J A Z Z et musiques improvisées - C'est ici qu'on en parle

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Re: J A Z Z et musiques improvisées - C'est ici qu'on en parle

Message par Douglas » sam. 28 oct. 2023 15:53

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Sun Ra – Lanquidity - (1978)

Plus que tout autre, Sun Ra est une bibliothèque, il a parcouru, lu et écrit l'histoire du jazz, de l’intérieur, il a vécu les évolutions et participé aux révolutions. Membre actif de cette longue histoire, depuis la fin des années trente où il côtoie déjà les jazzmen de renom.

Sa route est semblable à nulle autre. Il réussit tous les défis, maintenir en vie un grand Orchestre pendant de longues décennies, créer un label indépendant, vivre de façon autonome de sa musique sans jamais vendre son âme, épouser les modes en gardant intacte sa personnalité artistique. Il est aussi précurseur de la musique électronique, passeur vers la musique la plus libre, brisant les académismes et les contraintes, promoteur du renouveau de la musique Africaine, de ses rythmes. Il faut encore ajouter poète, philosophe, gourou et sorcier cosmique… Sun Ra est tout ça et sans doute plus encore…

Il a commis, parmi de multiples ballons d’essai lancés aux quatre coins des mondes de la musique, quelques disques-somme, comme des phares ou des bouées, ici et là placés, pour ne pas se perdre, pour baliser le chemin. On pense à The Nubians Of Plutonia, The magic city, The Mystery of being ou Lanquidity. Tout au long des décennies la musique de Sun ra reste identifiable, il y a des couleurs qui l’habitent, une unité de style qui la caractérise. C’est une musique sereine qui dépasse les genres, vous prend par la main, vous guide et vous emmène…

Ce disque de 1978 cumule les qualités parfois éparses sur d’autres albums. En plus de la maîtrise de la composition et de l’orchestration, on retrouve les rythmes bouillonnants bien sûr, mais aussi cette musique « spatiale » qui vous emmène et vous déplace. Ici, au pays de lanquidity, il faut rajouter la perfection du son, des arrangements et de la production. On y trouve aussi une ouverture vers le « Space-Jazz-Rock ». Si l’on y entend de multiples influences, elles sont toutes digérées et dépassées grâce à la baguette intersidérale de notre Grand Mage. Bien sûr Sun Ra n’a pas attendu Miles Davis pour utiliser des moogs et autres synthés, c’est même lui le précurseur, celui qui a montré la voie, au détour d’une vibration, d’accords plaqués, répétés, avec la lenteur adéquate, on sent l’appropriation, mieux : la fusion, peut-être la présence des guitares, l’éclatement des tensions… C’est un voyage qui vous est ici proposé, appuyez sur le bouton « On » (oui, le vert) et c’est parti…

Ce disque est un cinq étoiles, une par titre : Lanquidity figure un univers flottant dans lequel on se déplace, immatériel, il se dessine au fur et à mesure de notre cheminement, en une longue parade qui avance majestueusement et s’écoule lentement tel un long fleuve qui se révèle être en apesanteur. La rythmique est de plomb mais nous sommes liquide, vapeur et fumée, paradoxe apparent digne de la complexité du Grand Céleste. Tout change, évolue, se transforme dans cette onirique traversée.

Where Pathways Meet et That's How I Feel sont funkys, dansants : rythmes syncopés, riffs envoûtants, deux guitares et une basse électriques, trois batteurs, trompette stridente d’Eddie Gale et solo de feu de John Gilmore (That’s how I Feel)… Artau Katune, Mickaël Anderson, Luqman Ali et Richard Williams bâtissent une armature solide, répétitive, un écrin rythmique velouté sur lequel les envolées les plus aériennes peuvent délicatement se poser. Pulsations élastiques, Funk et fusion, danse sur la braise !

Sur Twin Stars Of Thence, Sun Ra utilise un piano électrique Fender Rhodes qui accentue l’aspect électronique typique de cette décennie, échappant cependant à tous les clichés du jazz-rock servis à la louche à cette époque, tant la musique est personnelle et la démarche de Sun Ra unique. Danny Thompson et le son chaud du baryton en sont, entre autres, le garant.

L’album s’achève avec le fabuleux There Are Other Worlds (They Have Not Told You Of) où les voix se mélangent en une douce mélopée, profonde et hypnotique, en écho au morceau d’ouverture le voyage se prolonge dans un univers fantastique où les voix d’outres-mondes nous parviennent et chuchotent à nos oreilles… Tout se déstructure petit à petit, devient fêlure, cassure et fracture, la musique se fait atonale, seul reste le groove, la réalité s’efface en un monde abstrait, un autre monde, celui des épisodes à venir, car il n’est pas aisé de quitter ces contrées là sans en garder la nostalgie…

Ce disque représentant certainement une des portes d’entrée les plus évidentes pour aborder l’œuvre protéiforme du Grand Mage…

Bon voyage!

Lanquidity (Remastered)


Where Pathways Meet (Remastered)


Twin Stars of Thence (Remastered)


There Are Other Worlds (They Have Not Told You Of) (Remastered)
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Re: J A Z Z et musiques improvisées - C'est ici qu'on en parle

Message par Douglas » dim. 29 oct. 2023 04:31

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Henri Texier – An Indian’s Life – (2023)

Je possède une discographie en pointillé des albums d’Henri Texier, fan des quatre premiers je n’ignore pas non plus quelques autres parsemés dans sa discographie. A la lumière de celui-ci, je découvre la présence d’un autre, plus ancien qui tisse le lien avec le présent, « An Indian's Week » de quatre-vingt-treize avec l’Azur Quartet, mais il faudrait également citer « Sky Dancers » avec cette pochette incroyable où un indien sur son cheval traverse le ciel parisien…

Mais revenons à celui-ci, tout frais encore, mettant en forme un très beau septet autour du contrebassiste, son fils Sébastien joue du saxo alto et des clarinettes, Gautier Garrigue est le batteur et Manu Codja joue de la guitare, il illumine « Black Indians », titre magnifique.

Mais il faut également citer le trompetiste et bugliste Carlo Nardozza que l’on entend dès le titre d’ouverture, « Apache Woman » avec un très beau solo. Himiko Paganotti chante, on l’entend sur « Black and Blue » de Fats Waller et, pour finir les présentations, le saxophoniste ténor vedette, clarinettiste également, Sylvain Rifflet nous régale.

C’est sans doute la première pièce qui rappelle le plus la musique native indienne, car le jazz est ici le plus souvent gagnant, l’hommage se veut donc actuel, ancré dans la musique d’aujourd’hui, il s’hybride et se marie avec la plupart des musiques du monde de façon presque naturelle, véritable musique vivante internationale.

Henri Texier ne rate pas ce rendez-vous et cet album procure un plaisir constant, il en a écrit tous les titres excepté la reprise, on assiste çà et là à des titres un peu étonnants comme l’aventureux « Hopi Hippie » qui rappelle la musique indienne puis évolue comme une sorte de suite, avec un solo exubérant de Sébastien Rifflet qui régale, avant de faire place à une sorte d’orgie rythmique sensationnelle…

Pour finir un bel hommage à Steve Swallow et Carla Bley que Texier a rencontré, les trois se sont trouvés et appréciés, partageant des valeurs communes avec, au centre, la même sensibilité. J’avais déjà bien apprécié le précédent « Heteroklite Lockdown » et bien celui-ci est également de qualité, toujours sur le magnifique « Label Bleu ».

Henri Texier - Apache Woman


Henri Texier - Black Indians


Henri Texier - Hopi Hippie


Henri Texier - Black and Blue
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Re: J A Z Z et musiques improvisées - C'est ici qu'on en parle

Message par Douglas » dim. 29 oct. 2023 18:58

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Sun Ra – Of Mythic Worlds - (1980)

Second album de Sun Ra à paraître sur le label indépendant Jazz Philly, après Lanquidity, c’est aussi un disque de l’année 78. Enregistré en public, il est d’une veine toute différente, n’ayant pas l’unité artistique d’un concept album, il rassemble des performances accolées les unes aux autres ayant pour seule caractéristique commune d’avoir été jouées dans la même soirée. Il passe ainsi d’un genre à l’autre, ce qui n’enlève rien à l’intérêt des morceaux qui le composent.

"Mayan Temples" est le premier d’entre eux, il est très évocateur des préoccupations et de la musique de Sun Ra. Fasciné par les anciennes civilisations, le Sun les a étudiées avec passion, et, la civilisation Maya, avec ses mythes et ses mystères, n’a pu que le passionner. On retrouve le thème récurrent de la marche et de la procession dans sa musique. Ici, nul doute, l’auditeur gravit les marches majestueuses qui s’élèvent vers l’entrée du temple. Le rythme est lent, solennel, clarinettes basses, hautbois et basson escaladent chaque marche de la même manière répétitive, tandis que les flûtes s’entrecroisent et jouent des mélodies aériennes. Les percussions, si essentielles dans la musique de Sun Ra, entretiennent constamment la richesse et la variété des rythmes. Un très beau titre.

Le second "Over The Rainbow" est une reprise au piano du célèbre standard. Le maître se fait plaisir, accompagné par la basse de Richard Willian et la batterie du désormais fidèle Luqman Ali. Vélocité et sensibilité sont présentes au rendez-vous de cette prestation dans un registre très classique. Le même trio joue "Inside the blues", précisément dans la tradition, l’interprétation est très carrée et même, pour ainsi dire, rock ’n roll!

"Intrinsic Energies" ouvre la seconde face, en compagnie de l’Arkestra. Sun Ra joue une assez longue introduction au piano électrique, accompagné par la section rythmique au complet. Marshall Allen à l’alto intervient ponctuellement pour effectuer une succession de solos assez courts, dialoguant avec l’orgue qui développe des envolées free.

"Of Mythic Worlds" fait part belle à John Gilmore qui développe un intense solo de ténor, dialoguant à son tour avec Sun Ra qui zèbre l’espace d’accords dissonants. Le ténor continue sa chevauchée folle, jusque dans le cri, mais toujours avec cette retenue qui caractérise son jeu, comme s’il était trop polissé, trop réservé, c’est d’ailleurs là tout le charme de John Gillmore, qui sous des aspects rassurants vous emmène mieux que quiconque vers des espaces inexplorés, comme par inadvertance... Sun Ra ne fait pas autant de manière pour exposer de complexes figures et d’improbables arabesques avec son orgue électrique. Remarquons avec amusement que sur les notes de pochettes il est écrit que « ces musiciens de jazz d’avant-garde » sont revendiqués comme étant la principale influence musicale du groupe de New Wave B-52s, comme quoi, le free mène à tout !

Sans être un album majeur, il reste cependant très intéressant et réserve de bons moments.

Mayan Temples


Sun Ra Of mythic worlds


Sun Ra - Intrinsic Energies


Inside the Blues
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Message par Douglas » lun. 30 oct. 2023 02:54

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Michael Mantler – The Hapless Child (And Other Inscrutable Stories) – (1976)

L’exemplaire de l’album que je possède contient une petite particularité qui pourrait servir d’introduction à l’écoute de cet album. C’est un original US avec à l’intérieur un courrier destiné à un certain MR. Einstein, probablement un revendeur. C’est le service Promotion de la JCOA qui expédie ce courrier daté du 28 mai 1976, le voici traduit :

Cher Mr. Einstein,
Vous trouverez ci-joint une copie de la nouvelle sortie de Watt Records, "The Hapless Child". Nous pensons qu'il s'agit d'un disque très important. Outre le fait qu'il s'agit d'une interprétation musicale par Michael Mantler des histoires populaires d'Edward Gorey, elle met en vedette Carla Bley, les artistes ECM Steve Swallow, Jack DeJohnette et Terje Rypdal et le chant est de Robert Wyatt, auparavant avec Soft Machine.
Nous sommes prêts à vous apporter tout le soutien possible avec des copies supplémentaires de l'album si nécessaire. Nous souhaitons qu'il soit le plus exposé possible car nous pensons qu'il aura un grand attrait.
S'il vous plaît faites-nous connaître votre réaction, nous sommes à votre disposition si nécessaire.
Sincèrement,
Susan Thomson
Promotion


Voilà qui nous met bien en situation, il faut également préciser que cet album ne prétend pas être du jazz, bien qu’il soit interprété par des musiciens dont c’est le mode habituel dans lequel ils s’expriment, excepté Robert Wyatt, musicien de toute façon hors norme et inclassable. S’il fallait lui trouver une case on lorgnerait sans doute côté prog, bien que ce ne soit pas forcément complètement satisfaisant, mais ce qui compte vraiment c’est la beauté de cet album.

Je me permets de citer whereisbrian qui frappe juste en quelques mots essentiels « Avec un Terje Rypdal fou ». En effet ce dernier est vraiment exceptionnel dans cet environnement nouveau pour lui, atteint de folie ? c’est sans doute le bon diagnostic, tellement il excelle ici, tout simplement phénoménal.

L’autre qui lui dispute la camisole, c’est l’extraordinaire Robert Wyatt qui porte le chant et du coup également toute la force noire de dérision et de désespoir de ces histoires un peu cafardeuses, macabres, dont le monde de l’enfance est le centre. Son chant est habité, très dense, martelant, et même inquiétant, il donne une force vitale et essentielle à ces chansons dont le texte est reproduit à l’intérieur de la pochette gatefold, permettant même à celui qui ne maîtrise pas trop la langue de comprendre assez facilement de quoi il retourne.

Derrière ces deux monstres fous, ils assurent vraiment à l’arrière, Carla notre héroïne avec Michael qui a écrit des musiques absolument superbes, j’en suis à ma quatrième écoute en deux jours et je ne me lasse pas, ça s’adresse directement aux tripes c’est à la fois condensé et très intense. Le disque ne dure pas très longtemps, moins de trente-quatre minutes, le temps de respirer une fois à chaque face, qu’on se le dise…

Je ne parle même pas de Steve Swallow et Jack DeJohnette dont la réputation n’est plus à faire, un grand album tout simplement.

Michael Mantler ► The Doubtful Guest [HQ Audio] The Hapless Child 1976
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Re: J A Z Z et musiques improvisées - C'est ici qu'on en parle

Message par Douglas » lun. 30 oct. 2023 17:28

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Sun Ra – Strange Celestial Road - (1980)

Enregistré en 79 à New-York, cet album a été enregistré en même temps que "Sleeping Beauty", il a toutefois bénéficié d'une diffusion beaucoup moins confidentielle et a été plusieurs fois réédité. Curieusement il n'a pas la grâce mystérieuse de "Sleeping Beauty", même si c'est indiscutablement un bon album.

Il se situe artistiquement lui aussi dans la lignée de "Lanquidity". Il en a quelques caractéristiques fortes: la première, celle qui saute aux oreilles, c’est la présence d’instruments électriques, pas seulement les claviers et autres moogs, non! Les guitares, basse et rythmique. Le second point commun n’existe que sur la première face de cet album, c’est le parti pris "classique" de la musique jouée ici, afin d’en facilité l’accès au plus grand nombre, de la rendre plus populaire. La seconde face est plus aventureuse et ouvre d’autres portes…

Tout commence par un cri, cuivres et anches à l’unisson soufflent une note dans l’aigu, puis tout bascule, le rythme devient funky, les voix de June Tyson et Rhoda Blount (du patronyme réel de Sun Ra ) chantent la mélodie de "Celestial Road". Sur une rythmique sans faille, bondissante et élastique, Sun Ra façonne un solo de synthé aux sonorités venues d’outre-espace, ouvrant la porte à Damon Choice qui relance au vibraphone. Les chants reviennent à la fin de ce magistral premier titre.

L’intro de "Say" se veut étrange, quelques secondes encore et tout bascule en un joyeux barnum. Impossible de ne pas penser à Gato Barbieri, à la musique Brésilienne, à la danse, à la fête… Finalement rien d’étonnant, la musique de Sun Ra s’est toujours voulue festive, particulièrement lorsqu’elle est en représentation, l’aspect visuel a toujours été mis en valeur, costumes, acrobaties, lumières, danse et même transe. Même s'il subsiste toujours chez Sun Ra quelques profondeurs secrètes, mais ici l’heure est à la joie, aux rythmes latins, aux sonorités aiguës et joyeuses ! On peut penser aussi aux interprétations de Pharoah Sanders dont la musique religieuse et sereine visait à la félicité bienheureuse.

"I'll Wait for You" commence sur un rythme funky, les voix chantent et évoquent l’attente, l’amour et le voyage interstellaire… Voir ce qui n’a jamais été vu, marcher où nul n’a posé le pied, découvrir l’inconnu est prétexte au Sun pour ouvrir en grand les portes de son imagination et de sa créativité… Ainsi nous pénétrons dans un univers étrange où tout est distorsion, comme dans un rêve, les sonorités les plus inhabituelles figurent des contrées inexplorées. Les espaces vierges, en dehors de la loi commune de l’espace et du temps, sont figurés par une cascade de sons, des montées sonores discordantes, des presque silences… Cette nouvelle dimension s'insinue en nous par la force de la musique, voulue par le Sun: basse électrique en live, mais garante absolue de la tension et de la continuité, véritable bouée de secours pour ne pas se perdre, lumière lointaine qui montre le cap! Monde où tout est distordu: claviers free, cuivres lointains et hurleurs, synthés aux sons électros étranges, vibrations, écho…

Un bon Sun Ra qui dévoile plusieurs facettes de sa musique.

Sun Ra ‎– Strange Celestial Road (1980)
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Re: J A Z Z et musiques improvisées - C'est ici qu'on en parle

Message par Douglas » mar. 31 oct. 2023 05:59

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David S. Ware, Apogee – Birth Of A Being (Re-2015)

Ce double Cd est une réédition de l’album « Birth Of A Being » paru sur le label Suisse Hat Hut Records en soixante-dix-neuf, c’est l’un des derniers de la série alphabétique, il porte la lettre « W ». Épuisé depuis longtemps il fait la joie des collectionneurs et son prix devient prohibitif, compter un peu plus d’une centaine d’euros pour en exemplaire probablement imparfait.

Fort heureusement une réédition Cd de deux mille quinze, concurrence sérieusement l’édition originale, avec un prix très raisonnable, mais ce n’est pas tout, le son est remastérisé et impeccable, de plus un second Cd est adjoint, doublant la durée initiale avec les enregistrements complets de la session. De quoi donner à réfléchir.

C’est le premier album de David S.Ware en maître de séance, il a vingt-sept ans et lead la formation « Apogée » avec Cooper-Moore au piano et Marc Edwards à la batterie. David S.Ware a enregistré avec ce dernier sur l’album « Dark To Themselves » de Cecil Taylor l’année précédente. « Apogée » a également joué en première partie de Sonny Rollins au Village Vanguard en 1973.

Cet album est vraiment bon, très différent de la démarche d’un Charles Gayle, David ne creuse pas le sillon d’Ayler mais plutôt celui de Coltrane dont il suit la trame spirituelle, c’est particulièrement sur la première pièce « Prayer » mais aussi sur le décapant « A Primary Piece # 1 » que l’on s’émerveille de ses immenses qualités de soliste, bien soutenu par Cooper-Moore qui joue dans l’esprit de Cecil Taylor.

Tel qu’il se présente au format original, avec ses quatre pièces, l’album est vraiment au top, un des meilleurs de David, avec une énergie dantesque. Alors que valent les cinq autres pièces extirpées de la session d’époque au Studio C.I. Recording ?

Ça commence plutôt haut avec une autre version de « Prayer », un peu plus courte, douze minutes seulement, mais la même ferveur, un final un peu plus emphatique cependant. « Cry » est plus free avec le saxo très à l’avant, un Cooper-Moore lyrique et un Marc Edwards répétitif et entêté. « Stop Time » est également bien secoué, avec des breaks puis des envolées, et ainsi de suite, souvent frénétique, parfois lyrique, juste ébouriffant après chaque courte pause…

Ashimba est la seule pièce qui ne soit pas signée David S.Ware mais Cooper-Moore, elle dure moins de trois minutes et se présente comme une pause un peu hors sujet, pourtant la pièce est vraiment chouette, puis l’album se termine par David en solo…

Une belle entrée en matière et un beau départ pour une des discographies les plus denses du free jazz !

David S. Ware - Prayer


A Primary Piece #2


David S. Ware - Cry


Thematic Womb


Ashimba
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Re: J A Z Z et musiques improvisées - C'est ici qu'on en parle

Message par Douglas » mar. 31 oct. 2023 16:21

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The Sun Ra Arkestra - Sleeping Beauty (1979)

Voici réédité l’un des plus fameux albums de Sun Ra, enregistré en 1979 sous le label Saturn à une poignée d’exemplaires, il est vite devenu rare et mythique. Il faut dire qu’il mérite cet engouement, Sun Ra s’est sans cesse renouvelé, avec une sorte d’entêtement, creusant rarement le même sillon et explorant tous les possibles, cet album-ci en est un parfait exemple…

Singulier…Oui cet album est singulier, par la forme d’abord, l’album est court et la seconde face …euh piégeante ! En effet, malgré que ce ne soit signalé nulle part sur l’album, elle est enregistrée en 45 tours et contient les onze minutes cinquante du morceau titre…

Pas moins de vingt-huit musiciens embarqués dans la mission, des instruments acoustiques, mais aussi leur équivalent électrique, basse, guitare, Rhodes. Les percussions sont bien entendu au premier plan avec cloches, battement des mains et même un ancien tambour Égyptien. Les voix sont là également, chœurs à l’unisson et présence magique de June Tyson.

La dominante musicale de l’album prolonge un axe entraperçu sur Lanquidity, nous sommes plongés, entre rêve et réalité, dans une atmosphère paisible et comateuse, sans doute une description sonore de cet univers cosmique en apesanteur, où les corps se libèrent de leur masse pour se fondre dans un monde ouateux et cotonneux, entre mort et naissance s’ouvrent les portes du cosmos, acide-pyramide, bon trip garanti !

"Springtime Again" constitue le premier étage de la navette, Luqman Ali prend les choses en main : le tempo figure une berceuse, tout est caresse, cymbales et claviers célestes, chœurs lointains, le printemps renaît. John Gilmore et Marshall Allen sont fabuleux, leurs solos, portés par la basse électrique et les chœurs, figurent à merveille l’éveil et la renaissance, comme une résurgence de la vie survenue des profondeurs inexplorées…

"Door of the Cosmos" obéit à une autre urgence, le tempo est plus rapide et vit aux rythmes mélangés de la guitare et des claquements de mains, le chant de June Tyson s’élève dans la tradition du gospel, peu à peu le rythme se complexifie emporté par la puissance de la basse, les solistes de l’Arkestra se succèdent, on remarque plus particulièrement Michael Ray très incisif à la trompette qui est ici à son meilleur, ça groove et ça balance…

Après une introduction aux claviers par Sun ra lui-même, "Sleeping Beauty" dévoile sa … beauté cachée en un long parcours funky balisé par les claviers omniprésents du Sun qui dessinent des espaces moelleux aux contours mouvants dans lesquels le vibraphone et les vents de l’Arkestra s’intercalent et réinventent un monde fait de quiétude et de paix.

Vraiment un maître-album, visionnaire et intemporel…

Sleeping Beauty (1979) Sun Ra FULL ALBUM
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Message par Douglas » mer. 1 nov. 2023 02:41

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Michael Mantler – No Answer - (1974)

Remontons encore un peu le temps et restons avec Michael Mantler, voici « No Answer », le Watt/2 écrit par Michael Mantler et interprété par Jack Bruce aux voix et à la basse, Carla Bley au piano, au clavinet et à l’orgue, ainsi que Don Cherry à la trompette. Le livret est écrit par Samuel Beckett, d’après « Comment c’est », écrit en français et traduit par l’auteur.

On entend dès cet album l’organisation d’un univers très particulier, chanté par Jack Bruce. Beckett est subjugué par le « rien », l’absurde, le « non-mot », voilà qui intrigue Michael Mantler qui se complaît dans un monde subi, sans véritable sens et un peu noir, qui dessine les prémisses de « The Hapless Child ».

Deux pièces seulement, « Number Six » face A et « Number Twelve » face B, l’album est plutôt court, et les deux grandes parties sont chacune partagées en sections, ainsi se présentent huit découpages au total, pour environ trente-cinq minutes tout au plus. Don Cherry intervient assez peu mais chacune de ses interventions colle parfaitement à l’ambiance générale et se montre parfaite et lumineuse.

Car cet album est lui aussi une affaire d’ambiance, entre inquiétude et morosité, la voix de Jack Bruce est ici primordiale avec sa tonalité si particulière et tellement juste à posteriori. Son chant est à la fois plaintif et vulnérable, en même temps que souffreteux et désespéré, ce qui, avouons-le, n’est pas particulièrement gai. L’atmosphère générale est tendue, ménageant peu d’espoir.

Carla est majestueuse, portant à elle seule une grande partie de la pièce et du drame qui se joue, elle passe d’un clavier à l’autre pour tempérer ou accentuer le mélodrame, souvent en tête à tête avec la voix de Jack Bruce qu’elle porte et soulève, ou creuse et enterre. La production possède également un effet multiplicateur.

L’album est « gatefold » et l’intérieur est superbe avec une magnifique galerie de portraits, Samuel, Michael, Jack, Carla et Don accompagnent un texte de Beckett. Une belle entrée en matière pour « The Hapless Child ».

Michael Mantler - No Answer - Side A


Michael Mantler - No Answer - Side B
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Re: J A Z Z et musiques improvisées - C'est ici qu'on en parle

Message par Harvest » mer. 1 nov. 2023 11:41

Réécouté récemment. Pas mon préféré musicalement. Je lui préfère Hapless Child. Quant à Sun Ra, j’ai du mal à le suivre dans sa jungle discographique.
Le S.Ware est un grand disque. Vu en concert. Une des grandes claques prises dans ma vie d’amateur de musiques, tous genres confondus.

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Re: J A Z Z et musiques improvisées - C'est ici qu'on en parle

Message par Douglas » mer. 1 nov. 2023 15:54

Harvest a écrit :
mer. 1 nov. 2023 11:41
Réécouté récemment. Pas mon préféré musicalement. Je lui préfère Hapless Child. Quant à Sun Ra, j’ai du mal à le suivre dans sa jungle discographique.
Le S.Ware est un grand disque. Vu en concert. Une des grandes claques prises dans ma vie d’amateur de musiques, tous genres confondus.
Dans la trilogie de Michael Mantler (avec "Silence" que je poste demain), The hapless Child est vraiment hors norme, c'est bien le meilleur du lot, mais il est également important de signaler les deux autres pour qui veut approfondir.
Concernant Sun Ra, la période dont je parle actuellement est la plus accessible et sans doute parmi la meilleure.
Quant à David S. Ware je te rejoins tout à fait, sa discographie connaît quelques sommets, et celui-ci en est un, d'évidence, je l'ai assez souvent évoqué ici en soulignant la qualité des albums, même ceux d'après la maladie...
Pour les concerts, j'ai l'impression que tu t'es fabriqué une belle malle à souvenirs...
:super:
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Re: J A Z Z et musiques improvisées - C'est ici qu'on en parle

Message par Douglas » mer. 1 nov. 2023 16:16

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Sun Ra Arkestra – Sunrise In Different Dimensions - (1981)

Recorded live on Sunday February 24, 1980 at Gasthof Mohren Willisau/Switzerland.
Hat Hut Records – hat Hut SEVENTEEN (2R17)


Voici un album de la dernière période de Sun Ra, celle des bilans et du regard en arrière. Il est encore vaillant, bien sûr, capable de toutes les audaces et en pleine maîtrise de son art, mais sur cet album, enregistré live en Suisse à Willisau pour la compagnie Hat Hut, il se tourne vers les grands classiques et propose une relecture d’une dizaine de standards et de grands classiques de l’histoire du jazz, ce qui ne l’empêche pas d’apporter son lot de contributions. C’est à la tête d’un octet qu’il se présente ce soir là, sans contrebassiste mais avec deux batteurs, les fidèles sont bien présents et, côté musiciens, ça assure grave.

Il semblerait que pour une partie des pièces jouées ce soir là, pour une part improvisées, les titres des morceaux n’aient pas été encore choisis, ils figureront au complet lors des rééditions. On préférera l’édition vinyle qui contient l’intégralité du concert, contrairement à l’édition CD qui a été tronquée.
On dit que souvent les vedettes se font attendre, et bien pas Sun Ra qui ouvre le concert par une composition au piano solo, "Light from a hidden Sun". Cette improvisation au clavier démontre à nouveau le grand talent de Sun Ra qui interprète ici, avec une très grande maîtrise un air plein d’une grave majesté. Il enchaîne avec "Pin-points of spiral prisms" qu’il introduit seul au piano avant d’être rejoint par Michael Ray à la trompette qui improvise en duo avec le maître bientôt rejoint par l’Arkestra et sa masse orchestrale qui segmente ainsi, par ses interventions, la pièce en différents solos. Comme de juste tout s’achève avec brio.

"Silhouettes Of The Shadow World" permet à John Gilmore d’offrir un solo incendiaire, suivi par Marshall Allen qui s’exprime en duo avec le Sun, qui l’accompagne et le pousse vers les notes suraigües de son instrument sur lesquelles il improvise exclusivement, faisant preuve d’une prouesse comme il les aime. La première face s’achève sur une magnifique reprise du premier standard de la soirée "Cocktails for two" de Johnston. L’accompagnement de Sun Ra est très respectueux, ne s’échappant de l’interprétation que pour apporter le grain de folie qui en fait ici tout le sel, en contraste complet avec le cri très free du ténor qui s’assagit. Les standards défilent sur la face deux. Tout commence par une interprétation du chef d’œuvre de Thelonious Monk "‘Round midnight". La version ici se fait chaloupée sur un tempo accéléré. John Gilmore s’empare du thème et de l’improvisation, on ne dira jamais assez l’immense talent du saxophoniste. C’est ensuite le medley "Lady Bird/Half Nelson" de Tadd Dameron et de Miles Davis qui est joué, après avoir parcouru le territoire de Cecil Taylor jusqu’à présent, c’est dans les pas de Mc Coy Tyner que Sun Ra introduit très brillamment la composition, l’Arkestra entre dans la danse et tout se fait swing, les solos sont déchirés mais la pulsion rythmique d’avant-guerre pulse avec une force inouïe, et l’on se souvient du passé de Sun Ra, de son admiration pour Fletcher Henderson dont il rejoindra le band, de la science savante qu’il a des grands orchestres. Le public est conquis.

"Big John Special" de Horace Henderson, le frère de Fletcher, est joué avec une maestria que lui seul peut offrir, tant il est l’héritier naturel de ce pan d’histoire. "Yeah Man !" est interprété avec le même allant, les deux pieds dans les années trente, dans la tradition, et tout est huilé à la perfection. Nul doute que ce retour aux styles anciens puisse surprendre de la part de cet avant-gardiste de tempérament, mais finalement pas tant que ça, pour qui connaît son parcours. La face C est dévolue aux compositions de Sun Ra et (donc) jouées sur un registre free que l’on pressent dès les premières notes de "Provocative Celestials". Le ténor John Gilmore soutenu par les deux batteurs est bientôt rejoint par Marshall Allen et nous sommes conviés à une orgie free à laquelle s’invite le reste de l’Arkestra par interventions successives qui s’ajoutent les unes aux autres, soutenues par les deux batteurs qui interviennent par intermittence, à ce jeu des silences ajoutés Marshall Allen se retrouve bientôt seul et se libère dans le cri et le registre le plus aigu de son instrument.

"Love in Outerspace" voit Sun Ra retrouver son orgue sur lequel il joue une sorte de « paloma » aux accents latinos, accompagné par le jeu sautillant des batteurs. "Disguised Gods In Skullduggery" conclut la troisième face avec Sun Ra qui retrouve son piano pour une introduction méditative, Marshall Allen le rejoint avec le hautbois pour un duo très lyrique, la complicité entre ces deux-là est exceptionnelle, John Gilmore intervient alors avec la section rythmique puis, s’esquive et s’efface à nouveau devant le duo qui poursuit son marivaudage. Retour à la relecture de grands classiques sur la dernière face de l’album, c’est "Queer Notions" de Coleman Hawkins (the bean) qui ouvre le bal, l’orchestre est parfaitement en place et l’on décèle ici ou là, au coin d’un solo, une petite pointe amusée de tel soliste qui pousse « un poil » trop la note, comme pour souligner l’aspect joyeux et ludique de cette musique.

On poursuit dans le même registre, plein de rythme et de swing avec l’enlevé "Limehouse Blues" de Braham-Furber. Place ensuite au standard des standards "King Porter Stomp" de jerry Roll Morton, comme à la parade, enlevé et haut en couleur avec un final dans le suraigu, comme il convient… Prenons maintenant "The A train" avec Billy Strayhorn l’introduction au piano est pleine d’inventivité, Sun ra mêlant d’improbables accords, tout en gardant la mélodie intacte. L’interprétation est tout à fait personnelle et l’orchestre du Sun réussit à s’échapper avec brio à la route Ellingtonienne, une relecture inventive et réussie. Restons avec Ellington pour l’interprétation suivante, "Lightnin’" qui rend à nouveau hommage au Duke, une nouvelle leçon de swing ! On Jupiter est un titre de Sun ra sur lequel June Tyson intervient pour chanter « Sur Jupiter le ciel est toujours bleu » ! L’album s’achève avec "A Helio-Hello! And Goodbye Too!" Brûlot bien free comme on les aime, l’improvisation collective c’est ça, mesdames et messieurs !

Encore un bel album aux multiples facettes de la part de Sun Ra qui se refuse décidément à porter une étiquette. La musique de Sun Ra est multiple et diverse, elle embrasse toute l’histoire du jazz et sa portée est universelle (il nous avait, finalement, bien prévenu). Ces "sauts de puce" dans l'histoire du jazz ne plairont pas à tous, mais ils reflètent bien cette nouvelle partie de la vie du Sun, vers le crépuscule...

Silhouettes of the Shadow World


Take the "A" Train


Queer Notions


King Porter Stomp
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Message par Douglas » jeu. 2 nov. 2023 05:41

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Michael Mantler – Silence - (1977)

Suite de la saga Carla Bley, ici sur un projet de Michael Mantler, toujours dans cette même veine dramatique, avec ces climats un peu étranges et limites qu’il affectionne. A nouveau une distribution hors pair et une adaptation d’une œuvre littéraire. C’est une pièce de théâtre d'Harold Pinter qui est ici retranscrite et qui sert de trame. Une variation autour du trio amoureux…

Les trois personnages sont incarnés par d’immenses talents, Ramsey par Kevin Coyne, Ellen par Carla Bley et Bates par Robert Wyatt, ça fonctionne à la façon d’un trilogue, un peu comme dans une pièce, d’ailleurs à l’intérieur du gatefold, les dialogues sont retranscrits. Carla s’occupe également des claviers et Robert Wyatt des percus. Chris Spedding tient la guitare électrique, Ron McClure la basse et la contrebasse et Clare Maher joue du violoncelle.

Là où ça se complique c’est pour l’enregistrement, les musiciens étant impossibles à réunir, il a fallu jongler. Carla Bley et Ron McClure sont enregistrés en janvier 1976 au Grog Kill Studio de New York, Robert Wyatt et Chris Spedding ont enregistré en février dans un studio mobile à la campagne, et Kevin Coyne a enregistré en avril, avec Virgin Mobile à la ferme Gong. Évidemment ça ne s’entend pas, mais c’est tout de même un peu artificiel : le prix d’un plateau extraordinaire et prestigieux.

C’est peut-être cet éloignement qui explique un certain manque de chaleur, ou bien est-ce le projet artistique lui-même qui implique cette passion triste ? De plus, cette fois-ci l’album est très long et dépasse largement les cinquante minutes. Les dialogues sont essentiels à la bonne compréhension du récit, mais hélas ils stationnent à l’avant de la musique et semblent la brider.

La partie musicale est plutôt bien emmenée, avec un Chris Spedding presque à l’opposé de Terje Rypdal, en tout cas il reste plus classique dans son approche mais pour moi, ça va, il s’impose ici avec talent. Pourtant on regrettera certainement la « folie » qui traversait « The Hapless Child » et l’illuminait de l’intérieur.

En fait l’album est plutôt bon, mais il souffre juste de la comparaison avec son prédécesseur, il serait malin de l’écouter avant, ainsi sa « beauté plate » conserverait son charme certain, avec la beauté intérieure des chants et la qualité de l’interprétation.
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Re: J A Z Z - C'est ici qu'on en parle

Message par Douglas » jeu. 2 nov. 2023 17:54

Douglas a écrit :
mer. 13 janv. 2021 10:01
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Une façon de rester encore un peu en Italie, car c’est dans ce pays que l’édition originale de cet album est parue en 1984. Je vous mets la pochette de l’original bien que la mienne soit différente, je possède en effet l’édition japonaise Cd de 2003. On ne louera jamais assez l’excellence, au niveau du son, de la plupart des éditions japonaises !

Un Sun Ra presque mainstream, pourrait-on dire, où le morceau-titre « Nuclear War », chanté et repris en chœur, fonctionne parfaitement bien, une sorte d’hymne anti-nucléaire, très funky avec des airs de gospel, très entêtant, ça aurait pu faire figure de hit si l’édition et la distribution avait été conforme. Mais la sortie de l’album est compliquée et les morceaux qui le composent paraissent ici ou là, sur d’autres disques, avant que cette édition italienne ne sorte enfin.

On remarque également la présence de June Tyson qui chante en lead sur le standard « Sometimes I’m Happy » et la reprise de Duke Ellington « Drop me off in Harlem » très ajustée dans son interprétation et ses arrangements sur la façon de faire du maître. Il faudrait encore citer « Smile » un autre standard qui ferme l’album, autant de titres qui sont des classiques et peuvent séduire un plus large public.

Mais il ne faut pas négliger les pièces de Sun Ra, tout à fait plaisantes et planantes à souhait, qui s’enchaînent avec maestria. Le « Sun » avec son orgue et ses synthés tapisse des univers chauds, souvent lents, où l’étrangeté des sons le dispute à la douceur comme sur « Retrospect ». Sur un tempo un peu plus vif il offre des plages où les solistes brillent avec un immense talent que ce soit John Gilmore, Tyrone Hill ou Marshall Allen sur « Celestial Love ». Retour au blues avec l’excellent « Blue Intensity » ou à la tradition sur « Nameless One No. 2 » et ses airs de classique.

Un album, pas vraiment ambitieux, mais habilement exécuté avec, en ouverture, un hymne qui prend place parmi les standards du maître.

Sun Ra - Nuclear War


Sun Ra - Sometimes I'm Happy


Sun Ra - Celestial Love


Sun Ra - Retrospect
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Re: J A Z Z et musiques improvisées - C'est ici qu'on en parle

Message par Douglas » ven. 3 nov. 2023 03:45

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Charles Gayle Quartet – Translations (1993)

Ce volume 1, « Translations » connaîtra une suite dans l’album « Raining Fire » provenant de ces mêmes sessions, et dont je vous ai parlé précédemment, l’ordre des choses se passant parfois dans le désordre des évènements. Mais qu’importe, faisons comme si…

Cette formation plaira tellement à Charles Gayle qu’il la perpétuera un bon moment, le temps d’enregistrer quelques albums, « Raining Fire » d’évidence, « More Live at the Knitting Factory » présenté il y a peu et « Consecration », tous de quatre-vingt-treize et tous excellents.

Sans surprise on retrouve la même magie dans ces faces, mais des thèmes nouveaux, avec des couleurs que l’on connaît par cœur, qui parlent directement et vont droit au but. Oui c’est free, c’est sûr, dissonant de temps en temps et même parfois souvent, et même parfois longtemps, alors ça fait fuir les ceusses qui sont là par hasard, qui écoutent Charles Gayle comme si c’était du Stan Getz, alors forcément, ça ne marche pas, et ils s’en vont…

Tout ça c’est normal, mais si on est bien vacciné contre les dissonances, on peut entendre que ces gars-là, ils savent jouer. C’est que Charles, il peut pas faire autrement, il a gardé une oreille dans les années soixante, sans doute a-t-il été traumatisé par Albert Ayler, m’enfin j’dis ça mais ce n’est que de la psychologie de bas-étages, limite ragot…

Je suppose qu’il a essayé de faire autrement, c’est que sa façon de faire ça l’a envoyé jouer dans le métro, ou dans le coin des rues quand il faisait chaud, avant qu’il trouve un squat accueillant. Son problème c’est qu’il ne sait jouer qu’en regardant son âme, et que tout vient de l’intérieur, les sons sortent abrasifs, rauques et braillards, branchés sur son propre secteur qui disjoncte parfois…

Pourtant y’en a beaucoup qui adorent venir l’écouter, ils le voient tirer la langue et traîner sa misère, alors ils le complimentent et le réconfortent, l’admirent même et considèrent le va-nu-pieds comme une sorte de Messi, lui qui ne jure que par sa foi en Dieu et en Jésus.

Cet album est sur « Silkheart Records » le label qui l’a extirpé du pire, Charles joue comme d’hab du ténor, de la basse clarinette et du violon, William Parker de la basse, du violoncelle et d’un violon d’enfant dont il frotte les cordes, Vattel Cherry de la basse, du kalimba et des cloches, et Michael Wimberly de la batterie.

Ils sont tous bons, le mélange crée un son assez inédit, écoutez Wimberly par exemple, il possède une énorme « musicalité », c’est un mot que je n’utilise jamais car il sert souvent à boucher les trous quand on ne sait plus quoi dire, ici il est donc à sa place, comprendre qu’il fait de la musique avec ses toms et ses cymbales, les espaces qu’il crée et efface avec sa batterie chantante…

Bon, si comme moi vous ne vous lassez pas de Charles Gayle, un album qu’il vous faut, pas loin des soixante-dix longueurs, comme d’hab.

Joyous Fellowship


Healing


Holy Mountain


Suffering for Love
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Re: J A Z Z et musiques improvisées - C'est ici qu'on en parle

Message par Douglas » ven. 3 nov. 2023 14:37

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Sun Ra Arkestra – Reflections In Blue - (1987)

L’arrivée de Sun Ra sur le label Italien n’est pas vraiment une surprise, Black Saint s’est entièrement ouvert aux musiques les plus expérimentales, les plus audacieuses, enregistrant un grand nombre d’artistes à la marge de l’industrie, se créant une toute petite niche, dans laquelle nombre de musiciens, comme ceux de l’AACM (Association for the Advancement of Creative musicians), viendront enregistrer les témoignages de leurs avancées musicales. Non, la surprise (ou demi-surprise) c’est d’enregistrer sur ce label tourné vers l’innovation et l’avenir, un album de musique plutôt dirigé vers l’esprit d’avant-guerre, avec quelques références au bop sur la seconde face, quand même. Il faut dire que le vecteur de cet apparent paradoxe est tout de même Sun Ra, qui n’a en matière de recherche sonore , de leçons à ne recevoir de personne, et, il se trouve que justement, pour ce qui est de la musique pré-bop, c’est aussi l’un des rares à n’avoir non plus de conseils à recevoir de qui que ce soit, ayant vécu cette période en tant que dirigeant, déjà à cette époque, d’un grand orchestre. On comprend qu’ici c’est l’esprit de Fletcher Henderson et de Duke Ellington qui s’élèvera des sillons.

Une fois cet aspect de l’enregistrement intégré, cet album est un pur bonheur. L’un des privilèges que l’on ressent à l’écoute de cette musique c’est de voir réunis, et c’est rare et peut-être unique, à la fois l’esprit de cette musique ancienne, sa structure formelle, la très haute qualité de sa restitution par un orchestre d’un niveau musical sans équivalent, avec la finesse d’enregistrement et la richesse technologique de la musique actuelle, y compris par l’ajout d’instruments et de sons tout à fait inconnus à l’époque. Il est probable que seul Sun Ra pouvait s’atteler à cette tâche, sans qu’il n’y ait d’anachronisme.

La pochette est belle, on y voit Sun Ra vêtu à la façon d’un mage avec une tunique qui a des motifs représentant une façon enfantine de figurer l’espace, la tête surmontée d’une coiffe improbable, la barbe rousse et surtout ce regard à la fois chaleureux et malicieux…

Bon, ça swing fort sur "State Street Chicago", derrière les solos de guitare, ténor puis trompette. Tout est en place au millimètre près. La sonorité du piano électrique de Sun Ra se marie à la perfection avec ces ambiances anciennes, la guitare style Django, les roulements de tambours un peu rétro, c’est sans doute là que s’est glissé la malice du sage…

"Nothin’ from nothin’" composé par le fidèle Pat Patrick ne cède en rien à l’atmosphère du titre précédent, le rythme est encore plus enlevé et il devient impossible de ne pas taper du pied. La musique est tellement joyeuse et vive, elle véhicule tant d’images pleine de joie de vivre qu’elle semble avoir été inventée dans le seul but de semer rires et bonne humeur…

L’introduction aux claviers, imaginée par Sun Ra sur "Yesterdays", est un petit chef d’œuvre de délicatesse finement ciselée. Le standard reprend vie et continue sur un tempo élevé. Randall Murray à la trompette attaque la ronde des solos, suivi par John Gilmore puis par Tyrone Hill au trombone et Carl LeBlanc à la guitare. Sun Ra tricote des motifs variés et colorés surgissant entre les solos, créant à chaque fois de nouvelles sonorités épicées de rythmes anciens.

Sun Ra continue son parcours nostalgique avec "Say It Isn't So", sur un tempo moyen, on y entend des figures pianistiques inspirées par Thelonious Monk et un phrasé be bop pour les souffleurs, l’ensemble dans des arrangements typiques des années 50.

Le synthe de Sun Ra introduit la ballade de Jerome Kern "I Dream too much" avec un effet retro très emphatique, et, ma foi, bien à propos… Les vocaux ne sont pas attribués mais peut-être est-ce Sun Ra lui-même qui chante, lui qui d’habitude noie sa voix dans les chœurs.

"Reflections in Blue" est une reprise de l’un des premiers titres de Sun Ra que l’on retrouve sur "Sound Of Joy" de 57 ou "Planet Earth" de 58. Ici l’atmosphère est au bop tendance boogie, place à la danse, au rythme et à la joie de vivre !

Une plongée dans l’histoire du jazz exécutée de façon irréprochable.

Reflections In Blue


I Dream Too Much


Nothin' From Nothin'


Yesterdays
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Re: J A Z Z et musiques improvisées - C'est ici qu'on en parle

Message par Douglas » sam. 4 nov. 2023 04:59

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Carla Bley – Social Studies – (1981)

Social Studies est l’album suivant en lead qui succède à Dinner Music, quatre années sont passées et voici l’heure des « Etudes Sociales » de Carla, qui s’ouvrent avec une superbe pochette. Le Carla Bley Band qui est réuni possède une belle allure.

Michael Mantler à la trompette, Carlos Ward aux saxs soprano et alto, Tony Dagradi au ténor et à la clarinette, Gary Valente au trombone, Joe Daley à l’euphonium, Earl McIntyre au tuba, Carla aux claviers, Steve Swallow à la basse et Sharp à la batterie. Un nonet qui tourne rond et fonctionne à plein !

L’album s’ouvre avec « Reactionary Tango (In Three Parts) », comme indiqué, un tango en trois parties absolument remarquables, qui se fixe à jamais dans votre mémoire auditive, sans plus vous quitter. Enfin, c’est ce qui m’est arrivé, après en avoir probablement usé et abusé, mais c’est le lot des œuvres extraordinaires qui finissent par faire partie de vous.

Puisque nous sommes dans les livres et les propriétés des auteurs il faut passer par la case « Copyright Royalties », une sorte de blues où brille la clarinette de Tony Dagradi, avec des airs à la fois blasés et nostalgiques, et un solo de trombone de l’excellent Gary Valente. On remarque également le talent d’écriture de Carla qui va à nouveau monter d’un cran avec le superbe « Útviklingssang » qui ouvre la face B.

On y entend cette facilité particulière et rare que possède Carla pour l’écriture et l’édification de beaux thèmes, avec chouette mélodie et tout, et tout… Ce pourrait-être un thème de film, qui circulerait au fil des événements, ponctuant chagrins, retrouvailles, coups du destin et fin fatale. C’est encore Tony Dagradi à l’œuvre, mais cette fois-ci au ténor, avec l’orchestre derrière qui dessine le décor…

A peine êtes-vous emporté que surgit la « Valse Sinistre », à nouveau une méga compo de Carla, je parle en termes de qualité, bien sûr, c’est un creuset qu’elle aimera fouiller à l’avenir. Elle dépose ici comme une marque déposée dans laquelle elle aimera puiser, avec une sorte de distance, d’humour presque d’ironie également, même si on sent le côté « noir » du truc…

Place et honneur à la rythmique sur « Floater », Sherp et Swallow se régalent, ainsi que Earl McIntyre que l’on entend à gauche, arrivé à ce stade on se dit que, diable, l’album qui baigne apparemment dans l’accessoire et le futile est tout simplement impressionnant, sans aucune faiblesse, fignolé dans les moindres détails, et on se dit que, Carla, elle y touche une sacrée bille dans les « Etudes Sociales », reste « Walking Batteriewoman », la dernière pièce, la touche finale.

Carla à l’orgue s’y régale, elle dialogue avec l’orchestre qui joue une partition alambiquée, toute tordue, avec une succession de solistes qui s’expriment en renouant avec le bebop, une façon très jazz et classe de dire « à bientôt », bon, il faut bien s’y résoudre, l’album est majeur, génial, avec une grande finesse tout du long, je soupçonne que c’est la raison pour laquelle il s’est sournoisement glissé dans ma mémoire auditive pour ne plus la quitter !

Carla Bley - Reactionary Tango (1981)


carla bley utviklingssang.mp4


Copyright Royalties


Carla Bley Valse Sinistre Social Studies
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Re: J A Z Z et musiques improvisées - C'est ici qu'on en parle

Message par Douglas » sam. 4 nov. 2023 17:33

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Charlie Haden: Liberation Music Orchestra (1970)

Dès 1964, sous l’impulsion de Bill Dixon une association regroupant des musiciens de Jazz est née sous l’appellation Jazz Composer’s Guild. Elle avait pour objectif de regrouper les musiciens qui naviguaient hors des circuits commerciaux et des salles de concert et qui jouaient une musique un peu plus d’avant-garde, axée sur la recherche et le renouveau. Grâce à l’association, ils purent se rencontrer, confronter leurs idées, répéter en vue de publier des enregistrements. Cette première association fut aussi le lieu où se rencontrèrent les musiciens fondateurs de la J.C.O.A (Jazz Composers Orchestra Association), qui se réorganisèrent lorsque la Jazz Composer’s Guild commença à battre de l’aile.

C’est Mike Mantler et Carla Bley qui fédérèrent ce renouveau, autour d’un grand Orchestre auquel participèrent un grand nombre de musiciens venus du Free Jazz. Ce grand Orchestre, ouvert aux propositions des musiciens, est en fait un lieu de rencontres, une sorte d’atelier où les idées et les projets se concrétisent sous la forme d’enregistrements, un label est même actif, même si les traces phonographiques liées au JCOA doivent se soumettre parfois aux impératifs des contrats qui lient les musiciens aux majors. La liste des musiciens qui participèrent à ce bouillonnement créatif est énorme et impossible à lister. Mais l’un des musiciens les plus actifs à l’intérieur de ce mouvement est certainement Charlie Haden.

Celui-ci est encore un jeune contrebassiste quand il joue avec Ornette Coleman à la fin des années cinquante, après un combat victorieux contre sa dépendance à l’héroïne, il fréquente la Jazz Composer Guild Association, c’est là qu’il rencontre Carla Bley et les principaux protagonistes qui formeront le Liberation Music orchestra à partir de 1969. Charlie Haden se veut militant, très ancré à gauche, il s’engage pour les droits civiques et contre la guerre du Viêt-Nam, le temps est aux hippies, à la non-violence et à la lutte contre toutes les dictatures.

La pochette n’est pas banale, treize musiciens alignés sous une banderole, encadrés par Carla Bley et Charlie Haden, la posture est militante et revendicative à l’image du contenu. Bouleversé par le film « Mourir à Madrid » de Frédéric Rossif et sensibilisé aux chants républicains de la guerre civile espagnole et par extension aux chants de libération en général, Charlie Haden se les approprie et en propose sa propre interprétation, de courts documents sonores d’époque s’intègrent à certains moments dans l’album, concourant à l’authenticité de la démarche. Ces mélodies populaires fixées dans l’inconscient collectif, véhiculant la nostalgie des luttes passées, des révoltes et de l’engagement individuel, cristallisent une folle énergie que catalysent les parties collectives orchestrées par la pianiste. Il souffle un vent de liberté sur tout l’enregistrement, les arrangements donnent une rare puissance à la beauté de ces chants portés par un lyrisme et une authenticité que sublime l’interprétation qui en est donnée.

Quatre des chants sont directement liés aux brigades Internationales engagées pour la défense de la démocratie lors de la guerre civile espagnole de 1936. « Song of the United Front » chant de travail écrit sur des paroles de Bertolt Brecht, « El Quinto regimento » (Le cinquième régiment), condensé de deux airs tirés du folklore dont l’un inspira Coltrane lors de son album Olé. « Los Quatro generales » (Les quatre généraux) et " Viva la Quince Brigada " (Vive la quinzième Brigade) sont réinterprétés avec des paroles qui portent leur poids d’histoire.

Outre Carla Bley qui assure l’orchestration et signe l’énergique et martial Introduction ainsi que The Interlude on peut entendre Gato Barbieri au meilleur de sa forme, éraillé et tonique sur Viva la Quince Brigada, Don Cherry dont le cornet semble batailler, poussé par l’orchestre sur El Quinto Regimento, Roswell Rudd inventif, libéré, Dewey Redman sur War orphans (orphelins de guerre) signé Ornette Coleman, et Sam Brown à la guitare qui improvise sur le folklore espagnol et colorise ainsi l’album lors de chacune de ses interventions.

Song for Che est bien entendu dédié à Che Guevara, assassiné en Bolivie avec l’aide de la CIA, on peut y reconnaître une citation d’ Hastra Siempre chanté par son auteur Carlos Puebla. Celui-ci, sollicité par Charlie Haden pour lui demander l’autorisation d’utiliser sa composition, lui répondit : « Ici, à Cuba, la musique n’appartient à personne, elle est au peuple. Vous pouvez l’utiliser. » Suite à l’interprétation en 71 de Song for Ché lors d’un concert au Portugal, dédié aux opposants à la dictature, Charlie Haden se verra arrêté et interrogé par la Police Secrète. Depuis, ce titre est devenu un classique du groupe, qui l’interprète à chacun de ses concerts.

Circus ‘68 ’69 a été écrit pour évoquer la convention démocrate qui se déroula dans les rues de Chicago et qui vit des militants du mouvement Yippies et du Mobe, ayant organisé une manifestation contre la guerre du Vietnam, se faire violemment matraquer par la police du maire Daley. « We Shall Overcome » est un gospel qui fut chanté à la façon d’un hymne lors de ces manifestations pour l’égalité des droits civiques et contre la guerre du Vietnam.

La publication de l’album sera également un combat, finalement la compagnie Impulse ! le sortira, mais sans promotion, le vinyle est resté longtemps confidentiel. Un second volume, toujours à base de chants révolutionnaires, d’hymnes libertaires et de litanies combattantes The Ballad of the Fallen sera publié en 1982, prolongeant celui-ci de façon remarquable, il en a toute la beauté et il y brille la même ferveur.

Charlie Haden nous a quitté, les sons de sa basse ne rythmeront plus le silence. Les enregistrements se souviennent et défient le temps. "Liberation Music Orchestra" incarnera le temps des colères, des révoltes, des hommes debout et restera à jamais un classique, désormais incontournable.

Il est parti avec sa contrebasse sur le dos en n’oubliant pas la douceur des usages: son dernier album enregistré en duo aux côtés de Keith Jarrett s’appelle « Last dance » et le dernier titre « Goodbye ».

Liberation Music Orchestra - The Introduction/Song Of The United Front


Charlie Haden - Song for Ché


Charlie Haden - El Quinto Regimiento / Los Cuatro Generales / Viva la Quince Brigada


We Shall Overcome
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Message par whereisbrian » sam. 4 nov. 2023 19:21

Très bel album, pareil pour The Ballad Of The Fallen.

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Message par dark pink » sam. 4 nov. 2023 19:42

Il a fait combien de disques, Sun Ra ? Et, au cas où, qui en a fait plus que lui ? C'est dingue une discographie aussi abondante !

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Re: J A Z Z et musiques improvisées - C'est ici qu'on en parle

Message par Douglas » dim. 5 nov. 2023 05:03

whereisbrian a écrit :
sam. 4 nov. 2023 19:21
Très bel album, pareil pour The Ballad Of The Fallen.
Je vais en parler dans quelques jours, c'est prêt, j'écris un peu à l'avance quand j'ai le temps et un peu d'inspiration...
dark pink a écrit :
sam. 4 nov. 2023 19:42
Il a fait combien de disques, Sun Ra ? Et, au cas où, qui en a fait plus que lui ? C'est dingue une discographie aussi abondante !
Il en a fait une bonne palanquée, sous le nom de Sun Ra ou de l'Arkestra, je n'essaie même pas de compter parce que s'ajoutent des albums de concert qui arrivent encore...
A vue de nez je citerais Steve Lacy qui ne doit pas être si loin derrière ou Peter Brötzmann, pour ceux qui sont encore là, Ivo Perelman est bien parti ^^ ou mieux William Parker qui pourrait les battre tous, ou encore Matthew Shipp qui enregistre également beaucoup, et tous ceux que j'ai oubliés...
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