Les années 60 en immersion.

Pour y papoter, parler de ce que vous écoutez en ce moment, délirer, s'amuser...
Répondre
Avatar du membre
dark pink
Membre VIP
Membre VIP
Messages : 1841
Enregistré le : mar. 30 juil. 2019 18:56
Localisation : Zombie Zoo

Les années 60 en immersion.

Message par dark pink » dim. 13 oct. 2019 19:19

Je remanie cette première page pour rendre la lecture plus simple et je la mettrai à jour au fur et à mesure de la présence de nouveaux textes :

1961/1962 - Terminale de Maternelle - Classe de Mademoiselle Simone.

Page 4 de ce sujet, en bas de la page : viewtopic.php?f=41&t=259&start=60

1962/1963 - C.P. - Classe de Madame Boulet.

Page 5 de ce sujet, au milieu de la page : viewtopic.php?f=41&t=259&start=80

1963-64, CE1, classe de Madame Debas.

Page 6 de ce sujet, au milieu de la page : viewtopic.php?f=41&t=259&start=100

1964-65, CE2, classe de Madame Bérard.

Page 6 de ce sujet, en bas de page : viewtopic.php?f=41&t=259&p=66872#p66872

1965-66, CM1, Classe de Monsieur Comode.

Page 8 de ce sujet, en milieu de page : viewtopic.php?f=41&t=259&p=68842#p68842

Année scolaire 1966-67, CM2, classe de Monsieur Crosais.

Page 9 de ce sujet : viewtopic.php?f=41&t=259&p=70664#p70664

Année scolaire 1967 - 1968. Classe de sixième.

Au bas de cette page : viewtopic.php?f=41&t=259

Année scolaire 1968 - 1969. Classe de cinquième.

Page 2 de ce sujet, au milieu de la page : viewtopic.php?f=41&t=259&start=20

Année scolaire 1969/1970. Classe de quatrième.

Feuilleton en 10 épisodes : viewtopic.php?f=41&t=781
Modifié en dernier par dark pink le mer. 12 mai 2021 17:13, modifié 10 fois.

Avatar du membre
whereisbrian
Membre VIP
Membre VIP
Messages : 4454
Enregistré le : mar. 30 juil. 2019 17:58
Localisation : BZH

Re: Les années 60 en immersion.

Message par whereisbrian » dim. 13 oct. 2019 19:23

Je lirai tranquille et c'est super, merci.

Avatar du membre
Algernon
Membre VIP
Membre VIP
Messages : 12103
Enregistré le : mar. 30 juil. 2019 17:36

Re: Les années 60 en immersion.

Message par Algernon » lun. 14 oct. 2019 08:49

Je ne suis pas trop vieux pour ces conneries.

Avatar du membre
Algernon
Membre VIP
Membre VIP
Messages : 12103
Enregistré le : mar. 30 juil. 2019 17:36

Re: Les années 60 en immersion.

Message par Algernon » lun. 14 oct. 2019 09:22

Comment ne pas penser au Petit Nicolas ?
Je retiens peu de choses de ma période dans le Primaire. Par contre, pour le collège, et dès la Sixième, mes souvenirs abondent.
Je ne suis pas trop vieux pour ces conneries.

Avatar du membre
Pablitta
Modérateur
Modérateur
Messages : 3750
Enregistré le : jeu. 15 août 2019 10:03

Re: Les années 60 en immersion.

Message par Pablitta » lun. 14 oct. 2019 09:25

Quel plaisir de te lire, Darkie (je suis toujours aussi impressionnée par ta mémoire).

Ce qui est frappant, et c'est le cas de le dire, c'est la violence des enseignants :confusezzz: .
Nous sommes grosso-modo de la même époque ( :vieuzzz: :pompom: ) mais je n'ai jamais vécu ça. Il faut dire que les classes n'étaient pas mixtes. C'est peut-être caractéristique d'une classe de garçons ?

Avatar du membre
Witchy
Administrateur du site
Administrateur du site
Messages : 885
Enregistré le : sam. 27 juil. 2019 15:42

Re: Les années 60 en immersion.

Message par Witchy » lun. 14 oct. 2019 11:27

Jolie plume ! Merci pour le partage de tes souvenirs.

Avatar du membre
Danzik
Membre VIP
Membre VIP
Messages : 4965
Enregistré le : mar. 30 juil. 2019 18:17
Localisation : Zanzibar

Re: Les années 60 en immersion.

Message par Danzik » lun. 14 oct. 2019 16:13

C'est plus une mémoire d'éléphant, c'est carrément le troupeau ! Trop fort ce Dark Pink :ghee:
Le Grand Bazar Vinylique : pleins de 45 tours EP & SP avec de vrais morceaux de vinyles dedans !
Citation : "Elle est pas électrique ta guitare... c'est une vieille, elle est encore à vapeur" Dupont et Pondu (1964)

C.V. (archives2) : ICI

Avatar du membre
dark pink
Membre VIP
Membre VIP
Messages : 1841
Enregistré le : mar. 30 juil. 2019 18:56
Localisation : Zombie Zoo

Re: Les années 60 en immersion.

Message par dark pink » lun. 14 oct. 2019 17:31

Merci, Mesdames et Messieurs :)

Ce qui m'impressionne moi, c'est que les gens oublient tout ça ! Des amis me racontent des passages de leurs vies et je m'en souviens. Ensuite, quand le leur rappelle ce qu'ils m'ont dit, certains ont oublié non seulement l'histoire originale mais aussi le fait qu'ils me l'ont racontée !!! C'est un sujet de rigolade dans mon entourage :hehe:

J'ai concentré les passages "polémiques" qui pouvaient alimenter le sujet "mieux/moins bien avant" mais je me souviens de tout le reste. J'y étais heureux, dans cette école. Je n'avais pas peur de me prendre des coups n'en ayant jamais pris un seul à la maison. Mais ce n'était pas rose pour tout le monde, loin de là.

Je peux même vous raconter mes deux années de maternelle, la cour des tout petits, la cour des "grands", l'endroit où on jouait au manège, les images en récompense, la menace du cabinet noir, les fruits exotiques qui allaient avec l'embryon de méthode de lecture, etc... Tiens, un blague qui avait bien fait rire mon père, à l'époque:

En terminale de maternelle, j'étais dans la classe de la directrice, Mademoiselle Simone. Elle avait souvent des stagiaires qui allaient par deux. J'avais surpris une conversation entre deux d'entre elles :
- Comment tu la trouves, cette classe ?
- Vraiment bien, la directrice est sympathique, les enfants réagissent. Tiens, regarde, lui (elle me désigne du doigt) il est intelligent et pourtant son père est policier !
Mon père était écroulé quand je lui ai raconté :hehe:

Mon école primaire n'était pas mixte, en effet, et ça devait concentrer l'agressivité. Dans l'école de filles attenante du même nom, ma petite sœur y apprenait des trucs qui feraient bondir les féministes : "position de maintien" = rester assise au carré, les mains sur la table, la tête haute, pendant 15 minutes à la fin de la journée car les filles ne doivent pas s'avachir, ça fait mauvais genre, etc...

Et il n'y a plus de hannetons, en effet. Ils détruisaient les récoltes, paraît-il ? Je me demande s'il en existe encore quelque part ?

Avatar du membre
nunu
Modérateur
Modérateur
Messages : 8798
Enregistré le : mar. 30 juil. 2019 17:47

Re: Les années 60 en immersion.

Message par nunu » lun. 14 oct. 2019 18:22

Franchement je suis beaucoup plus jeunes que toi et j'ai peu de souvenir du primaire et le peu que j'ai c'est des mauvais souvenirs (de l'école en général, on a jamais été tres pote)

Avatar du membre
Pablitta
Modérateur
Modérateur
Messages : 3750
Enregistré le : jeu. 15 août 2019 10:03

Re: Les années 60 en immersion.

Message par Pablitta » mar. 15 oct. 2019 13:03

dark pink a écrit :
lun. 14 oct. 2019 17:31
ma petite sœur y apprenait des trucs qui feraient bondir les féministes : "position de maintien" = rester assise au carré, les mains sur la table, la tête haute, pendant 15 minutes à la fin de la journée car les filles ne doivent pas s'avachir, ça fait mauvais genre, etc...
Mah non, ce sont de très bonnes recommandations. Un joli port de tête est élégant, en plus d'être très bénéfique pour le dos.
De nombreux garçons devraient d'ailleurs s'inspirer de ces conseils ... :cote:

Avatar du membre
dark pink
Membre VIP
Membre VIP
Messages : 1841
Enregistré le : mar. 30 juil. 2019 18:56
Localisation : Zombie Zoo

Re: Les années 60 en immersion.

Message par dark pink » mar. 15 oct. 2019 14:25

Ma frangine disait surtout que ça leur faisait mal au dos et que l'instit passait dans les rangs en les redressant comme si elles étaient des choses. C'était douloureux.

C'est un truc qui était vachement (un mot d'époque) moins bien avant : le primaire non mixte ! La topographie des lieux ne nous permettait de voir les filles qu'au loin dans un coin de la cour. Il n'y avait que les CM2 qui s'y autorisaient le stationnaire en virant les plus petits ce qui fait que les mecs ne se bousculaient pas pour y squatter. J'y étais souvent étant CM2. J'y voyais celle que j'appelais ma "poule". Elle me faisait des sourires l'air de rien. Le terme est d'époque, comme me disait un copain de caté : "Si tu m'dis c'est qui ta poule, j'te dis c'est qui la mienne" :hehe:. Tout ça pour se payer ma tronche en disant que lui n'aurait jamais de poule car il était un vrai mec et que j'étais une mauviette d'en désigner une. Inutile de dire qu'il a changé à l'adolescence. Il me semble que j'ai déjà raconté ça dans l'ancien forum :gratzzz:

Avatar du membre
Elwood
Membre VIP
Membre VIP
Messages : 236
Enregistré le : ven. 23 août 2019 19:58

Re: Les années 60 en immersion.

Message par Elwood » mer. 16 oct. 2019 14:55

En tant que prof (en lycée), ces souvenirs me font dire "c'était l'bon temps" ;) ::d ! combien de fois ai-je eu envie d'en mettre une à un(e) élève insolent(e) ou trop agité(e) !
Aujourd'hui, on voit aussi pas mal de cas où ce sont les élèves qui tabassent les profs....est-ce mieux ?

Avatar du membre
dark pink
Membre VIP
Membre VIP
Messages : 1841
Enregistré le : mar. 30 juil. 2019 18:56
Localisation : Zombie Zoo

Re: Les années 60 en immersion.

Message par dark pink » mer. 16 oct. 2019 15:28

:hehe: :hehe: :hehe:

On est bien d'accord, ce qui est déplorable c'est la violence, quelle que soit sa cible. Ce qui fait que je continue d'affirmer que c'était pas mieux avant et que c'est pas mieux maintenant.

Tiens, je vais vous raconter ma sixième dès que j'ai le temps. J'étais en Sixième en 67-68, ce qui veut dire que mai 68 est compris dedans. J'en ai pris dans la tronche l'année d'après. C'est la seule année où j'ai pas réussi à l'éviter, les autres étaient peinardes pour moi de ce point de vue. Et ça nous/vous changera de l'opposition Profs-élèves puisque j'ai eu maille à partir avec d'autres élèves, des troisième, des plus grands :]

Avatar du membre
Danzik
Membre VIP
Membre VIP
Messages : 4965
Enregistré le : mar. 30 juil. 2019 18:17
Localisation : Zanzibar

Re: Les années 60 en immersion.

Message par Danzik » mar. 29 sept. 2020 13:24

dark pink a écrit :
mer. 16 oct. 2019 15:28
:hehe: :hehe: :hehe:

On est bien d'accord, ce qui est déplorable c'est la violence, quelle que soit sa cible. Ce qui fait que je continue d'affirmer que c'était pas mieux avant et que c'est pas mieux maintenant.

Tiens, je vais vous raconter ma sixième dès que j'ai le temps. J'étais en Sixième en 67-68, ce qui veut dire que mai 68 est compris dedans. J'en ai pris dans la tronche l'année d'après. C'est la seule année où j'ai pas réussi à l'éviter, les autres étaient peinardes pour moi de ce point de vue. Et ça nous/vous changera de l'opposition Profs-élèves puisque j'ai eu maille à partir avec d'autres élèves, des troisième, des plus grands :]

C'est quand tu veux... ? :)
Le Grand Bazar Vinylique : pleins de 45 tours EP & SP avec de vrais morceaux de vinyles dedans !
Citation : "Elle est pas électrique ta guitare... c'est une vieille, elle est encore à vapeur" Dupont et Pondu (1964)

C.V. (archives2) : ICI

Avatar du membre
Cooltrane
Membre VIP
Membre VIP
Messages : 2673
Enregistré le : mer. 31 juil. 2019 14:18
Localisation : La Cambre

Re: Les années 60 en immersion.

Message par Cooltrane » mer. 30 sept. 2020 08:03

Algernon a écrit :
lun. 14 oct. 2019 09:22
Comment ne pas penser au Petit Nicolas ?
Je retiens peu de choses de ma période dans le Primaire. Par contre, pour le collège, et dès la Sixième, mes souvenirs abondent.
Perso, mes souvenirs de gardiennes/maternelles sont peu nombreux mais assez vivaces/marquants (y compris la série des trois fessées de la prof de 3è, Mme Salope Jeangille) et j'ai plein de souvenirs de chacun de mes profs en primaire/fondamental non-mixte aussi, y compris le coup de baguette au cul pour rébellion généralisée de la classe en 4è, école catho oblige. Bon, je suis plus jeunes de qqes années que Dark Pink, du coup, la plupart des mes premières années scolaires sont post-68-ardes.

Perso, si c'est vrai que je me souviens des qqes violences des profs (pas juste contre moi, qui n'en ai pas reçu plus que la moyenne), c'était rarement gratuit (souvent +/- justifié, même)... et à voir le niveau de vie moyen des anciens élèves de cette école (ma classe et celles de mes frères), je dirais que ce fut "la bonne école". Car quand on se ramassait une punition corporelle, nos parents étaient avertis et on s'en ramassait une du daron en prime. La bonne époque, quoi!! :pompom: :mdr2:

Peu de violence physique entre élèves/camarades, mais j'ai du intervenir plusieurs fois dans la cour de récré pour protéger mon frère qui faisait chier des plus grands.

Ajd, c'est les petits merdeux qui foutent une trempe au prof, puis leurs parents qui viennent en leur foutre une deuxième. Et puis on s'étonne que l'école ne vaut plus rien. :siffle:

Avatar du membre
dark pink
Membre VIP
Membre VIP
Messages : 1841
Enregistré le : mar. 30 juil. 2019 18:56
Localisation : Zombie Zoo

Re: Les années 60 en immersion.

Message par dark pink » mer. 30 sept. 2020 12:36

Merci Danzik d'avoir retrouvé ce sujet :alcool1:
Je l'ai cherché en vain il y a quelques temps et j'avais fini par croire que je l'avais ouvert dans l'ancien forum :nono:
Je vais le continuer mais j'ai des tas de trucs à faire qui me prennent le temps. Comme je l'ai déjà dit: "A la demande générale de Danzik" :hehe:

A propos du contenu de ce sujet: je l'ai mis en route parce que je voulais donner des biscuits à la discussion et montrer par des témoignages que c'était pas mieux avant.
Je serais peiné qu'on interprète mes propos dans un sens exagérément nostalgique. Pour que les choses soient claires, je pense fermement que la violence envers les enfants n'est JAMAIS justifiable. Je raconte ces épisodes parce que je trouve qu'on a tendance à idéaliser cette période. Je l'ai bien vécue et j'y étais heureux mais d'autres l'étaient beaucoup moins que moi en grande partie à cause de la violence dont ils étaient les objets. Et à la lumière de ce que sont devenus ceux qui ont été battus, je les connaissais et les ai vus grandir, je peux vous affirmer avec certitude que cette violence n'a JAMAIS eu aucune valeur pédagogique.

Je vais causer de la sixième et de la cinquième parce que c'est là où j'ai eu ce qu'on peut appeler des "confrontations". Après, je suis passé officiellement dans le clan des musiciens et je me suis déjà bien étalé dans ce forum et le précédent sur cette période "bénie" :)

Avatar du membre
dark pink
Membre VIP
Membre VIP
Messages : 1841
Enregistré le : mar. 30 juil. 2019 18:56
Localisation : Zombie Zoo

Re: Les années 60 en immersion.

Message par dark pink » lun. 5 oct. 2020 10:18

A la demande générale de Danzik, selon la formule consacrée, voilà la suite. C'est un peu long mais c'est 1968, quand même :hehe:

Année scolaire 1967-1968. Section Associée de Lycée.

On est en sixième. Moi aussi. Moi non plus. Ma déception est grande. Je ne vais pas au lycée en vélo dans la ville d’à côté comme le voisin du dessus d’un an mon aîné. Les lois ont changé, le lycée ne commence plus en sixième mais en seconde et ils ont décidé de construire un C.E.S. (Collège d’Enseignement Secondaire, qui va de la sixième à la troisième) tout près de chez moi. J’y suis en moins de 10 minutes en marchant doucement. Alors en courant… Non ! Je ne cours jamais pour aller à l’école, manquerait plus que ça ! Mais les travaux ont pris du retard et nous sommes hébergés dans le C.E.G. (Collège d’Enseignement Général) tout proche lui-aussi. Nous constituons la S.A.L. (Section Associée de Lycée).

Le discours d’accueil du dirlo est édifiant : « Nous irons dans notre C.E.S. dès que possible. Et bon débarras. En attendant, nous somme priés de ne pas faire de vagues et surtout de ne pas la ramener comme quoi nous sommes l’élite intellectuelle. Ce n’est pas parce que les élèves du C.E.G. arrêtent leur scolarité en troisième qu’ils nous sont inférieurs. Ils acquièrent un savoir plus pratique mais nous serons bien contents de faire appel à eux pour nous dépanner quand nous serons adultes et que nous vivrons dans nos demeures cossues, incapables que nous serons de même planter un clou. Nous allons donner un surcroit de travail à tout le personnel et nous sommes priés de nous faire le plus petit possible. Nous ne sommes pas chez nous et devons nous plier aux coutumes locales. Libre à nous de faire ce que bon nous semble quand nous intégrerons les nouveaux bâtiments qui nous sont destinés. En attendant, gare à nous ! »
Être accueilli avec autant de sympathie et d’enthousiasme fait plaisir ! Mais je m’en fous, je sais déjà très bien planter un clou. Le dirlo est très vieux. Il semble dépassé par les évènements. Quand il s’adresse individuellement à l’une ou l’un d’entre nous, on dirait qu’il est intimidé, il choisit ses mots pour paraître au mieux. Il nous vouvoie alors qu’il tutoie les élèves de son C.E.G. Ses phrases commencent par : « Ah… Vous êtes de la S.A.L… Alors… »
Le fait est que son collège accueille les élèves de deux établissements ou presque en même temps ! C’est le bordel.
L’accueil des pions est au diapason. Quand nous nous pointons au bureau des surveillants :
- Tiens ! Voilà les petits génies ! Qu’est-ce qu’ils veulent encore, ceux-là ! Hin, hin.
- Euh… On a cours en salle 123 et on sait pas où elle est…
- Hin, hin. Ben alors ? Vous êtes pas aussi intelligents qu’on le dit, hein ! La salle 123, elle est après la salle 122 et avant la salle 124 ! Hin hin hin ! Bon, je vous le dis, mais vous voyez que c’est pas la peine de faire les malins ! Hin hin.
Malgré ça, nous sommes bien dans ce collège. La mixité est enfin revenue, alléluia ! Nous avons un prof pour chaque matière, belle nouveauté par rapport au primaire ! Pour la plupart des agrégés et ils sont étonnants.

La prof de Maths est enceinte et sourit souvent même quand il n’y a pas vraiment de quoi. Elle arrive le matin avec un chignon approximatif et repart le soir avec des cheveux en pagaille. Elle explique bien et rigole quand nous faisons des blagues. Elle est lumineuse.

Le prof de français et latin est très sérieux, chauve rasé à petites lunettes. Il nous appelle par nos noms de famille qu’il précède toujours par Monsieur ou Mademoiselle. Il interrompt ses phrases en plein milieu pour sortir précipitamment dans le couloir puis il revient reprendre où il en était sans aucune explication. Un jour où il quitte son estrade en trombe, il tarde un peu à fermer la porte derrière lui et nous entendons la raison de son comportement : un bruit de pet sonore. A partir de là, nous finissons par le trouver sympathique derrière ses airs hautains. Je me marre tellement pendant le fou rire général qui suit son retour en classe qu’il me vire. Une fois dans le couloir, je tente en vain de péter à mon tour et de faire entendre le bruit à mes camarades restés en classe. J’ai deux heures de colle mais je trouve que ce n’est pas cher payé pour une telle rigolade.

La prof d’anglais se fiche pas mal de moi mais je l’adore. Elle est toute fine et bien plus petite que moi avec des cheveux noirs raides, comme une asiatique, et des grosses lunettes de myope. Avec elle, l’anglais est une révélation et une fête. Elle nous apprend l’A.P.I. (Alphabet Phonétique International). Ce truc est génial. Si on le connait bien, on peut y avoir recours pour prononcer n’importe quel mot d’anglais. Je l’apprends par cœur en quelques jours en demandant à mon père la prononciation des sons qu’on n’a pas encore étudiés en classe.

Image

La prof de gym nous fait aussi musique ! Ou l’inverse ? Une voisine qui connaît l’organisation de l’enseignement nous explique ce grand écart. Dans les C.E.G., beaucoup de profs sont des anciens instituteurs qui ont passé un concours pour devenir P.E.G.C. (Professeur d’Enseignement Général des Collèges). Ces profs doivent choisir deux matières, une principale et une secondaire. Bien souvent, ils préfèrent n’enseigner que la principale et il n’est pas difficile de les satisfaire. Mais là, dans notre collège surpeuplé, certaines et certains ont dû coiffer leur deuxième casquette sous la contrainte. Je me demande quelle matière Mademoiselle Bolin préfère enseigner mais je n’ose pas lui poser la question.

A cause de la surpopulation, Les déplacements de classes aux intercours provoquent toujours des chahuts. Comme je suis grand, je fais l’andouille en imitant les vieux surveillants pour faire rire les filles et j’apostrophe les élèves de dos qui sont sur notre chemin, certains y croient un instant. A ce jeu, je ne me fais pas que des amis. Je n’ai rien dit de vexant mais un élève de S.A.L. « moderne », ce qui veut dire qu’il ne fait pas de latin, l’a très mal pris et depuis, il vient à chaque récré pour m’emmerder. Je tente tour à tour de le raisonner, de le dérider, de le repousser, de m’excuser un peu mais rien n’y fait. Dès qu’il peut, il est collé à mes basques et me gueule dans les oreilles ou il écrase mon cartable, me bouscule. Ca dure plusieurs semaines, je ne m’énerve pas vite.

D’autant que j’ai mieux à faire. Les filles que j’aime bien se réunissent le jeudi après-midi chez l’une d’elles et puisque la mixité est enfin revenue avec la sixième, elles invitent des garçons. Je n’étais pas convié jusque-là mais j’ai ostensiblement fait le panégyrique de la coiffure en queue de cheval serrée. Corinne porte cette coiffure avec beaucoup de charme et je craque pour elle. Je savais qu’elle m’écoutait mais j’ai fait semblant de ne pas m’en rendre compte. J’ai conclu par : « Il n’y a que les très belles filles qui peuvent se permettre de se coiffer comme ça. On voit leurs oreilles et la forme de leur tête, il faut qu’elles soient vraiment belles ! » Ca a marché ! Et je n’ai pas menti, c’est vraiment ce que je pense.

Image

Corinne est en train de m’inviter à me joindre à leur groupe et je suis aux anges mais Lucien, c’est comme ça que s’appelle mon harceleur, arrive sur ces entrefaites et me pousse de ses deux mains en disant : « Pousse toi, tu m’emmerdes ! » Instinctivement, je lui gueule dans les oreilles : « On ne m’emmerde pas quand je parle à Corinne ! » J’ai dû y aller vraiment fort car il a mal à l’oreille et me colle une tarte. Je lui fous mon poing dans la gueule. Je suis extrêmement lent à m’énerver mais là, je suis hors de moi. Nous roulons par terre en nous foutant des coups de poings et de pieds. La plupart des filles s’écartent, atterrées et des dizaines de garçons forment un cercle autour de nous en gueulant : « Du sang ! Du sang ! » Aucun de nous deux n’a le dessus et nous sommes relevés par le nouveau prof de maths, la prof titulaire est partie en congé de maternité. Il nous saisit chacun par une oreille et je pense que nous aurions été quittes pour une bonne engueulade si nous nous étions calmés. Mais comme nous tentons encore de nous baffer bien que tenus de la sorte, le prof en déduit : « Bon ! Puisque c’est comme ça, on va au bureau des surveillants ! Deux heures de colle vous ramèneront à de meilleurs sentiments ! »
Nous traversons la cour la tête tordue d’un côté car le prof a resserré sa pince sur nos oreilles et tend les bras pour nous éloigner l’un de l’autre. Toutes celles et tous ceux qui nous voient passer se marrent. Dans le bureau des surveillants, il veut savoir pourquoi nous étions hors de nous. Lucien lâche : « C’est lui ! » puis ne pipe plus un mot. Je ne dis rien. Comme le prof insiste sans succès, un vieux surveillant me regarde et se lève. Il dit au prof de maths : « Laissez-le-moi une minute, après il nous racontera toute sa vie, je vous le promets ! » Mais le prof de maths ne bouge pas et me protège. Le vieux pion se rassoit en grommelant. Ce qu’il ne sait pas, mais dont le prof de maths se doute, c’est que je suis déterminé à ne pas dire un seul mot ni émettre un seul son. Le pion aurait pu me démolir, il n’aurait rien obtenu de moi. A cet instant, j’ai pensé : « Je n’ai jamais pris de baffe ni de fessée de mes parents ni de personne. Si on doit en prendre une certaine dose dans sa vie, je suis prêt. Mon quota n’a pas encore été entamé ».
Nous écopons de deux heures pour le samedi suivant. Le motif inscrit sur la convocation avec laquelle je sors du bureau des pions est : « Bagarre violente ».
Des filles ont attendu devant la porte ouverte et ont suivi les évènements. Corinne est parmi elles. Elles ne comprennent pas pourquoi je n’ai pas dénoncé Lucien qui me harcèle depuis des semaines et comment j’ai fait pour ne pas avoir peur du pion qui est connu pour cogner. Je ne le sais pas très bien moi-même. C’est ce que je voulais faire et je pensais que je pouvais supporter les coups… J’ai du mal à me remettre à parler après m’être crispé pour me taire. Lucien est là qui écoute tout ce qui se dit. Il coupe la conversation pour me dire : « C’est bien que t’as rien dit… T’as rien dit sur moi, c’est bien… » Puis il nous laisse. Corinne me renouvelle son invitation, je lui fais signe de la tête que c’est OK.

Je me débrouille pour faire seul le chemin de retour à la maison. J’ai peur d’avoir perdu la parole. Je m’entraîne à reparler en monologuant et c’est facile. On me prendrait pour un cinglé si on me voyait mais je suis soulagé.

Je raconte tout à mes parents et ils m’engueulent modérément. Ma mère dit : « Il a dû en faire beaucoup pour t’énerver ce gars-là » et mon père cache sa fierté d’avoir un fils qui fait le coup de poing en me faisant promettre de ne pas recommencer. Je vois qu’il se retient de me raconter pour la énième fois que lors d’une bagarre, seul contre trois, il s’est fait balancer du palier du premier étage dans la cage d’escalier par des terminales alors qu’il était en seconde, qu’il s’est pété les deux chevilles à la réception mais qu’il n’a dénoncé personne et qu’il est devenu un héros, gna gna gna…

La colle est un moment étonnant. Les deux salles de permanence sont remplies de punis qui vont passer deux ou quatre heures à copier la même phrase indéfiniment dans un silence glacial. Il n’y a pas une seule fille. Jusqu’à ce jour, pour les deux ou trois retenues auxquelles j’ai dû me rendre, j’étais dans la salle N°2 qui me semble réservée aux punis pour un motif bénin mais aujourd’hui, avec ma « Bagarre violente » je suis dans la salle N°1 dédiée aux cas graves. C’est mademoiselle Gravia qui surveille. Elle est belle, presque aussi grande que moi, blonde, vêtue de sombre et nous regarde avec le mépris qui nous est dû. Elle dicte la phrase que nous devrons recopier « suffisamment » pour ne pas écoper de deux heures supplémentaires le jour même ou de quatre heures la semaine suivante.
En 120 minutes, je remplis un demi-cahier de 96 pages de :
« Votre âme est un paysage choisi
Que vont charmant masques et bergamasques
Jouant du luth et dansant et quasi
Tristes sous leurs déguisements fantasques. »
Verlaine apprécie certainement de l’au-delà l’utilisation qui est faite de son Clair de lune.
Gravia passe dans les rangs régulièrement. Un troisième mime un baiser dans son dos. Lucien le voit et se met à rire. Gravia lui pose la question rituelle :
- Tes parents t’attendent pour partir en voyage à la fin de cette retenue ?
- Euh… Oui !
- Très bien, tu reviendras donc pour quatre heures la semaine prochaine.
Mauvaise réponse ! Il aurait dit : « Non », il n’aurait eu droit qu’à deux heures de plus le jour même !
Elle remplit et lui donne une nouvelle convocation sur laquelle est écrit ce motif : « Perturbe la
retenue ». Je me tape un franc succès en racontant mon samedi après-midi à mes copines et copains
en suggérant de remplacer ça par : « Chie dans la colle ».
Il est vrai qu’avec la sixième, la plupart des garçons, je ne suis pas le dernier, sont devenus des mitraillettes à gros mots. Certaines filles s’en offusquent.

Des profs ne se privent pas non plus d’employer des grossièretés. Parmi les vieux P.E.G.C. du C.E.G., monsieur Xavier est un bon exemple. La surpopulation du collège l’exaspère. Quand nous frappons à sa porte pour qu’il nous prenne dans sa classe car les salles de permanence sont bourrées à craquer il fulmine : « C’est pas possible un bordel pareil ! Comment je peux travailler, moi, dans ce foutoir ! » Mais il nous accepte et malgré les menaces qu’il profère à l’encontre de ceux qui n’obéissent pas : « Attends un peu de grandir, toi ! Tu vas voir la danse ! », je ne cherche plus jamais de place dans les salles prévues pour. Le mardi, je fonce directement frapper à sa porte pour mon heure de perm’ hebdomadaire. Sa bivalence à lui, c’est Maths – dessin et ses cours de dessin sont extraordinaires.
Il ne faut pas rater le début. Il ouvre le tableau, les consignes sont déjà écrites à gauche. Il les suit en les cochant une à une au fur et à mesure de leur exécution et il réalise en cinq minutes une œuvre d’art à la craie sur un support vert foncé, donc pratiquement en négatif de ce qu’il nous demande de faire sur une feuille blanche ensuite. C’est limpide et magistral, un vrai spectacle. J’ai presque envie de l’applaudir quand il a fini.
Mais ce n’est pas le seul moment magique de son cours. Dès qu’il a distribué les feuilles de papier le travail commence dans un silence, certes un peu tendu, mais propice à la création. Il passe dans les rangs et murmure des conseils personnalisés. Il saisit ici un crayon, là un pinceau des mains de celle ou celui qui l’utilise et montre avec des gestes aussi précis que démonstratifs comment bien les utiliser au service du résultat voulu. C’est bluffant.
Je ne suis qu’un passager clandestin de son cours, je n’ai donc pas droit à son attention mais j’accomplis du mieux que je peux tout ce qu’il propose. Un jour, il apprend à ses élèves à dessiner un paysage en perspective de cette manière :
1. Regarder par la fenêtre.
2. Repérer les zones de lumière.
3. Dessiner les limites de ces zones par 4 lignes brisées.
4. Colorier les 5 zones obtenues en 5 dégradés du noir au blanc si on veut le jour ou du blanc au noir si on veut la nuit.
Et il nous en fait une démonstration express et époustouflante au tableau.
J’ai oublié d’apporter du papier et je dessine sur la dernière page de mon cahier de géographie, tant pis si je me fais engueuler. Il passe dans les rangs et voit ce que je suis en train de faire, il me rapporte une feuille de Canson. Je fais mon dessin de mon mieux et je le glisse en douce dans la pile sur son bureau en sortant.
Le mardi suivant, mon dessin est exposé avec les meilleurs de la classe de cinquième que je squatte depuis plusieurs semaines.

Image

L’autre rendez-vous quasi hebdomadaire que je ne veux pas rater, c’est le jeudi après-midi chez Viviane. Corinne y est présente à chaque fois. Nous sommes invariablement six ou sept et nous ne faisons que parler. J’y apprends avec plaisir que la non-mixité du primaire n’a pas fait souffrir que moi. Les filles aussi veulent entendre des avis de garçons sur l’école, les profs, et la vie en général. Nous avons la grande salle à manger pour nous, interdiction d’aller dans les chambres. Nous n’utilisons jamais d’objets, les seuls que nous manipulons sont parfois des disques que nous critiquons après écoute. Quand nous jouons, ce sont à des jeux verbaux comme le jeu de la vérité. Et nous parlons inlassablement pendant des heures. Les filles trouvent qu’elles ont très peu de liberté par rapport aux garçons. Nous leur répliquons que notre liberté, qui est effectivement plus grande, a un prix. Nous devons obéir mais il n’est pas si mal vu que ça que nous désobéissions ce qui fait que nous ne savons jamais sur quel pied danser. Nous parlons de l’amour en essayant de glisser des indices tellement cachés sur nos affinités qu’ils ne sont compris que par nous-mêmes.
La grand-mère de Viviane, qui venait garder sa petite fille autrefois le jeudi après-midi, se joint à nous régulièrement. Elle est si futée et bienveillante que sa présence ne nous inhibe pas. Elle prend part à nos conversations et les enrichit de ses expériences personnelles au point que nous nous surprenons à dire quand elle n’est pas là : « Ca, on le dira à ta grand-mère la semaine prochaine ! On verra ce qu’elle en pense ! »
J’ose dire que j’ai peur de ma capacité destructrice tant je me suis senti hors de moi quand je me suis battu avec Lucien. J’étais prêt à le massacrer. Tous me disent que je ne suis pas mauvais mais c’est la réflexion de la mamie qui me va droit au cœur et me rassure. Elle dit : « Rassure-toi. Je commence à te connaître, tu es un bon garçon. Puis elle fait un clin d’œil à l’assistance et conclut : Je te confierais ma petite fille les yeux fermés ». Ce n’est pas Viviane ma préférée mais Corinne sera sensible elle-aussi à l’argument.

Au collège, l’année avance et plus aucun élève ne fait de différence entre les C.E.G. et les S.A.L. Nous sommes dans la même galère et l’évocation des disparités nous apparaît comme un souvenir ridicule d’une époque révolue : 1967. Lucien se déclare unilatéralement mon copain et je m’efforce de tolérer sa présence en toute circonstance mais je m’aperçois avec plaisir et soulagement que je n’ai pas d’effort particulier à faire, ma rage est bel et bien retombée.

Mais nous sommes en 1968 et le mois de mai arrive. C’est le plus long mois de mai qu’on ait jamais connu. Il dure de mi-mars à la fin du mois de juin ou presque. Ca commence par des permanences de plus en plus fréquentes pour cause de grève de certains profs. On nous laisse dans la cour car il n’y a plus personne pour nous surveiller dans les salles. Quelques jours plus tard, quand nous nous présentons à la porte principale, c’est la concierge qui nous reçoit et selon notre classe, elle nous dit de revenir dans deux ou trois heures car tous les cours jusque là sont annulés. Et ça finit par une porte close avec un écriteau : « Etablissement en grève ». En collant notre œil à la porte vitrée qui donne sur le hall d’entrée, on ne voit que du noir, comme si l’endroit avait été abandonné.

Je reste à la maison, ma mère est là en permanence mais pour d’autres, c’est plus compliqué, leurs parents les envoient dans leur famille ailleurs pour les garder. Mon père n’est plus jamais chez nous, les permissions hebdomadaires des flics ont été supprimées à cause « des évènements ». Quand il rentre tard dans la nuit, il est épuisé. Les rares moment où on le voit, il lit les innombrables tracts distribués par les manifestants qu’il a rapportés. Il veut comprendre. J’en lis aussi quelques-uns mais je ne pige pas grand-chose à part que rien ne va plus alors je lui demande de m’expliquer. Il me dit que les étudiants et ceux qui manifestent n’ont pas vraiment tort et qu’il voudrait que ça se passe dans le calme mais ça ne semble pas en prendre le chemin. Avec ma mère, nous restons réveillés parfois jusqu’au milieu de la nuit à écouter la radio. Quand les reporters annoncent que le quartier latin est calme ma mère me dit d’aller me coucher, mon père va enfin rentrer.
Un soir, il rentre en boitant sérieusement. Sa jambe et son pied sont violets. Il a pris un pavé. Il boitera pendant deux semaines et consommera énormément d’aspirine. Il prendra un autre médicament pour l’estomac avec un nom ridicule, le Cal Mag Na et je garderai les innombrables boites pour ranger les pièces détachées de mes voitures miniatures même si elles ne m’intéressent plus.
Il y a des tas de blessés parmi les étudiants et ses collègues. Les photos des journaux montrent de bagnoles qui ont brûlé, des rues dévastées. Le fait d’aller ou non à l’école n’a plus vraiment d’importance. Deux voisins qui se connaissent depuis trente ans s’engueulent et en viennent aux mains. L’un dit qu’il faut envoyer l’armée et l’autre le traite de réactionnaire. C’est une des rares moments où mon père est à la maison et les femmes des belligérants l’appellent pour calmer leurs maris. Il descend en claudiquant et fait son boulot en maillot de corps. Les mecs l’écoutent et se calment. Il les rallie à son point de vue qui semble se résumer à cette phrase qu’il répète plusieurs fois : « Heureusement qu’il y a Grimaud ! » Je n’ai aucune idée de ce que ça signifie, pour moi, Grimaud est la marque des cartes à jouer…

Image

Toute cette pagaille m’a décidé sur ce que devra être ma vie désormais et je profite que mes parents sont ensemble dans la salle à manger avant d’aller dormir pour leur en faire part :
- Bon, je sais ce que je veux faire plus tard. Je veux passer mon certificat d’étude en quatrième, j’aurais dû faire « fin d’étude » après le CM2 et faire ça ensuite. Mais c’est pas grave. Je veux quitter le lycée ou le C.E.S. après et travailler, on peut à partir de 14 ans. Pendant deux ans, je vous donnerai un peu des sous que j’aurai gagné et à 16 ans, je me fais émanciper et j’habite dans un appartement seul et là, je ne vous donnerai plus de sous mais je ne vous coûterai plus rien puisque je ne serai plus là.
Ma mère est abasourdie :
- Qu’est-ce que tu nous racontes ? Qui c’est qui t’a mis ces idées-là en tête ?
- Personne. J’ai trouvé ça tout seul, mes copains et mes copines ne veulent pas être émancipés, il n’y a que moi !
- T’es vraiment pas bien ! Tu en as de ces idées, ça va vraiment pas dans ta tête !
Mon père a réfléchi et sourit un peu. Comme toujours avec lui, la sentence tombe clairement et elle a un rapport direct avec la loi :
- Ce n’est pas possible, mon gars. Tu ne pourrais pas obtenir ton émancipation. Il faut un motif grave pour être émancipé. Tu ne pourrais même pas monter un dossier. Tu n’es pas battu, par exemple…
Je suis décontenancé, s’il le dit, c’est que c’est vrai, mais je renchéris :
- Je peux quand même arrêter d’aller à l’école et bosser, ça, il y a plein de garçons qui le font.
Ma mère explose un peu :
- Mais ça va pas bien. Ils l’ont tous dit, tes maîtres et tes maîtresses, des profs aussi : « C’est un élève très brillant, il pourra faire de grandes études ! »
Mon père est d’accord :
- Oui, tu t’en sors bien en sixième. Tu pourras largement aller après le BAC, tu pourras devenir étudiant !
- Parce que tu crois que je veux être étudiant ? Merde ! Tu crois que je veux prendre des coups de matraque de tes collègues ou de toi ? Tu crois que je veux envoyer des pavés sur des flics ou sur toi ? Et que vous boitiez pendant des jours ? Merde de merde ! Non ! Je ne serai jamais étudiant.
Ma mère intervient :
- Arrête de dire des gros mots, tu peux parler sans dire de gros mots !
- C’est bien vous les adultes de dire ça ! Je vous dis des choses importantes et vous ne remarquez que les gros mots ! Tu crois qu’ils sont heureux, les étudiants ? T’as lu tous leurs papiers, ils sont contents de rien ! Et t’as vu les photos ? Ils ont tout cassé ! Ils sont en colère, ils gueulent ! Il y en a qu’on appelle les Enragés ! Moi, je ne veux pas être enragé ! J’étais en colère quand je me suis battu avec l’autre con et j’ai eu peur. Je ne veux pas me faire frapper et je ne veux frapper personne. Moi, j’aime bien les gens ! Même ceux qui ne m’aiment pas, je m’en fous qu’on m’aime pas. La prof d’anglais, elle ne m’aime pas beaucoup et moi, je l’aime beaucoup. Alors si je suis pas émancipé, tant pis mais je ne serai jamais étudiant ! Ca jamais ! Merde !
Ma mère n’ose plus reprendre mes grossièretés et mon père calme le jeu :
- Bon, on va aller dormir. C’est l’heure. On reparlera demain à tête reposée. Ce soir, il est trop tard.

On n’en a jamais reparlé. J’en étais certain. Je n’ai plus qu’à me débrouiller tout seul. Ma première décision dans ce sens est que je ne vais plus travailler en classe, comme ça, on ne me trouvera plus « brillant » et on ne voudra plus que je fasse des études. Ainsi, ça sera surement plus facile de les quitter.

Fin juin, nous retournons un peu en classe. Plus rien n’est pareil. On nous donne la photo de classe qui a été prise au début de l’année et elle me semble venir d’un autre âge. Après tout ce qui s’est passé, je ne me reconnais pas tout comme je reconnais mal mes copines et mes copains. J’avais demandé à mes parents d’acheter cette photo pour en avoir une où figurerait Corinne. Elle y est, mais c’est la Corinne d’avant. Maintenant, je ne sais même plus ce qu’elle pense. Un paquet d’élèves de ma classe vont être transférés par leurs parents dans des lycées parisiens. Les travaux du C.E.S. ont encore pris du retard et nous l’intégrerons au mieux au deuxième trimestre de l’année prochaine.

Image

On nous remet des prix sans tout le tralala qu’on faisait autrefois. Les temps ont changé en deux mois et ce n’est plus bien vu. Je fais partie des récompensés de justesse, j’ai le dixième prix. C’est bien, ma déchéance des élèves brillants est en marche. Cela dit, même si j’avais bossé très fort, je n’aurais pas pu faire mieux que les filles qui trustent toutes les premières places du classement. Alors c’est juste qu’elles soient récompensées d’autant plus que ça leur fait très plaisir. Certaines se sont pomponnées malgré la ringardise décrétée de la cérémonie. Quand même, ce qu’elles sont belles !

En quittant le C.E.G. le dernier jour de cours, tout se finit en eau de boudin comme au primaire. L’éducation nationale ne sait pas faire de belles fins aux années scolaires. J’ai la persistante impression que pour faire ce que je veux, je vais devoir cravacher tout comme les étudiants qui ont, paraît-il, eu des « revendications satisfaites ». Même si la rage m’a quitté, j’ai l’impression qu’elle est là, tapie dans l’ombre et prête à ressurgir, pas en moi mais je reste vigilant. Heureusement qu’il y a les filles ! Et les vieilles dames !
Modifié en dernier par dark pink le ven. 13 mai 2022 12:15, modifié 1 fois.

Avatar du membre
whereisbrian
Membre VIP
Membre VIP
Messages : 4454
Enregistré le : mar. 30 juil. 2019 17:58
Localisation : BZH

Re: Les années 60 en immersion.

Message par whereisbrian » lun. 5 oct. 2020 11:12

Salut, j'aime beaucoup, et tu as un style qui rend tes souvenirs très vivants !

Avatar du membre
alcat01
Membre VIP
Membre VIP
Messages : 7608
Enregistré le : mar. 30 juil. 2019 20:51

Re: Les années 60 en immersion.

Message par alcat01 » lun. 5 oct. 2020 12:09

Comment fais-tu pour te souvenir de tout ça?
Je n'ai pas gardé de souvenirs aussi précis de mes années scolaires...

bibabeuloula
Membre VIP
Membre VIP
Messages : 742
Enregistré le : dim. 4 août 2019 18:13
Localisation : Sud - 13340

Re: Les années 60 en immersion.

Message par bibabeuloula » lun. 5 oct. 2020 16:28

Oui, coucou, c'est très bien :super:

Comme les autres je trouve aussi que tu as beaucoup de mémoire, en te lisant finalement plein de souvenirs me sont revenus; ça aide donc.
J'ai aussi connu quelques profs sévères qui envoyaient à l'époque; je venais d'un quartier de Marseille avec encore pas mal de campagne, nous avons dû déménager et je me suis retrouvé dans les quartiers nord, la ville grise, sale et laide, un peu à l'image de mes vieux instits qui fumaient des gauloises et mettaient des tartons; pour moi le choc fut rude!
Je détestais cette école et ce quartier, un jour en CM1 j'ai dit à ma mère sérieusement que je languissais la retraite...
J'y suis maintenant.

Répondre