unis étaient vendus sous l'étiquette Decca. Jack Kapp mourra en 1949, à seulement 47 ans!

Quand à la chanson elle continuera de circuler sous différentes formes et sous différents noms. Parfois on l'appellera Earl Richard, d'autres fois on la nommera The Proud Girl, ou Love Henry, d'autres fois encore elle retrouvera son nom d'origine Young Hunting .
Nick cave la reprendra pour son album Murder ballads, Bob Dylan la chantera en 1993 sur World Gone Wrong. Beaucoup de musiciens de la scène folk new yorkaise au début des années 60 vont également chanter cette chanson. Bonnie Dobson, par exemple,  une chanteuse à la voix particulièrement limpide, l'interprètera au café Folk city en 1962. Judy Henske connu sous le nom de Reine des Beatniks  proposera également une version particulièrement convaincante de cette ballade. Jolie Holland, une chanteuse contemporaine, qui revisite dans ses morceaux les racines de la musique américaine, a enregistré une très belle version de Love Henry pour son album The Living and The Dead sortie en 2008 . Les exemples sont innombrables pour montrer que cette chanson est encore au cœur de la folk Américaine plus de 200 ans après son écriture. Les jours se suivent, et seules les chansons survivent.
Modifié en dernier par vox populi le mer. 7 juil. 2021 05:31, modifié 1 fois.

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Re: Sur le chemin de l'Anthologie de la musique folk Américaine

Message par hexbreaker » ven. 1 janv. 2021 16:38

Bravo pour l'initiative et le boulot :super:
Voilà un voyage qui promet de belles découvertes !

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Witchy
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Re: Sur le chemin de l'Anthologie de la musique folk Américaine

Message par Witchy » sam. 2 janv. 2021 13:02

Merci Vox ! Sacré boulot que tu fais là ! Pour ma part, je vais apprendre des tas de choses grâce à toi. J'avoue que je connais surtout une partie des années 60 avec Fred Neil, Vince Martin, etc. Mais j'ai encore beaucoup à apprendre dans ce registre.

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Re: Sur le chemin de l'Anthologie de la musique folk Américaine

Message par vox populi » sam. 2 janv. 2021 16:35

Merci pour vos encouragements
J'apprends moi même énormément de choses en faisant les recherches.
Avant par exemple, je croyais que les Child Ballads étaient des chansons pour les enfants :hehe:
Bref je suis ravi d'enfin prendre le temps de mettre les mains dans la terre de cette musique Américaine que j'aime tant.

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whereisbrian
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Re: Sur le chemin de l'Anthologie de la musique folk Américaine

Message par whereisbrian » mer. 6 janv. 2021 13:33

Un livre intéressant de Jacques Vassal en rapport avec le sujet:

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Re: Sur le chemin de l'Anthologie de la musique folk Américaine

Message par vox populi » mer. 6 janv. 2021 16:14

Morceau 2 Fatal Flower Garden par les Nelstone's Hawaiians


Premier set: ballades; Disque un; Track Two: "Fatal Flower Garden" interprété par les Hawaïens de Nelstone. "Duo vocal avec des guitares." Enregistré à Atlanta le 30 novembre 1929. Edition originale Victor V-401938.




Voici l’histoire de ce qui est sans doute l’une des plus terribles chansons de tous les temps ! Le voyage que nous allons faire va nous transporter jusqu’au moyen âge et l’histoire que nous allons raconter est une des plus sombres de cette sombre époque.

La chanson de l’anthologie d’abord.

Elle est enregistrée à Atlanta le 30 novembre 1929 pour le compte du label Victor. Victor est la première maison de disques américaine, lancée fin décembre 1900 par Émile Berliner et Eldridge R. Johnson, les inventeurs du gramophone ! Très vite ils utiliseront un logo resté célèbre puisqu’il s’agit de l’œuvre du  peintre Francis Barraud représentant son chien Nipper écoutant un gramophone

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Le succès est tel qu’en 1929, avant la grande crise, Victor est une des firmes les plus importantes du marché américain. Pour survivre à la dépression économique elle se rapproche du label RCA qui gardera longtemps le logo de Victor comme vitrine. A partir de 1925 le label s’intéresse de très près à une nouvelle musique qui rencontre un grand succès aux Etats Unis : La musique Haiwaienne.

Hawaii vient en effet d’être annexé par les Etats Unis ( 7 juillet 1898  ) et le pays découvre le style musical très particulier de l’Ile qui deviendra le  21 août 1959 un Etat à part entière. Les américains sont en particulier fasciné par la technique de la « steel guitar » hawaïenne.

Le site Snico (http://snico2.free.fr/?page=i1b) élaboré par un passionné de la steel guitar nous plonge à la source de cette technique.
Comme souvent dans les musiques d’inspiration populaire, la naissance de cette technique reste entouré de légendes dont il est parfois difficile de distinguer le vrai du faux. Cependant la thèse de Joseph Kekuku en tant qu’instigateur de la steel guitar hawaïenne est la plus convaincante et étayée. Joseph Kekuku dit avoir pour la première fois utilisé la technique de slide en 1885, à l’âge de 11 ans. Si l’on en croit son histoire, celui-ci marchait le long d’une voie de chemin de fer, tout en grattant sa guitare, quand il ramassa un rivet, le faisant glisser sur les cordes de sa guitare pour produire le coulé caractéristique de la steel-guitar. C’est alors que commence son apprentissage du slide en substituant le rivet par un couteau de poche, puis, plus tard, par la lame d’un rasoir. Peu après il Conçoit une barre d’acier qu’il fabrique lui-même dans l’atelier de son école  pour remplacer le peigne et le couteau, avant de surélever les cordes de sa guitare pour permettre à la barre d’acier d’y glisser sans toucher les frettes. Il change aussi les cordes en boyau de sa guitare pour d’autres en métal afin de faire durer les notes plus longtemps.  Il quitte ensuite la « Kamehameha School » pour devenir musicien puis part sur le continent américain en 1904. Il participe grandement à la découverte, par les Américains, de cette musique au même titre que « Bird of Paradise », premier spectacle hawaïen de Broadway qui débute son ascension au théâtre Daly à New York. L’éclatante scène hawaïenne, ses costumes éblouissants et la musique qui respire le soleil en font un succès instantané. La troupe tourne aux Etats-Unis et au Canada, où chaque date fait salle comble.  Au début des années 20 ils joueront même en Europe avec à la Steel Guitar J. Kekuku qui accompagne le succès croissant de la troupe pendant huit ans . La popularité de ce spectacle est telle qu’Hollywood en fera le film « The Bird of Paradise » en 1932, puis à nouveau en 1951.Les années 1920 voient aussi l’apparition des publications de méthodes de steel-guitar, et les firmes construisant des guitares dédiées au slide se multiplient. Très vite la steel guitar intègre le patrimoine musical folk et des groupes intégrant la steel guitar dans un univers folk sont signés par les labels à l’affût de ce nouveau marché.


Malgré leur nom, les Nelstone's Hawaiians ne sont pas des Hawaïens. Il s’agit d’un duo, Hubert Nelson (à la steel guitar) et James Touchstone (au chant) qui viennent du sud de l’Alabama. Ils sont repéré par le label Victor pour qui ils enregistrent une dizaine de chansons entre 1928 et 1929. ils sont parmi les premiers à intégré la steel guitar hawaiienne dans un univers folk et sont également considérés comme un des groupes fondateurs de la country music dont ils enregistrent les premiers standards. Citons en particulier la chanson « Just Because » qui sera plus tard interprété par Elvis Presley lors de ses sessions pour sun records à Memphis. Comme pour beaucoup d’autres artistes la dépression des années 30 mettra un terme à leur carrière discographique.
Il n’existe pratiquement pas de photo d’eux.
La seule que je peux qualifier de probablement vraie est celle cie

Image

Fatal Flower Garden" est une variante de la Child Ballad 155, "Sir Hugh,or the Jew's Daughter". Il s’agit en fait d’une des plus vieille chanson antisémite connue. La source historique la plus probable de cette ballade est le crime en 1255 du jeune Hugh agée de 9 ans à Lincoln (Angleterre). II aurait été enlevé et assassiné par des juifs ce qui a entraîné l’arrestation de 90 juifs dont 18 seront finalement pendus. Ce fait divers a particulièrement marqué les esprits car s’était le premier crime rituel auquel le roi d’Angleterre a porté foi au point d’intervenir personnellement dans le dossier. Il faut dire les temps étaient, à cette époque, particulièrement difficiles pour les juifs d’Europe. La communauté juive vivait relativement paisiblement en Europe (hormis dans l’Espagne wisigothe) jusqu’à la première croisade en 1096. On assiste alors aux premiers pogroms à Rouen, à Metz et surtout en Allemagne (Cologne, Mayence, Worms, Trèves).  Le concile de Latran IV, en 1215, représente le second tournant dans la mise en place d’une politique antijuive : le canon 67 interdit l’usure et limite le prêt à intérêt, domaine dans lesquels les juifs opéraient ; le canon 68 leur impose des vêtements distinctifs ; le canon 69 les exclut des charges publiques ; le canon 70 exige que les juifs convertis renoncent définitivement à leurs anciens rites. En parallèles la communauté juive est accusé d’empoisonner les puits ; lors de la peste noire de 1348-1350, on pense qu’ils ont volontairement propagé l’épidémie.

Le récit chrétien antijudaïque utilise, dans les accusations qu’il porte, un certain nombre de thèmes récurrents et fantasmatiques. Les juifs sont incriminés de s’attaquer aux hosties consacrées ou de crimes rituels. Le premier exemple connu est le crime perpétré en 1144 à l’encontre de Guillaume de Norwich, jeune tanneur de 12 ans, martyrisé dans les mêmes conditions que le Christ pendant la Semaine sainte. On retrouve de telles accusations de meurtres rituels à Gloucester en 1168, à Blois en 1171, à Pontoise en 1279 et à Narbonne en 1236. En 1247, à Valréas, dans le Comtat, on rend les juifs responsables du meurtre d’une petite fille de 2 ans. Pour expliquer ces crimes ont invente des mobiles plus fallacieux les uns que les autres. On explique par exemple qu’à l’origine, les plus sages des Hébreux pensaient que le sang d’un enfant chrétien permettait le salut des âmes des juifs, à condition qu’il meure en croix à la manière du Christ, qu’il soit de sexe masculin et n’ait pas plus de 7 ans. On dit également que dans la tradition juive le sang des chrétiens leur sert à confectionner le pain azyme, à cicatriser les blessures ou . à préserver les femmes d’accouchements prématurés 
Dans ce contexte on ne s’étonnera pas de voir fleurir des ballades antisémites partout en Europe et même au-delà ! Child en trouvera même datant du 5eme siècle et en provenance de Syrie ! Toutes ces chansons ont souvent été mélangés par les différents interprètes. On trouve par exemple dans certaines versions de Sir Hugh (dont Fatal Flower Garden est un dérivé) des éléments faisant allusions à des ballades antisémite Françaises ou Écossaises . A fil du temps les versions sont simplifiées et perdent parfois même toute trace d’antisémitisme. Dans certaines interprétations les juifs sont remplacés par des Roms . La meurtrière est dans ce cas une "Gypsy lady" .

Une autre version célèbre de cette chanson se nommant The Jew's Garden incorpore des éléments d’un meurtre d’enfant tout à fait différent que celui de Sir Hugh. Les circonstances de ce fait divers sont par ailleurs décrites dans une autre child ballad qui se nomme « Lamkin ».
Lorsque la ballade s’est installé aux Etats Unis elle a assez rapidement perdu ses références antisémites au point qu’il est peu probable que Hubert Nelson et James Touchstone les aient connues au moment d’enregistrer la chanson. Pour s’en convaincre il suffit de se pencher sur les paroles où jamais il n’est fait allusion à la religion juive.


Il a plu, il a plu, il a plu si fort,
il a plu si fort toute la journée,
que tous les garçons de notre école
sont Sortis pour jouer.

Ils lançaient leur balle si haut,
si haut et puis si bas ,
qu’elle tomba dans le jardin de fleurs
où nulle ne devait aller

Vint alors cette dame gitane,
habillée de jaune et de vert;
"Entrez, entrez, mon joli petit garçon,
venez récupérer votre ballon ,"

"Je n'entrerai pas,
Sans tous mes camarades de jeu;
je vais aller chercher mon père
dit t’il en faisant couler des larmes. »

Elle lui montra d'abord un pépin de pomme
Puis une bague en or;
Puis elle lui montra un diamant,
qui irrémédiablement l ‘attira .

Elle le prit par sa main blanche de lys,
elle le conduisit à travers le hall,
Elle le mit dans une chambre,
là, où personne ne pouvait l'entendre appeler.

«Oh, enlevez ces bagues de mes doigts,
enlevez les avec votre souffle;
si l'un de mes amis veut venir jouer avec moi,
dites-lui que je me repose.

«Enterrez moi la bible à ma tête,
et le Testament à mes pieds;
si ma chère mère m'appelle,
dites -lui que je dors.

«Enterrez moi la bible à ma tête,
et le Testament à mes pieds;
si ma chère mère m'appelle,
dites -lui que je suis mort.

En lisant le texte de cette chanson on retrouve le penchant de smith pour placer côte à côte des chansons avec des images et des thèmes récurrents.
Ainsi l’expression main blanche de lys apparaît également dans la chanson Henry Lee tout comme la couleur verte. Dans les deux chansons le meurtrier est une femme (chose rare dans les ballades).
Malgré son thème qui sent le souffre cette ballade est toujours resté populaire.
La liste des interprètes est longue pour continuer à faire vivre la mémoire d’une des ballades les plus sombre de l’histoire de la musique!

Source
http://theanthologyofamericanfolkmusic. ... iians.html

https://singout.org/fatal-flower-garden/

http://snico2.free.fr/?page=i3a

https://www.nationalgeographic.fr/histo ... ersecution
https://mainlynorfolk.info/lloyd/songs/sirhugh.html

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sLidE_viNylEs
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Re: Sur le chemin de l'Anthologie de la musique folk Américaine

Message par sLidE_viNylEs » dim. 10 janv. 2021 15:27

Disque de chevet, également.
Sacré boulot, Vox.

vox populi
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Re: Sur le chemin de l'Anthologie de la musique folk Américaine

Message par vox populi » dim. 17 janv. 2021 08:34

Merci sLidE_viNylEs c'est gentil

Il faut dire qu'en faisant des recherches autour de ces chansons j'apprends à beaucoup mieux connaitre non seulement la musique américaine mais aussi son histoire. Je comprends mieux sa spécificité et à vrai dire certains points de l'actualité..

Aujourd'hui je vais vous parler de ce qui est sans doute une des chansons les plus célèbres de la culture Américaine mais aussi Européenne : House Carpenter


Morceau 3 HOUSE CARPENTER interprété par Clarence Ashley



Set One: Ballads; Disc One; Track Three: "The House Carpenter" performed by Clarence Ashley. "Vocal solo with 5-string banjo." Recorded in Atlanta on April 14, 1930. Original issue Columbia 15654D (W194982).

House carpenter est une ballade qui, une fois n’est pas coutume, a un auteur formellement identifié en la personne de Laurence Price qui l’a édité en 1657 sous le nom mystérieux de A Warning for Married Women Being an Example of Mrs Jane Reynolds 

Laurence Price vécu au milieu du 17eme siècle à Londres. Son œuvre d’écrivain public comportait, outre l’écriture de ballades, des pamphlets très populaires qui en firent un écrivain jouissant d’une grande notoriété.  En 1656, Price fut nommé l'un des «trois glorieux», aux côtés de Humphrey Crouch et Samuel Smithson. Ce titre désignait les auteurs les plus aimés de leur temps. Son succès était très certainement dû au fait que son style épuré était accessible à l’ensemble des classes sociales, à tel point que nombre de ses œuvres furent réimprimés pendant plusieurs siècles. On peut citer A Warning for All Lewd Livers (1633 ) ou Flora's Farewell (1656), par exemple.

Son travail, au fil du temps, évolua de la chanson de débauche à l'exhortation morale. Au fur et à mesure de sa vie Price se rapprocha en effet beaucoup de l’église protestante dont il déplorait déjà amèrement le déclin. À la fin de son existence il n’écrivait presque plus que des sermons religieux tels que The Ready Way to Salvation (1665).

Cet aspect religieux et moral est fondamental pour comprendre la ballade qui nous intéresse aujourd’hui.

Price l’ avait préfacé ainsi

 Cette ballade est un avertissement pour les femmes mariés à travers l’exemple de Madame Jane Renalds, une femme de l’Ouest du pays, née à plymouth et qui s’est promise à un homme de mer du nom de James Harris. Elle s’est ensuite marié avec un charpentier avant d’être emporté par un esprit, dans les circonstances décrites dans le récit »
La version originale contenait 32 couplets. Elle racontait l’histoire  tragique de de Jane Renalds et de son premier véritable amour, James Harris.  Les deux amants se sont jurés fidélité mais le jour de leur mariage, James Harris fut appelé en mer. Jane, qui lui était resté fidèle, n’aura plus de nouvelles de James pendant trois longues années. Elle épousera au bout de 4 ans un charpentier du village dont elle aura trois enfants.
Sept ans après sa disparation, un esprit, portant le masque de James Harris, revint la chercher ! Il profita de l’absence de son mari pour frapper à la porte de la maison de Jane en lui demandant d’abandonner ses enfants et le charpentier pour l’accompagner dans une vie d’aventures à travers les mers et les océans. Jane succombe à la tentation et lorsque le mari revient il trouve la maison vide. Fou de chagrin il se pend laissant derrière lui trois orphelins"


Lorsque, deux siècles plus tard, Chid collecta différentes versions de cette ballade il constata combien l’imagination populaire l’avait profondément enrichie et modifiée.

Le nom de la ballade, tout d’abord, avait été changé. En Angleterre et en Ecosse la ballade se nommait THE DEMON LOVER, aux Etats Unis on l’appela « HOUSE CARPENTER » . Il existait un nombre incroyable de versions différentes mais la plupart des déclinaisons avaient complètement omis de raconter le sort du charpentier pour se concentrer sur le destin de Jane et James.

Toutes les versions modernes s’accordent sur le fait que Jane périra dans son voyage lorsque le bateau chavirera non loin de deux îles. L’une de ces îles était verte et ensoleillé. C’est elle que Jane espérait atteindre ...mais au moment où le bateau fit naufrage James Harris lui dit que jamais ils n’iront dans cette île paradisiaque. Leurs âmes damnées seront, au contraire, conduite sur la seconde île dont la terre était noire comme le charbon, et le ciel sans cesse tourmenté. Voici donc le destin de la femme qui abandonne sa famille !

Si l’histoire racontée est la même dans toutes les versions, les déclinaisons Anglaises et Écossaises ont une dimension beaucoup plus surnaturelle. Dans la chanson Demon Lover on indique très clairement que James Harris est un esprit du mal (on fait allusion à ses pieds fourchus, à son bateau fantôme sur lequel embarque Jane par une nuit sans lumière ..). C’est également le démon qui à l’approche des deux îles fracasse le bateau en deux pour provoquer la mort de Jane.
Dans les versions américaines, nommées House Carpenter, l’aspect surnaturel est presque systématiquement gommé. Bob Dylan, pour qui la chanson aura une grande importance comme nous le verrons plus tard, fera néanmoins allusion, lors d’un rapide discours d’introduction, à cet aspect surnaturel lorsqu’il enregistrera cette ballade pour son premier album.

Un autre point qui diffère selon les chanteurs c’est le nombre d’années d’absence de James Harris. Dans certaine versions on reste fidèle à l’histoire originale (7 ans) mais dans beaucoup de versions américaines le temps est raccourcie. On parle parfois d’un an seulement et d’un seul enfant, laissant ainsi supposé que l’enfant pourrait être de James Harris et non du charpentier. C’est un choix très important selon le point de vue que le chanteur veut donner de Jane. Dans Demon Lover Jane est souvent présenté comme une victime des charmes du démon et le temps d’absence de James est souvent long. On éprouve ainsi une certaine forme de compréhension pour la femme infidèle qui est elle même victime du mal et des évènements. Dans les versions Américaines, par contre, Jane est souvent présenté comme une femme volage qui n’a pas attendu longtemps le retour de son amoureux avant de le trahir. Et lorsque jane trahira une seconde fois sa famille elle le paiera du prix de sa vie.

L’aspect moralisateur de cette ballade est donc évident, tout comme son aspect religieux dont il est indissociable.

Comme nous l’avons vu le voyageur symbolise dans cette chanson le Diable. Les promesse qu’il fait des richesses à la femme renvoie directement au Diable tentant le Christ: « Le diable le transporta encore sur une montagne très élevée, lui montra tous les royaumes du monde et leur gloire, et lui dit : Je te donnerai toutes ces choses, si tu te prosternes et m’adores. » (Mathieu 1, 8-9).
La profession de charpentier du mari n’est bien entendu pas un hasard non plus. La référence à la bible saute au visage si j’ose dire !

Mais alors comment expliquer qu’une chanson aussi religieuse reste populaire dans une société qui l’est de moins en moins ?

Ken Bigger un amoureux des chansons anciennes, dont je vous conseille le site (sing out) s’est posé la question. Sa réponse me semble particulièrement convaincante. Cette chanson pose une question qui restera toujours d’actualité. « Que faites vous lorsque le passé revient frapper à votre porte ?
"Que faites vous lorsque un ancien amour revient vers vous ? Resterez vous fidèle à la vie que vous vous êtes construit depuis son départ ou alors voudrez vous tout recommencer ? Partir à l’aventure ? Les fantômes du passé peuvent, un soir, frapper à la porte de tout un chacun, lui ouvrirez vous ?"

Cette histoire dépasse et de beaucoup son aspect moral et religieux. La source dans laquelle la ballade puise sa force est universelle.
Il y a un artiste pour qui cette ballade a eu une importance absolument capitale. Bob Dylan.
Il l’enregistra pour son premier album (même si la version ne sera finalement pas retenue) mais son obsession pour le thème du passé qui revient vous chercher va être une constante de son œuvre au point que 14 ans après avoir enregistré pour la première fois house Carpenter Dylan va complètement la réécrire et la nommée ..«Tangled Up in Blue ! C’est en tout cas la version défendu par de nombreux analystes de l’œuvre Dylanienne.
En 1999 un livre entier sortira même sur le sujet, écrit par Clinton Heylin : Dylan's Daemon Lover: The Tangled Tale of a 450-Year Old Pop Ballad Paperback.
Ken Bigger défend exactement la même position.
Ils appuient leur point de vue en reprenant la proposition de classification des chanteurs folk de Eleanor R. Long-Wilgus
Cette femme née en 1923 a obtenu son doctorat en littérature et folklore Anglais en 1968. Elle donnera de nombreuses conférences sur l’histoire de la musique folklorique et consacrera une partie de son travail à l’établissement d’une classification des chanteurs folk
Pour elle il existe 4 types de chanteurs folk
1) les persévérants : ils mémorisent toutes les chansons par coeur et les répètent fidèlement
2) les co-fabulateurs: qui enrichissent un récit afin de le rendre plus divertissant
3) les rationalistes : qui adaptent intentionnellement une chanson dans le but de la faire coller à leur propre vision morale ou politique
4) les intégrateurs : Ils réinventent complètement la chanson pour l’intégrer à leur époque.

Si Dylan a commencé sa carrière comme un persévérant il l’a, à partir de 1963, continué comme un « intégrateur ». Toute son œuvre est basée sur la recréation totale de vieille chansons ! Ainsi la chanson « the man in the long black coat «  est très probablement la réécriture de « the house carpenter «  mais du point de vue du charpentier abandonné qui découvre la maison vide à son retour.

Les grillons chantent , les eaux sont en crue,
Une douce robe en coton sèche sur la corde,
La fenêtre est grande ouverte, les arbres africains
S'inclinent vers l'arrière depuis que la tornade est passée.
Pas un adieu, ni même un mot,
Elle est partie avec l'homme
Au grand manteau noir
...
il avait comme un masque sur le visage.
Quelqu'un disait qu'il citait la Bible
Il y avait de la poussière sur l’homme
Au long manteau noir.
..
Certains disent qu'il n'y a pas d'erreurs dans la vie
C'est vrai, parfois on peut voir les choses ainsi.
Mais les gens ne vivent pas, ne meurent pas : ils ne font que flotter.
Elle est partie avec l'homme
Au long manteau noir.



Que de chemin parcouru entre la version de 1961 et celle de 1989! La même histoire pourtant, oui, mais raconté d’un autre point de vue.


C’est en 1975 avec Tangled up in blue que Dylan fera la reconstruction la plus complète de la chanson. Il créera sa version dans un monde très différent de celui du 17eme siècle. Un monde où la liberté sociale est plus grande, où les liens entre les familles sont moins soudés. Un monde avec moins de conventions sociales et moins d’obligations mais le lien qui lie les personnages est le même.
Un amour ancien vient sans cesse hanté Dylan dans toutes les étapes de sa vie (où alors est ce l’inverse ? Dylan est t’il le James Harris de l’histoire ? ) .
Dans la conclusion de son récit il fera même une allusion directe à la ballade

Voilà, je repars à nouveau,
Il faut que je la voie d'une façon ou d'une autre.
Tous les gens que je connaissais
Ne sont plus que des illusions pour moi désormais.
Certains sont mathématiciens
D'autres sont femmes de charpentiers.
Je ne sais pas comment tout ça a commencé
Je ne sais pas ce qu'ils ont fait de leurs vies.
Mais moi, je suis toujours sur la route
En direction d'un autre port
On a ressenti la même histoire
on l’a simplement vu d’un point de vue différent,
Empêtrés dans le gris.


D’autres artistes ont eux aussi recrée cette chanson pour l’adapter à leur époque. Une des versions les plus réussie étant certainement celle de Michael (Peter) Smith , auteur-compositeur-interprète basé à Chicago
Voici la chanson


Les paroles sont là encore complètement changées pour être adaptées à l'époque.

Je connaissais une fille qui venait de Little Falls
Son nom était Agnes Hines
Elle est tombée amoureuse d'un garçon nommé Jimmy Harris
Mais il avait une courte ligne de vie

Un an après que Jimmy a été tué dans un accident de voiture
Elle a épousé un homme de Cornell
Ils avaient trois petits enfants et une grande maison
dans le haut de Montclair

Le vent me dit
que les choses ne sont pas ce qu'elles semblent être
Attention

Un jour , son mari est au travail et les enfants sont à l' école
et celui qui frappe à sa porte
ressemble à Jimmy Harris
Il dit qu'il vient de rentrer de Paris
Il a l’air si vivant !
« Ooh, Jimmy » elle a  t’elle dit en pleurant ,
je croyais quevosu étiez mort
Il a ri et il a dit « moi aussi cherie »
Et si ce n'était pas pour toi mon amour,
je ne serais pas revenu

Le vent me dit
que les choses ne sont pas ce qu'elles semblent être
Attention

Les voisins disent qu'en se retirant dans sa Chevrolet
Son visage a commencé à changer
Et au milieu de ce matin lumineux de banlieue
Ils ont disparu en flammes

Peut-être connaissez vous un amoureux des démons
Il pourrait être votre mari ou votre femme
Méfiez-vous des gens qui appartiennent à votre passé
Ne les laissez pas revenir dans votre vie.


Il s’agit là d’une réinvention particulièrement remarquable puisque si La chanson de Smith est fidèle à l'histoire, présentant même l'amant sous le nom de «Jimmy Harris», il n’y a aucun lien musical avec la ballade originale. Si vous ne connaissez pas la chanson originale vous n’aurez aucune raison de suspecter que cette œuvre est une chanson ancienne. C’est en grande partie grâce aux versions « des intégrateurs » que ces anciennes œuvres traversent si bien toutes les générations . Les auteurs compositeurs les réinventent sans cesse pour qu’elles continuent de résonner avec l’époque

Si les artistes qui ont participé à la notoriété de House carpenter sont donc innombrables c’est bel et bien la version interprété par Clarence Ashley en 1928 ou 1930 (selon les sources) et reprise dans l’antholgie folk de Harry smith qui donnera une nouveau souffle à l’oeuvre.

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Clarence Ashley est né en 1895 dans une famille de musicien, son Grand père lui a offert son premier banjo lorsqu’il avait 5 ans. Sa mère lui a appris très jeune le répertoire des appalaches , une éducation bientôt complétée par les musiciens itinérants logés dans la pension de la famille. Dès 1911 il rejoint un spectacle de médecine où il intervient en tant que musicien. Il s’agissait de spectacles itinérants (voyageant en camion, en train, à cheval ou en chariot) avec comme objectif de colporter des médicaments estampillés « remède miracle » . Ils se sont développés à partir de spectacles européens de charlatans et étaient courants aux États-Unis jusqu’à la grande dépression des années 30, en particulier au moment de la Conquête de l'Ouest. Ils promouvaient généralement les « élixirs miracles « , qui, prétendait-on, avaient la capacité de guérir les maladies les plus courantes. La plupart des médicine shows avaient leur propre médicament « breveté » (ces médicaments étaient, en réalité, pour la plupart, non brevetés mais en ont pris le nom pour paraître « officiel ») . Les divertissements permettaient d’attirer un large public, en particulier rural et comprenaient souvent un freak show, un cirque de puces savantes, des pièces musicales, des tours de magie, des histoires drôles ou des contes,

Pour comprendre le succès de ces médecines shows il faut savoir qu’ils apportaient du divertissement aux communautés rurales qui ne voyaient parfois pas d'autres types de spectacles pendant des années . Au niveau musical une des attractions les plus célèbre était celles de blackface que Clarence Aschley a pratiqué pendant plusieurs années et qui défrayent aujourd’hui la chronique.
Si cette pratique existe en Europe depuis le début du 17eme siècle , Aux Etats unis, c’est Lewis Hallam Jr , un acteur blanc grimé en Noir, qui apporta le blackface dans la culture théâtrale en jouant le rôle de « Mungo », un Noir ivre, dans The Padlock, pièce britannique dont la première se déroula à New York le 29 mai 1769. À la suite du succès remarqué de la pièce, d'autres comédiens adoptèrent ce style.C'est cependant un autre acteur blanc, Thomas D. Rice, qui popularisa réellement le blackface à travers la chanson Jump Jim Crow en 1828. Le succès fût tel qu’il l’érigea au rang de vedette. En 1832, Rice parcourut les États-Unis, sous le nom de scène de « Daddy Jim Crow ». Le nom Jim Crow sera d’ailleurs étroitement rattaché à la ségrégation raciale et donnera son nom aux lois Jim Crow qui ont codifié la ré institutionnalisation de la ségrégation raciale après la guerre de sécession .

A partir du milieu du 19eme siècle c’est essentiellement à travers la musique que va se populariser la Blackface et en particulier grâces aux minstrel show  . Il s’agissait de spectacles créé vers la fin des années 1820, où figuraient chants, danses, musique, intermèdes comiques, interprétés essentiellement par des acteurs blancs qui se noircissaient le visage. Si des acteurs noirs on rejoint les troupes après la guerre de sécession, les Noirs de ces spectacles apparaissaient généralement comme ignorants, stupides, superstitieux, mais joyeux et doués pour la danse et la musique.

Il y avait donc une dimension raciste absolument incontestable dans la pratique du blackface. Néanmoins il serait faux de la résumer à cela .

des études plus récentes complexifient l’analyse du blackface et en montrent l’ambivalence (Toll, 1977 ; Bean et al., 1996 ; Lhamon, 2008). Sans passer sous silence les implications racistes du blackface, Robert Toll, Nick Tosches, William Lhamon et d’autres ont mis au jour que derrière les stéréotypes avilissants, des processus d’identification à certains traits de l’identité noire et d’appropriation de la culture noire se jouaient également en coulisse. L’identité blanche ayant été définie aux États-Unis selon une conception de classe, les Blancs les plus pauvres, ceux qui brouillaient la configuration raciale du pays par leur simple condition sociale, ceux que l’on appelle les Hillbillies, ne pouvaient se retrouver dans la blanchité hégémonique. Ni Blancs ni Noirs, ils ont fait le choix de se façonner une identité hybride en empruntant des signes « noirs ». Le blackface brouille donc les frontières raciales, les questions de race et de classe étant indissociables aux États-Unis. William-T. Jr Lhamon, dans son livre « Peaux blanches et masques noirs » publié en 2008, parle d’une « population flottante » constituée des individus infériorisés de la société américaine. Parmi cette « population flottante », on trouve ceux qu’on appelle péjorativement les white trash (littéralement « raclure blanche »). Ce terme d’argot insultant, apparu au début du xixe siècle, désigne la population blanche défavorisée du Sud que les conditions matérielles d’existence et la « dépravation morale » rendrait moins fréquentable encore (aux yeux de la société blanche bourgeoise) que les Noirs. Aux États-Unis, ces Blancs misérables représentent une anomalie à la fois sociale et raciale. Nous pourrions dire, suivant la célèbre formule de Joan Scott à propos du genre, que la race est aux États-Unis une façon première de signifier des rapports de pouvoir. Ainsi que le note Sylvie Laurent dans Poor White Trash : La pauvreté odieuse du Blanc américain, « la locution poor white trash ne désigne pas tant un statut social qu’une catégorie morale. C’est l’étiage symbolique auquel on ne veut pas déchoir, la personnification honteuse des échecs impensables d’une population “ racialement ” destinée à prospérer ». Ne pouvant se reconnaître dans la blanchité hégémonique, les jeunes white trash se sont tournés vers certains traits distinctifs de la blackness pour se façonner une identité qui leur soit propre. Cela ne signifiait pas pour autant une identification aux Noirs, qui continuaient d’être brocardés dans les spectacles blackface et dans la vie de tous les jours. Il s’agissait plutôt de se construire une identité hybride, au croisement de la classe et de la race. Ni tout à fait blanche ni noire,
C’est dans cette optique qu’il faut inscrire les spectacles de musiciens comme Clarence Ashley au début du 20eme siècle.

Si Clarence Ashley jouera dans le cadre des spectacles de médecines jusqu’au début des années 40 il commencera dès 1928 une carrière discographique avec un groupe du nom des Blue Ridge Mountain Entertainers. Ils enregistrèrent plusieurs chansons pour le label Gennett Records qui prospérait dans les années 20 grâce à des artistes comme Louis Armstrong Blind Lemon Jefferson , Charley Patton et Gene Autry .
Le succès de ses disques lui permit d’enregistrer avec un autre groupe, The Carolina Tar Heels, pour le producteur Ralph Peer qui était à cette époque là un pionnier de l'enregistrement nomade. Dès 1923 il parcourut le pays pour enregistrer des musiques régionales à l’aide d’un matériel de fortune .  Au début des années 1930, Ashley enregistra une série de duos avec le joueur d'harmonica Gwen Foster . Durant cette époque il complétait ses revenus avec, outre les medecines shows, des concerts dans les usines de charbons de la région. Toutes ses activités ont permis à Clarence Aschley de vivre de sa musiqu. Il ess d’ailleurs le premier musicien de l’anthologie dans ce cas.
Malheureusement Les effets de la Grande Dépression ont rendu l'argent rare au début des années 1930. Non seulement Ashley n'était plus recrutée pour faire des disques, mais il était pratiquement impossible de gagner de l'argent en jouant dans les usines ou les fêtes privés.

A cours d’argent il créé, en 1937, une entreprise de camionnage à Mountain City qui transporte des meubles et des récoltes dans diverses villes de la région. Il faudra attendre le renouveau folk du début des années 60 pour qu’une nouvelle génération de musiciens et d’auditeurs s’ intéressent à ce musicien et cela en grande partie grâce à la parution de l’Anthologie d’Harry Smith. A partir de 1962 Aschley a réenregistré des albums et est remonté sur scène dans le cadre de divers festival dont le fameux  Newport Folk Festival en 1963. il meurt à l’âge de 71 ans en 1967.



Sources


https://lib54.wordpress.com/2014/02/01/ ... tionnelle/
https://singout.org/the-demon-lover-the ... carpenter/
http://theanthologyofamericanfolkmusic. ... shley.html
https://mainlynorfolk.info/lloyd/songs/ ... lover.html
https://www.jstor.org/stable/4522306?seq=1
https://oldtimeparty.wordpress.com/2013 ... carpenter/
https://en.wikipedia.org/wiki/Laurence_Price
https://journals.openedition.org/transa ... 53?lang=en
http://www.fresnostate.edu/folklore/Ols ... TM#JHARRIS
https://fr.wikipedia.org/wiki/Medicine_show

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Re: Sur le chemin de l'Anthologie de la musique folk Américaine

Message par vox populi » ven. 22 janv. 2021 07:27

Quelques belles versions de House carpenter


la beauté de la voix.



Celle d'un groupe qu'on ne présente plus.



Celle de Jean Ritchie avec Doc Watson
Jean Ritchie était très certainement une des chanteuses Trad les plus importante de l'histoire des Etats Unis. En sus de sa voix exceptionnellement pure elle avait une connaissance encyclopédique des chansons des Appalaches.
Ce qui gênait Jean Ricthie dans la version originale c'est que son ancien amant la culpabilisait en lui disant que pour elle il avait refusé la main des Reines d'orient.
Dans la version de Ricthie c'est donc la femme qui avait refusé plusieurs fois la main de plusieurs roi avant de se remarier de longues années après la disparition de James


Une version carrément flippante


Une autre également très expérimentale



Une version guitare - voix splendide



D'autres versions ont profondément modifié la mélodie et les paroles car dans le domaine de la chanson traditionnelle tout est ouvert. On peut changer la mélodie, raconter l'histoire d'un autre point de vue, changer la fin ..
C'est ce qui fait la richesse de ce répertoire qui n'est pas enfermée dans le carcan juridique de droits d'auteurs.




Une autre version réinventée de la chanson
Le son est un peu "rough" mais la version est belle

Il existe des centaines de reprises par des artistes anonymes, souvent très belle



Source
https://singout.org/but-dont-you-let-it-take-you-over/

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Re: Sur le chemin de l'Anthologie de la musique folk Américaine

Message par vox populi » sam. 23 janv. 2021 10:33

Chapitre 4 : Coley Jones - Drunkard's Special

Set One: Ballads; Disc One; Track Four: "Drunkard's Special" performed by Coley Jones. "Vocal solo with guitar." Recorded in Dallas on December 6, 1929. Original issue Columbia 14489D (W149558).




"Drunkard's Special" est une variante d'une child ballad du nom de Our Goodman. La ballade a été édité pour la première fois en 1776 dans la collection Ancient and Modern Scottish Songs de David Herd sous le nom de
Merry cuckold and Kind, mais la publication a été réalisé à partir d'un manuscrit non daté ce qui laisse à supposer que la chanson existait depuis beaucoup plus longtemps.
https://blogs.loc.gov/folklife/files/20 ... bumjpg.jpg

L'origine géographique de cette ballade reste également un mystère . Les folkloristes estiment que la chanson est problablement d'origine écossaise mais de récentes découvertes ont mis à jour une version anglaise probablement antérieure à celle publié par Herd. Un mot, au passage sur David Herd qui a été au 18eme siècle un des premiers éditeurs de ballades britanniques et cela bien longtemps avant Child. S'il était comptable de profession Herd consacra tout son temps libre à la découverte et à l'édition de poèmes écossais. Son travail d'éditeur commence en 1769 quand il publie son premier recueil de ballades mais sa grande oeuvre reste le livre "Ancient and Modern Scottish Songs" qui aujourd'hui encore est régulièrement réédité. Ce livre a servie de base à la collection de Harry Smith. C'est ce bouquin que sa mère lui a offert pour éclairer ses recherches sur les sources de la musique Américaine.

Le succès du livre de Herd conduit un autre folkloriste et directeur de musée du nom de James Johnson à s'intéresser de près à cette chanson. Il engagea un ami musicien du nom de M. Clarke et ensemble il partirent sur la route à la recherche d'un chanteur qui connaissait cette ballade pour en faire une retranscription musicale. Cette méthode de collectage était tout à fait courante au 18eme siècle. Les folkloristes voyageaient souvent en duo et traversaient le pays à la recherche de musiciens qui connaissaient ce répertoire pour l'éditer sous forme de partition et de manuscrit. Le successeur de Johnson fit un compte rendu de l'aventure quelques années après la mort de ce dernier.

Les mots de cette vieille ballade extrêmement curieuse ont été récupérés par David Herd et imprimés dans sa Collection. Johnson, l'éditeur du Musée, après plusieurs recherches infructueuses, fut informé qu'un vieil homme du nom de Geikie, habitant près d'edimbourg , chantait les couplets avec talent , et que la mélodie était exceptionnellement bonne. En conséquence, lui et son ami M. Clarke se sont rendus au logement de Geikie, et l'ont invité dans une auberge pour vider une bouteille avec eux. Ils le rendirent bientôt très "joyeux"; et quand ils lui demandèrent de chanter la chanson il s'exécuta avec grande joie. M. Clarke a immédiatement retranscrit les notes et arrangé la chanson pour le Musée, dans laquelle les paroles et la musique sont apparues ensemble pour la première fois en 1797.


Cette interview met en lumière l’importance du travail des premiers collecteurs, qui ont évité à de nombreuses œuvres de s’évanouir dans le brouillard du temps qui passe. Si de nombreuses ballades ont été collectés juste avant de s’éteindre il n’en est pas de même pour Our Goodman qui existait sous des formes différentes dans de nombreux endroits de la planète. L’index des chansons folkorique de Roud (qui est aujourd’hui la plus grande base de données existante sur le sujet de la musique traditionnelle) comptabilise plus de 400 versions différentes dans le monde ! Our goodman est en effet une forme d’histoire humoristique qui existe depuis le moyen âge dans toutes les cultures. En Allemagne on donnait à ce genre de contes le nom de Schwank, en France on les appelait des Fabliaux. Ces récits  courts, réalistes et paillards faisaient rire en tournant en ridicule les faiblesses humaines. Our Goodman s’inscrit dans cette tradition . Les titres donné à la chanson peuvent différer selon les époques et les lieux. Parfois elle se nomme «Three Nights 'Experience» ou alors «Cabbage Head Blues» , «Coming Home Late» , d’autres fois elle se nomme, comme sur l’anthologie d’Harry Smith,« Seven Drunken Night ».

L’histoire est, dans les grandes lignes, toujours la même. Un Homme rentre chez lui ivre et trouve des preuves de la présence d’un autre Homme dans la maison. Il peut s’agir d’un chapeau, d’un cheval, d’une épée, d’un bouclier etc..La femme, profitant de l’état d ‘ébriété de son mari lui fait croire qu’il voit mal et qu’elle n’a rien à se reprocher. Il n’en reste pas moins que le mari reste méfiant sans pouvoir complètement séparer le vrai et le faux dans les explications de sa bien aimée.
Si cette ballade est très probablement d’origine britannique elle a donc très rapidement été traduite dans d’autres langues. En Allemagne on en trouve une trace dès le milieu du 18eme siècle, elle a ensuite migré à travers toute l’Europe. On la retrouve aussi bien au Danemark, en Hongrie, en Russie et même en France à partir du 19eme siècle sous le nom de Marion



Plus tard on entendra d’autres versions provenant d’autres continents, jusqu’en Australie ! Là bas les chevaux et les épées ont été remplacées par des instruments indigènes ou même des animaux de compagnies inattendus comme les serpents qui dans certaines cultures sont élevés pour chasser les souris de la maison ! Our goodman est donc très probablement la chanson traditionnelle qui est resté, au fil des siècles, la plus populaire dans le cœur du public . Elle sera chantée dans les tranchés durant la grande guerre par les soldats britanniques, elle sera adoptée par des clubs sportifs et elle deviendra même un tube en 1967 lorsque les Dubliners en enregistreront une version sous le nom de  Seven Drunken Nights " .



Outre les frontières géographiques la chanson a également traversé les frontières raciales . our goodman est, en effet, une des (très) rares chansons folk à avoir intégré le répertoire noir Américain. Ainsi  Blind Boy Fuller  l’enregistra sous le nom de Cat Man Blues tout comme Blind Lemon Jefferson. La version la plus populaire reste cependant celle enregistré par sonny boy williamson sous le nom de Wake Up Baby



Le fait que Drunkard's Special soit la première chanson de l'anthologie interprété par un musicien noir du nom de Coley Jones n'est donc pas vraiment une surprise. Ce qui est plus inattendu par contre est le style de la chanson qui est à la jonction entre la folk et la country un genre musical où l'on retrouve peu d'artistes de couleurs. L’industrie musicale Américaine est, en effet, dès les origines aussi ségrégationniste que la société. Dès 1920 , la folk et son prolongement, la country music, sont explicitement identifiées au public qu’elles visent, la population blanche et rurale du sud des États-Unis. Cette définition raciale permet alors de les distinguer explicitement du blues, autre genre musical associé aux ruraux de cette région, mais destiné aux populations noires. Ces deux genres apparaissent très vite comme deux parallèles destinées à ne jamais se rencontrer.

L'histoire voudrait qu'il Il y ait, d'un côté, Mamie Smith qui, Le 10 août 1920, se retrouve en studio pour enregistrer le premier disque de blues vocal de l'histoire de la musique, et de l'autre Jimmie Rodgers qui serait la racine blanche de la country music. Cette histoire n' est évidemment qu'une triste légende. Dès le départ les deux styles communiquaient entre eux, l'industrie du disque ne les ayant disjoints que pour de basses raisons commerciales.

Dans les faits les chanteurs de blues se sont emparés des guitares apportées essentiellement par les colons espagnols et italiens et si le blues trouve sa source dans le négro spiritual et les chants de travail il s’est considérablement enrichi au contact d’autres cultures. L'influence amérindienne, par exemple, longtemps occultée, est aujourd'hui de plus en plus mise en avant par les auteurs et les chercheurs. Elle serait particulièrement sensible sur l'utilisation des gammes pentatoniques (venues d'Asie) et sur certains types de blues comme celui du Delta, hypnotique, lancinant, rythmique et souvent modal. Il ne faut pas non plus sous-estimer les influences celtiques ou françaises, en particulier au niveau des thèmes abordés et dans la construction de certaines formes de blues qui ne sont pas sans rappeler les ballades Européennes
Dans les faits, encore, le premier disque blues enregistré, l'a été par un blanc, du nom de Al Bernard, qui en 1918 chanta le standard St louis Blues composé par Wc Handy. Cette chanson connu un énorme succès, à tel point que Al en enregistrera 9 versions différentes. Il donnera ainsi une première notoriété au blues.

De son côté la musique folk et country a très vite adopté le banjo qui est un instrument typiquement Africain. Les artistes noirs ont également très tôt investi la musique des cow boys, Coley Jones en est un exemple. Impossible de ne pas citer aussi Leadbelly qui est sans aucun doute possible une influence absolument majeure dans la folk et la country Américaine. Les artistes blancs de country ont également été nourris par les sonorités et les techniques afro-américaines. Quelques exemples attestent de ces échanges. Le célèbre style de guitare de Maybelle Carter (le « Carter lick »), dont de nombreux musiciens continuent de s’inspirer, lui a été enseigné par son ami Lesley Riddles, un Africain-Américain. Jimmie Rodgers a appris à jouer de la guitare avec un voisin noir, avant d’enregistrer avec Louis Armstrong.Bill Monroe a fait son apprentissage avec Arnold Shultz, un ami noir Etc..

Dans la musique il n'y a donc pas de couleurs, il n'y a que des sons qui s'enrichissent mutuellement. Harry smith l'avait bien compris et c'est la raison pour laquelle il ne fera, dans ses notes, aucune allusion à la couleur de peau des musiciens. Pour lui c'est un non sujet. Si artistiquement le concept de musique raciale n'existe donc pas il en va tout autrement au niveau commercial.

Pour vendre plus facilement la musique country à une Amérique blanche les maisons de disques ont non seulement ignorées les interactions raciales qui avaient présidé à la pratique de la musique dans le sud du pays mais aussi et surtout invisibilisés les contributions directes des musiciens noirs dans les studios. Nashville, épicentre de la musique country a grandement participé à ce processus, dès 1925, les studios lancent l’émission de radio « Grand Ole Opry » qui véhicule de manière insidieuse une image du Sud qui reprend les codes narratifs et iconographiques de l’idéologie de la Cause Perdue (une réécriture confédérée de la guerre de Sécession excluant des causes du conflit le maintien de l’esclavage dans le Sud).

C'est dans ce contexte que vécu, dans les années 20, Coley Jones, un musicien noir qui passa une grande partie de son existence dans la ville de Dallas, une des places fortes de la musique country et du partie républicain. Il fit ses débuts dans les spectacles de ménestrels dont nous avons déjà eu l’occasion de parler avant d’enregistrer dix-sept chansons pour Columbia Records entre 1927 et 1929, à la fois en solo et en tant que membre du Dallas String Band dont voici une photo

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Ce band est aujourd’hui considéré comme le premier groupe de country noir du Texas .
Sa notoriété était énorme. La composition du groupe variait en fonction des engagements et des époques. Outre une guitare, une basse et un violon ils jouaient parfois, sur scène, avec des clarinettes et des trompettes.
Coley Jones était, à la mandoline, la colonne vertébrale du groupe. Son jeu à la fois technique et groovy était une des attractions de la ville et eu une grande influence sur de nombreux musiciens.
Au fil des ans le groupe changea de nom pour se nommer le Coley Jones String Band dans lequel joua le jeune T-Bone Walker !
On sait aussi que Jones était un musicien de studios réputé, on peut l’entendre sur de nombreux disques, parfois sans qu’il soit crédité.

Comme tant d’autres artistes Coley Jones disparu dans la brume après la crise économique de 1929. Il disparu après avoir ouvert la voie pour des musiciens noirs comme Charley Pride Darius Rucker ou Cowboy Troy qui devinrent , longtemps après Jones, des stars de la musique country.

Malgré ces quelques éblouissantes réussites la reconnaissance de l’apport des musiciens noirs dans la musique country reste aujourd’hui encore un sujet brûlant outre atlantique. Ainsi Le 4 juin 2020, une manifestation rassembla des milliers de personnes à Nashville, cœur historique de l’industrie de la country music dans le but de dénoncer le racisme que sous-tend la production de cette musique. Quelques jours plus tard le 9 juin, le Grand Ole Opry, institution majeure de ce genre basée dans la capitale du Tennessee, déclara officiellement vouloir œuvrer en faveur de la diversité raciale dans la country music.

La diversité raciale n’est en vérité pas le sujet car, comme nous l’avons vu, la country est diverse depuis ses origines. Le combat qui reste à mener est celui de la reconnaissance de ce fait historique..
Une histoire que Coley Jones a contribué à écrire.

Sources
https://blogs.loc.gov/folklife/2018/09/ ... r-goodman/
https://en.wikipedia.org/wiki/Our_Goodman
https://www.cairn.info/revue-francaise- ... page-5.htm
https://www.allmusic.com/artist/dallas- ... 0000139390

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Re: Sur le chemin de l'Anthologie de la musique folk Américaine

Message par Harvest » sam. 23 janv. 2021 17:21

Bon j’ai du retard à combler dans ma lecture. :chapozzz:

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Re: Sur le chemin de l'Anthologie de la musique folk Américaine

Message par vox populi » sam. 30 janv. 2021 07:09

Quelques versions de Our Goodman


Dans la tradition irlandaise


Une version a capella à la mélodie très différente


une version guitare voix qui développe encore une autre mélodie mais avec toujours la même histoire

Une version youtube avec un changement de voix..inattendu


Et pour finir la version de Graeme Allwright qui a été un petit tube en France


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