Le dernier bon album des Rolling Stones ? Je sais pas, j'étais pas né !
Plus sérieusement, j'ai voté Tattoo You. Le dernier témoignage de la patte Stones des 70s dans un intéressant montage de fonds de tiroirs assemblés sur une face plutôt rock et blues, et une seconde avec des morceaux plus mélodiques et aux ambiances plus progressistes. C'est aussi à ce moment-là il me semble que les Stones ont achevé de s'institutionnaliser, rompant définitivement avec tout ce qui faisait d'eux un groupe entouré d'une dimension subversive, avec cette odeur de soufre héritée des mythes liés à leur vie antérieure (les accointances satanico-occultes, la dope, Brian Jones, Altamont, les histoires de changement de sang dans les cliniques en Suisse, etc), devenant une sorte d'attraction familiale, sponsorisée par Budweiser ou Volkswagen, relayé par MTV. L'album suivant, Undercover, me semble enfoncer le clou de cette transformation, avec les sonorités 80s qui amochent le discours. Il y aura quelques albums pas inintéressants ensuite, Dirty Works, Steel Wheels, peut-être Voodoo Lounge, mais il y a du tri à faire dedans. Ensuite, je n'ai pas suivi, hormis Blue & Lonesome que j'ai écouté avec intérêt et attention, parce que ça me semblait revenir au logiciel de base, le blues de Chicago.
"Beuh, c'est plus ce que c'était" : nous avons souvent ce débat avec Madame, qui rêve de voir les Stones sur scène. J'ai un peu fouillé le web il y a quelques semaines, pour voir le prix des places pour leur prochain passage en France, j'ai vite laissé tomber. Mais plus qu'une question d'argent, c'est aussi le souvenir de déception que j'ai eu en les voyant à l'hippodrome de Longchamps en 1995 (le fameux soir où il a plu), j'ai vu quelques minuscule fourmis à plusieurs centaines de mètres, relayées par un écran géant, déployant un greatest-hits joué avec à peine d'honnêteté, une sorte de partie de baluche de luxe, se contentant d'entretenir la légende avec paresse et autosatisfaction. Tout ce que j'ai vu depuis m'a conforté dans ce sentiment. J'ai offert "Rock In Rio" à Madame l'an dernier, nous l'avons visionné ensemble, elle a vraiment aimé, moi j'ai bougonné, stupéfait par ce ronronnement pépère assez peu en lien avec toutes ces images incroyables gardées en tête, celles des émeutes 60s, celles du puissant broyeur émotionnel de la tournée 72, celles de la toute-puissance jouissive et jouisseuse de la tournée américaine 69. Ce ne sont plus les Stones que j'aime, même si je serais assez en peine de définir quels sont les Stones que j'aime. Déjà sont-ce ceux des albums officiels ou bien ceux des bootlegs ? Et ensuite, sont-ce les petits blanc-becs qui ânonnent laborieusement le blues de leurs maîtres, avec un jeune chanteur piqué de négritude mais chantant par trop souvent faux comme sa bite ? Sont-ce les faiseurs de tubes d'ensuite, qui semblent invariablement dans la roue des Beatles mais qui écrivent pourtant une page décisive de la pop music ? Sont-ce les magiciens noirs d'après, qui explorent le psychédélisme, avant de mieux revenir à leurs racines, aboutissant à cette synthèse idéale de toutes les musiques afro-américaines, folk, blues, gospel, country, dans un rock bien racé qui sent le sexe et la mort ? Ce ne sera pour coup sûr pas la bande de jet-setters des 70s qui fricote avec Warhol au Studio 54, la joue disco et achète des châteaux en Touraine. Je garde pourtant une certaine tendresse pour ces albums 70s, Goat's Head Soup, It's Only Rock & Roll, Black & Blue, même si ça me rappelle inévitablement à chaque écoute ce qu'en disait mon père dès qu'ils sortaient un nouvel album "Oh, les Stones, chaque nouveau disque est moins bon que le précédent, ça fait des années qu'on se dit ça et pourtant ils en sortent toujours et on les écoute toujours." Et c'est lui qui m'a initié, avec ses cassettes faites maison et rassemblées dans l'un de ces petits coffrets BASF à tiroir éjectable (pour ceux qui ont connu) composé comme suit : compile homemade des premiers LP sur la première, Satanic Majesties / Beggars Banquet sur la deuxième, Sticky Fingers / It's Only Rock & Roll sur la troisième, et Love You Live sur la quatrième. Et ça a été ma grammaire, avec les reportages des "Enfants du Rock" avec Blanc-Francard et les images de la tournée 82.
Mais le dernier GRAND album des Stones, allez... Exile On Main Street ? Il y a... 45 ans ?
