J A Z Z et musiques improvisées - C'est ici qu'on en parle

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Re: J A Z Z et musiques improvisées - C'est ici qu'on en parle

Message par Douglas » lun. 13 nov. 2023 04:02

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William Hooker / Billy Bang Duo – Joy (Within) ! - (1996)

Voici un duo magnifique enregistré en quatre-vingt-quatorze pour les six premiers titres à la « Knitting Factory », et en juin quatre-vingt-quinze pour les trois derniers au « Tap Bar of the Knitting Factory », c’est-à-dire un an après. L’album, lui, est sorti en quatre-vingt-seize. Billy Bang joue du violon et de la flûte sur « Blood and Coffee (surviving) », William Hooker joue de la batterie, des percussions et parfois donne de la voix. C’est un album Silkheart plein à raz bord comme souvent, plus de soixante et onze minutes de la part du duo.

C’est sûr, c’est un peu rustique, ça râpe, ça frotte de façon répétitive, encore et encore, sans jamais cesser, avec une impression d’en remettre toujours plus, à fond et jusqu’à plus soif, une musique intense et puissante, poussée et pulsée par les toms frappés lourdement par Hooker qui donne et redonne, envoie puissamment, c’est « Sweating Brain » le premier, titre, le plus long, dix-sept minutes d’une énergie toujours renouvelée, comme si le cœur s’emballait sans jamais appuyer sur le bouton « pause », histoire de ne pas claquer en route…

C’est incroyable de penser que la simple combinaison de ces deux instruments puisse nous porter aussi haut, sur le papier ça paraît impossible, mais il n’est que d’écouter pour s’en convaincre. Il n’y a que Leroy Jenkins et Billy bang qui maîtrisent cette folie-là, partant du solo de William Hooker qui ouvre la pièce, Billy s’accroche à une ou deux branches pour créer cette énergie folle par la répétition qu’il nourrit de sa passion et de son investissement total, jusqu’au sommet qu’il parvient à atteindre après un long cheminement tout d’effort et de passion.

Les six premiers titres semblent vouloir former une très longue suite, le second concert est séparé du premier par les applaudissements. Il est noté dans un petit coin du Cd que les six premiers titres sont enregistrés en DDD et les trois derniers en ADD, mais franchement la différence est inaudible et ne signifie pas grand-chose, cette seconde partie est tout de même assez longue, plus de vingt-sept minutes tout de même.

Juste assez pour confirmer qu’ici nous avons affaire à un grand album, tout simplement. A signaler que la pochette est la photographie d’une sculpture de bois qui se nomme « Man With Dog » de Torbjörn Skobe.

Sweating Brain (Live)


Hawk (Live)


Joy (Within) ! (Live)


Etheric Redemption (Live)
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Re: J A Z Z et musiques improvisées - C'est ici qu'on en parle

Message par Douglas » lun. 13 nov. 2023 16:05

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Eric Dolphy Quintet Featuring Freddie Hubbard – Outward Bound - (1960)

Eric Dolphy est mort à l’âge de 36 ans des suites d’un diabète non déclaré. En 1965, peu de temps après ce décès, le journaliste et écrivain Jean-Louis Comolli fit paraître, en hommage au musicien, dans un numéro du journal Jazz Magazine, un article qui avait pour titre « Dolphy, le passeur ». Cet article, je ne l’ai jamais lu, et pourtant j’en ai beaucoup entendu parler, tellement il a été repris, commenté, comme si, à lui seul, il résumait tout le talent du musicien. « Le passeur », quel beau titre ! Celui qui emmène d’une rive à l’autre, et qui revient, et qui repart… Comme un témoin dans un relai, comme un initié qui vous accompagne, un ami qui vous prend la main…

Il faut écouter Eric Dolphy. Petit, lorsqu’il apprenait à jouer de l’harmonica puis de la clarinette, il aimait imiter les oiseaux avec son instrument, c’était un musicien extraordinairement travailleur, très doué, mais il avait cette chose en lui qui le reliait au ciel : il parlait le langage des oiseaux, passeur, déjà. On résume souvent son parcours à un seul album, « Out to lunch », laissant croire que tout est là, concentré, comme dans un livre dont on peut puiser l’essence. Fatale erreur, ce n’est qu’un chapitre et il n’est même pas sûr qu’il contienne les plus belles pages…

Eric Dolphy, c’est un musicien qui a enregistré de beaux albums sous son nom, mais pas seulement, c’est aussi un accompagnateur, il faisait partie de l’armée des humbles, des porteurs d’eau. Très vite, malgré son caractère simple et effacé, les oiseaux qui se cachaient en son âme se sont libérés à son insu, fuyant par le pavillon de son alto ou de sa clarinette basse (pour les plus gros). Il a été remarqué par les plus grands : Ken McIntyre, Chico Hamilton, Ornette Coleman, Max Roach, John Lewis, George Russel, Mal Waldron… La liste est longue, des leaders qu’il a accompagné. Il s’est particulièrement attaché à Charlie Mingus et à John Coltrane avec lesquels il a joué la plus belle des musiques, d’égal à égal. Passeur il l’est donc aussi dans ce sens, passant d’un groupe à l’autre, mais, on l’a compris, le message de Jean-Louis Comolli parlait d’un passage plus épineux, celui qui reliait le be bop au free jazz, de Charlie Parker à Ornette Coleman.

Ce premier album sous son nom en tant que leader est ancré côté hard bop. C’est entouré d’amis qu’il rentre dans le studio, d’ailleurs des amis, il n’en manque pas ! G.W. par exemple qui est le premier titre de l’album, sont les initiales de Gerald Wilson et Les, pour Lester Robinson, deux de ses anciens partenaires.

Le premier titre est joué sur une structure hard bop classique : thèmes, solos, reprise du thème. Ici tout est vélocité et virtuosité, le niveau atteint par chacun des intervenants est stupéfiant. Nul ne pourra prétendre que si ceux-là dérivent un jour vers le free jazz, c’est par insuffisance technique ou qu’ils ne savent pas jouer… La rythmique est carrée, Roy Haynes imperturbable, George Tucker (très proche ami de Dolphy) se montre bondissant vif et inspiré, quand à Jaki Byard il est égal à lui-même, et c'est déjà dire beaucoup.

La reprise d’On Green Dolphin Street est le petit joyau de l’album, Eric Dolphy s’emploie à redonner à la clarinette basse ses lettres de noblesse en l’intégrant à part entière comme instrument soliste dans un combo de jazz. Freddie Hubbard offre un magnifique solo de trompette dont la sonorité est agrémentée d’une sourdine qui lui donne un effet plein de retenue.

Sur Les, le solo d’Hubbard est particulièrement tranchant, vif et percutant. C’est sa manière de faire, il trouve en Dolphy un interlocuteur de choix qui le relance avec la même frénésie, les codas qui suivent sont typiquement bop dans la droite ligne de Charlie Parker dont l’ombre plane dans les studios…

"245" c’est le numéro de la maison où habite Slide Hampton, encore un ami, c’est aussi le titre de la composition qui ouvre la seconde face, sur un tempo medium Freddie traîne son blues nonchalant, suivi de Jaki Byard qui joue l’essentiel, le suc. Eric à l’alto, en flots continus, emporte tout, vous également, ça fait cet effet là, aussi, le blues quand c’est joué comme ça…

Eric joue de la flûte sur le standard tiré d’une comédie musicale de Broadway Glad To Be Unhappy, il s’y montre virtuose, il est aussi à l’aise à l’alto qu’à la flûte ou à la clarinette basse, tant il a travaillé la pratique instrumentale, il partageait cette ardeur au travail avec John Coltrane, ces deux là avaient plus d’un point en commun… La ballade s’éclipse au son du chant des … oiseaux, sortis des roseaux du sorcier.

La dernière pièce de l’album Miss Toni est joué à la clarinette basse sur le rythme enlevé du bop, avant que ne commence la ronde des solos, ainsi s’achève l’album, les deux pieds ancrés dans la tradition, mais déjà Dolphy retourne jouer avec Mingus pour enregistrer, devinez quoi? Pre-Bird bien sûr, avec des idées plein la tête !

Un premier album tourné vers le hard bop, de là où on vient, avec des aspects modernes particulièrement dans le choix des instruments et le mariage des sonorités, vers là où on va.

Eric Dolphy - G.W.


Eric Dolphy - On Green Dolphin Street


Glad To Be Unhappy (Instrumental)


Eric Dolphy - Miss Toni
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Re: J A Z Z et musiques improvisées - C'est ici qu'on en parle

Message par Douglas » mar. 14 nov. 2023 04:23

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Carla Bley with Steve Swallow – Night-glo (1985)

Si « Heavy Heart » était un peu inégal, « Night-glo » est, lui, un peu décevant, de mon point de vue. Vous n’entendrez pas Mike Mantler, lui et Carla se sont séparés, et, comme l’indique la pochette, Carla allume le nouveau boss qui s’installe dans son cœur, pour un compagnonnage qui ira jusqu’au bout, avec le tendre Steve Swallow.

L’avantage incontestable de cet album, c’est que la suite ne pourra être que meilleure, ce qui est déjà positif. Mais, pour ce qui me concerne, je vais me détacher un peu de sa discographie, ingrat que je suis, après qu’elle m’ait tant apporté, tant donné. Je pense même compléter ma Cdthèque avec quelques albums, bien qu’il m’en reste encore à présenter.

On retrouve quelques musiciens de l’album précédent, particulièrement Hiram Bullock à la guitare, souvent intéressant. Au verso certains noms sont écrits en gros caractères, les six premiers, d’autres en petit, les cinq derniers dont la section de cuivres en son entier.

L’album est léger, très, et probablement trop, avec un certain manque de consistance. C’est détendu et d’accès facile, un peu muzak, la pochette est raccord avec l’ambiance, bien qu'on y sente une pointe d'ironie... Les pièces se rangent facilement dans l’easy listening, ce qui n’est pas nécessairement dévalorisant, mais dans le cas présent, si…

Alors que faut-il sauver ? Déjà le jeu de Steve Swallow qui est une composante majeure du son de Carla Bley, on entend ici et là quelques solos de guitare basse qui éveillent immédiatement de l’intérêt et ravivent les souvenirs. L’album est peu ambitieux mais il y a la suite finale en trois parties sur la face deux qui apporte un peu d’espoir, on sent l’écriture de Carla et sa signature sonore, ce qui rassure.

Les autres titres possèdent quelques bons passages, la chanson titre notamment, mais rien qui fasse basculer l’impression générale…

Mais ce « coup de mou » n’est pas définitif.

Carla Bley ‎– Night-glo - 1985 WATT
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Re: J A Z Z et musiques improvisées - C'est ici qu'on en parle

Message par Douglas » mar. 14 nov. 2023 17:25

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Eric Dolphy And Booker Ervin With The Mal Waldron Sextet – The Quest (1962)

Après avoir participé aux deux magistrales sessions d’Africa Brass pour Impulse ainsi qu’à la dernière session pour Atlantique, qui verra la sortie de l’album Olé, Eric Dolphy quittera quelques temps Coltrane afin de jouer avec les musiciens de sa propre écurie: Prestige. C’est ainsi qu’après avoir participé à un album de Ron Carter, il contribuera à l’album de Mal Waldron, The Quest.

Mal Waldron est un pianiste disciple de Thelonious Monk et Bud Powell, il a entre autres accompagné Billie Holiday, ce qui ne l’empêche pas de s’aventurer de temps à autres sur des terrains glissants côté free. Admiré et estimé par ses pairs, il ne jouit cependant pas d’un intérêt prononcé de la part du grand public, son talent étant inversement proportionnel à sa notoriété, mais il suffit de s’intéresser à sa pléthorique discographie pour se rendre compte de sa réelle dimension et constater qu’il a largement dépassé le statut de « petit maître ».

The Quest, dont il a composé entièrement la musique, reste l’une des plus concrètes manifestations de ses qualités, on peut même parler de chef d’œuvre tant l’album est intense et sans faiblesse, les compositions aux mélodies subtiles dessinent les contours de ce « third stream » auquel s’intéresse déjà Eric Dolphy.

"Status Seeking" ouvre l’album, après un exposé du thème, Eric Dolphy chevauche son alto et se lance dans un solo de feu entre hard bop incendié et free à peine à ébullition, Booker Ervin n’est pas en reste et se pose en alter égo du « passeur », son solo extrêmement brillant restera mémorable. Ron Carter qui vient d’enregistrer « Where ? » une semaine plus tôt en compagnie d’Eric Dolphy, Mal Waldron et Charlie Pership, pince les cordes de son violoncelle et apporte une couleur originale, alors innovante, ce qui créera d’ailleurs une petite polémique et fera question. Quoiqu’il en soit, son apport aux côtés de la contrebasse de Joe Benjamin qui le complète merveilleusement, est incontestablement l’une des curiosités et l’un des attraits de cet album.

"Duquility" est joué sur un tempo très lent et même paresseux, le violoncelle de Ron carter n’est pas sans évoquer l’ambiance de la musique de chambre, Debussy et Satie réinventés. Mal Waldron lui succède et égrène quelques notes à l’architecture brinquebalante et pourtant irremplaçables, à la façon de Monk. Retour au canevas hard bop avec "Thirteen", Eric Dolphy à l’alto s’échappe dans une formidable envolée, rattrapé par le violoncelle de Ron Carter, parfaitement inouï dans ce contexte, solo carré de Booker Erwin, autoritaire dans ses attaques, solide comme chez Charlie Mingus, solo du patron et retour du thème.

Encore un morceau up-tempo : "We Diddit". Solo brillant de Mal Waldron dont on entend à nouveau cette singularité dissonante qui forge son style. Charlie Persip nous offre un petit solo très sympathique, tout au long de l’album il se montre un batteur sans faille, subtil et inventif. Sur "Warm canto" qui ouvre la seconde face, Eric Dolphy joue de la clarinette soprano, le thème, emplit de simplicité, est magnifique, ce qui fait de cette pièce une petite pépite subtile et fragile hors du temps et des étiquettes. Mal Waldron s’y montre luxueusement économe. Le développement violoncelle, contrebasse et batterie est un modèle d’équilibre et d’écoute. Joe Benjamin, grand bassiste sous estimé, y est à la fois véloce et très mélodieux.

"Warp And Woof" commence par un balancement chaloupé que vient contrecarrer le violoncelle de Ron carter, le morceau se développe dans cette ambivalence par de subtils glissements, Booker Erwin puis Eric Dolphy sont à nouveaux tout à fait éblouissants dans leurs solos, du travail de maître. "Fire Waltz" qui termine l’album déroule encore un magnifique thème que l’on retrouvera un peu plus tard sur les albums live de Dolphy au Five Spot. Mal Waldron s’y montre à la fois rythmique et aérien, cette valse tournoyante lui permet, lors de son solo, d’enchaîner des phrases circulaires qui s’emboîtent les unes dans les autres, cette manière de faire restera l’une des marques de son style.

C’est donc un album très riche, d’une grande diversité, qui alterne les morceaux rapides et les ballades. Chacune des pièces apporte son lot d’originalité, bâtissant une musique complexe et aboutie.

Warm Canto


Status Seeking


Fire Waltz (Live)


We Diddit
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Re: J A Z Z et musiques improvisées - C'est ici qu'on en parle

Message par Douglas » mer. 15 nov. 2023 04:14

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Carla Bley – Sextet – (1987)

Le redressement est en effet rapide, la formation, un peu resserrée, sort l'album « Sextet » en quatre-vingt-sept. Carla à l’orgue, Le magnifique Hiram Bullock à la guitare, Larry Willis au piano, Steve Swallow à la basse, Victor Lewis à la batterie et Don Allas aux percussions. On ne quitte pas le son jazz-rock tendance glamour, mais cette fois-ci pour le meilleur. Carla a soigné son travail, côté compo c’est plutôt grandiose et les arrangements sont plutôt sympa, baignant dans une coolitude qui est propre à séduire un public large tout en maintenant un haut niveau de qualité.

La première pièce « More Brahms » est splendide, sur tempo médium, elle met en appétit et se développe avec finesse, on reconnaît le style de Carla, même si le son est bien ancré dans son temps, quelques références plutôt anciennes sont présentes, plongeant parfois jusqu’aux années Blue Note.

« Houses and People » confirme, ralentissant encore le tempo, avec un Hiram Bullock très en valeur, pas de cuivre ni de anches, une certaine nudité qui permet d’apporter un peu de fraîcheur. Justement arrive « The Girl Who Cried Champagne » pour clore la face, une chouette pièce encore, toujours dans cet esprit « lounge » et Bullock qui s’énerve un peu, réchauffant encore l’atmosphère avec quelques étincelles et des papillotes.

Côté face B, on redémarre à nouveau dans cette même ambiance soft, velours and paillettes, prolongeant la séance de calino-zoubi bien agréable, avec une grimpette sur le « Brooklyn Bridge », départ et arrivée sur le sofa, les yeux fermés.

Puis c’est « Lawns » qui sert de « single » sur cet album, le titre qui a plu au public ECM, avec un chouette solo de piano de la part de Larry Willis, tempo lent, un chouïa contemplatif, et Hiram encore, qui tricote au son de l’orgue de Carla qui distille les accords qui vont bien.

« Healing Power » termine l’album et du coup nous réveille un peu, avec un groove légèrement funky. Sur cet album rien n’est mauvais, on cultive une certaine simplicité, c’est plutôt agréable et caressant pour nos oreilles qui perçoivent tout le bien qu’on leur souhaite. Alors bien sûr on est tout de même assez loin des frissons d’antan, mais, pour autant ne négligeons pas non plus la beauté des choses simples…

Carla Bley - More Brahms


Carla Bley - The Girl Who Cried Champagne


Carla Bley - "Lawns"


Carla Bley - Healing Power
Modifié en dernier par Douglas le jeu. 16 nov. 2023 14:48, modifié 1 fois.
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Re: J A Z Z et musiques improvisées - C'est ici qu'on en parle

Message par Douglas » mer. 15 nov. 2023 15:34

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Eric Dolphy – At The Five Spot, Volume 1.

Après avoir participé à l’album de Ron Carter et à celui de Mal Waldron, il paraît tout naturel à Eric Dolphy de proposer à ses acolytes une place dans l’orchestre qu’il est sur le point de constituer pour répondre à un engagement d’une quinzaine de jours au Five Spot Café. Mal Waldron, Richard Davis et Booker Little acceptent immédiatement, Ed Blackwell, que Dolphy a rencontré aux côtés d’Ornette Coleman, se joint au petit groupe pour compléter le quintet.

Ces enregistrements sont précieux car ils portent témoignage du jeu de l’orchestre en prise directe, ce qui n’est pas alors si courant, d’autant qu’il s’agit de l’une des meilleures formations regroupée par Eric Dolphy. Trois albums seront issus de ces enregistrements, il y aura un volume deux, puis un troisième intitulé le Memorial album. On peut aussi retrouver les trois réunis sur le triple album The Great concert of Eric Dolphy paru chez Prestige. La prise se fera en une seule soirée et la qualité du son n’est pas parfaite, malgré que ce soit le « magicien » Rudy Van Gelder qui sera mandaté par Prestige pour assurer l’enregistrement. On regrettera le piano un peu lointain, la trompette de Booker Little et la basse de Richard Davis insuffisamment mis en avant, mais c’est juste pour pinailler, ne boudons pas notre plaisir, ces plages sont rares et merveilleuses et s’écoutent avec gourmandise.

Tout commence avec "Fire Waltz", le thème de Mal Waldron. Après un court exposé du thème, Eric Dolphy effectue un solo tourbillonnant, jusqu’à l’ivresse, la virtuosité naturelle de l’altiste s’augmente du jeu tout en rythme d’Ed Blackwell qui se déploie en arabesques tournoyantes sur le tempo de la valse. Booker Little, dans un style plus traditionnel, se coule volontiers ici dans le moule de hard bopper surdoué. Son solo répond à celui de Dolphy avec une sonorité pleine, toute en rondeur, en sauvegardant ce petit caractère inquisiteur qui sonde vers cet ailleurs, esquissé par Dolphy. Mal Waldron a gardé de Monk le côté opiniâtre et parcimonieux, jouant avec les silences et le rythme, les allers-retours et l’immobilité feinte, révélant de dissonantes obsessions.

"Bee Vamp" de Booker Little est une très belle composition, très ouverte, dans un style assez Coltranien, le trompettiste s’éloigne du hard bop pour en reculer les frontières et flirter avec l’univers modal et l’atonalité, un peu moins technique que Clifford Brown et moins boppers que Fats Navarro il les égale en sensibilité et éclate ici de ses derniers feux, il disparaîtra en effet douze semaines plus tard, laissant Miles et Dizzy sans dignes successeurs, la fatalité ayant fauché le trio bien avant l’heure. Son solo ici est pur bonheur de joie et d’équilibre. Sa façon de jouer avec la section rythmique, comme s’il s’en délivrait, tout en restant à la limite de la transgression, le situe aux portes de l’avant-garde.

Il est probable que Dolphy a joué un très grand rôle pour sortir la clarinette basse du confinement dans lequel elle se trouvait, réduite le plus souvent à n’être utilisée que pour ménager quelques effets. Aussi l’amateur est-il toujours dans l’attente du moment où Eric fera chanter le son chaud et grave de la clarinette basse au coin d’un album. C’est sur ce thème qu’il rejoint Booker Little avec lequel il dialogue, les deux solos convergent, s’entrelacent en un contraste tout en douceur. Ensuite c’est au tour de Mal Waldron de prendre le relais pour un superbe solo de piano aidé par un Richard Davis vraiment impeccable.

Le "Prophet", qui occupe l’intégralité de la face deux, n’a rien de religieux, non, il s’agit d’un hommage rendu par Eric Dolphy à Richard Jennings, le graphiste auteur des pochettes des deux premiers albums (Outward Bound et Out there) qu’il signe de ce pseudo. Celles-ci furent d’ailleurs très controversées et souvent taillées en pièce par la critique.

"The Prophet" est un blues au rythme paresseux, qui s’étire avec langueur. Eric Dolphy s’exprime, comme souvent dans un solo tout en verticalité, jouant avec les contrastes les plus extrêmes autorisés par le saxophone alto, explorant ici ou là les accords et les fouillant jusqu’à en faire jaillir les plus petites étincelles pour allumer le brasier… La section rythmique fait belle figure et vers la fin du morceau on peut enfin entendre un solo de notre bassiste, Richard Davis, précieux en soutien rythmique, il fait ici chanter sa basse avec grâce faisant preuve en outre d’un beau sens mélodique.

Le premier volet d’une trilogie déjà légendaire.

Eric Dolphy – At The Five Spot, Volume 1.


Bee Vamp


The Prophet
Modifié en dernier par Douglas le jeu. 16 nov. 2023 14:50, modifié 1 fois.
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Re: J A Z Z et musiques improvisées - C'est ici qu'on en parle

Message par dark pink » mer. 15 nov. 2023 15:47

A la fac, j'avais un pote qui était fan de Dolphy et qui disait qu'il avait un saxo en plastique qu'il arrivait à faire sonner comme un "vrai". Je n'ai pas trouvé de trace de ça sauf pour Parker et Coleman. Ca te dit quelque chose ?

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Re: J A Z Z et musiques improvisées - C'est ici qu'on en parle

Message par Douglas » mer. 15 nov. 2023 15:58

dark pink a écrit :
mer. 15 nov. 2023 15:47
A la fac, j'avais un pote qui était fan de Dolphy et qui disait qu'il avait un saxo en plastique qu'il arrivait à faire sonner comme un "vrai". Je n'ai pas trouvé de trace de ça sauf pour Parker et Coleman. Ca te dit quelque chose ?
Pour Ornette Coleman et Charles Gayle c'est bien connu, mais pour Dolphy ça ne me dit rien, il faudrait relire le "Dolphy" de Guillaume Belhomme pour s'en assurer...

Il y avait aussi la trompette (ou le clairon?) toute cabossée qui datait de la guerre de Sécession pour Don Cherry qui a fait glauser, ou bien la trompette coudée vers le haut qui est un non-sens musical (coût énergétique disproportionné), mais qui est faite pour plaire au public dont joue Dizzy Gillespie...
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Re: J A Z Z et musiques improvisées - C'est ici qu'on en parle

Message par Douglas » jeu. 16 nov. 2023 04:37

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Steve Lacy, Irene Aebi, Frederic Rzewski – Packet - (1995)

Un album à peu près ignoré sur le net, sans doute il y a-t-il des raisons à cela, pourtant je vous en parle car il se peut que quelques-uns y trouvent un intérêt. Déjà pour Steve Lacy qui est un saxophoniste exceptionnel, mais ça vous le savez déjà. Tout en haut de la pochette on peut lire « 8 songs by Judith Malina & by Julian Beck », en fait Beck en a composé une seule et Judith les autres. Mais il faut également préciser qu’il y a en fait dix titres, et non pas huit.

Les deux auteurs de ces poésies vivent à New York et sont les fondateurs du « Living Theatre », mais ils sont également actifs en Italie, et comme Steve Lacy rencontra son aimée, Irene Aebi, à Rome, rien d’étonnant à ce que tous se rencontrent autour d’un projet musical.

Irene Aebi chante ici, et par ailleurs, sur pas mal d’enregistrements de Steve Lacy, c’est une musicienne accomplie, elle joue également du violoncelle et du violon, mais pas sur cet album. Je dois dire que sa voix est très particulière et qu’au début, quand j’étais plus jeune, elle me gênait, pourtant je ne me décidais pas à passer à côté d’une partie de l’œuvre de Steve Lacy à ce seul prétexte, du coup, non seulement je m’y suis habitué, mais très vite, je l’aimais. Je la trouve étrangement en parfaite complétude du style, en escalier, de Steve…

Judith Malina offrit au couple de musiciens un exemplaire de ses poèmes, parus sur un recueil « Poems of a wandering Jewess », qui impressionna particulièrement Irene. Steve composa donc la musique autour de ces poèmes et Irene conçu l’ensemble du projet d’album. C’est Frederic Rzewski qui accompagne au piano et complète le trio.

Avant l’enregistrement en studio de l’album, à Paris, en quatre-vingt-quinze, ils tournèrent un peu, au Théâtre Biplan, à Lille, au Centro d’Arte à Padova en Italie, et à l’American Center de Paris. Sur le petit livret accompagnant où l’on trouve les paroles, il est dit que ces « chansons parlent du théâtre, de la vie, de la mort, de la naissance, du vieillissement, de la peine, de l’errance et de la difficulté d’être femme…

La thématique du « Juif errant » est également présente, balloté en ce monde comme une sorte de « gitan des océans » traversant le monde à bord des paquebots…

The True And The Contrary

« What is true is also contrary.
The Basis recoils to the epitome.
On the periphery there are signs
Of the center.

Conditions allow limitations,
But Create ingrenesses.
Doubt has a melody of its own.

What was previously created, can be
transfigured, but no longer demolished.
We’ve stood enouge of the insubstantial.
Now we are sedentary
On the premise that what’s at bottom
Is bedrock.

Sentience is hiliness,
And What contradicts, speaks
Against its own voice.
»

Theatre (erreur de pochette)


Steve Lacy, Irene Aebi, Frederic Rzewski - Love and Politics


Steve Lacy, Irene Aebi, Frederic Rzewski: Joy


Steve Lacy, Irene Aebi, Frederic Rzewski: Do Not Judge Me Lightly #2
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Re: J A Z Z - C'est ici qu'on en parle

Message par Douglas » jeu. 16 nov. 2023 14:57

Douglas a écrit :
ven. 1 mai 2020 06:19
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Cet album, le premier pour Blue Note de la part d’Eric Dolphy, possède assurément un poids historique inégalé dans sa discographie. Sans doute, et avant tout, parce que c’est son dernier, ultime et magnifique, mais aussi pour la teneur de l’enregistrement, pour les intentions qu’il renferme et le tournant qu’il constitue, particulièrement pour les deux premiers morceaux de l’album.

Souvent, jusque dans la dernière partie de sa vie, Eric Dolphy a évoqué le « third stream », ce troisième courant qui échappe au jazz et tend à converger vers la musique contemporaine. On pourrait en voir la manifestation sur « Hat and Beard » et « Something Sweet, Something Tender ». Il me semble qu’un tel éclairage permet de mieux appréhender l’écoute de ces deux pièces, et même de l’album dans son entier, bien que le reste des titres restent attachés aux canons du be bop de façon plus traditionnelle.

L’équipe de musiciens est époustouflante, l’énoncé des noms suffit, Freddie Hubbard, Bobby Hutcherson, Richard Davis et Anthony Williams. Chacun d’entre eux est définitivement écrit au Panthéon du jazz ne serait-ce que pour avoir participé à cet album, comme l’a indiqué Dolphy « Tout le monde joue en leader sur ce disque », en effet chaque son, chaque vibration y est à sa place.

Je n’insiste pas sur les merveilles qu’il contient, les solos brillants des uns et des autres, les audaces multiples qui émergent sans discontinuer, car l’aventure va bientôt prendre fin, Eric atteint d’un diabète dont il ignore la sournoise présence, nous quittera en juin 64, quelques mois après ce vingt-cinq février qui vit naître cet enregistrement.

Eric Dolphy - Out To Lunch! (1964) full Album
00:00 - - - A1 — Hat And Beard (Eric Dolphy) - - - (8.24)
08:35 - - - A2 — Something Sweet, Something Tender (Eric Dolphy) - - - (6.02)
14:41 - - - A3 — Gazzelloni (Eric Dolphy) - - - (7.22)
22:02 - - - End Side a)
22:21 - - - B1 — Out To Lunch (Eric Dolphy) - - - (12.06)
34:33 - - - B2 — Straight Up And Down (Eric Dolphy) - - - (8.19)
42:56 - - - End Side b)

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Re: J A Z Z et musiques improvisées - C'est ici qu'on en parle

Message par Douglas » ven. 17 nov. 2023 02:17

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The Ethnic Heritage Ensemble – Ancestral Song - Live From Stockholm – (1988)

Une petite plongée dans l’histoire de l’Ethnic Heritage Ensemble avec cet album de quatre-vingt-huit qui nous offre quelques essentiels de la musique noire américaine. Kahil El’Zabar est celui qui rassemble, réunit et lie autour de ce magnifique projet. C’est le quatrième opus de la formation et il garde encore et toujours cette authenticité première qui en fait l’un des plus viscéraux.

Il y a de l’essentiel dans cette musique, des racines qui plongent à la fois dans le blues et dans la culture africaine, cette ethnicité qui se tient dans le nom de la formation. En parcourant, laborieusement, les notes de pochette en anglais je tombe sur cette variation autour du « piano à pouces » qui en dit beaucoup. On l’appelle également « sansa » comme crédité sur la pochette, mais aussi mbira, likembe, kalimba, marimba, kasanzi ou agidigbo ou d’autres encore selon les dialectes et les contrées africaines…

La présence de cet instrument est déjà un gage de couleur et d’authenticité, si Kahil joue de la sansa, Joseph Bowie lui joue du marimba et des percussions en plus du trombone. Edward Wilkerson est le saxophoniste ténor ou encore le clarinettiste, comme sur la pièce d’ouverture « Papa’s Bounce ». L’heure n’est pas encore aux invités qui s’ajouteront souvent au fur et à mesure des sorties d’albums.

L’album original en version LP contient les quatre premiers titres, la version Cd parue la même année contient deux titres supplémentaires, « Three And Half » et « Kahil’s Blues » qui propulsent l’album à soixante-trois minutes d’enregistrement, ce qui est souvent une constante sur « Silkheart Records » qui aime à tirer un parti maximum du support Cd.

On trouve ici quelques titres qui seront repris plus tard sur différents albums de la formation, avec des versions différentes et souvent améliorées, allongées et soumis aux traitements induits par la recherche de la « transe », préoccupation importante pour cette musique qui s’adresse à l’esprit mais aussi directement au corps.

L’enregistrement provient d’un concert au « Fashing Club » de Stockholm en Suède, le trois mai quatre-vingt-sept, le son est correct, mais il n’offre pas le sentiment d’immersion qui va si bien avec l’esprit de cette musique. Rien de grave toutefois, l’album est vraiment chouette et nous baigne dans une sorte de sentiment de pureté, comme pourrait le faire l’écoute d’un bon vieux blues râpeux d’autrefois, un peu à la façon de ce « Kahil’s Blues » qui clôt l’album.…

Ancestral Song (Live)


Papa's Bounce (Live)


Loose Pocket (Live)


Kahil's Blues (Live)
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Re: J A Z Z - C'est ici qu'on en parle

Message par Douglas » ven. 17 nov. 2023 15:47

Bel album de Mingus ou Dolphy allume les mèches...
Douglas a écrit :
mar. 23 févr. 2021 04:50
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Voici un « coffret » 4 Cds de Charles Mingus @ Bremen en 1964 et 1975. Je mets coffret entre guillemet car ce sont des volets dépliants peu en rapport avec la qualité attendue vu le prix de vente. Ceci étant dit, niveau musical c’est tout à fait exceptionnel. Il y a environ quatre heures de musique, deux Cds sont consacrés au concert de 1964, les deux autres à celui de 1975. Pour des raisons pratiques je vais vous parler ce jour du concert de 64, je complèterai plus tard avec le second concert.

L’orchestre formé pour cette tournée de 64 en Europe est tout à fait extraordinaire, on n’y trouve que des stars, Charles Mingus à la basse, Johnny Coles à la trompette, Eric Dolphy au saxophone alto, à la flûte ainsi qu’à la clarinette basse, Clifford Jordan au ténor, Jaki Byard au piano et Dannie Richmond à la batterie. Peut-être que certains ont pu voir le film sur le Dvd « Jazz Icons » concernant trois des concerts du groupe de Charles Mingus en Belgique, en Norvège et en Suède (bon y’a pas tout).

Je dois reconnaître que la musique de Mingus et d’autres grands classiques du jazz sont pour moi une histoire un peu ancienne, concernant plutôt mes débuts dans la culture jazz, Mingus, Coltrane, Dolphy, Coleman, Don Cherry et plein d’autres encore, je les ai écoutés en abondance il y a pas mal d’années, et plutôt en profondeur, les thèmes et les morceaux ont imprégnés mon apprentissage jazz et ont nourri la passion.

Ceci pour expliquer le choc émotionnel ressenti à l’écoute de cet enregistrement « Live », tout est remonté à la surface en une fois, ça commence avec « Hope So Eric », en fait « So Long Eric » paru sur l’album « Town Hall Concert » de 64 pour saluer le départ de Dolphy qui quittait la formation, quelques mois avant son décès. Vingt-six minutes déjà glorieuses !

Et puis ça continue avec « Fables Of Faubus » qui dépasse les trente-trois minutes, une version d’anthologie, le morceau est paru deux fois dans la discographie de Mingus, la première sur « Mingus Ah Um » en 59, mais la version a été censurée par la maison de disques, il ressortira sous un autre nom « Original Faubus Fables » sur « (Charles Mingus) Presents Charles Mingus » en 61, cette fois-ci avec les paroles. C’est une charge contre Orval Faubus, gouverneur de l’Arkansas, raciste et ségrégationniste.

C’est pas fini, sur le second Cd une ouverture au piano solo de Jaki Byard, un jour on saura à quel point il était grand, je vous recommande son album sur « Futura », absolument excellent. Un petit tour par « Sophisticated Lady » et deux totems ensuite, « Parkeriana » de plus de vingt et une minutes et le sublime « Meditations On Integration » qui dépasse les vingt-cinq minutes et que l’on retrouve entre autres sur « Mingus At Monterey » de 65.

Pour finir et ne pas trop m’éterniser les heureux possesseurs du triple album vinyle « The Great Concert of Charles Mingus » enregistré à Paris au « Théâtre des Champs-Elysées » le 19 avril 64, c’est-à-dire trois jours après ce même concert, ont évidemment un aperçu du concert de Brème. J’ai souvent placé ces concerts parisiens dans le haut du panier des albums de Mingus. Il faut signaler également « Revenge! The Legendary Paris Concerts » enregistrés salle Wagram le 17 avril qui est sorti en 96. Par bonheur cette tournée ne manque pas de témoignages et de documentations sonores !

Hope So Eric


Fables of Faubus


Meditations On Integration


Parkeriana
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Re: J A Z Z et musiques improvisées - C'est ici qu'on en parle

Message par Douglas » sam. 18 nov. 2023 07:05

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Charlie Haden And The Liberation Music Orchestra, Arrangements By Carla Bley – Dream Keeper – (1990)

Voici le troisième album de la formation, il perpétue la légende et se voit augmenté d’un chœur qui s’incorpore avec une certaine discrétion. C’est Carla qui conduit et arrange tout ça, qui assure le liant et plus encore.

Côté musiciens on retrouve à nouveau les grands de l’ancienne génération et quelques autres dont Joe Lovano au ténor et à la flûte, Brandford Marsalis au ténor également, Tom Harrell à la trompette et au bugle, Amina Claudine Myers au piano, Ray Anderson au trombone, Joe Daley au tuba ou Mick Gaudrick à la guitare, mais ils sont seize au total.

La première pièce est une longue suite arrangée par Carla Bley, elle donne son nom à l’album et frôle les dix-sept minutes. « Dream Keeper » est composé en quatre mouvements, augmentés de quatre autres insertions musicales en provenance du Venezuela « canto del pilon I & II », du Salvador « Feliciano Ama », et de la guerre civile espagnole « Hymne du Mouvement des Femmes Anarchistes ». On retrouve les thématiques propres au « Liberation Music Orchestra » et l’album s’inscrit donc dans une parfaite continuité avec les œuvres passées.

C’est très réussi, un beau mélange de folklores et de couleurs jazz, les chants de la Chorale d’Oakland s’ajoutent avec brio à l’œuvre, par petites touches appropriées, revendiquant les droits à être simplement des humains. Le titre lui-même provient d’une poésie de Langston Hughes dénonçant le racisme dans la société.

La seconde pièce, « Rabo De Nube (Tail Of The Tornado) » se situe également face une. Il est écrit par Silvio Rodriguez, musicien cubain et arrangé par Karen, la fille de Carla. Joe Lovano à gauche puis Dewey Redman à droite délivrent deux beaux solos au ténor.

La pièce sans doute la plus remarquable de la face deux est « Nkosi Sikelel'i Afrika (Anthem Of The African National Congress) » qui dépasse les dix minutes. Cet hymne du Congrès national Africain est bien allumé par l’excellent Ken McIntyre à l’alto qui élève un prodigieux solo auquel répond Dewey Redman, mais de façon presque retenue, avant d’accélérer lui aussi sous la pulsion de Charlie Haden, les chœurs interviennent également, de façon pointilliste, puis Dewey s’éclate jusqu’au final en fanfare…

« Sandino » s’ouvre avec Charlie Haden qui a composé le titre, c’est Tom Harrell qui prend sa place dans l’ordre des solos, parachevant sa très belle performance sur le titre d’ouverture où il a brillé. Ensuite, après un court solo de Sharon Freeman au cor d’harmonie, la guitare de Mick Goodrick s’élève à son tour, avant que la pièce ne se termine dans un bel ensemble.

La dernière pièce est également remarquable « Spiritual » de Carla Bley, écrite en hommage à Martin Luther King, Malcolm X et Medgar Evers. Dans la tradition gospel les solos se suivent brillamment, avec Ray Anderson, Branford Marsalis, Charlie Haden et Amina Claudine Myers.

L’album est vraiment formidable, dans la lignée des précédents et peut-être plus…

Dream Keeper


Charlie Haden and The Liberation Music Orchestra ~ Sandino


Nkosi Sikelel I Afrika


Spiritual
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Re: J A Z Z et musiques improvisées - C'est ici qu'on en parle

Message par Douglas » sam. 18 nov. 2023 18:19

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Eric Le Lann – I Remember Chet - (2013)

Je me souviens, ce soir-là au New Morning, Chet sur la scène, suspendant le temps, l’accrochant aux notes de sa trompette, et bâtissant une cathédrale… Putain oui, c’était la messe, la communion, où bien était-ce déjà les prémisses de l’au-delà, celui des mécréants et des païens... Le silence, le vrai, celui qu’on entend, sculpté par le fil ténu de la voix, au bord de la fêlure, fragile et parfait. Le cuivre, lui, chante, feule, défie l’équilibre immuable du temps et tutoie l'indicible…

Chacun est bien conscient d’assister à quelque chose de rare et d’unique, et de vouloir que cela dure, se perpétue, ainsi défier le temps et voler ces instants à l’éternité, comme un pied de nez à la mort, comme un défi sacrificiel, les dés ont été depuis longtemps déjà lancés et leur course s’achèvera bientôt en un dernier hoquet, quelque part à Amsterdam…

Oui, je me souviens ce soir-là au New Morning, à droite, tout près de la scène, Eric Le Lann. Subjugué.

Rien d’étonnant donc, cet album. Normal, un hommage, et même un peu plus. Il en a le droit et il lui faut payer la dette. La pochette d’abord, Chet en grand, le visage concentré, les yeux mi-clos, trompette à la main, il écoute… Superbe portrait de Christian Ducasse. Un carré rouge s’incruste sous le visage, choix malheureux, on peut y lire « Eric Le Lann-I remember Chet ». On est passé malgré tout pas loin du mauvais goût, délicat de mettre en avant un autre sur une pochette, s’effacer, sans doute, mais il y a commerce. Tout dépend de la galette, c’est sûr il y a un enjeu.

La forme, d’abord, comme Chet, un trio. Sans piano, comme Chet souvent aimait. Et une guitare, et une basse. Des standards, le répertoire de Chet, et aussi une belle compo d’Eric « Backtime ».

Ici pas de pastiche, pas de tromperie, l’écoute réhabilite le projet et relativise la pochette. C’est Eric Le Lann le boss, pas de doute, même si on y entend l’esprit de Chet, même si son ombre traverse l’album, cachée entre les notes, dans les intervalles, dans le souffle aussi, ces deux là, c’est sûr, brûlent le même oxygène. Pourtant le timbre d’Eric reste personnel, droit à la manière de Miles, un zeste moins aérien que Chet, plus charnu. Le trio est formidable, Nelson Veras à la guitare et Gildas Boclé à la basse contribuent magistralement à cette réussite, la guitare brode la plus fine dentelle tandis que la basse, très en avant, sculpte une charpente solide sur laquelle il est aisé de s’appuyer.

Et puis il y a les notes de pochette d’Eric, très personnelles, qui content avec simplicité les moments partagés avec Chet. Des anecdotes poignantes, faites d’admiration, de drame, de misère aussi, de musique et de sang, frêles instants de bonheur arrachés au bout d’une aiguille, mort annoncée.

Et puis aussi ces quelques mots après l’achat par Chet d’une nouvelle trompette (la moins chère du magasin) « Il peut jouer n’importe quelle trompette, le son c’est soi. »

Et puis cet autre concert, quelques mois plus tard, toujours au New Morning « Chet commence à chanter puis embouche sa trompette, le son ne sort pas, les gens sont déçus… »

Et même plus, bientôt le train s'arrêtera à Amsterdam...

Oui, I remember Chet.

I REMEMBER CHET - (Dimanche 2 février 2014 - 16h45 - Salle des fêtes Plescop, à côté de Vannes).


ERIC LE LANN TRIO "I should care"


Eric Le Lann Trio "summertime"


Eric Le Lann trio, tribute to Chet. Nelson Veras: Guit, Gildas Boclé: Bass
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Re: J A Z Z et musiques improvisées - C'est ici qu'on en parle

Message par Douglas » dim. 19 nov. 2023 09:21

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Kip Hanrahan – All Roads Are Made Of The Flesh (1995)

Pour ce qui me concerne le coup de foudre avec Kip Hanrahan s’est passé avec « Coup de Tête », dès son premier album acheté rapido dans sa version vinyle, un « American Clavé » bien chouette avec l’entêtant « India Song » chanté par Carla Bley, après l’hommage au soccer, j’enchaînais avec « Desire Develops an Edge », un monument, puis « Vertical’s Currency » et « Conjure », tous captés dès la sortie…

Puis les choses changèrent, moins à l’affût, je me suis procuré la suite en désordre, avec des achats d’opportunité, comme celui-ci, « All Roads Are Made Of The Flesh », qui est pourtant, dit-on, son album le plus populaire. Je lui accorde l’excellence, c’est sûr, bien qu’il soit un patchwork musical des enregistrements qui ne vont nulle part, impropres à s’intégrer à aucun album, des titres trop bizarres, particuliers, des « moutons noirs » discographiques…

Enregistré entre 1982 et 1994 les six titres s’enchaînent plutôt bien cependant, le son et la production sont déjà une signature, bien que les styles soient assez différents. Le premier est bien à sa place tant il diffère du reste. Magnifique pourtant, c’est une reprise de « Buddy Bolden’s Blues » de Jelly Roll Morton, avec Jack Bruce qui chante, évidemment, Allen Toussaint magnifique au piano, Don Pullen qui joue d’un « truc » qui pourrait ressembler à un orgue et l’extraordinaire Charles Neville au sax ténor…

Impossible d’énumérer la longue liste des musiciens, mais tout se tient sur l’album, avec tous les détails, car, même si ça commence fort, on ne fléchit pas et chaque pièce est superbe, avec son climat, son ambiance, sa sensualité, la chaleur et la sueur sur la peau, et les rythmes latino, afro-cubains et porto-ricains. C’est là qu’il fut élevé et qu’il apprit les rythmes, la danse, les percus et le cœur qui balance avec.

Il y a également deux versions de « The First and Last to Love Me », la première chantée par Carmen Lundy, il y a également Renaud Garcia-Fons à la basse, Don Pullen au piano, un joueur de bandonéon et des percus en pagaille. L’autre version est située à la fin de l’album, instrumentale, avec George Adams au sax Andy Gonzalez, Jack Bruce et Steve Swallow à la basse et les percus qui vont bien.

Un chouette album qui a su tracer la route et plaire au public.

All Roads Are Made Of the Flesh: Buddy Bolden's Blues


All Roads Are Made of the Flesh: The First and Last to Love Me '91


All Roads Are Made of the Flesh: The September Dawn Shows Itself to Elizabeth and her Lover


All Roads Are Made of the Flesh .... at the same time as the subway train....
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Re: J A Z Z et musiques improvisées - C'est ici qu'on en parle

Message par Douglas » lun. 20 nov. 2023 04:52

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Melanie De Biasio – Il Viaggio - (Octobre 2023)

Voici le nouvel album de Mélanie de Biasio, ou plutôt un double vinyle semble-t-il, enfin pour l’instant. Le précédent « Lilies » datait de deux mille dix-sept, presque une éternité au milieu du tourbillon des sorties. Je suis plutôt fan, amateur de chacun de ses albums et sensible également à la lente évolution, dont « Blackened Cities » restait une étape marquante.

Et voici venir « Il Viaggio », ce qui signifie « le voyage » en italien. Un voyage dans l’espace et dans le temps. Dans l’espace car nous sommes transportés jusqu’en Italie, par voie ferroviaire, le « field recording » ne laisse aucun doute à ce sujet, nous nous rendons dans les Abruzzes, au centre-est de l'Italie.

Voyage dans le temps car Mélanie, habitante de Charleroi en Belgique, possède un grand-père d’origine italienne, elle s’en va à la rencontre de sa mémoire, là où il est né, c’est ce voyage tant intérieur que paysager, qui fait le récit de cet album. Le prétexte est venu par le vent du hasard, le festival artistique « Europalia » l'a contactée pour lui proposer de créer une œuvre sur le thème « Trains & Tracks », ce qui coïncidait précisément avec ses préoccupations du moment.

Pourtant que de chambardements, ces six années passées ont été prétexte à une sorte de mue artistique, dans l’état où il est, ce double album est quasi étranger au passé musical de Mélanie, comme s’il manquait les étapes transitoires, pour que l’on puisse comprendre, sans panique, les voies secrètes de la route suivie.

Alors oui, on voyage, loin des citées noires, des territoires besogneux, de la houille et du charbon. Ici tout est lumineux, en plein ciel au milieu du chant des oiseaux, dans le village de montagne de Lettomanoppello, en pleine nature, jaunie par les rayons du soleil, dans des villages impressionnistes, où se mélangent les couleurs, là où les ruisseaux dévalent les pentes et apportent fraîcheur et vitalité.

Mélanie a posé son jazz de côté, la flûte également dont elle joue peu, elle échange tout ça contre des parfums d’ambient, comme çà, sans prévenir. Quelques chansons ici ou là, mais avec parcimonie, des effets, de l’électro, un zeste de guitare et des « landscapes » note-t-telle dans sa liste d’instruments.

Pascal N. Paulus, l’ancien dira-t-on, joue des claviers rhodes, clavinet de toutes sortes, de la guitare, des voix un peu et ajoute quelques beats ici ou là. David Baron joue des claviers également, mellotron, wurlitzer, synthé et piano, Rubin Kodheli joue du violoncelle.

J’ai beaucoup aimé cette surprenante première face, la seconde un tout petit peu moins, et le second album m’a paru encore moins inspiré, baignant dans de l’ambiant plus traditionnel si j’ose. Pourtant j’ai déjà soif de le réécouter car il m’a tout de même bien embarqué !

Lay Your Ear To The Rail


Nonnarina


Melanie De Biasio - Mi Ricordo Di Te (Official Video)


I'm Looking For
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Re: J A Z Z et musiques improvisées - C'est ici qu'on en parle

Message par Douglas » mar. 21 nov. 2023 04:58

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Charlie Haden, Liberation Music Orchestra – Not In Our Name – (2005)

Voici le quatrième album du « Liberation Music Orchestra », son nom provient du rejet par les pays européens de la seconde guerre du Golfe, en deux mille trois. Charlie Haden a remarqué ces affiches lors d’une tournée en Europe et a donc choisi ce slogan comme titre d’album. Son contenu sera donc également celui d’un engagement politique, bien qu’il ne se réfère pas directement, comme les précédents, aux chants révolutionnaires.

Carla Bley s’est donc attachée à créer des arrangements pour un certain nombre de titres en provenance de musiciens américains, ainsi se retrouvent des compos de Pat Metheny, Ornette Coleman, Bill Frisell et bien entendu Charlie Haden pour le titre d’ouverture « Not In Our Name » et Carla Bley elle-même, pour « Blue Anthem ».

Mais il faut ajouter quelques traditionnels « Amazing Grace » ou « America the Beautiful », ou encore « Lift Every Voice and Sing », il y a même une reprise du « Goin’ Home » en provenance de la Symphonie du Nouveau Monde de Dvorak, et même l’adagio de Samuel Barber… Quelques titres sont rassemblés dans un Medley, Carla n’a pas chômé, c’est certain, elle assure à elle seule la structure de l’album et son bon ordonnancement.

Côté musiciens c’est également un tournant, l’orchestre était autre fois une sorte d’« All Stars » réunissant des musiciens de grande notoriété, cette fois-ci, mis à part Joe Daley au tuba, les noms sont bien moins célèbres. Pour autant la qualité ne faiblit en rien, car l’interprétation reste de très haut niveau, chacun des musiciens réunis ici est remarquable, c’est lié au très haut niveau du réservoir des musiciens américains.

Alors on remarque le « This Is America » de Matheny et Bowie dont l’interprétation est plutôt bien réussie, juste après le morceau titre, ça ne faiblit pas avec le titre de Carla qui est suivi du medley près de seize minutes qui est également un moment fort et qui se termine par une évocation de « Skies Of America » d’Ornette Coleman. « Throughout » de Bill Frisell est également un moment clef de l’album, avec de chouettes harmonies.

En fait il n’y a pas de faiblesse pour qui reste sensible aux orchestrations, on remarque au fil de l’écoute quelques solistes, le trompettiste Michael Rodriguez, Miguel Zenon au sax alto, Curtis Fowlkes au trombone et le guitariste Steve Gardenas.

En comparaison avec les autres albums de la formation il ne fait pas pâle figure, ce serait injuste de dire cela, me semble-t-il, mais le rappel aux airs révolutionnaires d’autrefois me manque un peu, comme l’ingrédient oublié qui laisse un léger regret…

Not In Our Name


Charlie Haden & Liberation Music Orchestra, "This is not America", album Not in our name, Roma, 2004


America The Beautiful


Throughout
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Re: J A Z Z et musiques improvisées - C'est ici qu'on en parle

Message par Douglas » mer. 22 nov. 2023 04:28

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Carla Bley And Her Remarkable! Big Band – Appearing Nightly – (2008)

Nous voici en deux mille huit et désormais ça penche du côté de l’ultime partie de la discographie de Carla Bley, pourtant le côté abrasif du temps qui passe ne semble pas avoir de prise sur cette dernière phase, peu prolifique en quantité d’albums, et pourtant…

Pourtant il reste cette belle pièce, la toute dernière en big band me semble-t-il, en public, avec applause et tout, ça s’est déroulé au « New Morning », à Paris les dix-sept et dix-huit juillet deux mille six, enregistré avec l’équipe de La Buissonne Studio pour le boulot d’enregistrement, c’est aux petits oignons, dira-t-on…

Il y a vraiment du monde, ce serait fastidieux d’énumérer une longue liste de musiciens et d’instruments, en voici cependant quelques-uns, parmi les plus connus, Gary Valente, Lew Solof, Andy Sheppard, Christophe Panzani, Karen Mantler et Steve Swallow… Ils sont au moins dix-sept au total !

C’est un véritable big band à l’ancienne, d’ailleurs, cela fait également partie de l’objectif artistique, exécuter une lecture à la fois nouvelle et classique du mode d’expression d’une grande formation Jazz. Les canevas qui rappellent Count Basie ou Duke ne sont donc pas loin, et les citations fusent de la part des solistes.

Il faut savoir que Carla, toute jeunette, vendait des cigarettes dans les clubs de jazz, ou encore tenait le vestiaire, histoire de joindre l’utile à l’agréable, profiter des concerts gratuitement tout en récupérant une petite rémunération… Les souvenirs reviennent, et avec eux les jours heureux de la jeunesse et de l’insouciance.

Il se trouve que cet album est un pur régal, une sorte de mix entre la culture d’antan et les arrangements si subtils et malins de Carla qui éblouissent encore, les cinq pièces sont diaboliques et offrent un concert d’anthologie. On pense forcément à « Appearing Nightly At The black Orchid » qui, sur une durée de plus de vingt-cinq minutes, réunit quatre parties dans une belle suite. Mais on pourrait tout aussi bien citer « Greasy Gravy » qui ouvre le concert ou l’excellent « Awful Coffee », ou bien « Someone to Watch » car, ici, au New Morning, on ne vit que de passion sans s’ennuyer jamais…

Quand j’évoque cet album il me semble qu’il y a quelque chose que Carla doit à Count Basie, cet art de la concision dans l'approche pianistique, de tout dire en quelques notes, justes et assassines, définitives, sur lesquelles personne ne peut revenir, juste rester coi, ou béat…

Je ne sais pas ce que cet album a pu donner en termes de ventes, la pochette à l’ancienne n’a peut-être pas rameuté les foules, mai il faut passer outre si on aime le jazz sous toutes ses formes, au travers des âges, même si la lecture ici reste résolument moderne…

Pour un aperçu car il n'y a pas d'extrait, NEC Jazz Orchestra en 2011, sans atteindre le niveau de l'album:

NEC Jazz Orchestra with Carla Bley & Steve Swallow - Greasy Gravy


NEC Jazz Orchestra with Carla Bley & Steve Swallow - Awful Coffee


NEC Jazz Orchestra with Carla Bley & Steve Swallow - Someone To Watch
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Re: J A Z Z et musiques improvisées - C'est ici qu'on en parle

Message par Douglas » mer. 22 nov. 2023 15:46

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Youn Sun Nah – Lento - (2013)

Youn Sun Nah a vécu une vie paisible et heureuse en Corée du Sud, son pays natal, jusqu’à ce que le destin s’en mêle sous la forme d’un concours de chant organisé par l’Ambassade de France, qu’elle gagne, à sa grande surprise. Il faut dire que le chant et la musique emplissent déjà sa vie, son père est chef de chœur et sa mère chanteuse, elle décide donc de profiter de l’opportunité qui lui est offerte, se risquer dans l’aventure d’un grand voyage et passer un an en France pour y apprendre le français.

Depuis elle passe son temps entre son pays et la vieille Europe qu’elle a su conquérir grâce à la pureté et au timbre unique de sa voix qui véhicule une émotion toute en retenue et en délicatesse. Elle possède une immense technique vocale qu’elle utilise avec une maîtrise parfaite au service des chansons et des textes.

« Lento » est le troisième album d’une trilogie enregistrée pour la compagnie allemande Act, il succède à « Voyage » sorti en 2009 et à « Same girl » paru l’année suivante. Pour ce dernier on préfèrera l’édition limitée qui propose une superbe version vidéo de « My favourite thing », le standard que John Coltrane a tant décortiqué, ainsi qu’une interprétation d’ « Avec le temps » de Léo Ferré qui constitue un incontournable de ses concerts, même en dehors de nos frontières.

On retrouve dans « Lento » le charme des albums précédents, les ingrédients qui les composent sont toujours présents, certes le jazz reste le commun dénominateur de l’album mais décliné de façon diverse, il intègre des sonorités venues des quatre coins de la planète musique : un thème de Scriabin côtoie un titre de Nine Inch Nails et une reprise country voisine avec un air folklorique Coréen… On entend également l’influence de Johnny Cash dans le répertoire, « Hurt » et «Ghost riders in the sky » ont en effet été interprétés autrefois par « the Man in Black ».


Se réunissent à nouveau les accompagnateurs présents sur l’album précédent. En premier lieu le Suédois Ulf Wakenius, l’ancien guitariste d’Oscar Peterson. Son jeu économe et précis complète à merveille la voix sincère et touchante de Youn Sun Nah. Il emmène avec lui l’une de ses compositions qu’il a dédié à la Diva, « Momento Magico », aux influences brésiliennes. La pièce est toute en virtuosité, en volutes aériennes auxquelles s’accroche la voix, dans une ascension folle et intrépide.

Est présent également un autre Suédois, Lars Danielsson, bassiste et violoncelliste. Complice de son ami Ulf, il sculpte lui aussi le silence, offrant un accompagnement souvent minimaliste mais sûr, comme sur « Soundless Bye » une composition de Youn Sun Nah. Il peut également se montrer lyrique quand il instaure un dialogue violoncelle/guitare sur « Waiting » qu’il cosigne avec la chanteuse. Le percussionniste Xavier Desandre-Navarre assure un drumming riche et varié avec une infinie finesse.

L’invité de cet album c’est la nouvelle étoile montante du jazz français, Vincent Peirani, accordéoniste de son état. Son apport est essentiel à la couleur de cet album, particulièrement sur « Lament», les sons surgis des soufflets de l’accordéon se gonflent en une lente montée inexorable, la voix de Youn Sun Nah est soulevée et emportée pendant toute la durée de la pièce… Vincent signe également deux beaux titres, le tendre « Empty dream » ainsi que « Full circle », aux accents assez vintage, dont Youn Sun Nah a écrit les paroles.

L’album ignore les moments faibles et cumule les titres forts. Le premier titre « Lento », créé d’après un prélude de Scriabin, nous plonge d’emblée dans une atmosphère chaude et intime, ouvrant un livre aux mille facettes. L’interprétation de « Hurt », composé par Nine Inch Nail, est tout simplement sublime. La voix véhicule une très forte émotion et bouleverse, la maîtrise de la technique vocale ne peut expliquer à elle seule l’effet atteint, ou bien alors est-ce le choix d’effectuer les enregistrements en une seule prise pour garder intact la fraîcheur de l’interprétation ? La première prise est la seule où les musiciens doivent jouer tout en s’écoutant les uns les autres avec la plus grande concentration, ne pouvant anticiper sur le rendu global. Quoiqu’il en soit ce duo voix/guitare, pur et sincère est une pure merveille où chaque note jouée pèse son poids !

L’envoutant « New Dawn » termine l’album, nous emmenant une dernière fois dans une ballade nostalgique aux accents du violoncelle, des tambours effleurés et d’une voix habitée, chargée des accents millénaires de la folk music.

Un nouveau coup de maître pour Youn Sun Nah, il est à noter que pour la première fois dans la discographie de l’artiste, il est possible d’acquérir l’album en vinyle, format préféré par de nombreux mélomanes.

나윤선(Youn Sun Nah) - Lento


Lament


Hurt


Momento Magico
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Douglas
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Re: J A Z Z et musiques improvisées - C'est ici qu'on en parle

Message par Douglas » jeu. 23 nov. 2023 04:05

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Carla Bley / Andy Sheppard / Steve Swallow – Trios – (2013)

…Et puis le temps est passé, j’avoue être resté éloigné de Carla, réécoutant sa musique, celle d’avant, d’« Escalator Over The Hill » que je n’ai pas évoqué. Puis un soir à la télé un concert que j’ai vu et revu, Carla au piano, avec Andy Sheppard aux saxs ténor et soprano et Steve Swallow le vieux compagnon, à la basse électrique…

Carla parcheminée, l’air pas assuré, les doigts chargés du poids des ans, et Steve, et cette tendresse infinie qui les réunissait, comme un fil invisible, mais palpable. Carla appliquée, avec des airs de petite fille, elle, la diva, l’immense Carla Bley ! Quelques regards, sourires, et ça démarrait, très beau, infiniment…

Sur cet album de deux mille treize elle interprète ses propres thèmes, le magnifique « Utviklingssang » qui est une de ses compositions les plus connues, issue de Social Studies, immédiatement reconnaissable, du genre qui vous met un public dans la poche. L’enregistrement se déroule à Lugano, dans l’auditorium de la Radio-Télévision Suisse, au mois d’avril, quand la nature s’ouvre au soleil.

Les trois sont connectés, Carla autrefois jouait de l’orchestre, des grandes formations qu’elle savait faire mieux sonner que personne, avec une maestria incroyable qui subjuguait. Aujourd’hui la voilà réduite à la simplicité de la trinité, trois pour ne faire qu’un et trouver l’essentiel, et le restituer avec force et sincérité. Un second titre « Vashkar », à nouveau superbe, entendu pour la première fois sur « Footloose! » du pianiste Paul Bley, puis repris et atteignant la célébrité grâce au fameux « Lifetime » de Tony Williams.

Trois suites complètent l’album. Carla a toujours eu un faible pour cette forme, des titres qui s’enchaînent et se développent en une longue histoire avec épisodes. Un quart d’heure pour la première, « Les Trois Lagons (D'Après Henri Matisse) », trois parties qui se suivent, commissionnées par le festival de Jazz de Grenoble.

Puis « Wildlife », trois parties également, issues de l’album « Night-Glo », qui n’avait pas laissé un grand souvenir, malgré cette belle composition. Ici elle brille de mille feux avec un superbe Andy Sheppard avec lequel elle a déjà beaucoup enregistré, dès quatre-vingt-neuf, et présent quasiment à chaque album depuis.

Le trio est quasi-télépathique avec trois fidèles réunis autour des thèmes de Carla, « The Girl Who Cried Champagne » issu de « Sextet » est la dernière suite ici, toujours en trois parties. Bien sûr, chacun sait que Carla n’est pas une pianiste virtuose, loin de là, d’ailleurs souvent, en grande formation, elle préférait l’orgue, invitant un pianiste dans son orchestre.

Ses deux compagnons de jeux, eux, sont par contre de véritables monstres de l’instrument et tout tient magnifiquement ici, Carla jouant son rôle sans faiblesse, une pierre solide du trio, stable et clef de voûte maintenant l’ensemble.

Un très bel album.

utviklingssang - Carla Bley Trio
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