Je m'étais inscrit à l'origine sur Zuckerbouk pour faire la promo des concerts de mon petit groupe de thé dansant, à une époque où myspace.com existait encore et montrait une efficacité moindre sur ce plan. Je dois avouer m'être passionné par la possibilité de pouvoir échanger avec à peu près n'importe qui et n'importe comment, jusqu'à tomber moi-même dans quelques travers débiles comme la publication de photos de mes exploits en cuisine ou de détails de ma vie privée tellement extraordinaire. J'aurais dû m'en tenir à n'aborder que des sujets d'ordres musical, artistique ou culturel, mais ayant vécu en temps réel l'avènement du printemps arabe dans lequel les réseaux sociaux avaient joué un rôle déterminant, j'ai eu l'illusion que l'on pouvait sensibiliser sur le plan politique, et l'évolution des choses m'a montré que j'étais dans l'erreur : tu ne fonctionnes qu'en circuit fermé auprès d'un public qui a priori est déjà de ton avis, tandis que tu te coupes progressivement des quelques personnes parmi tes contacts qui ne partagent pas ta vision du monde quand bien même elles écoutent les mêmes disques que toi. Aussi ai-je progressivement déchanté et j'ai décidé de me barrer au moment précis où j'ai ressenti trop fortement la superficialité de ce lien au-regard du besoin que j'avais de retrouver du concret dans mes rapports avec les gens. Et les deux dernières expériences que j'y ai fait en septembre-octobre ont enfoncé le clou : d'abord plusieurs prises de becs avec quelques contacts qui ne toléraient pas que l'on discute la qualité des dernières livraisons des Rolling Stones et des Beatles (ou plutôt de ce qu'il en reste), ce qui constituait tout de même un comble. Tu es censé avoir des affinités avec untel, et il te colombine au visage dès que tu tiens un propos dissonant au-regard du consensus ou t'aventures sur une ligne éditoriale qui va au-delà de "j'ai le vinyle". Donc ça vous refroidit sensiblement un bonhomme, à plus forte raison lorsque l'on est adepte des principes "qui aime bien châtie bien" et "rien n'est sacré" (et surtout pas Sir Mick Jagger ou Sir Paul McCartney). Et enfin, quelques jours après l'attaque du 7 octobre, un contact américain ayant de la famille en Israël se plaignait du degré de polarisation confiant à l'intolérable dans le cadre du débat public dans son pays, je lui ai expliqué que c'était la même chose chez les fromages-qui-puent où la passion et l'émotion l'importaient sur la raison, et qu'il en résultait un certain nombre de biais cognitifs parmi lesquels l'injonction de devoir à tout prix choisir un camp alors que l'on était - c'est mon cas - parfois simplement préoccupé par la priorité impérieuse d'une sortie du conflit, le cas échéant en suivant les préconisation de l'ONU, c'est-à-dire d'un territoire à deux états, ce qui me valut d'être taxé d'antisémitisme. Là j'ai dit stop.
Et ce qui m'atomise les raisins secs depuis déjà plusieurs années, c'est la place qu'ont pris les réseaux sociaux (ou décrits comme tels, mais n'ayant en définitive de social que le nom) dans un débat public et un environnement médiatique qui ne sait plus relever le nez de son fil X ex-Twitter, on commente des commentaires en réponses à d'autres commentaires sur une polémique qui chasse sans prévenir celle qui faisait encore le buzz une heure auparavant, et c'est fait par des gens aussi honnêtes intellectuellement que Nathalie Saint-Cricq ou Christophe Barbier. "Sur les réseaux sociaux", la formule domine jusqu'à l'insupportable, et ça m'évoque une boucle sans fin où chaque tour concentrique éloigne encore davantage du réel. Et donc, je n'ai plus qu'une impression qui domine, c'est que ce monde est devenu une sorte de mash-up entre Soleil Vert et Idiocracy, avec plein de pages de pub au milieu, donc il me fallait m'échapper. Et ça fait du bien !
Seul truc qui m'ennuie, c'est de ne plus avoir de contact pour échanger avec des gens que j'aimais bien, notamment des artistes parmi mes idoles, par exemple quelques vétérans du krautrock ou autres babas mollassons progressifs. J'aimais bien jouer les groupies !
