1969/1970 le feuilleton

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Punker paname
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Re: 1969/1970 le feuilleton

Message par Punker paname » sam. 13 févr. 2021 18:02

J’ai quatorze ans ! Je veux une meule ! Une mobylette. Ca coûte trois mois de salaire de mon père… J’en n’aurai jamais. Pourtant si. Le jour des grosses ordures, un voisin met sur le trottoir une vieille meule avec un look étonnant. On dirait un gros vélo avec un moteur et un réservoir rajoutés.
C'était quelle marque ta mob Dark Pink tu t'en souviens ??? :)

Pour ma part j'ai eu de 1987 à la fin des années 90 une Motobécane 881P ..... Bleue bien sur, très appréciée par des copines quand on partait ensemble du Royal Bar un bar bien Pock'n'Roll de la rue des Petites Ecuries ou trainait pas mal de musiciens des scénes Punk et HXC Parisiennes des années 70-80, pour rejoindre le New Moon à Pigalle, le seul vrai club Rock et Alternatif digne de ce nom qu'on aie eu sur Paris hors Gibus

https://www.rockmadeinfrance.com/actu/p ... ldi/14645/

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Re: 1969/1970 le feuilleton

Message par bushi » sam. 13 févr. 2021 22:41

Danzik a écrit :
sam. 13 févr. 2021 16:18
Ont s'installe comme on veut dans son siège préféré, sachant que nous allons passer un bon moment et qu'à la lecture

de chaque épisodes que l'on s'apprête à lire, nous ferons un bon de 50 ans en arrière et voir ressurgir des souvenirs d'adolescents

enfouis, que tout ce que Dark Pink nous racontes nous l'avons tous plus
ou moins vécu à peu de chose près et je me surprends

à sourire en te lisant ! Merci pour ce topic et ce talent de raconteur. :)
+1, un vrai bonheur ! et pas mal d'émotions, fortes et intactes, qui remontent à la surface à la lecture de ton beau récit.
Merci beaucoup ;)

Pour la mob, moi j'ai eu une Cady. Ça marchait bien, mais quel tape-cul !
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Re: 1969/1970 le feuilleton

Message par dark pink » dim. 14 févr. 2021 09:53

Si j'avais connu l'histoire d'Isadora Duncan à l'époque, je me serais pris pour une star avec ma meule et mon fut, tous deux en ruine :mdr3:

Merci de ton commentaire Danzik, ça fait plaisir et le fait que l'idée "la vie simple des gens compte", en gros, soit perçue me plait vraiment. C'est vrai que ça nous ramène aussi loin en arrière :vieuzzz: Merci de plussoyer (ça, c'est un mot moderne :hehe: ) aux propos de Dan, Bushi. Toutes les meules sans suspension étaient rudes pour les fesses et la colonne vertébrale.

La "bleue" était sans conteste la reine des meules, Punker. Celle dont je parle, ma première, était déjà un antiquité en 1970. Elle avait 2 vitesses mais il fallait pédaler un ou deux tours pour la lancer, on ne pouvait pas démarrer à l'embrayage comme avec une moto. Elle ressemblait très fort à ça :
Image
Je ne me souviens plus comment on actionnait le frein avant, du coup ??? Il y avait peut-être 2 leviers du côté gauche ? L'autre avec l'articulation à l'extrémité du tube ? Je ne l'ai pas eue longtemps, j'ai récolté une autre ruine où j'ai pu installer une selle biplace, les filles ne voulaient pas monter sur une porte bagages, mais si cette grande selle rajoutée avait une fixation sur le tube de selle, elle n'avait pas les pattes nécessaires pour la fixation au porte bagages. J'ai installé tout ça avec du fil de fer et ça n'inspirait pas très confiance non plus :hehe:

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Re: 1969/1970 le feuilleton

Message par Monsieur-Hulot » dim. 14 févr. 2021 10:15

Bi-place, en italien "biposto" :love1:
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Re: 1969/1970 le feuilleton

Message par bushi » dim. 14 févr. 2021 11:29

La Cady sans suspensions je ne l'ai pas gardée longtemps, comme tu dis les filles ne voulaient pas monter sur le porte-bagages, la loose !

Après avoir bossé pendant les 2 mois de vacances à l'aéropostale (Orly oblige), de nuit, j'ai passé la licence et j'ai réussi à me payer cette magnifique 125. (d'occase, bien sûr)
La Classe ! Et ce petit 125 2 temps marchait très fort. Il ne m'a pas fallu longtemps pour changer le carbu, le pignon de sortie de boîte, la sortie d'échappement et les pneus pour en faire un joyeux bolide
Fallait juste anticiper le freinage... :ghee:
C'était en 74, j'avais 18 ans.


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Re: 1969/1970 le feuilleton

Message par dark pink » dim. 14 févr. 2021 12:52

7/10 – It’s Five O’clock – Aphrodite’s Child.
Je ne sais pas ce qui est le moins difficile : être complètement considéré par tout le monde comme un mec qui veut devenir musicien et qui aime la musique Pop ou avoir une petite copine comme je le voudrais et pas juste embrasser des filles pendant les boums même si ça me tente terriblement. Je ne peux pas abandonner une idée au profit de l’autre, j’ai l’impression que tout va ensemble mais que devant l’ampleur de la tâche, je n’arriverai pas à tout faire en même temps.

Pour être un mélomane à ma façon, je dois avoir des disques à moi et l’idéal serait d’avoir un électrophone dans ma chambre. Mon premier 33 tours, je l’ai eu grâce à un accident.
C’est mon bon pote Gilbert qui est à l’origine de l’achat de mon premier 33 tours de rock : Abbey Road. Le disque venait de sortir et il me l’avait déjà prêté. Je l’écoutais comme d’habitude sur la table de la salle à manger quand mon petit frère est arrivé et a balancé un coup de poing dans le haut-parleur/couvercle de l’électrophone qui est tombé sur le disque en pleine écoute. Le disque s’en est retrouvé rayé en deux endroits. Ma mère, connaissant Gilbert et sa générosité, n’a pas hésité un instant à me donner l’argent nécessaire à l’achat d’un disque neuf pour remplacer celui qui était rayé. Ce qu’il m’a dit quand je lui ai donné en lui expliquant l’histoire était bien à son image :
- Merci, mais fallait pas en acheter un autre, j’aurais poussé le bras aux endroits rayés en l’écoutant et puis c’est tout !
C’est ce que j’ai fait par la suite jusqu’à ce que Ringo Starr cesse de répéter : « We would be warm – we would be warm – we would be warm… » Disque réparé !

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Je peux donc dire que c’est indirectement grâce à lui que j’ai pu mettre l’électrophone familial dans ma chambre sur le conseil de ma mère pour éviter de nouvelles catastrophes. On n’en est pas encore là. Il me faut des disques. Je n’ai qu’un 33 tours, et quel 33 tours, mais il est rayé. Et pour les boums, il faut des 45 tours…

- La mère : Tu nous emmènes au nouveau magasin !
- Le père : Je suis un peu crevé. Et pour quoi faire ? Il y a pas tout ce qu’il faut au Prisunic ?
- La mère : Si, il y a la même chose au Prisu ou à Saveco, (« faire vos courses à Sav-eco, c’est SAVoir ECOnomiser ». C’est leur pub !) mais là-bas, c’est nouveau, c’est plus grand, ils ont plein de choses qu’il n’y a pas ici, et surtout, c’est moins cher ! On roule pas sur l’or et si on peut gagner quelques francs, ça vaut le coup. Et on verra, si ça nous plaît pas, on n’y retournera pas. J’ai pas le permis, c’est toi qui conduis. Ca me fera tout ça de moins à trimballer sur mon vélo, ça me fera gagner du temps. La voisine y est allée, elle a économisé au moins 100 francs. Allez ! On sort jamais ! Pour une fois que je veux aller quelque part, on y va !
- Les enfants : Allez papa !
- Le père : Bon… D’accord…
Ca fait plusieurs semaines que mon père rechigne à aller visiter ce nouveau magasin. Ils appellent ça un supermarché. Son nom c’est Carrefour, il vient d’ouvrir.
On est tous contents sauf mon père mais comme il est gentil, il sourit de nous voir enthousiastes. C’est quand même une grande occasion : ma mère a mis des bas et du rouge à lèvres ! Mon père apprécie et l’embrasse, attendri et charmé. Ca promet d’être chouette. Ma mère nous a promis de nous acheter quelque chose si les économies qu’on fait sont suffisantes.
En chemin, mon père met ma mère en garde :
- Surtout, n’y va pas en vélo ! C’est trop loin. Tu aurais du mal à monter la côte après la ligne de chemin de fer et les HLM qu’on traverse là, ils ne sont pas bien fréquentés. Si on doit faire les courses là-bas à l’avenir, je t’y emmènerai.
Ma mère aime quand mon père prend soin d’elle et lui donne ce genre de conseil, il bosse tellement. Elle tourne la tête pour nous contempler sur la banquette arrière. Elle est ravie.
Arrivés sur le parking, ma mère prend la direction des opérations.

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Elle s’est fait expliquer par la voisine la marche à suivre dans ce genre d’endroit. Il faut prendre un charriot avant d’entrer. Un fois à l’intérieur, on se sert soi-même de tout et on va faire la queue à la caisse. C’est comme au Prisunic et à Saveco, les charriots en plus. Elle nous explique tout ça et mon père retrouve son air sombre. Une fois entrés dans le magasin, alors que nous nous extasions devant la grandeur de l’endroit, il ne sait pas comment se comporter, il est empoté comme rarement, ma sœur s’en rend compte et lui donne la main pour l’encourager et lui donner une contenance. Ca marche assez bien mais elle le quitte trop souvent pour prendre des objets et les mettre dans le charriot. Elle doit d’ailleurs les remettre souvent en rayon car ma mère lui dit qu’on n’a pas besoin de ça ou que c’est bien mais trop cher. En voyant le désarroi de son mari, ma mère a une idée. Futée, elle lui dit :
- Tiens, pousse le charriot, je n’y arrive plus, c’est trop lourd. Il faut un homme pour pousser ça.
C’était exactement ce qu’il fallait dire ! S’il en faut un, il est notre homme ! Au départ, il ne voulait pas pousser le charriot, mais maintenant qu’il est lourd, il a une bonne excuse pour le faire ostensiblement : il faut de la force et il en a. C’est tout juste s’il ne retrousse pas ses manches pour prendre les commandes de l’engin devenu ingérable pour une faible femme.

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Il faut l’admettre : il s’en sort très bien ! Il fait attention aux gens et pilote littéralement comme s’il avait fait ça toute sa vie. Il lui arrive même de prendre quelques produits en rayon. Ma mère ne lui fait aucune remarque comme celles qu’elle nous fait, il a retrouvé le sourire et tant pis si ce n’est pas la bonne marque de cassoulet qu’il choisit.
Il suggère même qu’on passe par les rayons un par un pour ne rien oublier.

Je n’ai rien perdu de tout leur manège mais je suis préoccupé. Juste après le rayon des livres, j’ai faussé compagnie à ma famille un instant et je suis resté en arrêt devant celui des disques. Parmi les dizaines de 45 tours, j’en ai vu un et j’ai abandonné l’idée de me faire acheter une pince pour ma trousse de bricolage. Depuis plusieurs mois, j’écoute de la musique Pop avec mon pote Gilbert chez lui. Il m’a déjà fait écouter et prêté des tas de disques des Beatles et d’autres groupes. Il en a un que j’aime vraiment bien, c’est Rain and Tears des Aphrodite’s Child. Dans le rayon, j’ai vu un nouveau disque de ce groupe, ni lui ni moi ne le connaissons. Son titre est It’s Five O’clock.

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Un 45 tours, c’est moins cher qu’une pince, de ce point de vue, la dépense devrait passer. Mais il y a un gros mais. La pochette représente les trois membres du groupe. Ils ont tous les trois les cheveux longs. Avec leur barbe très fournie, il est impossible de les prendre pour des filles mais mon père déteste les cheveux longs pour les garçons et il est tout à fait capable de refuser qu’on m’offre ce disque à cause de sa pochette. Je cherche une ruse pour le convaincre mais je n’en trouve pas. Je pourrais abandonner mais comme le dit Gilbert : « Si on n’est pas courageux, on n’est pas un homme ! » On n’est pas un homme non plus si on a les cheveux longs, selon mon père. Je voudrais simplement être un homme, ou presque, à qui on fout la paix et à qui on offre un disque qui lui plaît.
Toute la famille a le sourire, y compris mon père, et maintenant c’est moi qui fais la gueule…
Ma mère déclare, ravie :
- C’est bien comme je le pensais, on a économisé pas mal en venant ici. Vous voulez quoi comme jouet ?
Ma sœur trimballe depuis plusieurs minutes derrière son dos une panoplie de coiffeuse pour poupées mais je sais qu’elle compte s’en servir pour se coiffer elle-même et coiffer ses copines, je reconnais les même ustensiles qu’utilise sa copine Isabelle quand elle joue. Elle pose son trésor dans le charriot avec l’approbation de tout le monde.
A mon tour :
- Et toi, qu’est-ce que tu veux ?
J’ose… J’ose pas… Allez, courage, j’ose :
- Je veux un disque.
- Un disque ? D’accord, on y va. Mais c’est beaucoup moins cher que le jouet de ta sœur, t’es sûr que tu veux pas autre chose ?
- Non, je veux un disque, c’est tout.
Nous arrivons devant le rayon et timidement, je montre mon 45 tours.
Mon père le regarde avec dégoût :
- T’as vu leurs cheveux !
Ma mère le prend dans sa main et éclate de rire en s’adressant à mon père :
- Ils ne sont pas beaux, mais là, tu ne peux pas dire qu’ils ressemblent à des filles !
- J’ai pas dit ça, on dirait des singes ! Il me regarde, inquiet : T’es sûr que tu veux ça ! Tu sais ce que c’est comme musique ? C’est de la musique moderne, certainement. Tu vas l’écouter, ça ?
- Oui, on écoute leur autre disque avec Gilbert, c’est bien.
Ma mère pose le disque dans le charriot et immédiatement, mon père en lâche le guidon et recule d’un pas, dégoûté :
- Tous les gens vont voir qu’on achète ça.
Ma sœur tente de pousser le charriot qui est plus haut qu’elle mais elle n’arrive même pas à le faire bouger. Ma mère prend le disque et le retourne sur les torchons où il était posé. De l’autre côté, on ne voit que des logos de maisons de disques.

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Elle regarde mon père avec le sourire qui le fait craquer et dit :
- Allez, on va payer !
Ma sœur et moi mettons tous nos achats sur le tapis roulant en les regardant avancer tous seuls. Elle pose elle-même son jouet et moi mon disque.
Nous aidons mon père à remplir le coffre de la voiture et nous gardons nos cadeaux pour les contempler pendant le trajet de retour.
Après avoir tout déchargé à la maison, mon père est intrigué :
- Fais voir ton disque, on va l’écouter, je suis curieux de savoir quelle musique ils font ces débraillés.
On écoute mon disque en silence. Je suis gêné, je n’ai jamais écouté ostensiblement un morceau Pop avec ma famille. J’ai surtout peur de la sentence de mon père. S’il trouve que c’est de la musique de lopettes, comme il dit, je serai vexé et triste mais j’entends déjà nos conversations avec Gilbert sur le son qui monte en continu sur l’intro, d’où vient-il ? Quel instrument peut le produire ? Chez Gilbert, nous bougeons en rythme, nous dansons même parfois. Avec ce morceau-là, ça va être la fête ! Qu’est-ce que c’est beau ! Pourvu que les phrases assassines de mon père ne gâchent pas tout…
Devant mes parents, je ne bouge même pas une paupière et j’attends le verdict qui tombe juste après les montées et descentes de piano de la fin.
- C’est pas mal. En tous cas, c’est moins pire que ce que je craignais. Il y a une mélodie et il a du coffre le gars. C’est pas idiot ce qu’il raconte.
Putain, c’est vrai, mon père pige l’anglais assez bien grâce à son enfance passée près d’un « Shape », après la guerre, où il faisait tout pour se faire offrir du chocolat par les soldats américains. Il a fait ses travaux pratiques de langue anglaise avec eux. Je vais pouvoir raconter à Gilbert ce qui se dit dans cette chanson grâce à mon père, c’est dingue !
- Qu’est-ce qu’il dit ?

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- Il dit qu’il est cinq heures, ça t’as compris, non ? Tu as déjà appris l’heure en anglais ? C’est le titre. Il se balade dans les rues et se souvient de sa vie passée, il a du mal à réaliser que c’est lui qu’il voit dans la glace, tout ça. Il doit pas aimer vieillir, ça c’est moi qui le dis. Tu parles, personne aime ça, vieillir. Il s’endort et la nuit lui donne de l’espoir et il rêve. C’est pas non plus du Victor Hugo, mais c’est pas mal. Il dit pas qu’il va aller au coiffeur, ça c’est dommage ! Bon, tu sais, je préfère quand même Armand Mestral. Mets-nous 16 tonnes, là, c’est une voix ! Il va dans les graves comme personne, il chante comme un homme.

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Je veux bien passer 16 tonnes, je l’aime bien cette chanson. Ensuite, on écoute les Sheila de ma sœur. Ca je ne le dis à personne, mais j’aime bien aussi Sheila. L’important n’est pas qu’on écoute aussi les disques de mes parents et de ma sœur, ma mère demandera un peu de Luis Mariano, c’est moins folichon, mais c’est pas grave ! A la fin de l’écoute je remets le premier 45 tours m’ayant jamais appartenu, It’s Five O’clock des Aphrodite’s Child, et personne ne trouve rien à redire. Ca passe même inaperçu ! C’est ça qui est important. Au lieu d’emporter mon disque dans ma chambre, je le laisse exprès sur le haut de la pile à côté de l’électrophone sous la télé et il ne se passe strictement rien ! J’ai l’impression de semer une graine d’herbe folle au milieu d’une pelouse bien tondue. Je vais pouvoir écouter la musique que je veux sur l’unique électrophone familial, dans la salle à manger, sans aucun problème.

Je me mets à rêver : je vais pouvoir sortir de leur cachette au fond de mon meuble à jouets les trois exemplaires de Rock & Folk que j’y cache avec mes Lui et Playboy. Plus tard, je pourrai me laisser pousser les cheveux et aussi ma barbe quand j’en aurai, pourquoi pas !

Chaque chose en son temps. Pour l’instant, « il est cinq heures », au grand jour, ma vie musicale s’éveille ! Sandrine et Marjolaine seront à l ‘origine de son éclosion, je m’en serais douté mais c’est le C.E.S. qui en sera le théâtre, ça, c’est plus inattendu…

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Modifié en dernier par dark pink le sam. 14 mai 2022 07:45, modifié 2 fois.

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Re: 1969/1970 le feuilleton

Message par Pilgrim » dim. 14 févr. 2021 13:36

S'agit il du premier Carrefour de Ste Geneviève des bois?

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Re: 1969/1970 le feuilleton

Message par Kowalski » dim. 14 févr. 2021 15:40

dark pink a écrit :
dim. 14 févr. 2021 12:52
7/10 – It’s Five O’clock – Aphrodite’s Child.
(...)

Image

(...)

J'avais également acheté ce 45T (et je l'ai toujours d'ailleurs) !
Merci pour les souvenirs :) .
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Re: 1969/1970 le feuilleton

Message par dark pink » lun. 15 févr. 2021 09:42

Ta 125 Yamaha, Bushi, je la connais bien, un copain l'avait en bleu. J'ai roulé dessus comme passager assez souvent. Elle poussait bien ! Et le confort était souvent meilleur que sur des plus gros cubes. Il n'y avait que le bruit au ralenti qui était une peu léger mais je l'aimais bien et haut dans les tours, elle rugissait ! Je ne me souviens plus : était-elle à graissage séparé ou fallait-il mettre du mélange directement dans le réservoir ?

Non Pilgrim, ce n'était pas le Carrefour de Sainte Geneviève des Bois mais les photos, elles, viennent certainement de ce magasin. Je les ai trouvées sur le site de la marque. J'ai trouvé qu'elles reflétaient bien l'ambiance de l'époque avec les dauphines et autres 2CV. Nous avions une R8 Major :)

Il s'en est vendu plein, des It's Five O'clock, Kowalski, en effet, mais c'est une bonne chanson et pour moi il a une valeur particulière vu que c'est mon premier. Les discussions écrites au dos le caviardent un peu mais elles rappellent cette époque. Nous avions une discussion orale avec un groupe et une autre écrite, plus privée, simultanément. Ca nous plaisait beaucoup.

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Re: 1969/1970 le feuilleton

Message par bushi » lun. 15 févr. 2021 10:16

dark pink a écrit :
lun. 15 févr. 2021 09:42
Ta 125 Yamaha, Bushi, je la connais bien, un copain l'avait en bleu. J'ai roulé dessus comme passager assez souvent. Elle poussait bien ! Et le confort était souvent meilleur que sur des plus gros cubes. Il n'y avait que le bruit au ralenti qui était une peu léger mais je l'aimais bien et haut dans les tours, elle rugissait ! Je ne me souviens plus : était-elle à graissage séparé ou fallait-il mettre du mélange directement dans le réservoir ?
Elle était à graissage séparé. Il fallait d'ailleurs vérifier de temps en temps la pompe à huile, sinon c'était le serrage assuré.

Nous étions un groupe de plusieurs motards, dont trois 125, et deux 750 (CB750 Honda, la "4 pattes", et 750 Kawa H2, la "fusée").
Un ami s'était acheté la 125 GT suzuki, un très bon petit 2 temps aussi, et un autre plus sage la 125 mono Honda.
On faisait des virées dans la vallée de Chevreuse, ou à Moret s/Loing, on était aussi allé au Mans pour le Bol d'Or.

J'allais aussi presque tous les vendredis soir avec mon pote Michel et sa H2 "tourner" à Rungis, ce fameux circuit improvisé qui a fait la joie des motards de cette époque. Pas mal de casse aussi, d'ailleurs, car tout le monde tournait en même temps, de la mobylette trafiquée à la 750.
Tout le monde à fond !...

Extrait d'un site qui en parle mieux:

"Dans les années 1970 les motards de la région parisienne se rassemblent à la Bastille et suite à la course organisée le 22 octobre 1972 à Rungis, ils décident "d'imiter" leurs idoles. Les motards viennent alors s'affronter tous les vendredis soirs sur les parkings des Halles. Circuit improvisé, dont la caractéristique principale est le manque total de sécurité (25 tués entre 1977 et 1978 à Rungis).

Toutes les cylindrées sont mélangées et les Japauto, se font faire l'inter par des mobs trafiquées, pendant que certains pilotes de la Coupe Kawa, viennent régler leur machines. Tout cela au ras des spectateurs amassés sur les trottoirs ... c'est d'ailleurs dans la foule des spectateurs qu'il y eu le plus de victimes de ces courses sauvage.

En 1978, pour éviter la poursuite de l'hécatombe des motocyclistes, sous l'impulsion des motards et d'Yves Mourousi nommé « Monsieur Moto » par le gouvernement, il fut décidé de la construction d'une piste de moto afin que tous les motards puissent s'exercer à la course motocycliste en toute sécurité.

En 1979, la municipalité de Tremblay-en-France accepte, à la demande de l'État, qu'un circuit soit implanté de manière provisoire sur le territoire communal. Le circuit sera inauguré le 1er décembre 1979, sous le nom de Circuit Carole. Carole est le prénom d'une jeune fille (Carole Le Fol) décédée lors de l'un des derniers runs sauvages de Rungis, elle avait 18 ans..."

Mais c'est une autre histoire, désolé du HS...

Continue à nous régaler, Dark Pink ;)
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Re: 1969/1970 le feuilleton

Message par Danzik » lun. 15 févr. 2021 10:38

Kowalski a écrit :
dim. 14 févr. 2021 15:40
dark pink a écrit :
dim. 14 févr. 2021 12:52
7/10 – It’s Five O’clock – Aphrodite’s Child.
(...)

Image

(...)

J'avais également acheté ce 45T (et je l'ai toujours d'ailleurs) !
Merci pour les souvenirs :) .

J'étais aussi un peu Mr Platine début/millieu des 70's, indispensable ce slow pop "It's five O'clock " pour réussir les boums,

tout comme l'excellent "The sympathy "des Rare Bird, et tant d'autres ! :) :chapozzz:
Le Grand Bazar Vinylique : pleins de 45 tours EP & SP avec de vrais morceaux de vinyles dedans !
Citation : "Elle est pas électrique ta guitare... c'est une vieille, elle est encore à vapeur" Dupont et Pondu (1964)

C.V. (archives2) : ICI

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Re: 1969/1970 le feuilleton

Message par bushi » lun. 15 févr. 2021 11:31

J'avais un peu ce rôle là aussi, et ça m'éclatait bien.

D'autres slows imparables :









Ça a évolué ensuite, j'ai eu l'occasion de remplacer un DJ (on n' appelait pas ça comme ça à cette époque), et d'être embauché ensuite, dans une boîte à Pont st Maxence, la Paillote.
J'ai fait ça pendant presque un an, et là je me suis vraiment éclaté. (dans tous les sens du terme).
Pas de slows, mais une liberté totale de programmation.
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Re: 1969/1970 le feuilleton

Message par dark pink » lun. 15 févr. 2021 15:25

8/10 – Astronomy Domine – Pink Floyd. Refugees – Van Der Graaf Generator.
Il va y avoir un exposé sur la Pop Music en 4ème C1 ! Tout le CES le sait. Au lieu de garder ça pour nous, il a fallu que des couillons le disent à tout le monde. Depuis, on n’est plus tranquilles. Après l’avoir dénigré, des « modernes » veulent venir écouter l’exposé de Marjolaine et Sandrine. La prof d’anglais les aime bien, les « modernes », et elle pourrait les y autoriser. Elle les trouve moins scolaires que nous, les « classiques ». Qu’est-ce que ça peut m’énerver ! Que faut-il qu’on soit à l’école autre que scolaire ? Merde ! Si elle veut qu’on soit autrement, c’est à elle de modifier le scolaire ! Puisqu’on est censés faire ce qu’on nous dit, on sera « modernes » par obéissance.

Les « modernes », quelle bande de cons ! Quand ils ont su, ils ont tout de suite dit qu’un exposé sur la Pop fait par des filles, ça valait rien ! Même leurs filles l’ont dit ! Comme connerie ! Mais eux, ils n’y ont pas droit car il y a une contrepartie : la moitié de chaque partie des « speeches » doit être en anglais. Et chez eux, il n’y en a pas un ou une qui soit capable de le faire. Pour nous non plus, c’est pas facile. Mais Sandrine et Marjolaine ont trouvé que le jeu en valait la chandelle et s’y sont collées et demain, on aura droit à notre exposé avec de la Pop Music. En classe ! Quand Jérôme, un « moderne » très… « moderne », a dit : « Ils ont un exposé sur la Pop et ils le laissent faire par des greluches ! » Il a eu du pot que j’étais pas là pour l’entendre, j’aurais pris mon Gaffiot pour lui faire bouffer, tout latiniste classique que je suis.

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Quand on me l’a raconté, c’était la première fois que j’entendais ce mot, greluche. Mon père me l’a expliqué et le moins qu’on puisse dire, c’est qu’il ne s’applique pas à mes copines. Pas du tout.

Alors on va écouter leur exposé. Personne ne viendra nous emmerder vu qu’on est dans une toute petite salle, notre classe est séparée en deux au moment des langues : les germanistes et nous. Il n’y a pas de place pour d’autres, alléluia ! Juste notre quinzaine « d’anglais première langue » et la prof.
Les filles ont emprunté le bon électrophone du prof de musique. Elles sont prêtes sur la minuscule estrade, elles chuchotent des consignes de dernière minute puis elles se tournent vers nous. Marjolaine lit son introduction en anglais : « Pop music. That means… » Je ne sais pas pourquoi, j’ai l’impression que ça va être magnifique. Je me sens dans mes petits souliers comme les filles mais je sais qu’elles vont le faire et qu’elles vont le faire bien. Pendant les jours de préparation, elles se sont mises au boulot comme des adultes, elles ont demandé des tas de tuyaux en anglais à la prof, elles ont tanné leurs grands frères pour des disques et elles n’ont plus été disponibles pour nous tous au point d’énerver leurs copines. Là, elles sont fin prêtes et ça se voit. Malgré sa voix blanche de trac, Marjolaine nous explique en anglais les origines de la Pop. Les apartés sont faits en français par Sandrine : « Nous n’avons droit qu’à quatre morceaux, nous vous montrerons les disques mais nous n’écouterons que des morceaux Pop. » Elles ont apporté une vingtaine de 33 tours et à chaque citation de Marjolaine, Sandrine montre la pochette. On écoute « While my guitar gently weeps »

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et « Ruby Tuesday » dans la première partie. Jusque là, je connais presque tout ce qu’elles nous présentent. La prof, qui s’était mise face à la classe pour nous surveiller, voit que nous sommes scotchés par les oratrices et se retourne pour profiter elle aussi du spectacle.

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Les rôles s’inversent. C’est au tour de Sandrine de prendre la parole. Elle rougit puis prend son souffle et nous dit qu’elle va nous parler de l’avant-garde, la Pop de maintenant, mais que nous écouterons deux autres morceaux de groupes confirmés parce qu’il fallait bien choisir, quatre morceaux seulement, c’est pas beaucoup. Elle cite des tas de groupes et je n’en connais qu’un ou deux de nom puis elle dit : « Plutôt que de vous décrire la musique, on va vous faire écouter Astronomy domine de Pink Floyd, ça vous fera tout comprendre. »

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C’est parti. Elle baisse les yeux pendant toute l’écoute en murmurant les paroles. Et pour beaucoup d’entre nous, c’est la révélation. J’ai l’impression qu’il y a un monde inconnu merveilleux et que j’ai failli passer à côté. J’ai la chair de poule et la sensation que mes cheveux se dressent sur ma tête tout en me sentant fondre. J’ai bien fait de me mettre au fond, personne ne me voit, surtout pas la prof qui serait peut-être inquiète comme une adulte peut l’être mais je vais bien, un peu trop, c’est tout. Mais ça doit se voir et je ne sais pas bien cacher ces sensations-là. Et Sandrine est belle ! Elle balance sa tête de droite à gauche tout doucement en rythme, les pointes de ses cheveux se plantent dans les mailles de son pull comme des jambes de lutins sur des tapis volants. Je connais déjà bien le pouvoir de la musique, il me sidère souvent. C’est encore mieux que la plupart du temps. Je suis dans l’espace avec les musiciens, dans la tête de celui qui a composé la chanson et aussi, en vrai, un peu, dans la salle 204 du CES avec vue sur la cour de récré. C’est déjà extraordinaire de me sentir aussi peu dans l’endroit banal où je suis vraiment. Mais je suis dans tous ces lieux avec Sandrine, c’est elle qui m’a ouvert les portes et elle me fait visiter.

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A la fin du morceau, elle nous considère avec un sourire satisfait, l’effet qu’elle escomptait s’est effectivement produit. Attention, nous sommes ce qu’on appelle une classe de tronches classiques. Comme le disait le prof de français de l’année dernière : « Avec les C2, on bosse, c’est sérieux, mais avec les C1, il y a des fulgurances, c’est un festival ! » Mes petits camarades sont donc capables d’apprécier autant la musique elle-même que la manière habile et documentée des filles pour nous présenter leur camelote. Nous commentons entre nous mais le silence revient dès que Sandrine reprend la parole. Elle dit que ce n’est que le premier morceau, tout le disque est selon elle fantastique. Elle passe sur d’autres groupes qui promettent d’être magiques eux aussi, King Crimson,

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Soft Machine.

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Elle s’arrête sur le dernier prévu : Van Der Graaf Generator. Elle dit que Pink Floyd et eux sont vraiment différents mais qu’ils sont capables tous les deux d’aller chercher des métaphores au bout de la galaxie, dans des romans de science-fiction, des contes pour enfants et parlent de maisons sans portes, des chats déroutants, de gnomes, etc… Elle trouve leur musique inouïe au sens propre du terme. Si nous ne connaissons pas déjà, nous n’avons jamais entendu ça. Elle nous balance « Refugees ».

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Passé l’étonnement devant la voix du chanteur, le charme de la chanson opère. Devant moi, Hélène pose sa tête sur ses bras comme pour se bercer. Je me recule au plus loin sur ma chaise pour qu’on ne me voie pas mais je contrôle assez bien mon attitude. Ce qui manque de me déstabiliser, c’est la prof d’anglais qui se retourne et me fixe droit dans les yeux le regard embué. Je suis obligé d’avoir recours à ma ruse anti décomposition que j’ai fabriquée quand mon grand-père me racontait ses tristes histoires de guerre : je pense que je mange des fruits à même l’arbre dans le jardin. Je peux ainsi pencher la tête en lui souriant au lieu de chialer avec elle. Ca alors ! Entamée, elle est, la prof d’anglais !

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Quand la chanson se termine et que la cloche sonne, elle ne dit rien. Elle qui craint que nous soyons toujours en retard au cours suivant semble absente. Personne ne bouge. Sandrine en profite pour prendre le pouvoir. Tout en manipulant sa pile de disques, elle nous parle en faisant mine d’ignorer la prof:
- Quatre morceaux, c’était pas assez, four songs is not enough, surtout pour Pink Floyd, il faudrait écouter tout le disque et même les suivants pour bien comprendre qu’ils ont bouleversé la musique et qu’ils continuent. Par exemple, dans Mathilda mother, il y a assez d’idées pour faire trois chansons et ils n’en font qu’une seule, three songs in one song.

Et elle pose le bras du tourne disques juste au bon endroit. Effectivement, les ruptures dans le morceau sont étonnantes et pourraient donner le point de départ d’une toute autre histoire. Nous réprimons nous-mêmes le brouhaha à la fin de la chanson en espérant que ça va continuer. Sandrine ne tient plus en place. Comme la prof semble toujours KO, elle en profite pour nous passer une autre chanson :
- Ma préférée, c’est Lucifer Sam. C’est l’histoire d’un chat étrange que l’auteur ne comprend pas, il dit : «That cat’s something I can’t explain». On peut danser dessus, on peut juste l’écouter, c’est rythmé et parfois presque inquiétant. Les guitaristes disent que les accords ne suivent pas un ordre logique. C’est surprenant et on peut quand même la chanter.

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L’écoute se fait en dansant assis sur nos chaises. Sandrine fait danser ses cheveux et nous applaudissons bruyamment. Ce qui sort la prof de sa torpeur. Elle nous sourit, félicite les filles et nous demande de l’attendre pour nous rendre au cours suivant. Nous avons vingt minutes de retard et le prof de latin va râler. Quand nous arrivons en latin, les germanistes ont déjà commencé à traduire un extrait du « De viris » et nous regardent arriver agités et souriants. La prof d’anglais s’adresse au prof de latin :

- Excuse-moi, c’est de ma faute s’ils sont en retard, on avait un exposé et on a débordé.
- Un exposé sur quoi ?
- La Pop Music. Elles ont passé de la musique de Pink Floyd, c’était impressionnant, tu connais ?
- Ouais, j’ai leur dernier, j’aime beaucoup. Tu aurais dû m’en parler avant, je serais venu, j’ai un trou à cette heure-là.
Il nous scrute et se rend compte de notre excitation :
- Vous n’avez pas envie de « De viris », je me trompe ? Alors on va apprendre une chanson.
- Une chanson en latin ?
- Oui. Gaudeamus igitur. C’est comme le De viris, ça a été écrit plus tard qu’à l’époque où on parlait latin, mais c’est bien, vous allez voir.
Il nous chante le premier couplet et nous copions les paroles puis nous l’apprenons tant bien que mal, ce n’est pas un prof de musique qui nous dirige.

A la sortie du cours je rejoins Sandrine au pas de course et j’ose lui dire vraiment ce que je pense :
- C’était magnifique ce que vous avez fait ! Cette musique, Pink Floyd, c’est fantastique ! Merci de m’avoir fait connaître ça, je vais trouver des sous pour les acheter, Van Der machin, c’est vachement bien aussi !
J’ai un élan pour la prendre dans mes bras que je réprime au dernier instant. Elle s’en rend compte et rougit. Elle me propose :
- Puisque tu aimes tant ça, je t’en prête un des deux en attendant que tu l’achètes. Tu veux lequel ?
- Pink Floyd ! Mais l’autre me plaît aussi.
- Tiens, le voilà. Tu vas me raccompagner, comme ça tu m’aideras à porter mes disques, c’est lourd.

En marchant jusque chez elle nous discutons de tous ces groupes qui nous rendent dingues. Elle en connaît bien plus que moi. Elle parle beaucoup et je l’écoute. Arrivés devant sa maison, nous ne savons pas comment nous quitter, nous n’en avons pas envie. Elle qui rougit souvent avant de faire quelque chose où il faut qu’elle ose, pique un fard pourpre et s’avance pour me faire doucement les quatre bises que les garçons et les filles font dans notre classe depuis peu pour se dire bonjour ou au revoir. Sans doute pour effacer la gêne qui nous remplit, elle ajoute :
- Tiens, je te prête aussi le Van Der Graaf Generator. Fais-y attention, il est à mon frère.

Je la quitte à regret. Arrivé chez moi, je fonce dans ma chambre et met immédiatement le Pink Floyd, The Piper at the Gates of Dawn sur mon électrophone. La magie revient au galop. Je ne comprends pas toutes les paroles, loin s’en faut, mais dans la dernière chanson, « Bike », le chanteur dit : « You’re the kind of girl that fits in with my world ». Il me semble que j’ai trouvé quelqu’un à qui je pourrai dire ça.

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Modifié en dernier par dark pink le sam. 14 mai 2022 07:55, modifié 1 fois.

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Re: 1969/1970 le feuilleton

Message par Monsieur-Hulot » lun. 15 févr. 2021 15:45

Rha, juste au moment où on allait savoir si tu perdais ta virginité !
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Re: 1969/1970 le feuilleton

Message par bushi » lun. 15 févr. 2021 16:24

"....Et Sandrine est belle ! Elle balance sa tête de droite à gauche tout doucement en rythme, les pointes de ses cheveux se plantent dans les mailles de son pull comme des jambes de lutins sur des tapis volants."

C'est beau, merci, vraiment...

Ton texte m'évoque tellement mes premières vraies émotions musicales, et sentimentales, ça m'en mettrait presque les larmes aux yeux.
Très touchant.
Il ne faut pas confondre profond attachement et haute fidelité - Franquin

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Re: 1969/1970 le feuilleton

Message par Remi Aldo » lun. 15 févr. 2021 17:19

Le coup de l'exposé me rappelle quand ma sœur avait fait un exposé sur le Hard Rock, et avait découpé ma collection de Best pour illustrer ses propos. Evidemment elle m'avait juste dit" tu peux me prêter tes Best pour un exposé ?"

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Re: 1969/1970 le feuilleton

Message par Pilgrim » lun. 15 févr. 2021 18:55

J'ai eu la Mobylette Motobécane blanche,avec les clignotants aux poignées.Un salaud me l'a volée au bout d'un an.
Un pote avait une moto,c'était le seul dans la classe.C'était une Kreidler (pas sûr de l'orthographe). D'autres plus grands avaient des Malagutti qui pétaradaient.
Les disques ont en écoutait en classe à la fin de l'année quand on foutait plus rien en cours ,après les conseils de classe.Toujours les mêmes: Venus des Shocking Blue ,Something des Beatles,quelques Stones,Aphrodite's Child... et le prof d'anglais avait des Cat Stevens et des L. Cohen mais on était pas trop emballés.

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Re: 1969/1970 le feuilleton

Message par dark pink » mar. 16 févr. 2021 10:10

Monsieur-Hulot a écrit :
lun. 15 févr. 2021 15:45
Rha, juste au moment où on allait savoir si tu perdais ta virginité !
:hehe: :hehe: :hehe: ça aurait été un peu tôt, non ?
bushi a écrit :
lun. 15 févr. 2021 16:24
"....Et Sandrine est belle ! Elle balance sa tête de droite à gauche tout doucement en rythme, les pointes de ses cheveux se plantent dans les mailles de son pull comme des jambes de lutins sur des tapis volants."
C'est beau, merci, vraiment...
Ton texte m'évoque tellement mes premières vraies émotions musicales, et sentimentales, ça m'en mettrait presque les larmes aux yeux.
Très touchant.
Merci beaucoup !
C'était une période très concentrée en émotions. Sur ce forum, nous avons à peu près tous en commun que notre vie sentimentale a été littéralement baignée par la musique a tel point que les deux sont parfois indissociables. C'est encore souvent le cas bien plus tard :)
Remi Aldo a écrit :
lun. 15 févr. 2021 17:19
Le coup de l'exposé me rappelle quand ma sœur avait fait un exposé sur le Hard Rock, et avait découpé ma collection de Best pour illustrer ses propos. Evidemment elle m'avait juste dit" tu peux me prêter tes Best pour un exposé ?"
Arghh !! Des Best découpés ! Il faut que ce soit la famille pour qu'on pardonne un tel sacrilège.
Pilgrim a écrit :
lun. 15 févr. 2021 18:55
J'ai eu la Mobylette Motobécane blanche,avec les clignotants aux poignées.Un salaud me l'a volée au bout d'un an.
Un pote avait une moto,c'était le seul dans la classe.C'était une Kreidler (pas sûr de l'orthographe). D'autres plus grands avaient des Malagutti qui pétaradaient.
Les disques ont en écoutait en classe à la fin de l'année quand on foutait plus rien en cours ,après les conseils de classe.Toujours les mêmes: Venus des Shocking Blue ,Something des Beatles,quelques Stones,Aphrodite's Child... et le prof d'anglais avait des Cat Stevens et des L. Cohen mais on était pas trop emballés.
Les Kreidler comme les Zundapp, même en 50cc, avaient un look massif. J'ai été passager et j'ai un peu conduit les deux. Ca roulait vite !
Les disques duraient plus d'un an, à cette époque. On les passait d'ailleurs plusieurs fois dans la même boum et parfois de suite.
Modifié en dernier par dark pink le mar. 16 févr. 2021 10:22, modifié 1 fois.

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Re: 1969/1970 le feuilleton

Message par Monsieur-Hulot » mar. 16 févr. 2021 10:17

Les Zundapp, c'était gros et moche, y en avait partout, ça a disparu ça !
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Re: 1969/1970 le feuilleton

Message par dark pink » mar. 16 févr. 2021 10:21

9/10 – The Crying Song – Pink Floyd.
Notre « Club Théâtre » est constitué. Nous répétons dès que c’est possible : aux heures de perm habituelles, quand un prof est absent, à la pause de midi, etc. Nous allons au bureau des surveillants et au début, une pionne ou un pion nous accompagne jusqu’à la salle pour nous ouvrir la porte. Ensuite, voyant que nous ne mettons pas le souk, on nous donne une clé en nous indiquant l’endroit où aller et nous la rendons à la fin de l’heure. Les filles ont bien manœuvré avec l’administration ! Nous sommes assez nombreux car je ne sais plus qui a émis l’idée qu’il faut un remplaçant pour chaque titulaire d’un rôle et nous sommes une vraie troupe qui s’amuse bien. Nous acceptons même des observatrices ou observateurs occasionnels en leur faisant promettre de ne pas perturber notre travail. Les filles ont choisi une pièce de boulevard, George et Margaret.



Ce n’est pas très intéressant mais c’est souvent marrant. Je suis le titulaire du rôle de Claude, le fils sérieux, architecte très coincé en apparence qui révolutionne sa famille bourgeoise en déclarant qu’il épouse la bonne. Je ne suis pas bon dans ce rôle, il est bien trop loin de moi mais je fais ce que je peux pour m’améliorer.

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Avec le temps, il nous arrive de plus en plus souvent de ne pas répéter et de discuter entre nous de tout et de rien. Certaines classes sont le lieu de querelles incessantes, on peut dire que nous nous aimons bien. Même ceux qui ne sont pas dans le club nous considèrent comme leurs représentants, quand nous jouerons, si un jour nous jouons en public, ils seront un peu avec nous sur scène.
Il nous arrive aussi de faire des exercices comme le prof de français nous a dit qu’il fallait en faire pour améliorer notre jeu. Là, je ne suis pas mauvais. Je puise dans mes sentiments pour rendre plus crédible mon texte, j’improvise, et ça marche. Quand il faut rigoler, le public rit et quand il faut pleurer, le public fait la tronche. Mon but est atteint. Mais tout ça a un prix. Au sortir d’une séance dédiée à la tristesse et à l’amour, comme les autres, j’ai dû simuler une déclaration enflammée, je suis un peu sens dessus dessous. J’ai fait comme si je déclarais ma flamme tour à tour à Marjolaine et Sandrine et j’ai peur qu’elles l’aient compris et qu’elles aient trouvé ça ridicule. Le retour à la maison se faisant collectivement au moins sur la première partie du trajet, il nous sert de moment de débriefing. Je veux absolument en être d’autant que je n’hésite pas à faire des immenses détours pour raccompagner les filles chez elles. Mais je suis happé par la prof d’histoire géo et la prof de sciences qui me promettent de gros problèmes si mes notes ne grimpent pas dans leurs matières respectives. Elles sont deux et s’encouragent l’une l’autre. Et ça dure ! Quand j’arrive enfin à m’extirper des leurs griffes, toute la troupe est partie.
Je suis seul pour rentrer et une envie de pleurer difficile à refouler me taraude. Un autre élève, que certains appellent le Saule Pleureur est quelques mètres devant moi sur le trottoir. Il pleure souvent. On va le voir en lui demandant s’il chiale encore comme ça sans raison et on le regarde. Il finit par se mettre à pleurer en pinçant ses yeux du pouce et de l’index dans un geste qui me met très mal à l’aise à chaque fois. Je le rattrape instinctivement et il me sourit en me demandant :
- Ca va ? T’as pas l’air bien.
- Ca va…
Et sans autre préambule, sans doute pour conjurer mon propre malaise, je lui pose la question brute :
- Pourquoi tu pleures tout le temps comme ça ? Qu’est-ce qui va pas chez toi ?
Il me répond sans manifester le moindre étonnement pour ma question.
- Je ne peux pas m’en empêcher. Ca date du CM1, quand mes parents ont divorcé. C’est pas grave qu’ils aient divorcé, c’est même plutôt mieux, ils n’arrêtaient pas de s’engueuler, mais à partir de ce moment-là, ma mère a commencé à devenir folle. Elle m’apprend à me méfier de tout le monde, elle déteste tout le monde. Quand je suis chez elle, c’est très dur. Je ne dois parler à personne si on sort dans la rue. Elle me dit que mon père est méchant, que tout le monde est méchant. Je l’ai crue au début…
- Et tu peux pas te sauver ? Habiter chez ton père ?
- Ca se fera peut être un jour… Il faut que le juge le décide mais ça me fait de la peine. Des fois, elle redevient normale. J’ai peur de l’abandonner, qu’elle devienne complètement folle si elle est seule la plupart du temps. Elle est gentille quand elle est normale. Et mon père, il fait une dépression…
- Il n’y a que toi qui n’est pas cinglé, dans ta famille ?
- Oh moi… J’en sais rien, on verra ça bien plus tard, comment je m’en sortirai…

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Avec cette dernière phrase, je me sens comme un sale gosse écoutant un vieux sage. Face à lui, je sentais que j’étais encore moins fort que d’habitude contre mes larmes. D’autant que confronté à la tristesse de la vie qu’il me décrit, je me sens terriblement coupable d’avoir assisté aux moments où il était la proie d’emmerdeurs sans l’avoir défendu. J’ai participé à ça par ma passivité. Je me confonds en excuses :
- je ne savais pas, je suis un con, je suis désolé. Je ne le ferai plus…
Avec mes exercices de théâtre, les profs qui m’ont engueulé, la déception de ne pas rentrer avec les filles, ce mec qui a une vie si triste et ma culpabilité vis-à-vis de lui, je sens que je vais éclater en sanglots. Sans compter que l’idée que je devrais le faire pour me punir et lui manifester de la solidarité par un acte fort et public me traverse l’esprit : « Tu vois que tu n’es pas le seul à pleurer ». Il me regarde comme s’il comprenait tout et me calme :
- Oh, toi, c’est rien. Tu as suivi les autres, on voit que tu es gentil. Et je ne devrais pas…
Puis, visiblement ravi d’avoir un compagnon de route, il change complètement de sujet. Il aime la musique lui aussi, Ten Years After, Joe Cocker, tout Woodstock et la musique classique. Ne l’ayant jamais vu dans une boum, je lui dis que je pourrais le faire inviter dans plusieurs qui vont avoir lieu mais sa mère ne le laissera pas sortir et son père habite trop loin.

Quelques temps plus tard, lors d’une récré, quand quelqu’un proposera d’aller emmerder le Saule Pleureur, je trouverai les mots pour dissuader le groupe de le faire :
- Eh, les mecs, on n’est plus au primaire, on n’est plus cons comme des petits. On n’a qu’à faire autre chose.
Etant à portée de voix, Serge, c’est le prénom de mon compagnon de larmes, brandira discrètement dans ma direction son demi pain au chocolat comme on le fait avec un verre pour dire : « A la tienne ! » et continuera de le savourer en paix. Ca ne me réconfortera qu’un instant. J’ai pu être un salaud et je ne me le pardonnerai jamais.

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Modifié en dernier par dark pink le ven. 20 mai 2022 07:45, modifié 2 fois.

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