Oh la surprise ! Quand un pote perdu de vue depuis quarante ans m’a dit que j’allais être épaté je ne pensais pas l’être autant. Il y a de quoi, c’est sûr : un groupe qui existe depuis une vingtaine d’années et qui a fait une trentaine de singles et quelques albums mais que personne ne connait à part les membres du groupe eux-mêmes. Un groupe qui a donné des concerts sans que personne n’y assiste. Un groupe inconnu et secret qui le serait resté si un incident ne l’avait pas obligé à paraitre au grand jour. Enfin presque.
Oyez ! Oyez ! Braves gens. C’est l’histoire et l’interview d’Arcane, le groupe secret…
Avec :
Sam, le fermier mécène.
Nicole, la bassiste chanteuse.
Topla, le batteur programmeur.
Oslo, le claviériste graphiste.
Aymeric, le guitariste chanteur.
Dark Pink, le raconteur ahuri.
La révélation est en chemin quand je rencontre par hasard Sam qui se trouve être un ancien copain de lycée. Nous ne nous sommes pas vus depuis quarante ans mais nous nous reconnaissons en pleine rue malgré nos masques anti-virus. En évoquant nos souvenirs communs, nous nous rappelons de nos discussions sans fin à propos de la musique et Sam, qui est fermier, me dit qu’il héberge depuis quelques années un groupe de rock dans une grange. A cause d’un incident, un de ses ouvriers a enfoncé la porte de la grange en faisant une fausse manœuvre avec un tracteur, il découvre le matériel du groupe mais aussi son abondante discographie répartie sur trois palettes recouvertes de bâches.
- Sam : J’entre dans leur bazar et je regarde l’étendue des dégâts. Rien n’a été abîmé mais je dois réparer la porte pour éviter que des voleurs leur piquent leur matos. Je me souviens qu’il y avait des planches au fond de cette grange et en déblayant des bâches, je trouve, sur trois palettes, des piles de disques encore sous plastique, principalement des séries de 45 tours, pratiquement tous du même groupe. Je répare la porte et quand ils viennent le week-end suivant pour répéter, je me débrouille pour être là et leur expliquer ce qui se passe. Ca faisait 15 ans que je n’avais pas mis les pieds là-dedans. Ils passaient boire un coup à la ferme en fin de répétition assez souvent. Ils parlaient de leur musique mais jamais de leurs disques ni de leurs concerts parce qu’à côté des palettes, je trouve tout un tas d’affiches de concerts donnés par leur groupe : Arcane.
- Dark Pink : Et ils te répondent quoi, quand tu leur en parles ?
- Sam : D’abord ils se marrent puis me déballent tout. Ils ont fait comme si leur groupe était un groupe normal pendant toutes ces années mais sans jamais en parler publiquement. Ils ont sorti des disques qui n’ont jamais quitté la grange et ils ont donné des concerts dans des salles louées à leurs frais mais sans public. Ils ont même écrit des articles sur eux-mêmes qui auraient pu être publiés dans des revues de musique. Mais ils veulent arrêter leur groupe, ils ont vieilli, ils sont un peu fatigués de mentir à leurs proches, ils vont vendre leurs disques pas cher à qui les veut et vont enfin pouvoir les écouter chez eux, etc… Ma découverte de leur secret leur a servi de déclencheur.
Je quitte Sam en lui demandant de parler au groupe en ma faveur. Je suis intéressé par leur histoire et aussi par leurs disques qui vont devenir des collectors. Avant de rencontrer Sam à nouveau, l’idée de raconter leur histoire et de les interviewer pour le forum devient de plus en plus attrayante pour moi. Je suis un peu en panne d’inspiration et un groupe pas banal comme eux, ça devrait plaire aux membres du forum. Sans compter que certains seront forcément intéressés par l’achat de quelques disques inédits voire de toute la collection. Après quelques coups de fil et échanges de textos avec Sam, il est convenu que je les rejoindrai un samedi midi à la ferme. Nous mangerons ensemble et passerons tout l’après-midi à discuter. J’aurai le droit d’enregistrer nos conversations et de les retranscrire sur le forum Rock 60/70 que les membres du groupe connaissent. Ils n’y sont jamais apparus pour ne pas divulguer leur existence mais certains s’y inscriront quand mon « article » sur eux sera en ligne et ils répondront directement aux questions des forumeurs.
Je pars donc un samedi matin en bagnole pour le fin fond des Yvelines avec mon téléphone chargé et un cahier où j’ai noté les dizaines de questions qui me turlupinent sur ces oiseaux rares.
Quand j’arrive à l’heure du repas, je suis obligé de mettre en marche l’enregistrement pendant que nous mangeons parce que je n’arrive pas à attendre le moment où nous serons dans la fameuse grange pour les bombarder de questions. Et la première fuse immédiatement :
- Dark Pink : Qu’est ce que c’est que cette idée zinzin de faire un groupe secret ?
- Aymeric : Au départ, on n’avait pas l’idée de rester secrets, pas du tout ! On voulait faire un vrai groupe, normal.
- Nicole : On avait répété pas mal de morceaux et on en parlait avec nos amis, notre famille et on a eu une possibilité extraordinaire de concert dans une grande salle. C’était juste un peu loin, dans le Var. Le type qui l’organisait nous avait fait miroiter des tas de trucs dont la présence dans la salle de gens comme les mecs de Téléphone, des gens du show-biz. Il avait un classeur avec des photos de lui avec des tas d’artistes, Johnny, Sandie Shaw, Roger Waters, Ramon Pipin, il avait même une série de photos de lui avec McCartney. Le pire, c’est qu’on n’a jamais su son vrai nom…
- Topla : On l’appelait Triff. Son surnom complet, c’était Triphasé à cause du courant du même nom. Il disait : « Vous allez faire un malheur, comme si vous étiez branchés sur du triphasé ». On n’a jamais connu son vrai nom.
- Dark Pink : C’est lui qui vous a dit de devenir un groupe secret ?
- Topla : Non. Mais c’est à cause de lui qu’on l’est devenu. Tu racontes, Nicole ? Moi, j’oublie toujours des trucs… Ou je raconte pas dans l’ordre.
- Nicole : OK, je raconte. Alors justement, au début, on ne s’appelait pas Arcane. Arcane, c’est venu après. On s’appelait Rouflaquette.
- Dark Pink : Ouais ? Pourquoi ce nom-là ?
- Nicole : C’était une idée d’Oslo, hein, Oslo ?
- Oslo : Ouais… Je faisais des affiches, des pochettes de nos futurs disques et je taguais les murs du coin avec des slogans à notre gloire : « Rouflaquette, un groupe qui m’épate ! » Mes pattes ! Rouflaquette… Tu piges ? « Rouflaquette, mon groupe favori ». Favori, Rouflaquette ? Ca y est, t’as pigé ?
Devant ma mine déconfite tout le monde se marre. Aymeric me met en garde :
- Aymeric : Eh ! On a tous lu des trucs que tu as écrits sur le forum 60/70. Alors tu nous racontes bien, hein ? Tu fais pas comme dans les articles de Rock & Folk ou les revues de musique où ils ne signalent que les rires. T’as remarqué ? Ils mettent « rires » entre parenthèses mais jamais rien d’autre ! Si le mec se gratte les couilles ou s’il rote, ils disent rien.
Oslo prend mon téléphone et le porte à sa bouche puis rote littéralement dedans.
- Oslo : Là, tu écriras « rot » entre parenthèses. Même, tu écriras « super beau rot » parce que je l’ai pas raté, celui-là ! Et t’auras le droit de rajouter « rires » parce que maintenant tout le monde se marre.
- Aymeric :Tout à l’heure, je pèterai, ça sentira pas bon et on se marrera. Ca fera donc : (pêt), (odeur), (rires), (rires à la blague d’Aymeric). T’as pigé ? Si tu nous racontes pas comme il faut, c’est pas la peine de le faire (rires et brouhaha) !
- Dark Pink : OK, mais ça ne me dit toujours pas pourquoi vous êtes un groupe secret ?
- Nicole : D’accord, je continue. On donne pas mal de pognon en liquide à Triff en début de semaine et il nous dit qu’il part dans le Var pour tout préparer pour le concert. Nous, on charge la camionnette d’Oslo et on part le vendredi soir pour une nuit de route. C’est notre premier concert ! On sait qu’on sera nazes en arrivant mais on est tellement excités qu’on retrouvera la frite dès qu’on jouera les premières notes. Quand on arrive devant la salle, un vieux cinéma à l’ancienne, elle est fermée et elle semble désaffectée depuis pas mal de temps. La grille est verrouillée par une chaîne, c’est sale, du courrier jauni balancé derrière la grille est là depuis des lustres. On demande aux gens qui passent s’ils savent quand ça va ouvrir mais un des jeunes qui nous parle plus longtemps que les autres nous dit qu’il faudrait demander aux vieux du coin car lui n’a jamais vu cet endroit ouvert. On essaye pendant tout l’après-midi de joindre Triff mais il ne répond pas. Quand il commence à faire noir, on est convaincus qu’on s’est fait niquer par un escroc. On pleure tous un peu et Oslo colle les quelques affiches qui restaient au fond du camion sur la façade usée du vieux cinéma.
- Aymeric : C’est quand même sacrément dur, non ? T’imagines ! On a plus un rond, on a tout filé à ce fumier. On n’a même plus assez pour reprendre l’autoroute à péage ! Comme on ne peut pas non plus prendre des chambres d’hôtel, on n’a même pas de quoi en prendre une seule, on repart immédiatement pour la région parisienne avec des sandwichs…
- Nicole : On avait juste assez pour l’essence ! Topla dit qu’il peut conduire toute la nuit s’il le faut mais au bout de quelques kilomètres, il arrête le camion et fond en larmes sur le volant. On se met tous à pleurer avec lui. Quand on est remis, on trouve un ancien arrêt de bus sur la départementale où on roule depuis quelques minutes. Il est désaffecté lui aussi. En fait, la route a été refaite, son tracé a changé et cet arrêt de car est sur l’ancien tracé de la route, il sert d’aire de repos. La voirie a laissé l’abribus et Topla, qui a bossé un temps chez les gens qui remplacent les affiches éclairées qu’on trouve dans ces endroits, sait qu’il y a une prise de courant à l’intérieur du cadre où on met les affiches. Comme le courant n’est pas coupé, il branche le chargeur de son portable pour continuer à pourrir de messages menaçants le répondeur de Triff.
- Topla : Je lui répétais : « T’as pas intérêt à te pointer par chez nous, je vais te faire bouffer mes baguettes ! » et je raccrochais. (Rires jaunes)
- Nicole : Malgré mon chagrin, j’étais quand même frustrée de ne pas avoir pu jouer. Oslo avait branché une prise multiple pour qu’on puisse mettre la baladeuse et avoir de la lumière pour bouffer. J’ai aussi branché l’ampli d’Aymeric et je me suis mise à jouer sur sa gratte. Pas nos chansons, mais des trucs sans queue ni tête, des berceuses pour les mômes, comme si on en avait besoin, et ça a dérivé vers les chansons de cul que Topla connait par cœur. On a fini par avoir des fous rires, on avait tous les yeux rouges. Oslo a dit : « On devrait quand même le faire ici, notre concert ! »
- Oslo : Elle avait raison de jouer, Nicole, ça allait nous redonner le moral. On était en rase campagne, on faisait chier personne. On a installé notre matos en version light et on a fait tout notre concert, la setlist en entier ! Aymeric a fait comme s’il y avait du public. Ils ont fait leur duo avec Nicole, où ils se regardent dans le blanc des yeux, comme si le public poussait des cris pour qu’ils s’embrassent. Je suis sûr que c’est là que vous êtes tombés amoureux !
- Aymeric : Non ! C’est plus tard… Je pensais pas qu’elle et moi ça pouvait marcher.
- Topla : Mais tu étais ferré ! Ca se voyait ! Tu la buvais des yeux quand elle chantait ses solos. Et cette façon que tu avais, et que tu as toujours, de dire avec des trémolos dans la voix : « Ah, une bassiste qui chante en même temps ! » Tu rigoles !
- Aymeric : C’est vrai qu’une fille avec une basse qui chante en même temps qu’elle joue !...
- Oslo : Tu vois ! Tu recommences ! Et toi, Nicole, t’en penses quoi ? Vous vous aimez depuis le soir du premier concert ou après ?
- Nicole : Je ne vous dirai jamais depuis quand je l’aime. C’est pas la peine de demander, ça ne regarde que moi !
- Dark Pink : Vous vous aimez mais vous aimez vraiment les secrets !
- Nicole : Toujours est-il qu’on a fait notre premier concert en entier au milieu de nulle part sous un abribus d’une route départementale à la lumière d’une baladeuse et des loupiotes des amplis. Et c’était génial ! Après ça, Triff et tout ce qui pouvait nous faire chier n’avait plus d’importance.
- Aymeric : On est rentrés chez nous le lendemain et on était tous heureux. Topla a arrêté d’appeler Triff et on s’est dit : « Au revoir, à samedi pour la prochaine répèt’ » comme si on avait fait un concert génial.
- Nicole : C’était génial…
- Topla et Oslo : Ouais…
- Dark Pink : Je comprends. Mais ça ne me dit toujours pas pourquoi vous êtes devenus un groupe secret et que vous avez tout fait comme un « vrai » groupe sauf vous faire connaître ?
- Nicole : On a continué à répéter mais on parlait de plus en plus de notre prochain concert dans les égouts, dans la jungle, Oslo avait trouvé tout un tas d’endroits désaffectés où il voulait qu’on joue. Sans public. Et aucun d’entre nous ne râlait, on trouvait aussi que c’était une bonne idée.
- Oslo : Le truc qui nous a mis la puce à l’oreille, c’est que nous avions des 45 tours de Rouflaquette et que nous n’en vendions aucun. Un jour, on en a parlé et on s’est rendu compte qu’on ne voulait pas les vendre et non plus les faire connaître. On avait notre opinion sur notre musique et on n’en voulait pas d’autre. Tu sais, quand tu fais un truc artistique et que tu n’es pas connu, on te dit des trucs du genre : « Quand on entend les conneries qui passent à la radio, pourquoi pas tes trucs ». C’est pas vraiment sympa. On ne voulait pas entendre ça.
- Topla : Avant notre concert sous l’abribus, on avait contacté un type d’un label, pas un imposteur comme Triff, un vrai. A peine on avait pu lui faire écouter un de nos titres qu’il voulait déjà nous changer l’arrangement, relooker Nicole et la mettre en avant pour qu’elle devienne la chanteuse principale, etc…
- Aymeric : Nicole, elle veut faire son truc. Surtout jouer de la basse et chanter de temps en temps. Et tous les trucs que le mec du label nous proposait nous faisaient chier. Bon, elle est belle Nicole…
- Dark Pink : Ah ça, c’est vrai ! Je me demandais si quelqu’un allait oser le dire.
- Topla : Alors là, tu vois, tu rajoutes « rougissements » entre parenthèses, vous avez rougi tous les trois ! Je fais une photo (rougissements, rires et photo)
- Nicole : Et vous, Oslo et Topla, vous trouvez pas que je suis jolie (elle prend des poses de top model en rigolant) ?
Topla et Oslo rougissent à leur tour. Je dois rajouter : (rougissement généralisé). Sauf Sam. Il est là depuis le début et n’a rien dit. On bouffe à sa table, quand même. Il finit par parler :
- Sam : Putain ! Pendant vingt ans vous avez fait tout ce bazar sans jamais rien me dire ! Je ne vous aurais pas dénoncés, hein ?
- Aymeric : Mais on le sait bien, Sam, tu es la crème des mecs, il n’y a que toi pour prêter une grange à des gens que tu connais à peine pendant vingt ans sans rien leur demander. Rien n’aurait été possible sans toi. On voulait te le dire mais on avait juré. D’ailleurs, un truc que tu ne sais pas, tu es cité dans tous les remerciements de tous nos disques. On va t’en donner un exemplaire de chaque et tu trouveras ton nom sur tous !
Sam ne dit rien. Il a les larmes aux yeux. Et on les a tous avec lui (larmes).
- Dark pink : Je ne sais toujours pas complètement pourquoi vous êtes devenus secrets mais j’ai envie de vous dire de le rester. Sam ne dira rien, c’est une évidence, et je vous promets que moi non plus si vous me demandez de garder le secret. Je renonce même à prendre les disques que vous m’avez promis si vous voulez. Vous avez l’air heureux comme ça, pourquoi changer ?
- Nicole : C’est fini. Il y a plein de raisons pour lesquelles c’est fini. On te racontera ça après. On est devenus officiellement secrets quand on a eu une autre proposition de concert. On a commencé à répéter pour et tout s’est mis à déconner.
- Aymeric : On ne jouait plus bien et on a commencé à s’engueuler. En se calmant et en parlant entre nous, on s’est rendu compte que la perspective de faire connaître ce que nous faisions ne nous plaisait pas, ne nous plaisait plus. Nous voulions faire un concert comme le premier, sans nous faire chier. Et nous voulions faire un disque sans batailler avec des tas de gens qui nous disent quoi faire. Oslo avait des tas de pochettes en prévision et elles nous plaisaient mais on se rappelait du type de la boite de pressage de notre premier 45 tours qui nous disait de mettre une autre image, que la nôtre n’était pas « vendeuse ».
- Topla : On voulait rien vendre, on voulait juste faire de la musique peinards. Avec nos paroles, nos pochettes etc. Mais on voulait faire tout ce que fait un groupe de rock mais pas avoir les avis des autres gens qui nous faisaient un peu chier. Alors on a décidé de faire exactement ce qu’on voulait. Si on était tous d’accord, on fonçait sans se poser de question.
- Oslo : On bossait tous, on avait un peu de ronds. On les mettait dans ce qui nous foutait la gaule et merde au reste. On a changé de nom pour ça.
- Nicole : J’ai trouvé qu’Arcane c’était un bon nom pour un groupe secret et là comme pour tout le reste, les autres ont trouvé que ça collait bien. (sourires béats).
- Topla : On a regardé les salles qui ne coûtaient pas cher à louer et on y donné des concerts sans public. On laissait les portes fermées. Dans quelques salles, il y avait du personnel dont les services étaient compris dans le prix mais on les congédiait et ils se barraient sans râler.
- Nicole : Il y a quelques mois, on a passé toute une répèt’ à écouter nos disques plutôt que de jouer et on s’est rendu compte qu’on avait tous plus ou moins craqué. On avait tous révélé notre secret à au moins une personne de notre entourage. Aymeric et moi, on est ensemble depuis plusieurs années, c’était facile pour nous, pas besoin de se mentir. Mais pour les autres…
- Topla : J’ai fini par le dire à ma copine, je l’aurais perdue si je ne lui avais pas dit. Je me barrais au moins une fois par week-end sans lui dire ce que faisais, c’était pas facile pour elle. Je tiens à elle ! Elle a deux mômes, ils sont adorables et je ne veux pas être le beau-père qui leur raconte des salades… (Les autres acquiescent de la tête)
- Oslo : Je l’ai dit à mon frère. On est proches. J’ai quand même pu lui mentir pendant quinze ans !
- Aymeric : Ca fait vingt ans qu’on fait ce groupe et on a tous plus ou moins tenu quinze ans de secret strict ! C’est quand même pas mal. On voulait n’en faire qu’à notre tête mais c’était évident qu’on voulait que ça change un peu. On ne savait pas comment faire et l’accident de tracteur nous a donné l’occasion de changer. C’est bien comme ça. Sam t’a contacté et il nous a dit qu’on pouvait avoir confiance en toi. Il nous a fait lire tes trucs et on s’est dit que tu pourrais nous faire un truc sur ton forum.
- Dark Pink : OK, mais je vais surtout retranscrire ce que vous dites en supprimant les bafouillages et les redites, ça devrait suffire à édifier les gens du forum sur la bande de maboules que vous êtes. Vous êtes jeunes, vous n’avez pas peur du web et des médias pour faire un truc aussi dingue !
- Nicole : Ce qui est drôle, c’est qu’on a tous le même âge. On a commencé l’année de nos dix-huit ans. On a tous moins de quarante ans maintenant.
- Dark Pink : Alors c’est quoi, votre musique ? C’est tellement dingue qu’il n’y a que des cinglés pour aimer ça ?
- Nicole : Non, pas du tout, mais c’est tellement varié. Comme on n’a fait que ce qu’on voulait, on n’a rien évité. Si on avait été connus, il y aurait toujours eu des gens pour nous dissuader de faire un truc ou un autre. Là, quand un de nous avait une idée bizarre, on sautait dessus immédiatement. On a fait tous les genres. Du marrant graveleux au sérieux complet. Des chansons de moins de deux minutes à la Au bonheur des Dames aux morceaux symphoniques à la Pink Floyd. Et on a tout mélangé, des trucs très courts avec des paroles sérieuses voire graves aux machins à rallonge avec des paroles un peu à la con, exprès.
- Aymeric : On peut faire n’importe-quoi ! Tu te rends compte : personne pour nous faire chier !
- Dark Pink : Vous auriez pu le faire aussi en vous faisant connaître.
- Aymeric : Oui, tu as parfaitement raison mais il aurait fallu causer et batailler avec des tas de gens et ça on n’en veut pas. Tu vois, là, tu me mets le nez dedans et ça ne me plaît pas. Rien que ça, ça m’emmerde ! On a plein de choses en commun mais ce qu’on aime avant tout, et on est tous d’accord là-dessus, c’est qu’on veut être peinards ! (Ils acquiescent tous bruyamment)
- Dark Pink : Vous allez vous prendre toutes les critiques que vous ne vouliez pas d’un seul coup, ça va pas être facile. Sur le web, les gens ne se privent pas. Quand ça sera en ligne il se peut même que des gens des journaux en causent. Vous réagirez comment si Manœuvre et les autres vous démolissent ? Ou s’ils disent que vous êtes des génies, que vous êtes la découverte du siècle ? Vous n’aurez pas de regrets ? Vous ne vous direz pas que vous avez raté quelque chose ?
- Nicole : On n’a rien raté ! On a fait ce qu’on a voulu ! Tu piges pas ça ? Pour nous, la réussite, c’est d’avoir toujours fait ce qu’on voulait. On a réussi quoi qu’il arrive, tant qu’on était d’accord, on l’a fait !
- Dark Pink : OK, mais vous avez dû quand même discuter entre vous, vous n’avez pas fait exactement ce que vous voulez en tant qu’individus.
- Oslo : Buzzz ! (Il imite le bruit d’un buzzer de jeu télévisé) Faux encore ! On voulait réussir un groupe, pas la carrière solo d’un artiste !
- Topla : On disait toujours oui aux autres. J’ai pas de souvenir qu’on ait refusé une idée ! En plus, j’ai mes meilleurs souvenirs quand on réalisait les idées des autres, pas les miennes. Alors…
- Dark Pink : Ca se tient, votre truc…
- Topla : Monseigneur est bien bon d’admettre que nous ne sommes pas totalement des abrutis. (rires !)
- Dark Pink : On va la voir, votre grange, l’antre de tous les secrets ?
- Nicole : Attends ! Faut quand même qu’on te prévienne ! A part Sam quand la porte était cassée, personne d’autre que nous quatre n’est entré là-dedans pendant les quinze dernières années !
- Dark Pink : C’est dingue ça ! Sam, t’as jamais eu envie d’y aller voir ?
- Nicole : Il n’aurait pas pu, en tout cas sans casser la porte. Il y a quinze ans, on lui a dit qu’on changeait la porte et la serrure pour sécuriser encore plus notre matos, c’est Oslo qui l’a fait, et on lui a dit qu’on lui donnerait une clé mais on ne l’a jamais fait. Comme il ne nous a rien demandé, j’ai toujours dans mon sac la clé qu’on avait faite faire pour lui. Tiens Sam ! C’est chez toi, de toute façon, mais tu peux y entrer maintenant.
Sam est ému encore une fois et son émotion est contagieuse. Nous marchons en silence sur le long chemin qui conduit à la grange. J’ai encore des tas de questions sur leurs surnoms et le reste mais je respecte l’ambiance de recueillement de notre procession. Après tout, c’est carrément un changement d’ère et presque de vie pour ces quatre musiciens. J’ai envie de tout découvrir enfin mais j’ai autant envie qu’ils renoncent au dernier moment. Ce qu’ils ont fait est unique. C’est dommage que ça s’arrête. Quand nous arrivons devant la porte toute neuve. Je me sens tout à coup de trop. Je ne fais partie de cette histoire. Je devrais les laisser entre eux pour ce moment qui leur appartient.
- Dark Pink : Si vous voulez, j’attends pour un peu entrer, pour vous laisser entre vous. On même je me barre… J’ai l’impression d’être en trop…
- Nicole : Non ! On a décidé de le faire, il faut un témoin. On est tous d’accord pour que ce soit toi alors tu fais ton boulot !
Ils laissent Sam ouvrir avec sa clé. J’entre en dernier, j’ai l’impression d’entrer dans un sanctuaire à la Indiana Jones. Je foule un sol inviolé depuis quinze ans. Toutes les autres personnes présentes sont déjà entrées ici sauf moi. Je regarde partout où je mets les pieds.
- Nicole : Voilà ! Arcane, c’est ça ! Comme une conne, j’avais préparé des phrases rigolotes à dire pour l’occasion et j’arrive plus à m’en souvenir.
Ils marchent un peu comme moi au milieu de cet endroit qui leur est pourtant familier, comme si ma présence étrangère leur rendait leur lieu étranger. Je suis vraiment gêné alors je leur demande :
- Vous pourriez nous jouer quelque chose ? C’est possible ou c’est trop ? Si c’est trop, dites-le… Je ne sais pas quoi dire…
- Nicole : Non, on peut pas jouer, hein ? (Les autres remuent la tête de droite à gauche pour dire que non) Mais on peut vous faire écouter quelques-uns de nos disques. C’est ce qu’on avait prévu.
- Oslo : La face B de « Reste dans l’eau t’es mouillée » !
- Topla : Oui, c’est une bonne idée pour commencer, c’est une reprise. Notre seule reprise, avec notre hommage à Kraftwerk, d’ailleurs. On a joué des tas de reprises mais on en a enregistré une seule de cette façon. Et encore, les paroles ont été adaptées par Oslo pour les « masculiniser ». Tu vois, quand on te dit qu’on partait dans n’importe quel sens pourvu qu’on en ait envie… Dis-lui, Oslo, pourquoi tu voulais faire cette reprise !
- Oslo : C’est pour pouvoir placer dans une chanson la phrase : « Je suis partouze à la fois » (Rires fournis) et aussi pour faire des tas de liaisons mal-t-à-propos.
- Nicole : C’est « Poupée de cire poupée de son » renommée « Poupon de cire poupon de son ». Quand il nous a dit pourquoi il voulait faire ça, on a tout de suite été d’accord ! Tu vois. Il chante : « Je suis z-un poupon de cire z-un poupon de son. Mon cœur est gras et dans mes chaussons » (rires) et après dans le texte, il dit : « Mes disques sont z-un miroir dans lequel chaque Hun peut me voir, je suis partout z-à la fois… » (Re-rires)
- Aymeric : Et l’accompagnement, tu sais ce que c’est ? C’est pas nous qui jouons. C’est un playback trouvé sur un vieux 45 tours qui était donné avec des crèmes instantanées l’Alsacienne ! Tu connais beaucoup de groupes qui auraient pu faire ça ?
On écoute le disque sur un chaine ancienne mais de bonne qualité. Le 45 tours crache un peu, je le fais remarquer :
- Dark Pink : Vous l’avez pas mal écouté, celui-là, il crachote un peu.
- Oslo : Non, les craquements viennent du 45 tours d’accompagnement qui date des années soixante, on les a laissés.
Ils se marrent encore alors qu’ils doivent le connaître par cœur.
- Dark Pink : OK, c’est cool, c’est marrant. J’ai d’autres questions à vous poser, je peux ?
- Nicole : Vas-y envoie !
- Dark Pink : D’abord sur vos surnoms. Pourquoi vous vous appelez Topla et Oslo ?
- Topla : Moi, c’est parce que j’étais toujours très content qu’on soit d’accord, alors je disais : « Tope-la ! » en levant la main en l’air.
- Dark Pink : OK, et ton vrai nom, c’est quoi ?
- Topla : Qu’est-ce que ça peut te foutre, mon vrai nom ? Tu vois, c’est pour pas répondre à des questions comme ça qu’on est restés secrets.
- Dark Pink : Ouais, mais maintenant les gens qui vont connaître le groupe vont te le demander sans arrêt.
- Topla : On s’en fout ! On répondra pas. C’est pas parce qu’on n’est plus secrets qu’on va répondre aux questions qu’on veut pas répondre !
Les autres acquiescent bruyamment.
- Dark Pink : Et Oslo, pourquoi on t’appelle Oslo ?
- Aymeric : On l’appelle Oslo parce qu’il vient de Suède.
- Dark Pink : D’accord ! Mais Oslo, c’est pas en Suède, c’est en Norvège !
- Aymeric : On s’en fout ! On l’appelle Oslo parce qu’il vient de Suède.
- Dark Pink : Vous allez répondre comme ça à toutes les questions ?
- Nicole : Non… Et oui ! On va répondre comme on veut, là, c’est comme on veut, donc ta réponse est oui. Mais des fois, on répondra sincèrement parce qu’on veut répondre sincèrement, donc ta réponse est non. Tu vois ?
- Dark Pink : Vous êtes encore plus allumés que ce que je pensais ! Et Oslo, c’est pas non plus ton vrai nom ?
- Oslo : Ca pourrait. Presque.
- Dark Pink : Avec des réponses comme ça, des gens vont vous adorer et d’autres vont vouloir vous coller des baffes. Alors allons-y pour les disques que je vois là en tas. Je prends ceux que je veux et je vous demande de m’en parler… comme vous voulez. Tiens ! C’est votre premier, celui-là ? Avant que vous deveniez secrets ?
- Nicole : Oui, tout à fait !
- Dark Pink : Alors allez-y sur « Elle jouait du luth nue » par Rouflaquette.
- Nicole : On a écrit ça parce qu’il y avait : « Il jouait du piano debout ». On trouvait que c’était pas si remarquable que ça et on a trouvé ce tableau. On se disait que c’était bien plus gonflé de jouer du luth nue, surtout à l’époque, que jouer du piano debout. Le refrain, c’est :
Elle jouait du luth nue,
C’est ça qui nous avait plu.
Elle portait bien la tenue nue
Mais on ne voyait pas son cul.
- Dark Pink : Rien d’autre à dire ?
- Topla : Non. Faut écouter le disque.
- Dark Pink : Ok. Alors ça : « Un vrai, info » par Arcane, cette fois.
- Oslo : Ca, c’est notre cinq ou sixième 45 tours. C’est de la politique. On critique les infos de la télé. On dit pas que c’est faux mais on veut pas qu’ils nous bourrent le mou. Et on leur reproche de pas parler d’Arcane !
- Dark Pink : Mais vous faisiez tout pour rester secrets !
- Aymeric : Ouais, c’est vrai mais c’est pas une raison ! (Rires fournis)
- Dark Pink : Ok ! Au suivant : « Arcane aime la vie devant elles ». Je me souviens de cette série, elle était très bien, les trois actrices étaient excellentes !
- Oslo : Ouais, ben nous aussi on était fans de cette série. Le refrain :
« Stéphane, Lily et Alma,
On vous aime, ne partez pas.
Si j’avais la vie devant moi,
Je la voudrais avec une des trois.
Mais je ne veux pas penser étroit.
Je la voudrais avec les trois ! »
- Dark Pink : Quand vous me sortez le refrain, vous ne direz plus rien, je me trompe ? Alors la suite : « Je ne suis pas né dans la rue (et toc !) » C’est pour dire le contraire de Johnny ?
Aymeric : Non. Et oui aussi. Tous ces mecs qui se la pètent en disant qu’ils sont nés dans le ruisseau pour faire chialer dans les chaumières alors qu’ils sont « fils de », ça nous énervait. On a fait une chanson qui raconte le quotidien de gens normaux. Les gens normaux sont intéressants !
- Nicole : Ouais, c’est ce qu’on pense tous. De faire croire qu’il faut vivre des trucs extraordinaires et tragiques pour être digne d’intérêt, ça encourage des gens à en provoquer et ça peut devenir vraiment tragique. Ou alors ils en inventent et c’est pas vraiment mieux.
Dark Pink : Je vois plein de pochettes avec des nanas dessus. Assez souvent c’est leur nom qui fait le titre de la chanson. Vous leur faites des odes ? Vous les aimez et vous chantez leurs louanges ?
- Topla : « Vous chantez leurs louanges », j’aime bien quand on parle comme autrefois, ça me fait marrer.
- Nicole : On écrit et compose tous. Comme il y a trois mecs et que je suis la seule nana, il y a des odes à des femmes, comme tu dis mais pas seulement. Des fois ils se payent leur tête. Moi, j’ai pas écrit d’ode à un mec quelconque…
- Dark Pink : « Lena », c’est Lena Headey ?
- Oslo : Oui. Elle a fait la mère de John Connor dans la série Terminator. Je l’ai adorée là-dedans.
- Dark Pink : « La mère à Harry », c’est JK Rowling, sur la photo ?
- Oslo : Ouais. C’est la mère à Harry Potter, en quelque sorte.
- Dark Pink : Tu aimes les mères.
- Oslo : Ouais.
- Dark Pink : Ok ! « Les fleurs qui poussent partout », ça cause de quoi ?
- Nicole : Ca, c’est de moi. Sur le 45 tours, c’est la version single. On a fait la version complète qui dure cinquante minutes, deux faces de 33 tours. C’est une nana qui se promène dans les quartiers un peu abandonnés d’une ville et qui voit que des petites fleurs poussent dans des tas d’endroits où il ne semble pas y avoir de terre, des fissures dans le béton, au milieu de détritus, etc. Elle y voit des signes de vie encourageants. Il y a quelques paroles mais c’est surtout un long instrumental.
- Dark Pink : Et « Vinnie Terranova » ! De quoi ça parle ?
- Nicole : Dans ce groupe, on a tous des idoles, ce qui est drôle, c’est que les garçons ont surtout des filles comme idoles et moi surtout des mecs. Mais Vinnie Terranova, on l’a tous comme idole ! On s’est tous identifiés à lui, même moi. Il est infiltré dans la pègre et il veut faire ce qui est bien. Il en chie mais il continue. Sans le côté tragique de la série, on se sentait être des musiciens infiltrés dans la vie normale. Je crois même que c’est de voir cette série quand on était mômes qui nous a mis le germe du secret dans la tête.
- Aymeric : Ouais, on faisait notre boulot ou tout ce qu’on devait faire qui était obligé et quand on arrivait ici, le samedi la plupart du temps, on faisait exactement ce qu’on voulait.
- Topla : De la musique en secret. De la musique à propos de tout et de rien, sans se poser de question.
- Oslo : On n’avait pas que la vie de tous les jours, on avait ça en plus. Quand ça n’allait pas, on savait qu’on était musiciens. Libres.
- Aymeric : Maintenant, on est lassés par le secret mais on se sent plus forts grâce à lui. On ne va pas arrêter de faire de la musique mais si on la fait au grand jour, on continuera à la faire librement.
- Nicole : Maintenant, on a tous d’autres personnes avec qui on est libres, Topla et Oslo ont leurs copines et leurs mômes, Aymeric et moi, on est ensemble. Tiens, au fait, tu n’as pas demandé pourquoi on s’appelait Aymeric et Nicole ? Aymeric, c’est pas son vrai nom !
- Dark Pink : Mais…
- Nicole : C’est pas la peine de lui demander, il ne te dira pas son vrai nom (rires). Ce n’est plus tout à fait le cas, mais à une époque, dans le secret, nous étions comme des poissons dans l’eau.
(j'aurais du écrire "il est épatant - rouflaquette- etc)
