Les années 60 en immersion.

Pour y papoter, parler de ce que vous écoutez en ce moment, délirer, s'amuser...
Avatar du membre
Punker paname
Membre VIP
Membre VIP
Messages : 5623
Enregistré le : dim. 6 sept. 2020 21:53
Localisation : Planete terre

Re: Les années 60 en immersion.

Message par Punker paname » ven. 16 avr. 2021 15:57

Mon grand-père paternel, celui de la musique, fumait des Boyards papier maïs. Un vieux m'avait dit qu'avec ça on pleurait à chaque fois qu'on en fumait et que c'était un moyen d'avoir les larmes aux yeux sans passer pour une mauviette :hehe: J'ai essayé, c'est vrai !
J'ai fumé de 16 à 21 ans. A la fin, je fumais des Celtiques, c'est le même genre, "gros module"
J'ai eu aussi une période cigarettes brunes version Hard Core, avec les Gitanes classiques et Maïs, les Gauloise bien sur, les très décriées P4, on me les avait décrit comme un mélange de fin de sacs de tabac que la Seita récupérait en fin de journée "Pour pas gâcher"

Sans oublier les Bastos Bleues dont je trouvait les paquets trop classe

Image
Joyeux Mondialiste Droit de l'Hommiste et Internationaliste convaincu, amateur d'étrangetés Vinyliques tournant en 33 et 45 tours en provenance des quatre coins de la planète et des 7 continents

Avatar du membre
Algernon
Membre VIP
Membre VIP
Messages : 12192
Enregistré le : mar. 30 juil. 2019 17:36

Re: Les années 60 en immersion.

Message par Algernon » ven. 16 avr. 2021 16:08

Le passage sur les billes, avec les détails : tout plein de souvenirs qui rejaillissent.
Et les osselets ! J'étais admiratif devant ceux qui savaient jongler et manipuler les quatre blancs et le rouge.
Je n'y avais pas repensé depuis encore bien plus de temps.
Les billes, je me débrouillais pas trop mal, mais les osselets... Image
Je ne suis pas trop vieux pour ces conneries.

Avatar du membre
Punker paname
Membre VIP
Membre VIP
Messages : 5623
Enregistré le : dim. 6 sept. 2020 21:53
Localisation : Planete terre

Re: Les années 60 en immersion.

Message par Punker paname » ven. 16 avr. 2021 16:34

Les billes, je me débrouillais pas trop mal, mais les osselets...
Pareil j'étais nul de chez nul à ce jeu , j'en avais un petit set comme celui ci en fonte d'Alu offert pour un Noël par mes grand parents.....

Image

Par contre j'étais assez fortiche dans la fabrication de Carioles en bois fabriquées en mode Do It Yourself (Mais je ne connaissait pas encore le terme :gene3: :gene3: :gene3: ::d ::d ::d ) avec des roues faites avec des roulements a billes. Comme on avait en face de chez moi une route assez pentue qui nous servait de piste d'entrainement, nos parents mirent vite le Hola à la fabrication de ces machines, avec moult engueulades, interdictions formelles et privations diverses de sorties après l'école, vu la dangerosité de ces courses improvisée, responsables comme vous pouvez l'imaginer de beaucoup de bosses et de genoux écorchés :]

Image

Le dessin n'est pas de moi je précise mais en gros on les fabriquait un peu comme ça :cote: :) :) :)
Modifié en dernier par Punker paname le ven. 16 avr. 2021 20:02, modifié 1 fois.
Joyeux Mondialiste Droit de l'Hommiste et Internationaliste convaincu, amateur d'étrangetés Vinyliques tournant en 33 et 45 tours en provenance des quatre coins de la planète et des 7 continents

Avatar du membre
bushi
Super contributeur
Super contributeur
Messages : 673
Enregistré le : mer. 31 juil. 2019 09:38
Localisation : Paris 18 - et Morbihan

Re: Les années 60 en immersion.

Message par bushi » ven. 16 avr. 2021 17:41

idem, on faisait des carioles qui ressemblaient beaucoup à ça, sauf qu'on utilisait de vieux patins à roulettes à la place des roulements à bille ::d
Capture d’écran 2021-04-16 à 19.45.31.jpg
Capture d’écran 2021-04-16 à 19.45.31.jpg (66.63 Kio) Vu 6075 fois
Par contre, aux osselets, j'étais assez balèze.
L'omelette, la balayette, patte de lion et patte d'ours, et la tête de mort, on y a tellement joué qu'à la fin on "touchait bien notre bille".
Modifié en dernier par bushi le ven. 16 avr. 2021 17:54, modifié 1 fois.
Il ne faut pas confondre profond attachement et haute fidelité - Franquin

Avatar du membre
Algernon
Membre VIP
Membre VIP
Messages : 12192
Enregistré le : mar. 30 juil. 2019 17:36

Re: Les années 60 en immersion.

Message par Algernon » ven. 16 avr. 2021 17:46

Sans être assurés je parierais ! :contrac: :footzzz: :faché2: ::d
Je ne suis pas trop vieux pour ces conneries.

Avatar du membre
bushi
Super contributeur
Super contributeur
Messages : 673
Enregistré le : mer. 31 juil. 2019 09:38
Localisation : Paris 18 - et Morbihan

Re: Les années 60 en immersion.

Message par bushi » ven. 16 avr. 2021 18:05

Gagné ! :)

À part l'assurance de se casser la gueule, avec genoux, coudes, voire bosses marqués au Mercurochrome le lendemain... La honte !

Mais chez nous on n'avait pas de rues en pente, fallait qu'on se pousse à tour de rôle, le plus vite possible bien sûr. Ce qui fait que quand celui qui conduisait s'emmêlait les pinceaux, ou tournait trop vite et faisait basculer la cariole, celui qui poussait chutait aussi, et pas moins fort !
Il ne faut pas confondre profond attachement et haute fidelité - Franquin

Avatar du membre
Pilgrim
Membre VIP
Membre VIP
Messages : 1109
Enregistré le : sam. 14 sept. 2019 09:18
Localisation : Val d'Oise
Contact :

Re: Les années 60 en immersion.

Message par Pilgrim » ven. 16 avr. 2021 19:34

bushi a écrit :
ven. 16 avr. 2021 17:41
idem, on faisait des carioles qui ressemblaient beaucoup à ça, sauf qu'on utilisait de vieux patins à roulettes à la place des roulements à bille ::d

Capture d’écran 2021-04-16 à 19.45.31.jpg

Par contre, aux osselets, j'étais assez balèze.
L'omelette, la balayette, patte de lion et patte d'ours, et la tête de mort, on y a tellement joué qu'à la fin on "touchait bien notre bille".
Si je me souviens bien ,aux osselets il y avait aussi la patte de chat redoublée ..enfin c'est comme ça qu'on l'appelait...quand tes osselets sont sur le dos de ta main et que tu dois la retourner pour les récupérer.
Les meilleurs osselets étaient ceux qui étaient larges et plats,ils glissaient mieux pour la balayette.

Avatar du membre
Danzik
Membre VIP
Membre VIP
Messages : 4981
Enregistré le : mar. 30 juil. 2019 18:17
Localisation : Zanzibar

Re: Les années 60 en immersion.

Message par Danzik » sam. 17 avr. 2021 06:10

Les osselets :vieuzzz: un jeu ou j’ai souvenir d’être assez doué autant que
d’être convoqué chez le dirlo ! :hehe:
Le Grand Bazar Vinylique : pleins de 45 tours EP & SP avec de vrais morceaux de vinyles dedans !
Citation : "Elle est pas électrique ta guitare... c'est une vieille, elle est encore à vapeur" Dupont et Pondu (1964)

C.V. (archives2) : ICI

andy
Membre VIP
Membre VIP
Messages : 837
Enregistré le : jeu. 12 sept. 2019 17:15

Re: Les années 60 en immersion.

Message par andy » sam. 17 avr. 2021 07:12

les osselets je me debrouillais pas mal , y avait pusieurs niveaux a passer ! les billes j y ai joue souvent aussi , desfois pour avoir des figurines de soldats ou cowbows , combien de tirs reussi pour l avoire , le copain te disait trois , tu depensais parfois plus de vingt billes pour le faire tombe le nombre de fois demande !et l ete avec les billes et des velos miniatures on faisait notre tour de france avec pleins d obstacles bien sur !

Avatar du membre
dark pink
Membre VIP
Membre VIP
Messages : 1849
Enregistré le : mar. 30 juil. 2019 18:56
Localisation : Zombie Zoo

Re: Les années 60 en immersion.

Message par dark pink » sam. 24 avr. 2021 10:04

1965-66, CM1, Classe de Monsieur Comode.

Avant d’entrer au CM1 il y a les vacances, comme d’habitude. Ce qui n’est pas habituel, c’est qu’il se passe quelque chose d’extraordinaire : nous déménageons ! Qui plus est dans une maison toute neuve ! Elle est à peine finie quand nous emménageons. Il n’y a pas de clôture entre la cour d’entrée et la rue, les volets et les portes des garages en métal ne sont pas peints, il y a encore des sacs de ciment dans le hall d’entrée qui n’est pas peint lui non plus, tous les murs de l’appartement sont recouverts d’une fine couche de peinture blanche à travers laquelle on voit les rebouchages d’enduit et les raccords et les murs des chambres sont encollés de papier marron clair que mon père appelle « papier d’apprêt ». Tout est plus grand : la surface de la salle de séjour ajoutée à celle de l’entrée dépasse la superficie entière de notre ancien appartement ! Nous avons donc en plus, une grande cuisine, trois belles chambres, une salle de bain et des toilettes rien que pour nous ! Et je ne compte pas le débarras au rez-de-chaussée ainsi que le garage. Ce n’est pas un appartement, c’est un château ! C’est comme ça que nous le ressentons.

Je n’ai pas dit que je regrettais mes copines et mes copains de l’immeuble. A quoi bon ? Mes parents semblent ne regretter personne. Je n’ai pas de souvenir que nous ayons dit au revoir à quelqu’un. Finis mes moments silencieux et complices avec Chantal, nos attentions secrètes. Finis les scenarios de Ludovic, nos discussions sans fin pour savoir qui de Joss Randall ou de Buffalo Bill gagnerait un duel au pistolet. Je le reverrai en copain d’école, il passe au CM2… Finis les copains tout court, d’ailleurs. En arrivant dans la grande maison, je ne connais pas d’enfant habitant dans le coin. Nous avons un jardin immense, dix fois plus grand que la cour de l’immeuble mais à quoi peut bien servir un endroit pareil sans copines et copains ? Ce bâtiment comprend deux appartements mais le second à l’étage au-dessus n’est pas terminé et les voisins n’arriveront que bien plus tard dans l’année. J’espère qu’ils auront des enfants…

L’autre grande nouveauté, c’est que mes grands-parents paternels habitent à deux maisons. Nos jardins deviennent même mitoyens au bout de cinquante mètres, le terrain du voisin ne constituant qu’une enclave entre les deux nôtres. Comme j’ai du temps à revendre, je vais souvent leur rendre visite et j’ai de leurs nouvelles au jour le jour. C’est souvent marrant et détendu, parfois moins.

Mon grand-père est né en 1894. Un rapide calcul donne immédiatement froid dans le dos : il avait 18 ans quand la première guerre mondiale éclate et 20 ans au début de la bataille de Verdun. Les gens disent que de telles coïncidences marquent un homme. La plupart n’imagine pas à quel point.
Il avait un appareil photo pendant toute cette guerre et a pris une centaine de photos. Il m’a appris le développement argentique sur les négatifs de cette époque. Il avait fabriqué un album sur un ancien nuancier de tissus avec ces photos assorties de commentaires et de son histoire de poilu. Il le sortait de temps en temps pour le relire. Pour me le relire, car à la table de la grande cuisine où il le faisait il ne finissait par rester plus que lui et moi. Il commençait toujours avec des explications claires sur ce qui se passait sur les photos : « Là, nous avions construit des caillebotis pour permettre aux blindés d’avancer, ‘pas, mon fi’… » Il ponctuait ses phrases de ces deux tics verbaux pour « n’est-ce pas » et « mon fils ». Puis les émotions refaisaient surface et les souvenirs devenaient plus durs.

Image

Il se souvenait du froid qu’il faisait dans les tranchées, de la faim, avec l’alcool qui arrivait toujours à passer sous le feu ennemi alors que l’intendance n’y arrivait pas. Il ne buvait jamais une goutte d’alcool et l’échangeait avec ses camarades contre du tabac. Il en gardait un peu pour se laver les cheveux, ce qui faisait de lui le seul téléphoniste à ne pas avoir de poux. Il se souvenait des assauts, des bombardements, du courrier de sa mère qui avait acheté une carte d’état-major de la région de Verdun pour localiser ses déplacements. Et il finissait par se souvenir de la mort omniprésente qui foutait la trouille au ventre à tous les soldats. Il avait vu des dizaines de camarades mourir, ceux qu’il retrouvait morts quand enfin les combats cessaient et ceux dont il avait assisté, impuissant, à l’agonie, son pire souvenir. Ses mots étaient toujours les mêmes : « Tu te rends compte, mon fi’, c’étaient des hommes, je les avais vus combattre, c’étaient des hommes et pourtant, au moment de mourir, ils appelaient leur mère, au moment de mourir, ils disaient maman… C’étaient des hommes et ils criaient « maman ! » Il le répétait 5 ou 6 fois. Quand il avait dit ça, il se taisait un long moment. Je connaissais ce moment et j’avais développé une ruse mentale pour ne pas pleurer en voyant les grosses larmes couler sur ses joues : j’imaginais qu’on allait aller dans le jardin manger des fruits à même les arbres, c’était d’ailleurs ce qu’on faisait en été. Je comprenais que les adultes aient fui la pièce pour ne pas assister à ça, mais je me disais aussi qu’il ne pouvait pas rester seul à répéter sa phrase, il avait besoin que quelqu’un l’écoute, alors c’était moi, puisque j’y arrivais grâce aux fruits du jardin.

Image

L’album a fini par rester dans la bibliothèque du salon et on a fini par croire que la guerre lui avait foutu la paix… Mais il s’est mis à faire des cauchemars de plus en plus fréquents. Il en avait fait déjà beaucoup par le passé, mais ils se rapprochaient de plus en plus, tous les deux jours. Tous en rapport avec la guerre, avec Verdun. Le lendemain d’une nuit agitée, il était sombre, parlait à peine et passait son temps seul dans sa cave à faire de la reliure ou à fabriquer un groupe électrogène pour sa maison avec des batteries de voiture qu’il remettait en état. J’allais presque tous les jours chercher des friandises chez mes grands-parents au moment de goûter. Il trouvait sur les marchés des brisures de gâteaux secs, des raisins secs en grappe ! Bien plus gros que les « Corinthe » qu’on mettait dans les cakes, du chocolat avec ces raisins, etc… Mes grands-parents m’en donnaient beaucoup, j’étais gourmand.
Pendant la période des mauvais rêves, j’arrivais dans la grande cuisine où ma grand-mère était seule et bien triste. Elle me disait : « Il a encore rêvé cette nuit, il est dans la cave… »

Image

Je savais ce que ça voulait dire. Je descendais le retrouver et lui qui avait pour coutume de tapoter sa joue avec son index pour me signifier de lui faire le bisou de bonjour dès qu’il me voyait, ne disait rien. Puis il commençait à parler en faisant semblant de m’ignorer, c’étaient toujours des consignes pour l’aider à réaliser le bricolage en cours, si c’était de la reliure, il disait : « Le mieux serait que les deux serre-joints soient posés en même temps. » Je prenais le second serre-joint et l’installais en suivant ses gestes. Il ajoutait : « On va mettre de la colle du Faubourg (une colle à bois qu’il était le seul à savoir utiliser pour presque tout) c’est de la bonne colle, et on laissera sécher. » Ca durait vraisemblablement une petite heure, j’avais entre huit et dix ans et parfois, il me semblait que ça durait bien plus longtemps que ça. Tout doucement, il se déridait, il parlait plus fort, finissait par me regarder et s’adresser directement à moi : « Quand tu seras grand, tu sauras relier tes livres toi-même, ‘pas, mon fi’. » Je savais que c’était définitivement gagné quand il se tapotait la joue de l’index en disant : « Mais… J’ai pas eu mon bisou, aujourd’hui ! » Je l’embrassais et il concluait : « On a assez bricolé pour cette fois, on va goûter, j’ai trouvé des raisins secs comme tu aimes, encore plus gros, ils ont des pépins ! Après, on écoutera de la musique !» On laissait tous les outils en vrac sur la table de reliure mais on n’oubliait jamais de reboucher la colle du faubourg « une bonne colle comme ça, faut pas la laisser sécher dans le pot ».

Image

On remontait dans la cuisine où ma grand-mère était ravie de voir son mari revenir avec une tête bien plus avenante qu’au début de la journée. On goûtait un peu trop de bonnes choses et bien repus, on allait dans le salon. Je connaissais la procédure par cœur : je sortais l’électrophone de dessous la télé et l’installais sur la table du salon pendant que mon grand-père choisissait les disques qu’on allait écouter. Que de la musique « légère », peut-être un ou deux airs de Carmen, mai sinon, de l’opérette et encore de l’opérette.

Image

La fille du régiment, Ciboulette, Le pays du sourire, Véronique… On « poussait l’escarpolette », on « aimait bien les dindons » et on écoutait Sou Chong « donner son cœur » ou « prendre le thé à deux ».
Au milieu de la séance, ma grand-mère nous rejoignait. Elle retirait son tablier de cuisine qu’elle pliait soigneusement sur la table à côté des disques « parce qu’on n’écoute pas de la belle musique habillée en bonniche » et, en contemplant son mari diriger un orchestre imaginaire, danser seul les yeux fermés et chanter à tue-tête les airs qu’il connaissait par cœur, elle m’adressait des œillades reconnaissantes. Elle qui ne concevait pas une séance d’écoute sans ses disques préférés (Tom Pilibi, les roses blanches, le père la victoire, etc…) ne demandait rien tant elle était soulagée de voir son homme revenu parmi les vivants.
Parfois, il sortait son violon et nous jouait quelques airs. Quand il jouait « je t’ai donné mon cœur » en regardant ma grand-mère dans les yeux, elle baissait la tête et n’osait le regarder que par-dessus ses lunettes. Dans ma tête de gamin, je ne comprenais pas qu’on puisse faire faire la guerre à quelqu’un qui joue du violon… Ces fois-là, les cauchemars mettaient souvent quelques jours de plus à revenir, c’était toujours ça de gagné.

Image

Je n’étais pas certain de m’adapter à cette nouvelle maison. J’étais inquiet de devoir dormir seul dans une chambre, ayant des souvenirs de trouilles nocturnes dans l’ancienne où pourtant la présence de ma sœur me rassurait. Je décidais de me tester un soir en fermant ma porte et en éteignant la lumière immédiatement après m’être couché. Je pensais que j’allais paniquer mais il n’en fut rien. Au contraire ! Je me sentais chez moi. Bien entendu, j’étais chez moi dans l’appartement familial qu’il soit grand ou petit, mais je me sentais chez moi dans ma chambre et non plus « chez nous ». Cet endroit devenait mon endroit. Il n’était pas forcément toujours rassurant mais suffisamment excitant pour que la peur, si elle venait à se manifester, soit reléguée au second plan. Je me mettais à rêver tout éveillé comme je ne l’avais jamais fait. Comme si avant, une personne présente dans la même pièce que moi pouvait lire dans mes pensées. Ma porte fermée empêchait toute fuite cérébrale. Et c’était génial ! Je manifestais bruyamment ma désapprobation quand on m’envoyait me coucher trop tôt à cause de la présence du carré blanc sur l’écran de de la télé mais je jubilais intérieurement d’avoir tout ce temps pour rêver seul et lire.

Image

J’avais presque tous les livres écrits par Enid Blyton. Ceux que je ne possédais pas, je les avais trouvés dans la bibliothèque de classe. J’avais pensé écrire à ce monsieur Enid Blyton pour lui demander de se dépêcher d’écrire d’autres livres car j’avais lu tous ceux qui étaient déjà parus mais son adresse ne figurait nulle part sur ses ouvrages. Ma maîtresse de CE2 m’avait détrompé et dit que c’était une femme anglaise, ce qui me laissait perplexe : Comment pouvait-elle s’appeler Enid ? Et Blyton ? Il me fallait trouver d’autres livres mais dans la bibliothèque rose, rien d’autre ne me plaisait. J’avais lu « Une panthère au biberon », « Cricketto de Napoli », etc.

Image

C’était bien, mais je ne retrouvais pas l’ambiance des Club des 5, Clan des 7 et Mystères que j’adorais.

Image

Sans nouveau Blyton, la bibliothèque rose perdait tout son intérêt. Dans l’armoire qui servait de bibliothèque à mon CM1, il y avait beaucoup de vieux livres de la bibliothèque verte. Ils avaient peu de succès, trop longs, écrits trop petits, pour des enfants plus vieux que nous… Mais à la maison de la presse, j’avais vu un livre d’une certaine Caroline Quine. Caroline, c’était bien une femme, comme Enid Blyton, et quel beau prénom ! Avec une héroïne nommée Alice, il y aura forcément des filles, au moins une, dans ses histoires. S’il n’y a pas de fille en classe, il faut qu’il y en ait au moins dans les livres, non ? Parce que, soit dit en passant, cette histoire d’école non mixte, je l’ai toujours en travers de la gorge. Je n’en dis rien, tout le monde semble trouver ça normal mais ça n’est toujours pas passé. De plus ce nom, Quine, sonnait anglais, comme Blyton. La bibliothèque verte était faite pour des gens plus vieux que moi, mais quelle importance ? Ce n’était pas la première fois que je lisais des choses qui ne m’étaient pas destinées.
Je me suis mis à lire les aventures d’Alice Roy aussi avidement que celles du Club des 5. Et à chaque nouvelle histoire, je devenais de plus en plus amoureux de l’héroïne. Avec en plus un petit penchant pour sa copine Marion dont le caractère sensible et le prénom me donnaient des frissons.
Pour ne pas attirer l’attention sur mon plaisir, que je trouvais coupable, de lire ces livres, je les disséminais un peu partout dans ma chambre et je ne m’autorisais à les regrouper que lorsque j’étais seul, porte fermée, pour les contempler tous ensemble. Je me trouvais bizarre d’aimer une personne qui n’existe pas mais s’il y avait eu des filles dans ma classe, certaines, voire toutes, auraient facilement remplacé la jeune détective intrépide.

Image

Je suis dans le bon CM1 : monsieur Comode ne frappe jamais. L’autre instit de CM1, monsieur Roffe, cogne fort. Baffes et coups de règle sont quotidiens. Toute l’école le craint presque autant que le dirlo. C’est Roffe qui part en classe de neige. Il emmène avec lui tous les CM1 dont les parents sont d’accord pour envoyer leur fils. Quand je rapporte les papiers à la maison, mes parents sont catégoriques : C’est trop cher pour nous. Avec le déménagement et les nouveaux meubles qu’il a fallu acheter, ils sont à sec. Je resterai ici. Tant mieux ! Je ne me voyais partir loin avec cette brute pour y faire des sports d’hiver qui ne me tentent pas un instant. A part les boules de neige, bien entendu. La classe des fauchés qui reste sur place est plutôt sympa. Nous nous connaissons tous depuis le CP et Comode tente de nous mettre dans une ambiance qui compense notre privation de voyage. Nous apprenons plusieurs chants de Noël et les activités de l’après-midi sont plus détendues qu’à l’accoutumée. Nous pouvons faire des jeux comme la course au démontage et remontage de l’écorché en plâtre en nommant tous ses organes à chaque fois que nous les manipulons. Quand les skieurs reviennent tout fiers avec leurs étoiles à la boutonnière, nos étoiles à nous sont dans nos yeux.

Image

Dans ma classe, les copains sont sympas, mon pote Alain est de la partie. Avec cette habitude étrange qu’ont les enseignants de panacher les classes à chaque changement de niveau, il est dans la même classe que moi un an sur deux. Son nom de famille commence par un A. Tous les appels journaliers commencent par lui. Par hasard, dans la cour, nous nous retrouvons à être les cinq premiers de la liste alphabétique. Ca nous amuse. Nous nous cherchons d’autres points communs et nous nous trouvons un intérêt pour les petites voitures. J’ai le malheur de dire :
- La 404, c’est le Père Noël qui me l’a apportée.

Image

Ils éclatent tous de rire.
- Quand ça ?
- Au dernier Noël, je l’ai eue avec la R16.
- Et c’est le Père Noël (re rires nourris) qui te l’a apportée ?
- Oui, avec la R16…
- Le Père Noël ?!
Et je comprends ce qui les fait rire. Je le savais… Depuis le Noël du CP. Quand mes grands-parents avaient mis un mot manuscrit à côté de la machine à écrire pour enfants posée sous leur sapin : « Les enfants ne doivent pas se disputer et jouer avec cette machine 5 minutes chacun leur tour ». J’avais reconnu l’écriture de ma grand-mère mais les dénégations des adultes étaient si virulentes que je m’étais dit que le mot était bien écrit par ma grand-mère, complice avec son mari et mes parents, mais que la machine venait bien du Père Noël. Ma foi en le vieux bonhomme rouge était ébranlée mais les mensonges des adultes continuaient. La vérité est que je ne voulais pas cesser d’y croire. J’ai l’air très con devant mes copains qui se marrent mais ce n’est pas catastrophique, ils sont gentils :
- Ben merde ! T’es tout l’temps l’premier et tu crois encore au Père Noël au CM1 !
- Non… J’y crois plus… Plus maintenant.
- On a bien fait d’en parler ! T’aurais eu l’air con devant les autres !
- Oui…
- Ca me console de pas être premier ! J’suis pas premier mais je ne crois plus au Père Noël depuis le CP, au moins ! C’est pas grave, remarque, il faut bien que les premiers aient aussi quelque chose qui déconne, sinon, c’est pas juste.
Ces mecs sont chouettes. Au lieu de se payer ma tronche, ils compatissent et trouvent dans ma crédulité un peu bête une raison de plus de me considérer comme leur égal. J’ai de la chance.
J’en veux à mes parents d’avoir perpétré la mascarade aussi longtemps et en rentrant à la maison, je crie en direction de la cuisine où ils discutent :
- Je crois plus au Père Noël ! C’est pas la peine de me dire que c’est vrai, je sais tout !
Je vais tout révéler à ma sœur pour lui éviter la même honte que la mienne mais elle me répond :
- Enfin ! Je voulais pas te le dire mais j’y crois plus depuis l’année dernière, c’est mes copines qui me l’ont dit. T’aurais eu l’air idiot d’y croire encore au CM2 !
Elle est gentille aussi. Elle ne se moque pas de son grand frère, qui est plus grand que tout le monde, qui ouvre sa bouche haut et fort pour parler avec n’importe quel adulte, qui est toujours premier en classe et qui se voit comme fiancé d’une jeune fille, certes fictive, mais qui conduit sa propre voiture.

Image

Mais ce grand andouille croit encore au Père Noël en CM1 ! Ma sœur a le même sourire attendri que mes parents et la même compréhension que mes copains. J’ai honte ! Je suis vraiment trop con. Je ne mérite pas tous ces gens gentils autour de moi.

Image

Je ne les mérite pas mais j’en profite car l’ambiance très « garçon » a encore monté d’un cran avec le cours moyen. L’école en est en grande partie responsable. Jusqu’au CE2, ce sont des maîtresses qui nous font la classe. A partir du CM1, il n’y a plus que des maîtres. Les trois premières années, on faisait un peu de gym mollement de temps en temps. Depuis le début de cette année, nous allons au stade régulièrement. Le maître aurait tort de s’en priver et de nous en priver, l’enthousiasme que nous manifestons, moi y compris, est tel qu’il ne peut pas se douter un instant que certains d’entre nous, moi en particulier, détestent la gym. Je préfère de loin les fins de journées en classe ou le soleil descend et où nous pouvons revoir nos leçons pour ne rien avoir à faire à la maison. Comme les révisions sont très rapides pour moi, je peux regarder le ciel à travers les fenêtres sales et les objets hétéroclites couverts de poussière posés depuis des années sur le haut des armoires. Si je me laissais aller, je pourrais même faire un petit somme avant la sortie. Mais je simule une joie extrême pour faire comme les copains. Le maître nous a dit que le corps humain est fait en grande partie d’eau. Pour mon corps humain à moi, c’est l’évidence : je transpire tellement au bout de quelques minutes d’agitation que le doute n’est pas possible. Mais pour une bonne partie de mes potes, ce n’est pas évident. Ils peuvent courir, sauter et de démener comme des beaux diables sans émettre la moindre goutte de sueur. Je finis invariablement en nage après chaque séance, les fringues trempées avec des frissons dès qu’une simple brise se lève. Une fois sec, je pue. Un délice. Je ne suis pas nul en gym mais j’ai horreur de ça. Ma détestation est à son comble quand vient la fin de la séance où nous avons droit à ce qui est considéré comme une récompense : le relais par équipes ou le mini match de foot. Les deux meilleurs en gym choisissent un par un les élèves qui constitueront leur équipe. Pour les relais, je ne suis pas choisi dans les premiers mais je me débrouille pas trop mal en course et ce n’est pas moi qui fait perdre mon groupe. Mais pour le foot… Je trouve ce sport si pénible que j’ai du mal à simuler même une légère envie d’y jouer. Si encore on y jouait vraiment, ce serait très monotone : on court dans un sens, puis dans l’autre, puis dans l’autre sens, puis dans l’autre… Ah ! Un but ? Non ! et on repart. Le ballon sort du terrain, c’est le seul évènement où on a le droit de se servir de ses mains ! Ce serait donc monotone mais sans histoire. Mais il faut qu’il y ait des dizaines de discussions à n’en plus finir :
- Ya pas but, t’étais hors jeu !
- Hein ? Redis ça pour voir ! Tu connais rien aux règles !
- Et pis yavait main juste avant !
- Oh lui ! C’était une main involontaire, ça compte pas !
- Si ça compte ! Lens, ils ont perdu sur une main involontaire !
- Alors ya pénalty. Au moins. Une main, c’est pénalty !
- Dans la surface, OK ! Mais là c’est pas dans la surface !
- Si c’est dans la surface ! Là, elle est pas tracée mais si elle était tracée, yaurait pénalty.
Même le maître renonce à intervenir. D’ailleurs, les discussions durent jusqu’à la sortie car les deux équipes revendiquent la victoire :
- Si on avait compté le but refusé pour main et si l’action avait continué à partir du faux hors-jeu, ça nous faisait 3 à 2, donc on a gagné !
- Nan ! C’est 2 à 1, le score final, vous avez paumé ! T’as tiré le maillot de Fanion, si ça avait été sifflé, t’aurais pas pu marquer !
Heureusement que monsieur Comode nous fait écouter de la musique et chanter. J’ai l’impression que ça plaît à tout le monde mais comment en être certain puisque je feins mon enthousiasme pour le sport ? D’autres peuvent très bien simuler un amour de la musique. Il nous apprend des chansons et met parfois son poste de radio pour que nous écoutions la radio scolaire. Ce n’est pas la musique énervée que j’aime écouter dans le transistor de ma mère mais c’est très bien quand même. On peut presque être certain que tous les élèves de ma classe aiment le refrain du « Roi de Sardaigne » tant nous le chantons pratiquement en riant : « Ran tan plan, par derrière, ran tan plan, par devant ! »

Image
Il met aussi sa radio sur une chaise en ouvrant la porte de communication avec le CM2 certains samedis après-midi. Nous écoutons le tournoi des cinq nations de rugby. Nous attendons le moment où Roger Couderc dira : « Allez les petits ! » et bien que nous ignorions quasiment tous ce qu’est un demi d’ouverture ou un « renvoi aux 22 » nous avons le droit de manifester notre joie quand l’équipe de France marque un essai.

Image

Nous apprenons des poésies et devons les réciter en mettant le ton. Je me débrouille pas mal à cet exercice. Mon préféré, c’est « Le dormeur du val ». J’ai la sensation d’une caméra qui zoome lentement sur un endroit paisible et beau pour y trouver le comble de l’horreur, un soldat mort au combat. Je trouve que ce poème est un exemple de diatribe rusée contre la guerre. La monstruosité imposée, bien entendu aux victimes mais aussi aux survivants, mon grand-père en est un exemple, trouve son expression dans ces « deux trous rouges au côté droit » qui gâchent tout ce qui est beau.
Image

Les autres poésies me semblent bien futiles par rapport à celle-ci. Le maître me prête un livre où il y a des poèmes de l’auteur du « Dormeur du val » mais ils ne m’intéressent pas. Et ce droit qu’ont les poètes d’écrire des trucs qui nous sont interdits m’exaspère. Mon père me l’explique, c’est la licence poétique. J’essaye de la déceler dans des œuvres que je connais. Dans la chanson « Que serais-je sans toi ? » de Jean Ferrat, dont mon père me dit que c’est un poème d’Aragon mis en musique, j’en décèle une énorme. Je comprends presque tout :
« Que serais-je sans toi qu’un cœur au bois dormant » Facile : son cœur dort comme la Belle au Bois dormant, donc sans « toi » il ne serait pas amoureux.
« Que cette heure arrêtée au cadran de ma montre » facile aussi : si l’heure n’avance plus, il se sent comme s’il n’était plus vivant, donc plus amoureux.
« Que serais-je sans toi que ce bal du ciment » Là, au début, je ne pige pas. Mais je réfléchis. Mon père m’a dit que Ferrat était « coco », tout comme Aragon. Coco veut dire communiste, des gens qui sont pour l’égalité et les ouvriers. Le « bal du ciment », c’est certainement le bal des ouvriers du bâtiment. Ils ont appelé leur bal ainsi pour faire un effet rigolo. Jean Ferrat va au bal des ouvriers du bâtiment car il est communiste, c’est normal. Mais s’il n’avait pas connu celle qu’il aime, il serait tout seul pour danser. Donc, sa phrase veut dire : « Que serais-je sans toi que ce gars seul et triste au bal du ciment » Sa licence poétique lui permet de supprimer toute une partie de sa phrase. Ils font chier, les poètes ! C’est marrant de chercher le sens caché de ce qu’ils écrivent mais malgré tout, je n’aime pas les gens qui ont le droit de faire des trucs que tous les autres n’ont pas le droit de faire. Aragon et Ferrat, si en plus ils sont pour l’égalité, ne devraient pas utiliser de licence poétique, c’est pas bien. C’est pas l’égalité ! Mais j’aime bien cette chanson quand même. La mélodie est belle et c’est une chanson d’amour et j’aime bien les chansons d’amour. Quand on est amoureux, il me semble qu’on ne doit pas avoir envie de faire la guerre et ça, c’est encore plus important que la licence poétique.
Image

Comme j’ai accepté de ne pas avoir de papier peint dans ma chambre pour le moment pour permettre à ma sœur d’en avoir un beau dans la sienne, j’ai droit à un cadeau qui me fait bien plus plaisir. Trois stylos d’un nouveau genre : des stylos feutres ! Ils tracent des couleurs vives, presque comme de la peinture ou de l’encre. Je les utilise dans mon cahier de poésies pour peaufiner le dessin du poème « Le dormeur du val » que j’avais bien de la peine à finir. Je ne le trouvais pas à la hauteur du texte. Je voulais dessiner un soldat qui ressemble à un des camarades de mon grand-père, mort pendant la bataille de Verdun. Je n’y suis pas vraiment arrivé mais j’ai utilisé mes stylos neufs pour la première fois sur ce dessin et je trouve que c’est un hommage qui aurait peut-être plu à ce pauvre soldat. Je prête mes feutres avec parcimonie et les économise. J’en suis fier, nous sommes très peu à en posséder. Pour l’instant, le libraire n’a que trois couleurs : Bleu, vert et noir. Il assure que d’autres couleurs viendront un jour et je me promets de toutes les acheter.

Image

Cette absence de papier peint m’arrange. J’ai le droit de mettre des images sur mes murs. Ma mère a défait les derniers cartons du déménagement et j’y ai retrouvé mes fiches d’artistes de Télé-Magazine. Je me rends compte d’une chose qui ne m’avait pas sauté aux yeux jusque là et qui explique en partie la tendresse que j’ai pour les fiches représentant Nancy Holloway : elle a un peu le même sourire que Julie Sanda ! Je ne ressens pas le besoin d’afficher les autres artistes mais je les punaise toutes et tous pour ne pas attirer l’attention sur ma préférée. Elle est en bonne place, je peux la voir en m’endormant, mais elle ne semble pas mise en valeur plus que les autres. Je ne veux pas qu’on me charrie ou qu’on ait des phrases qui me gâchent mon plaisir. Tout ce que j’aime vraiment est caché. Ma chambre devient un bordel indescriptible où les choses que j’aime côtoient innocemment des choses insignifiantes.
Image

En voyant mon souk, personne ne peut dire que j’adore lire les aventures d’Alice détective ou que le sourire de Nancy Holloway me rend soluble. Quant à la musique, j’aime tellement ça que je n’ose même pas en posséder. Ma sœur a un électrophone et des disques mais je n’ai rien de tout ça. Un jour, peut-être…

Quelques jours avant la fin de l’année, nous faisons une sortie en car à la piscine de Villennes-sur-Seine.

Image

Nous sommes tous excités à l’idée de passer une journée dans un lieu qu’on nous a décrit comme le bord de la mer. C’est agréable une bonne heure mais très vite je me sens mal. Il fait très chaud et j’ai l’impression d’avoir de la fièvre. Je fais bonne figure mais j’ai des difficultés à respirer. Il faut marcher assez longtemps pour retrouver le car, la base de loisirs est sur une ile de la Seine, et je me dis que je n’y arriverai pas mais je rejoins quand même le parking. Dans le car, je fais semblant de dormir, certains de mes camarades dorment pour de bon. Je ne veux pas gâcher la fête, tout le monde semble si heureux. Arrivé à l’école, je prends le chemin de la maison mais j’ai de plus en plus de difficultés à respirer. J’ai la tête qui tourne et des douleurs fortes dans la poitrine. J’étouffe. Je me mets à pleurer tout en continuant à marcher. Des passants me demandent ce qui ne va pas mais je ne peux plus parler. Je n’ai aucune idée de ce qui m’arrive et je finis par penser que je vais mourir. Je ne peux plus avancer, je vais pour me plier en deux pour tenter de moins souffrir et je tombe dans les pommes sur le trottoir à quelques centaines de mètres de chez moi. Je me réveille une minute plus tard au même endroit. La douleur est toujours là et je ne respire pas mieux. Un grand mec que je connais de vue qui passe par là m’installe sur le porte bagages de son Solex et me ramène à la maison.

Le docteur arrive peu de temps après. Son diagnostic est très clair : insolation sévère. En baissant la voix, il dit à ma mère affolée que j’aurais pu y rester ce qui ne la rassure pas. J’ai tout entendu. Quand je suis tombé dans les pommes, j’ai bien eu l’impression de mourir. Mais il n’en est rien même si je suis mal en point. Je me remets physiquement les jours suivants mais je suis traumatisé. Ma mère dit que « je me frappe », quelle expression ridicule, je ne frappe personne, même pas moi. Après plusieurs jours de vie au ralenti à me sentir faiblard et à me demander si ça ne va pas recommencer, je regarde ma mère repasser des mouchoirs. J’ai envie de le faire à sa place. En temps normal, elle ne m’aurait jamais laissé toucher à son fer à repasser mais c’est la seule envie que je manifeste depuis ma perte de connaissance alors elle me cède sa place volontiers. Je refais ses gestes avec un, puis deux, puis tous les mouchoirs propres. A la fin de la pile, je suis guéri.

Je peux retourner en classe pour les deux derniers jours. Je reçois mon prix d’excellence, Moby Dick illustré. Je n’ai pas choisi ce livre, je me fiche complètement de la mer et des baleines, j’ai suivi les conseils du maître et j’ai pris celui-là pour lui faire plaisir, pour le remercier de la bonne année passée même si la fin a été chaotique.

ImageImage

Il me prédit de grandes études. Je ne lui dis pas que ça ne m’intéresse pas, que je veux être musicien.

Je peux perpétuer la tradition de dernier jour qui n’a qu’un an mais à laquelle Christian et moi tenons car nous l’avons inventée : jouer pour la première fois avec une voiture miniature neuve en classe. Comme les maîtresses et les maîtres ne savent pas faire une belle fin d’année, il faut bien que nous le fassions nous-mêmes.

Image
Modifié en dernier par dark pink le ven. 13 mai 2022 11:26, modifié 2 fois.

Avatar du membre
whereisbrian
Membre VIP
Membre VIP
Messages : 4478
Enregistré le : mar. 30 juil. 2019 17:58
Localisation : BZH

Re: Les années 60 en immersion.

Message par whereisbrian » sam. 24 avr. 2021 10:38

Magnifique !
Tu m'as fait penser à mon grand-père, décédé quand j'avais 10 ans.
Une armoire, j'ai le souvenir de sa barbe qui piquait.
Il a aussi fait la première guerre mondiale et a été gazé à Verdun et ensuite envoyé sur la campagne des Dardanelles et en Syrie.
(cf Capitaine Conan). Il était infirmier. J'ai une copie de son livret militaire quelque part.
Il est rentré en 1920 démobilisé après une blessure.
Un type très gentil: il était petit épicier et faisait crédit à tout le monde, crédit qu'il réclamait rarement.

Avatar du membre
bushi
Super contributeur
Super contributeur
Messages : 673
Enregistré le : mer. 31 juil. 2019 09:38
Localisation : Paris 18 - et Morbihan

Re: Les années 60 en immersion.

Message par bushi » dim. 25 avr. 2021 10:24

Superbe, comme d'habitude.

Merci :)
Il ne faut pas confondre profond attachement et haute fidelité - Franquin

Avatar du membre
Punker paname
Membre VIP
Membre VIP
Messages : 5623
Enregistré le : dim. 6 sept. 2020 21:53
Localisation : Planete terre

Re: Les années 60 en immersion.

Message par Punker paname » lun. 26 avr. 2021 09:49

Pareil très bien ton nouveau texte Dark Pink
1965-66, CM1, Classe de Monsieur Comode.
Je suppose qu'avec un nom pareil , ça devait y aller les blagues pendant les Récrés :) :cote:
Joyeux Mondialiste Droit de l'Hommiste et Internationaliste convaincu, amateur d'étrangetés Vinyliques tournant en 33 et 45 tours en provenance des quatre coins de la planète et des 7 continents

Avatar du membre
dark pink
Membre VIP
Membre VIP
Messages : 1849
Enregistré le : mar. 30 juil. 2019 18:56
Localisation : Zombie Zoo

Re: Les années 60 en immersion.

Message par dark pink » lun. 26 avr. 2021 11:26

Merci les mecs pour vos avis et souvenirs :chapozzz:

Punker, les noms et prénoms ne sont pas les vrais ;) Ce sont les seules inventions de mes textes, c'est pour leur garder une sorte d'anonymat. C'est marrant de leur trouver un nom qui leur va bien :)

J'ai plus que le CM2 et j'ai fini. Mais le CM2, c'est sérieux :hehe:

Avatar du membre
Punker paname
Membre VIP
Membre VIP
Messages : 5623
Enregistré le : dim. 6 sept. 2020 21:53
Localisation : Planete terre

Re: Les années 60 en immersion.

Message par Punker paname » lun. 26 avr. 2021 14:28

J'ai plus que le CM2 et j'ai fini. Mais le CM2, c'est sérieux
Ha non j’espère que tu va nous faire des textes sur tes années After CM2, de la sixième à la troisième quand on met les pied dans "la grande école" :cote: :)
Joyeux Mondialiste Droit de l'Hommiste et Internationaliste convaincu, amateur d'étrangetés Vinyliques tournant en 33 et 45 tours en provenance des quatre coins de la planète et des 7 continents

Avatar du membre
dark pink
Membre VIP
Membre VIP
Messages : 1849
Enregistré le : mar. 30 juil. 2019 18:56
Localisation : Zombie Zoo

Re: Les années 60 en immersion.

Message par dark pink » lun. 26 avr. 2021 14:39

C'est déjà fait dans ce sujet pour 6ème et 5ème. Tu as le récapitulatif dans le 1er message.

Et dans cet autre sujet pour la 4ème :

Année scolaire 1969/1970. Classe de quatrième.

Feuilleton en 10 épisodes : viewtopic.php?f=41&t=781

;)

Avatar du membre
Punker paname
Membre VIP
Membre VIP
Messages : 5623
Enregistré le : dim. 6 sept. 2020 21:53
Localisation : Planete terre

Re: Les années 60 en immersion.

Message par Punker paname » lun. 26 avr. 2021 16:42

C'est déjà fait dans ce sujet pour 6ème et 5ème. Tu as le récapitulatif dans le 1er message.
ha mince je fatigue moi :gene3: :gene3: :gene3:

Il faudrait couvrir tes "Grande classes" seconde, première, terminale celles des grandes et des grands comme ça se disait dans la fin des années 70

Pour ma part elles furent très chaotiques et dissolues :siffle: :siffle: :siffle: , J'ai du traumatiser une génération de profs par ma Cancritude, pas que j'aie été un fouteur de binz ou un "chahuteur" ni posé des problèmes de "discipline", comme il disaient dans leurs carnets de notes à embrouilles avec les parents :hehe: , simplement qu'a l'époque je ne me sentait vraiment pas à ma place en littéraire "classique" , j'aurais été plus à ma place en section A Artistique et dessin mais mes darons étaient contre et il n'y avait qu'un seul lycée qui le faisait à paris en 75 - 77
Joyeux Mondialiste Droit de l'Hommiste et Internationaliste convaincu, amateur d'étrangetés Vinyliques tournant en 33 et 45 tours en provenance des quatre coins de la planète et des 7 continents

Avatar du membre
dark pink
Membre VIP
Membre VIP
Messages : 1849
Enregistré le : mar. 30 juil. 2019 18:56
Localisation : Zombie Zoo

Re: Les années 60 en immersion.

Message par dark pink » dim. 2 mai 2021 08:10

Merci Wheriz, Bushi et Punker :alcool1:
Bien sûr, Punker, que les années "ado" ont une saveur particulière pour tout le monde, pour les amateurs de rock et les autres, c'est d'ailleurs par ça que j'ai commencé, c'est déjà écrit depuis un bon bout de temps. Mais ça fait cent trente chapitres :hehe: répartis entre quatre "tomes", chacun pour une année scolaire. Ni la durée ni le contenu ne sont adaptés à un forum. Je vais peut-être mettre ça dans un truc genre blog, on verra...

Avatar du membre
Monsieur-Hulot
Membre VIP
Membre VIP
Messages : 5390
Enregistré le : mer. 31 juil. 2019 06:40
Localisation : Third Stone From The Sun

Re: Les années 60 en immersion.

Message par Monsieur-Hulot » dim. 2 mai 2021 09:04

:confusezzz: putain !!! :chapozzz:
FILLES & MOTEURS, JOIES & DOULEURS.

Avatar du membre
Danzik
Membre VIP
Membre VIP
Messages : 4981
Enregistré le : mar. 30 juil. 2019 18:17
Localisation : Zanzibar

Re: Les années 60 en immersion.

Message par Danzik » dim. 2 mai 2021 10:24

Tu as évoqué le sujet principal des ados... l’acné ? :ghee: ::d
Le Grand Bazar Vinylique : pleins de 45 tours EP & SP avec de vrais morceaux de vinyles dedans !
Citation : "Elle est pas électrique ta guitare... c'est une vieille, elle est encore à vapeur" Dupont et Pondu (1964)

C.V. (archives2) : ICI

Répondre