J A Z Z et musiques improvisées - C'est ici qu'on en parle

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Douglas
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Re: J A Z Z et musiques improvisées - C'est ici qu'on en parle

Message par Douglas » mer. 6 déc. 2023 17:03

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David Murray – 3D Family - (1978)

Un bel "Hat Hut" enregistré au festival de Willisau le 3 septembre 1978. C'est l'un des meilleurs David Murray, l'un des plus fous, l'un des plus free aussi. En trio, c'est la formule gagnante pour rendre hommage au père, il fait parti de ceux qui ont osé, de ceux qui ont réussi !

Le père ce n'est pas Coltrane, la multitude s'est engouffrée dans ces pas - là, non, le père c'est Albert Ayler!

Pas de compromis alors, il faut sortir les tripes et souffler fort, souffler longtemps, crier et hurler aussi, sans doute. Il faut justifier ce statut d'héritier. Être adoubé par Cecil Taylor, Don Cherry, Sunny Murray et Sam Rivers ça donne des responsabilités et il faut alléger le fardeau qui pèse sur les épaules, souffler encore et encore, se montrer incandescent jusqu'au paroxysme et mettre le feu, avec ce supplément d'âme qui transforme le virtuose en vecteur d'énergie.

A l'arrière ça pulse, Johnny Mbizo Dyani, le Sud AF, joue de la basse avec force et précision et Andrew Cyrille ouvre tous les possibles avec son drumming riche et varié, son jeu de cymbales étincelant, éclatant dans toutes les directions...

En terme de free, David Murray n'atteindra pas toujours ces sommets-là, alors...

3d Family


David Murray / Johnny Mbizo Dyani / Andrew Cyrille - Patricia
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Re: J A Z Z et musiques improvisées - C'est ici qu'on en parle

Message par Douglas » jeu. 7 déc. 2023 04:07

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John Scofield – Uncle John's Band – (2023)

John Scofield fait partie de ces gens qui se situent à une certaine altitude, je ne lui connais pas de mauvais album, ni de sorties faiblardes, bien que je ne connaisse pas tout de sa discographie, il m’arrive de m’y plonger les yeux fermés et d’y pêcher çà et là quelques perles.

Il fait partie de cette famille, pas si rare outre-Atlantique, des guitaristes virtuoses, artisan de cet americana que j’aime bien, un peu comme un Bill Frisell, un Julian Lage ou un Gyan Riley pour n’en citer que quelques-uns. Ici il se partage entre les reprises et les compos personnelles.

Il est en trio avec Vincente Archer à la contrebasse et Bill Stewart à la batterie, en live cette formation est adepte des impros et de l’inattendu, tout autant des pièces que du répertoire, c’est dire s’ils avancent sans prise de risques, rompus qu’ils sont aux expériences musicales les plus aventureuses.

Côté reprises on remarque le titre d’ouverture, « Mr Tambourine Man », sur la face deux un vieux titre des années cinquante de Miles Davis, « Budo », très chouette, le fameux « Old Man » de Neil Young. Face trois c’est « Stairway To The Stars » qui attira l’attention de Dexter Gordon, et face quatre il y a un extrait de « West Side Story », « Somewhere », l’album se clôt avec « Uncle John’s Band » du Dead.

Ce voyage au milieu des standards qui fait remonter les souvenirs est troublé par sept pièces magnifiques de John Scofield qui ne font pas pâle figure au milieu de tous ces « hits » intemporelles, bien au contraire côté mélodies et composition il se montre très au niveau et c’est pur régal que de suivre le trio dans cette farandole cool et countrysante, comme avec le très bon « Back In Time ».

On se régale de cette musique des grands espaces, de cette atmosphère spatiale, du lyrisme savant et même, d’une certaine façon, d’une luxueuse économie dans les moyens, qui permet de toujours être juste sans jamais en faire trop, une belle mise en perspective de la beauté de l’artisanat et du savoir-faire, une sorte d’art brut à la fois économe et brillantissime.

C’est le genre de musique dont on ne se lasse pas et qui pourrait, sans ennui ni désintérêt, accompagner une journée, un long voyage ou servir de fil rouge à un séjour prolongé. Je possède la version vinyle, elle est sans reproche et le son est absolument parfait, ECM oblige. Par contre j’ai eu la surprise de trouver les deux disques, dans leur sous-pochette antistatique, logés au milieu du gatefold, le tout protégé par le cello d’usage.

Un album intemporel, seul le titre « Mask » peut évoquer la pandémie à la rigueur, mais cette musique ne saurait vieillir, juste pâtiner avec le temps qui file…

Uncle John’s Band


TV Band
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Message par Douglas » jeu. 7 déc. 2023 16:01

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John Lee Hooker – House Of The Blues - (1960)

Belle pochette pour cet enregistrement de 1959. John Lee Hooker est certainement l'un des bluesmen les plus populaires, il enregistre là des titres composés entre 51 et 54, on reconnaît aisément son style si personnel et aisément identifiable (Ah! ce battement du pied).

Sur quelques titres la voix est doublée, à la façon d'un écho et la guitare est parfois accélérée: que d'audaces dans ce studio d'enregistrement !

Que du bon mais on remarquera plus particulièrement le sombre "Leave my wife alone", "Louise" avec Eddie Kirkland qui accompagne à la seconde guitare," Sugar Mama"...

John Lee Hooker - Love Blues


John Lee Hooker - Leave My Wife Alone


Louise


John Lee Hooker House Of The Blues: Vinyl Recording Sugar Mama
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Re: J A Z Z et musiques improvisées - C'est ici qu'on en parle

Message par Douglas » ven. 8 déc. 2023 07:12

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Céline Bonacina – Jump ! – (2023)

Je vous avais parlé de Céline Bonacina à propos de son album « Fly Fly » paru en deux mille dix-neuf, depuis pas mal d’eau a coulé sous les ponts. Céline possède une particularité, bien qu’elle soit d’apparence assez frêle, elle joue de l’un des saxophones les plus encombrants, le baryton.

Je l’avais écoutée la première fois aux côtés de Julien Loureau, lors d’une retransmission de concert, et j’avais été épaté par la dame qui apportait énormément à la prestation scénique de l’ensemble, qui était déjà chaud-chaud avec un Loureau bien en forme !

Ayant croisé récemment l’album au format Cd, dans un rayon adéquat, je m’en emparais bien vite, tout au souvenir des bons moments passés à l’écoute de cette saxophoniste pas comme les autres. Il faut dire que, malgré son gabarit, elle est une joueuse tout à fait exceptionnelle de l’instrument qu’elle maîtrise de A à Z, point besoin d’autre souffleur ici, Céline gère l’affaire de façon adéquate.

Elle est accompagnée par Rachel Eckroth au piano, au Rhodes ainsi qu’au chant. La rythmique est d’acier, avec Chris Jennings à la contrebasse et John Hadfield à la batterie et aux percussions. Les trois sont originaires d’Amérique du Nord et complètent parfaitement le quartet.

Outre le son du baryton qui accroche par son originalité, il faut également souligner le son du Rhodes, très présent, qui lui aussi donne une couleur particulière aux compos, l’instrumentation est donc une sorte de mélange de jazz plutôt trad avec des accents un peu électriques.

A titre personnel, mais ça n’engage que moi car les goûts sont partagés de par le monde, ce qui me séduit le moins c’est la partie chant de Rachel Eckroth, bien qu’elle soit assez peu présente sur l’album. La rythmique est assez rock par son style, souvent carrée, c’est probablement dû au jeu de batterie d’Hadfield, très percutant.

Il y a neuf compos au total, chaque musicien a apporté la sienne, ce qui est sympa, et Céline en a donc composé six. Le titre mis en avant pour la promo est « Tunnel », mais ils sont tous du même acabit, « Trap » ou « Go » ou encore « A Light Somewhere » et « Lost in Translation » par exemple, autant de titres qui vont bien.

Un album bien agréable, sans trop d’aspérités et un peu mainstream, qui pourrait convenir à beaucoup.

Céline Bonacina - Tunnel (Official Music Video)


Céline Bonacina - Trap (Official Music Video)


Céline Bonacina - Trust (Official Music Video)


Lost in Translation
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Re: J A Z Z et musiques improvisées - C'est ici qu'on en parle

Message par Monsieur-Hulot » ven. 8 déc. 2023 08:31

Merci pour toutes ces (re)découvertes Douglas et de tenir aussi vaillamment le flambeau de ce "topic" ! :chapozzz:
FILLES & MOTEURS, JOIES & DOULEURS.

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Re: J A Z Z et musiques improvisées - C'est ici qu'on en parle

Message par Douglas » ven. 8 déc. 2023 16:24

Monsieur-Hulot a écrit :
ven. 8 déc. 2023 08:31
Merci pour toutes ces (re)découvertes Douglas et de tenir aussi vaillamment le flambeau de ce "topic" ! :chapozzz:
Merci aussi, alors je te propose cet album qui se rangera sans doute du côté des "redécouvertes ":

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Snooks Eaglin – New Orleans Street Singer – (1964)

Jamais les éditions "Le chant du monde" n'auront aussi bien porté leur nom que lors de cette réédition !

Le chant porté par une voix légèrement cassée, sur le ton de la confidence et véhiculant une tonne d'émotion, Snooks Eaglin frotte et gratte les cordes de sa guitare en frappant le sol de son pied, c'est ainsi qu'il sort de sa nuit. D’ailleurs on aurait pu tout aussi bien l’appeler Snooks « Blind » Eaglin, il aurait ainsi continué la longue lignée des "Blind"…

Il a vingt-deux piges et se fie à son oreille, écoute la radio et les disques, chante les blues qu’il a entendus, le temps et la mémoire s’échappent, les airs et les paroles avec, alors tout change et se transforme, et renaît un nouveau blues, tout cabossé…

Un enregistrement majeur qui date de 1956, à ce qu’il paraît, car Snooks Eaglin est un chanteur de rue, charriant une musique de pauvre, pleine de simplicité et de dépouillement, elle révèle, sous la voix voilée, les plus purs trésors... Allez one scotch, one bourbon, et retour sur la platine!

« Un scotch, un bourbon, une bière,
S’il vous plaît, patron, écoutez voir,
J’veux pas faire d’histoire, donc n’ayez pas peur,
Un scotch, un bourbon, une bière.
»

One Scotch, One Bourbon, One Beer


St james Infirmary

Je suis allé à l'hôpital Saint-James
Voir si ma môme y était
Elle reposait sur une longue table blanche
Si douce, si froide, si belle.

Qu'elle s'en aille, Dieu la bénisse,
Où elle doit aller
Elle pourra courir le monde là-haut
Jamais elle ne trouvera un homme comme moi.

Et quand moi je décarrerai, qu'on m'enterre dans le complet d'Edmond
Avec un chapeau de vingt dollars,
Et glissez-moi une pièce d'or dans le gousset
Que les copains le sachent, j'suis mort plein aux as!

Saint James Infirmary


I'm lookin' for a woman

Oui, je cherche une femme
Qui travaille et me témoigne des égards
Je cherche une femme comme ça
Mais je ne la trouve pas

J'ai trimé dur la nuit dernière
et autant la nuit d'avant
Ces femmes de rien
t'envoient promener sur le pavé

Oui, je cherche une femme
mon gars, qui te traiterait gentiment:
"Écoute mon petit chéri,
non tu n'as pas raison."

Oui, je cherche une femme
qui travaille et me témoigne des égards.
Oui j'essaie de me trouver une femme
Mais je ne la trouve pas.

Looking for a Woman


The Lonesome Road

Examine, examine bien
ce chemin solitaire
avant de t'y engager.

Look down, look down
That lonesome road
before you carry on

The Lonesome Road
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Re: J A Z Z et musiques improvisées - C'est ici qu'on en parle

Message par Douglas » sam. 9 déc. 2023 05:32

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Mendoza Hoff Revels, Ava Mendoza, Devin Hoff – Echolocation (2023)

Un petit mot pour présenter les supports pour commencer, Cd ou vinyle ? Ce n’est pas si évident que ça, car le vinyle contient six pièces et le Cd huit, ce qui semble donner l’avantage au Cd, mais voilà, à l’intérieur du vinyle il y a un bon de téléchargement bandcamp qui vous offre la complète, si bien que chacun décidera selon ses habitudes, pour ma part, j’ai le vinyle.

Au recto du vinyle figure un autocollant sur lequel on peut lire « If you dig Mayan Space Station, then absolutely grip this ! ». Certains se souviendront peut-être de l’album de William Parker dont je vous avais parlé, à sa sortie, en deux mille vingt et un. Ava Mendoza n’était autre que la guitariste électrique de l’album, elle continue son périple ici, avec Devin Hoff à la basse électrique.

Mais ce n’est pas tout, car il y a deux autres invités monstrueux sur cet album, James Brandon Lewis au saxophone ténor et Ches Smith à la batterie. Avant même d’écouter l’album ça donne à réfléchir, rien que les noms alignés sont des promesses de bonne zique…

Le mélange peut sembler curieux et même un peu bizarre, pourtant ceux qui ont écouté « Mayan Space Station » bénéficient d’un peu d’avance, car, en trio avec William Parker et Gerald Cleaver, Ava Mendoza avait su imposer l’électricité de sa guitare et un son assez rock à cet album, qui est un peu particulier dans la discographie de Parker.

Il y a ici une grosse influence jazz-rock tel qu’il était compris autrefois, ça tient autant à la guitare de Mendoza qu’à la basse de Devin Hoff très présente, face à un tel enjeu Ches Smith n’est pas le dernier à fournir de l’énergie à la combustion si le besoin s’en fait sentir, comme sur « Diablada » par exemple.

En fait c’est James Brandon Lewis, quand il joue et balance en solo, qui colorise l’album aux couleurs du jazz, fusse-t-elles post free, ou bien encore lançant la quête et creusant ces murs métalleux bâtis à la hâte par ses partenaires, car on circule dans les genres, le son est souvent lourd, gros et épais, ça charcute pas mal par ici !

Les compos sont partagées à égalité entre les deux leaders, j’aurais tendance à préférer les pièces les plus massives, mais on ne s’ennuie jamais, même quand le tempo est plus lent, comme sur la chanson-titre où Brandon Lewis décrasse bien, il montre ici qu’il sait s’adapter avec efficacité à tous les milieux.

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Re: J A Z Z et musiques improvisées - C'est ici qu'on en parle

Message par Douglas » dim. 10 déc. 2023 02:40

Je me fais l'écho d'une actualité signalée il y a quelques temps par Piranha:

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Matana Roberts – Coin Coin Chapter Five: In The Garden (2023)

Je ne pense pas m’être arrêté sur Matana Roberts sur ce fil, ou peut-être en deux mille dix-neuf à propos de « Memphis », la quatrième sortie de la saga « Coin Coin ». Cette dernière débuta en deux mille onze avec son premier chapitre « Gens de couleurs libres ». En deux mille treize parut le second volet « Mississipi Moonchile », et en deux mille quinze « River Run Three ». Voici donc le volume cinq d’une saga qui était annoncée à l’origine avec douze chapitres, ce qui, au rythme de parution actuelle, ne m’assure pas d’être encore « Still Alive & Well » à la parution de l’ultime étape…

L’ampleur du projet est comparable à une fresque dont le thème est l’histoire de la souffrance afro-américaine au travers de la vie de Marie-Thérèse Metoyer, esclave en Louisiane qui fut affranchie et devint femme d’affaire, symbole d’une remarquable réussite sociale. Sept générations seront ainsi évoquées, jusqu’à Matana elle-même, puisqu’elle évoque l’histoire de sa propre famille.

Ce cinquième volume est un peu original dans son format puisqu’il est constitué de deux vinyles dix pouces, il y a également un insert avec deux pages et un bon de téléchargement. On retrouve sans surprise ce même parti-pris artistique qui constitue le cœur de l’œuvre, un jazz qui fait à la fois référence aux racines mais qui est résolument libre, avec de nombreux passages free.

Il y a également un récit qui est dit par Matana, elle compose également l’ensemble de l’œuvre. Cette dernière est constituée de nombreuses références qui ont trait à l’histoire de la musique noire, et sans déplaisir on découvre un long fil qui se déroule dans un style résolument moderne, évoquant l’Art Ensemble, l’Afrique, l’Ethnic Heritage Ensemble, le blues, les gospels, les grands anciens et autres monstres de la musique libre…

Elle raconte ici des petites histoires, mais qui se fondent dans la grande. Celle de son arrière-arrière-grand-mère décédée lors d’un avortement forcément illégal, le portrait qu’elle en fait est absolument bouleversant. Quand on songe à ce qui se passe actuellement aux Etats-Unis autour de la contraception et des limitations du droit à l’avortement, on mesure toute l’actualité de ce récit qui dénonce un grave retour en arrière.

L’album est plutôt chouette et mérite très certainement l’écoute.

we said


unbeknownst


predestined confessions


the promise
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Re: J A Z Z et musiques improvisées - C'est ici qu'on en parle

Message par Douglas » dim. 10 déc. 2023 14:02

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Fred McDowell – The Alan Lomax Recordings - (Re-2011)

Il faut que je vous dise à quel point j'ai de l'estime pour ce vinyle. En fait, tout comme vous, j'ai longtemps entendu un morceau de Fred McDowell sans savoir, pour ce qui me concerne, qu'il en était l'auteur. C'est le dernier morceau de la face une de "Sticky Fingers", le meilleur album des Stones. Quand vous êtes bien imprégné de "Sister Morphine", que vous avez chevauché "Wild Horses" et que vous avez bien sauté au rythme de "Brown Sugar", il reste cette petite perle, un peu décalée, sur l'album: "You gotta move" un morceau qui vous pénètre le cerveau et qui s'insinue en vous sans crier gare, pour ne plus jamais vous quitter... C'est l'effet McDowell !

Alan Lomax c'est un musicologue, avec ethno devant, ça vous plante le bonhomme. De plus, c'est un homme de goût, une intelligence. Il va donc parcourir le monde à la recherche de sons authentiques et les garder en mémoire sur des enregistrements. L'Amérique l'intéresse aussi, les chants du peuple noir, les blues.

En 1959, à Como, dans le delta du Mississipi, il rencontre les frères Youngs et les enregistre, ces derniers lui parlent de leur voisin Fred McDowell, justement, il arrive des champs, avec sa salopette, la guitare n'est pas loin...

Après quelques essais un rendez-vous est pris, le résultat c'est cet album, enregistré pendant trois jours, en extérieur. Son jeu de slide guitare, dans le plus pur style "bottleneck", est très brillant et coloré, assurant une assise rythmique sans faille. C'est du velours pour Fred qui déploie son chant rempli d'émotion et de naturel, la simplicité s'élève ainsi au rang d’œuvre d'art, indépassable.

De temps à autre, son épouse chante en background et l'on raconte qu'au moment de se quitter un frisson parcourut l'assemblée lorsque l'assistante de Lomax embrassa Mme McDowell, en effet c'était la première fois, qu'à Como, une femme blanche embrassait en public une femme noire !

Fred McDowell: Woke Up This Morning With My Mind On Jesus (1959)


When The Train Comes Along - Lomax Recordings (1959)


Mississippi Fred McDowell - Drop Down Mama


Good Morning Little Schoolgirl (Remastered)
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Re: J A Z Z et musiques improvisées - C'est ici qu'on en parle

Message par cericpop » dim. 10 déc. 2023 15:52

De retour un peu plus constant sur le forum depuis quelques temps je voudrais moi aussi remercier Douglas pour la présentation de ses albums.
On ne peut pas dire que le jazz soit ma musique de prédilection, cependant j'aime beaucoup lire (et tenter une écoute) des artistes que Douglas nous propose.

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Re: J A Z Z et musiques improvisées - C'est ici qu'on en parle

Message par Douglas » dim. 10 déc. 2023 20:53

cericpop a écrit :
dim. 10 déc. 2023 15:52
De retour un peu plus constant sur le forum depuis quelques temps je voudrais moi aussi remercier Douglas pour la présentation de ses albums.
On ne peut pas dire que le jazz soit ma musique de prédilection, cependant j'aime beaucoup lire (et tenter une écoute) des artistes que Douglas nous propose.
Je te remercie, surtout si tu ne t'intéresses pas forcément au jazz, l'important c'est d'avoir une certaine curiosité musicale, ne pas rester enferré toute sa vie en écoutant la même musique, j'apprécie ton ouverture d'esprit et ça me fait plaisir que tu passes faire un petit tour dans ce petit coin du fofo, t'es chez toi ici...
:chapozzz:
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Re: J A Z Z et musiques improvisées - C'est ici qu'on en parle

Message par Douglas » lun. 11 déc. 2023 06:20

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Fred Frith – Gravity (1980 - pochette originale)

Ma version est une réédition de deux mille un, entièrement remastérisée, mais sans ajouts ni bonus, conforme à l’édition originale pour le nombre de pièces. Elle se présente sous la forme d’un digipack à trois volets de bonne constitution mais la pochette, différente de la version originale, est assez moche.

Côté musique c’est du tout bon, bien qu’assez surprenant, même de la part de Fred Frith. Ce ne sont pas les audaces sonores qui étonnent ici, bien qu’il y en ait, mais plutôt le registre dans lequel se dépatouille l’album. Quelque part entre le folk, la danse collective, une certaine tradition, et l’expérimentation, les combinaisons osées qui plongent parfois vers le rock et bien sûr et avant tout, l’improvisation.

Ce qui fait à la fois un album hors norme et en même temps très écoutable, même par les personnes peu habituées à la musique transgressive. L’album a été enregistré par deux formations différentes, et ça s’entend, bien qu’il reste toutefois une certaine unité de ton.

Les six premières pièces ont été enregistrées en août soixante-dix-neuf en Suède, avec Fred Frith à la guitare, à la basse, au violon, aux percussions et au tambour. Lars Hollmer aux claviers et à l’accordéon, Eino Haapala à la guitare et mandoline, Marc Hollander au sax alto et à la clarinette et Hans Bruniusson à la batterie. La dominante de la musique est très optimiste, champêtre, autour des danses et de la joie de vivre, c’est très joyeux et respire les bons sentiments, c’est la face « Sammla Mammas Manna ».

Les sept dernières pièces ont été enregistrées en novembre de la même année et en janvier de l’année suivante, dans le Maryland, puis en Suisse. C’est la face « Muffins » avec Fred Frith et Marc Hollander, mais aussi Dave Newhouse au sax alto et à l’orgue, Paul Sears à la batterie et Billy Swann à la basse. C’est un peu plus lourd, avec toujours cette touche décalée qui caractérise Fred Frith et bien entendu l’influence RIO.

Il y a de belles pièces assez représentatives de la première partie de l’album, comme « The Boy beats The Rams » qui se situe en tout début, « Spring any day now » ou « Norrgarden Nyvla » qui sont également de bonne facture, bien qu’elles soient toutes, en fait, délicieuses. Pour la seconde partie on remarque inévitablement la reprise de « Dancing in the Street » qui intègre, d’après les notes de pochette, l’enregistrement de « manifestants iraniens célébrant la capture d'otages américains » !

Cet album forme la première partie de la trilogie « Ralph » qui évoque le nom du label, avec « Speechless » dont je vous ai déjà parlé et « Cheap At Half The Price » qui se réévalue d’année en année.

Petit à petit « Gravity » est devenu un incontournable de Frith, un pas de plus vers la musique du groupe « Massacre » encore en devenir…

Fred Frith - The Boy Beats the Rams (Kluk Tluce Berany)


Fred Frith - Norrgården Nyvla


Fred Frith - Spring Any Day Now


Fred Frith - Slap Dance


Dancing in the Street - Fred Frith
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Re: J A Z Z et musiques improvisées - C'est ici qu'on en parle

Message par Douglas » lun. 11 déc. 2023 15:26

La fameuse reprise des Stones, ici dans sa version originale:

Mississippi Fred McDowell - You gotta move


Une traduction française arrangée par Francis Cabrel que l'on peut entendre sur une compile de titres blues:

Tu dois partir

Qu'il soit trop tôt
Qu'il soit trop tard
Que tu sois blanc, rouge ou noir
Lorsque le ciel te désigne
Tu dois partir

Que tu sois mal
Que tu sois bien
Que tu sois roi
Que tu n'sois rien
Lorsque le ciel te désigne
Tu dois partir

Tu dois partir, tu dois partir
Ne rien garder, rien emporter, rien retenir
Lorsque le ciel te désigne
Tu dois partir

Que tu sois seul
Roulé en boule
Ou un héros
Porté par la foule
Lorsque le ciel te désigne
Tu dois partir

Tu dois partir (You Gotta Move)
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Re: J A Z Z et musiques improvisées - C'est ici qu'on en parle

Message par Douglas » mar. 12 déc. 2023 05:35

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Irreversible Entanglements – Protect Your Light - (2023)

Le retour du groupe Chicagoan, cette fois-ci sur Impulse, après un long passage en compagnie d’International Anthem. C’est l’histoire qui remonte un peu car ils enregistrent aux Studios Van Gelder d’Englewood Cliffs, de quoi rentrer dans la petite histoire et mesurer le chemin parcouru.

On retrouve Camae Ayewa aka « Moor Mother » aux synthés mais surtout à la diction, car cet album déroule un long récit. Il y a également Tcheser Holmes à la batterie, Aquiles Navarro à la trompette et au synthé, Keir Neiringer au sax alto et au synthé et enfin Luke Stewart aux basses, il faut également signaler qu’ils sont tous percussionnistes et ajoutent conjointement à la puissance et à la diversité rythmique.

C’est aussi free qu’à l’habitude, l’impression générale est très immersive, comme une plongée longue et continue dans une sorte de long tunnel dont on ne sort qu’à la fin du processus : quand les huit titres se sont écoulés. On retrouve toujours la colère, l’aspiration aux libertés, les luttes contre l’injustice et toutes ces choses avec des bons sentiments et surtout de bonnes intentions.

En ce sens c’est un album de son temps, de l’histoire que nous vivons avec ses inquiétudes, ses doutes et ses croyances. Curieusement il y a une sorte d’optimisme que l’on ressent, et même, parfois, une impression de fête. Mais c’est fort, le groupe est bien emmené et se montre solidaire et complémentaire, tous sont au diapason et fusionne une excellente musique qui vous happe et vous transporte.

On remarque l’hommage à Jaimie Branch, « Root<=>Branch », « Free love » qui ouvre l’album, « Soundness », « Celestial Pathways » et « Degrees of Freedom », autant d’étapes remarquables, mais ce qui compte ici, c’est l’impact de l’album en entier, la créativité collective et la démarche free qui semble s’apparenter pas mal à l’Art Ensemble de Chicago qui n’a pas fini d’influencer en profondeur la musique noire d’avant-garde.

Même sans entrer avec finesse dans la compréhension du narratif, la partie musicale, avec les polyrythmies, les impros de musiciens absolument convaincants, que ce soit Aquiles Navarro ou Keir Neuringer pour faire vite, la diction de Moor Mother, autant de points forts qui suffisent à créer une véritable énergie unique et diverse qui font de « Protect Your Light » un événement musical important de l’année, bien que la pochette… hum !

Irreversible Entanglements - Free Love (Visualizer)


Irreversible Entanglements - Protect Your Light (Visualizer)


Irreversible Entanglements - Our Land Back (Visualizer)


root ᐸ=ᐳ branch
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Re: J A Z Z et musiques improvisées - C'est ici qu'on en parle

Message par Douglas » mer. 13 déc. 2023 03:00

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Arto Lindsay – Charivari (Black Cross Solo Sessions 7) – (2023)

Ce septième volume des Black Cross Solo Sessions est certainement l’un des plus extrêmes et des plus abrasifs, qui renvoie aux pages les plus radicales d’Arto Lindsay, du côté de DNA, son versant le plus noise. La formation était née en soixante-dix-huit, composée par Arto, Ikue Mori, Tim Wright et pendant un temps de Robin Crutchfield.

Arto Lindsay n’a donc pas perdu le goût des expériences limites et a gardé cette propension à malmener ses auditeurs, fusse pour leur bien. C’est donc dans ce cadre consacré à l’artiste en solo qu’il propose ce mix audacieux et pourtant séduisant, d’une guitare torturée et d’une voix perchée dans l’aigu et entourée d’un léger écho.

Treize pièces se succèdent soit instrumentales, soit chantées, pour sept d’entre elles. A l’intérieur de la luxueuse pochette figurent les paroles. L’album a été enregistré pour parti aux studios d’Araras à Rio de Janeiro, au Brésil, en janvier vingt et un, et à Brooklyn, New York en octobre deux mille vingt.

La guitare est très abrasive, elle rappe, saigne et déchire, elle se veut à nu, coupante comme une lame et rotative comme une scie, elle ne cherche pas à séduire, ou alors c’est par erreur, comme si elle retournait de façon indépendante à son rôle premier, malgré la volonté de son maître, qui cherche plutôt à montrer son côté guerrier et abrupte, tortueux et même dangereux.

La voix contraste malgré qu’elle se traîne, presque badine, comme une âme en peine, elle accroche l’oreille qui la préfère, malgré sa monotonie ou, parfois, son atonie. Ce contraste élevé entre le haut qui provient de l’intérieur, et le bas qui naît de la volonté des extrémités, contient en entier le charme de cet album qui mérite plusieurs écoutes, car au fond, malgré ce que l’on croit au premier abord, l’un ne va pas sans l’autre et les deux se complètent.

Un album finalement très intéressant qui donne l’envie de ressortir ses vieux DNA d’époque, qui étaient, finalement, pas mal dans le genre…

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Re: J A Z Z et musiques improvisées - C'est ici qu'on en parle

Message par Douglas » mer. 13 déc. 2023 15:49

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John Zorn – Kristallnacht - (1993)

S’il est un artiste hors normes, touche à tout, inclassable, c’est bien John Zorn. Ses enregistrements s’affichent imperturbablement dans les rayons au rythme d’environ une sortie par mois, on estime entre deux et trois cents le nombre de ses albums.

John Zorn est un perfectionniste surdoué, un travailleur infatigable, il mène ses projets aussi loin que possible, bâtissant une œuvre qui s’apparente à un patchwork protéiforme, passant de la musique contemporaine au hardcore, des cartoons au rock, de la musique aléatoire à la musique de film, du jazz à la musique initiatique…

Son œuvre est très structurée et se décline en séries d’albums autour d’un projet plus général organisé autour d’une ligne directrice ou d’une ligne de force. En 1992, à Munich, il joue Kristallnacht, premier volet de la « Radical Jewish music ». Radical est ici à prendre au sens de « racines »: Il veut en finir avec la tragédie qui frappa le peuple juif, il faut solder les comptes et créer une nouvelle musique juive dont l’un des pôles sera New-York. La première édition du Cd sortira sur « Eva », un label Japonais, et sera très vite épuisée.

Cet album est d’une force et d’un impact exceptionnels, un objet précieux, à la fois violent et délicat. « Kristallnacht » (La nuit de Cristal) est le nom que l’on donne au pogrom contre les juifs qui se déroula dans la nuit du neuf au dix novembre 1938.Dans toute l’Allemagne, sous la supervision de Goebbels, les magasins et entreprises tenus par des juifs furent saccagés. Les lieux de cultes furent détruits, brûlés, on déporta trente mille personnes et on en tua plusieurs centaines, pour faire bonne mesure la communauté juive fut condamnée à payer une amende de un milliard de marks pour tapage nocturne… C’est le commencement de la Shoah …

John Zorn se saisit de ces évènements, il ne joue pas sur l’album mais dirige l’orchestre, entouré de fabuleux musiciens. Le premier titre « Shtetl » (Ghetto Life) évoque la nostalgie des temps anciens, Shtetl, c’est le village, la vie simple au rythme de la culture yiddish et des rythmes klezmer. La musique est d’une grande beauté, plongeant l’auditeur dans la nostalgie. Frank London à la trompette et David Krakauer à la clarinette, invités sur deux titres, se joignent à Mark Feldman pour planter un décor de plus en plus angoissant sur lequel un sinistre scénario se greffe. Les voix du discours nazi interrompent la quiétude et se mixent sur la musique, le discours d’Adolphe Hitler glace l’harmonie et l’innocence, ouvrant la porte à une violence insoutenable, petit à petit les accents de plus en plus douloureux du violon cèdent la place à la ruée brune.

Pendant ce temps le peuple Allemand écoute «Lili Marlene».

Ça y est, la peste brune est dans la rue, comment invoquer l’indicible ? La barbarie est en marche, scande et racle les moindres morceaux de chair désossée et dépecée, matière première pesée et soupesée, usinée à grande échelle pour un recyclage de l’innommable, point d’orgue de la « symphonie nazie » : l’holocauste.

« Never again » répond John Zorn, cette nuit de Cristal a été ainsi nommée par les Allemands eux-mêmes, de façon si poétique, pour évoquer les bruits des pas des passants marchants sur la vaisselle, les vitrines et les vitraux brisés qui jonchent le sol. Non jamais plus. John Zorn ne fait pas dans la demi-mesure, il met en balance son art, sa raison de vivre : la musique elle-même, seule façon à ses yeux d’évoquer le mal absolu. Les onze minutes quarante et une de « Never again » vont frôler l’inaudible, toucher à l’inouï, obligeant l’auditeur à une perception physique du malaise. L’écoute de ce morceau peut être crispante et même douloureuse. Un avertissement figure à l’intérieur du CD : «Attention Never Again contient des hautes fréquences extrêmes à la limite de l'ouïe humaine et au-delà, qui pourraient causer des nausées, des maux de tête et des sifflements dans les oreilles. Une écoute prolongée ou répétée n'est pas recommandée - Le compositeur”.

La pièce consiste en une évocation de ces bruits de verres et de glaces brisées sur un fond sonore froid et glaçant, en restant toutefois à un niveau paradoxalement sobre et tout en tenue. Impossible de ne pas se sentir agressé et remis en cause, John Zorn ne vous laisse pas le choix et vous transforme en objet passif, obligé de subir. La force de sa musique vous transforme en témoin. Ici où là quelques pauses sont aménagées, litanies religieuses, violon nostalgique, puis retour de la barbarie. Ce titre à la force d’une expérience.

Place maintenant à Gahelet (la braise), le scénario évolue, évoquant d’abord le silence, la solitude et la désolation. Le prix de la survie. Puis la vie reprend, lentement, difficilement, de brefs signes d’espoir apparaissent. Cette renaissance est douloureuse et se nourrit de ses racines, des prières et des psaumes: La culture permet la renaissance.

Le morceau suivant, Tikkun (réparation), peut évoquer la création de l’état d’Israël, la pièce, très contemporaine, évolue autour d’un axe percussions, guitares et violons qui dialoguent et s’interrogent, interrompus à un moment par une joyeuse envolée folklorique: Une partie de la diaspora juive retourne vers le berceau historique.

Tzfia (regard vers le futur) est représentatif de l’écriture de John Zorn, l’impression ressentie est la même que celle face à un collage et un montage de bandes sonores, comme aurait pu effectuer Teo Macéro pour les œuvres les plus électriques de Miles Davis. Sauf qu’ici de « collage », il n’y a point. Tout est virtuosité et complicité entre le chef et les musiciens, tout est dans le «geste» et la compréhension du code. On bascule d’une évocation à l’autre, les séquences s’enchaînent et les styles s’entrechoquent, rock, psaumes, ensemble à corde, musique dramatique, sonorités angoissantes, prières entrecoupées par les interventions des bois et des cordes frappées du violon, retour du rock torride et de l’électricité, nouvelle intervention des cordes et des sonorités klezmer, brève irruption des instruments à vent qui ferment la pièce. Ce morceau évoque, semble-t-il, la difficulté de vivre la culture judaïque et les problèmes liés à l’assimilation.

Barzel (le fer) dénonce cette fois-ci les problèmes liés à la montée du fanatisme juif et aux problèmes engendrés par les fondamentalistes et les intégristes religieux. La musique se fait chaotique, répétitive : John Zorn déclenche l’alarme !

Gariin (le noyau) a un côté martial avec ses percussions aux séquences variées dans les sonorités et répétitives dans le rythme. Les sons électriques de la guitare de Marc Ribot strient le morceau et provoquent une lente montée de sève tandis que la basse reste imperturbable. Quel contraste avec le reste de l’album, on sent poindre déjà les couleurs musicales qui structureront bientôt le génial groupe Masada, son ensemble le plus populaire, qui se déclinera bientôt en plusieurs ramifications. C’est également dans la foulée de la sortie de Kristallnacht que John Zorn fondera son propre label « Tzadik », refuge prolifique des musiques différentes, alternatives ou expérimentales. Ainsi de nombreux artistes provenant du monde entier pourront s’y exprimer en toute liberté.

Kristallnacht est album pivot et fondateur dans l’œuvre de John Zorn, ce n’est sans doute pas le plus accessible, mais il possède l’« aura » et la force incomparable des pièces maîtresses.

John Zorn - Kristallnacht
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Re: J A Z Z et musiques improvisées - C'est ici qu'on en parle

Message par gabuzomeuzomeu » mer. 13 déc. 2023 17:23

Douglas a écrit :
mer. 13 déc. 2023 15:49
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John Zorn – Kristallnacht - (1993)
S’il est un artiste hors normes, touche à tout, inclassable, c’est bien John Zorn. Ses enregistrements s’affichent imperturbablement dans les rayons au rythme d’environ une sortie par mois, on estime entre deux et trois cents le nombre de ses albums.

John Zorn est un perfectionniste surdoué, un travailleur infatigable, il mène ses projets aussi loin que possible, bâtissant une œuvre qui s’apparente à un patchwork protéiforme, passant de la musique contemporaine au hardcore, des cartoons au rock, de la musique aléatoire à la musique de film, du jazz à la musique initiatique…

Son œuvre est très structurée et se décline en séries d’albums autour d’un projet plus général organisé autour d’une ligne directrice ou d’une ligne de force. En 1992, à Munich, il joue Kristallnacht, premier volet de la « Radical Jewish music ». Radical est ici à prendre au sens de « racines »: Il veut en finir avec la tragédie qui frappa le peuple juif, il faut solder les comptes et créer une nouvelle musique juive dont l’un des pôles sera New-York. La première édition du Cd sortira sur « Eva », un label Japonais, et sera très vite épuisée.

Cet album est d’une force et d’un impact exceptionnels, un objet précieux, à la fois violent et délicat. « Kristallnacht » (La nuit de Cristal) est le nom que l’on donne au pogrom contre les juifs qui se déroula dans la nuit du neuf au dix novembre 1938.Dans toute l’Allemagne, sous la supervision de Goebbels, les magasins et entreprises tenus par des juifs furent saccagés. Les lieux de cultes furent détruits, brûlés, on déporta trente mille personnes et on en tua plusieurs centaines, pour faire bonne mesure la communauté juive fut condamnée à payer une amende de un milliard de marks pour tapage nocturne… C’est le commencement de la Shoah …

John Zorn se saisit de ces évènements, il ne joue pas sur l’album mais dirige l’orchestre, entouré de fabuleux musiciens. Le premier titre « Shtetl » (Ghetto Life) évoque la nostalgie des temps anciens, Shtetl, c’est le village, la vie simple au rythme de la culture yiddish et des rythmes klezmer. La musique est d’une grande beauté, plongeant l’auditeur dans la nostalgie. Frank London à la trompette et David Krakauer à la clarinette, invités sur deux titres, se joignent à Mark Feldman pour planter un décor de plus en plus angoissant sur lequel un sinistre scénario se greffe. Les voix du discours nazi interrompent la quiétude et se mixent sur la musique, le discours d’Adolphe Hitler glace l’harmonie et l’innocence, ouvrant la porte à une violence insoutenable, petit à petit les accents de plus en plus douloureux du violon cèdent la place à la ruée brune.

Pendant ce temps le peuple Allemand écoute «Lili Marlene».

Ça y est, la peste brune est dans la rue, comment invoquer l’indicible ? La barbarie est en marche, scande et racle les moindres morceaux de chair désossée et dépecée, matière première pesée et soupesée, usinée à grande échelle pour un recyclage de l’innommable, point d’orgue de la « symphonie nazie » : l’holocauste.

« Never again » répond John Zorn, cette nuit de Cristal a été ainsi nommée par les Allemands eux-mêmes, de façon si poétique, pour évoquer les bruits des pas des passants marchants sur la vaisselle, les vitrines et les vitraux brisés qui jonchent le sol. Non jamais plus. John Zorn ne fait pas dans la demi-mesure, il met en balance son art, sa raison de vivre : la musique elle-même, seule façon à ses yeux d’évoquer le mal absolu. Les onze minutes quarante et une de « Never again » vont frôler l’inaudible, toucher à l’inouï, obligeant l’auditeur à une perception physique du malaise. L’écoute de ce morceau peut être crispante et même douloureuse. Un avertissement figure à l’intérieur du CD : «Attention Never Again contient des hautes fréquences extrêmes à la limite de l'ouïe humaine et au-delà, qui pourraient causer des nausées, des maux de tête et des sifflements dans les oreilles. Une écoute prolongée ou répétée n'est pas recommandée - Le compositeur”.

La pièce consiste en une évocation de ces bruits de verres et de glaces brisées sur un fond sonore froid et glaçant, en restant toutefois à un niveau paradoxalement sobre et tout en tenue. Impossible de ne pas se sentir agressé et remis en cause, John Zorn ne vous laisse pas le choix et vous transforme en objet passif, obligé de subir. La force de sa musique vous transforme en témoin. Ici où là quelques pauses sont aménagées, litanies religieuses, violon nostalgique, puis retour de la barbarie. Ce titre à la force d’une expérience.

Place maintenant à Gahelet (la braise), le scénario évolue, évoquant d’abord le silence, la solitude et la désolation. Le prix de la survie. Puis la vie reprend, lentement, difficilement, de brefs signes d’espoir apparaissent. Cette renaissance est douloureuse et se nourrit de ses racines, des prières et des psaumes: La culture permet la renaissance.

Le morceau suivant, Tikkun (réparation), peut évoquer la création de l’état d’Israël, la pièce, très contemporaine, évolue autour d’un axe percussions, guitares et violons qui dialoguent et s’interrogent, interrompus à un moment par une joyeuse envolée folklorique: Une partie de la diaspora juive retourne vers le berceau historique.

Tzfia (regard vers le futur) est représentatif de l’écriture de John Zorn, l’impression ressentie est la même que celle face à un collage et un montage de bandes sonores, comme aurait pu effectuer Teo Macéro pour les œuvres les plus électriques de Miles Davis. Sauf qu’ici de « collage », il n’y a point. Tout est virtuosité et complicité entre le chef et les musiciens, tout est dans le «geste» et la compréhension du code. On bascule d’une évocation à l’autre, les séquences s’enchaînent et les styles s’entrechoquent, rock, psaumes, ensemble à corde, musique dramatique, sonorités angoissantes, prières entrecoupées par les interventions des bois et des cordes frappées du violon, retour du rock torride et de l’électricité, nouvelle intervention des cordes et des sonorités klezmer, brève irruption des instruments à vent qui ferment la pièce. Ce morceau évoque, semble-t-il, la difficulté de vivre la culture judaïque et les problèmes liés à l’assimilation.

Barzel (le fer) dénonce cette fois-ci les problèmes liés à la montée du fanatisme juif et aux problèmes engendrés par les fondamentalistes et les intégristes religieux. La musique se fait chaotique, répétitive : John Zorn déclenche l’alarme !

Gariin (le noyau) a un côté martial avec ses percussions aux séquences variées dans les sonorités et répétitives dans le rythme. Les sons électriques de la guitare de Marc Ribot strient le morceau et provoquent une lente montée de sève tandis que la basse reste imperturbable. Quel contraste avec le reste de l’album, on sent poindre déjà les couleurs musicales qui structureront bientôt le génial groupe Masada, son ensemble le plus populaire, qui se déclinera bientôt en plusieurs ramifications. C’est également dans la foulée de la sortie de Kristallnacht que John Zorn fondera son propre label « Tzadik », refuge prolifique des musiques différentes, alternatives ou expérimentales. Ainsi de nombreux artistes provenant du monde entier pourront s’y exprimer en toute liberté.

Kristallnacht est album pivot et fondateur dans l’œuvre de John Zorn, ce n’est sans doute pas le plus accessible, mais il possède l’« aura » et la force incomparable des pièces maîtresses.
John Zorn - Kristallnacht
Ici-même (ce topic) ou ailleurs (je ne listerai pas les membres expérimentateurs) on trouve des artistes que l'on connait peu ou pas du tout ... donc il faut approfondir ou s'accrocher pour découvrir matière à contenter mes oreilles.
En matière de jazz, aux débuts des 70's, me vient les influences de Chet Baker par mon père et plus tard celui d'un prof de basse qui lui était accro à Jaco Pastorius.
A la même période ou à peu près j'ai découvert tout seul The Residents et Pascal Comelade (et qqs autres) pour le côté RIO et expérimental .... depuis bien sûr on m'avait signalé Zorn, mais j'étais déjà rempli de suffisamment de sensations que je n'y ait pas prêter beaucoup d'attention ... le punk et les branques c'était beaucoup en plus !
Là en plus du jazz, de l'expérimental, du klezmer, le violon, les mélopés et de la bonne basse, ce concept-album renvoi à une époque trouble et tragique sujet qui parait difficile à transcrire musicalement !
Et ce mec là y arrive ! Les images des documentaires sur cette Nuit on les voit en même temps. De l'économie de moyens pour une activité mémorielle !
Merci pour cette rareté de 30 ans.
:chapozzz:
L'humour est le seul vaccin contre la connerie… Le con lui n’a jamais trouvé la pharmacie ! (Aphorismes et Blues - Pierre Perret 2020)

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Re: J A Z Z et musiques improvisées - C'est ici qu'on en parle

Message par Douglas » jeu. 14 déc. 2023 03:11

gabuzomeuzomeu a écrit :
mer. 13 déc. 2023 17:23

Ici-même (ce topic) ou ailleurs (je ne listerai pas les membres expérimentateurs) on trouve des artistes que l'on connait peu ou pas du tout ... donc il faut approfondir ou s'accrocher pour découvrir matière à contenter mes oreilles.
En matière de jazz, aux débuts des 70's, me vient les influences de Chet Baker par mon père et plus tard celui d'un prof de basse qui lui était accro à Jaco Pastorius.
A la même période ou à peu près j'ai découvert tout seul The Residents et Pascal Comelade (et qqs autres) pour le côté RIO et expérimental .... depuis bien sûr on m'avait signalé Zorn, mais j'étais déjà rempli de suffisamment de sensations que je n'y ait pas prêter beaucoup d'attention ... le punk et les branques c'était beaucoup en plus !
Là en plus du jazz, de l'expérimental, du klezmer, le violon, les mélopés et de la bonne basse, ce concept-album renvoi à une époque trouble et tragique sujet qui parait difficile à transcrire musicalement !
Et ce mec là y arrive ! Les images des documentaires sur cette Nuit on les voit en même temps. De l'économie de moyens pour une activité mémorielle !

Merci pour cette rareté de 30 ans.
:chapozzz:
Zorn se veut à la fois à la fois militant et comme tu l'indiques "mémoriel", à sa façon il choisit lui aussi l'extrême en optant pour la radicalité et le réalisme. Mais peut-on lui en vouloir?

Comme tu dis il réussit son coup et l’œuvre est en même temps tragique et contemporaine, jusque dans l'actualité la plus récente...

A la fois peuple élu et maudit, fort peu en nombre et pourtant tellement nobelisé, le peuple juif se glisse dans l'histoire avec le seul objectif de survivre, la musique klezmer, à la fois gaie et triste transmet ce mélange avec une grande force.
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Re: J A Z Z et musiques improvisées - C'est ici qu'on en parle

Message par Douglas » jeu. 14 déc. 2023 03:24

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David Enhco - Marc Perrenoud – CHET – (2023)

David Enhco revient, après le très bon « Family Tree » de l’année précédente, voici « CHET » l’hommage au trompettiste Chet Baker. Encho est en duo avec le pianiste suisse Marc Perrenoud. Il y a deux versions proposées à la vente, l’une au format Cd avec onze titres, et l’autre au format vinyle avec dix titres seulement, il manque « Pierrot » signé David Encho, l’interlude numéro trois: La fourberie est mise à jour !

Comme indiqué ci-dessus trois interludes signés Encho s’insinuent dans la suite des titres, pour autant, aucune pièce de Chet Baker n’est présente ici, malgré le titre de l’album. C’était pourtant un grand compositeur et il n’y avait pas trop à creuser pour trouver quelques superbes compos du maître à honorer ici. Ça indispose un peu l’admirateur de Chet que je suis.

Je me dis que Chet avait une vie erratique, qu’il était sous l’influence des drogues, qu’il a connu la prison, les expulsions, la pauvreté et que, lorsqu’il décrochait un contrat, il trouvait des musiciens du coin et que le répertoire, bien souvent, n’était qu’une suite de standards bien connus de tous, afin que le concert puisse être donné ou l'enregistrement effectué. Il est vrai que Chet excellait en tout et qu’il a su élever les standards vers des sommets rarement atteints.

Ainsi huit standards se trouvent regroupés ici, mais où se niche Chet Baker ? Car, pour qui est imprégné de sa musique, de ses standards et de sa façon unique de les jouer, ou de les chanter, le challenge s’avère immense et forcément indépassable, alors se pose la question de ce titre, qui aurait pu être un autre, avec cette même musique à l’intérieur…

Je n’irai donc point à la recherche du bohème Chet sur cet album, mais je profiterais plutôt de ces versions souvent polies et impeccables, de titres du répertoire mondial du jazz, joués par ces deux bourgeois-bohèmes à la technique sans défaut, affûtée à l’apprentissage de la musique classique.

Car il n’y a pas vol, ces deux musiciens forment un magnifique duo, très à l’aise tout au long de l’album, évidemment admiratifs de Chet, et même si je me prive de cette partie du récit, il y a là un très bel album, à aimer pour ce qu’il est : juste un bel album de jazz, admirable jusque dans les détails !

My Funny Valentine - David Enhco & Marc Perrenoud


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Re: J A Z Z - C'est ici qu'on en parle

Message par Douglas » ven. 15 déc. 2023 03:32

Pub: "Je remonte cet album, parce qu'il le vaut bien"
Douglas a écrit :
lun. 16 nov. 2020 13:04
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Il est des disques qui arrivent sans crier gare, une invitation à l’écoute, au partage, s’offrant comme un fruit de la mer qui s’ouvre lorsqu’arrive le sel. Et la musique se déploie lentement, au rythme de la vague, la voix, ample ou timide, pleine après avoir été murmure et chuchotement, occupe l’espace au-dessus de l’onde que ponctuent le souffle et la respiration régulière de la vie qui passe… C’est ainsi que « Les lampes brillent » !

Et chante Bao Luo, venue de Chine, ou nous parle dans sa langue, doucement, avant que les mots ne se déstructurent en son. Ou bien encore chante une simple chanson, ou gratte les cordes du gu-zheng sur « Trace légère » ou joue de la flûte sur « Ces yeux, amoureux des ténèbres ».

Mais ce n’est pas tout. Il faut un tableau, un décor, une architecture, pour que tout tienne. Jean-Marc Foussat, maître du Synthi AKS qu’il utilise depuis quelques décennies désormais, tient dans sa main les clefs de l’édifice, bâtisseur d’espaces grandioses ou simple tisserand qui fabrique toiles et fonds sonores, créateur de gouttes de pluies et de larmes qui perlent.

On pourrait parler d’ambient, ici, c’est un voyage sonore qui file sous nos yeux, propice à créer des images, à livrer des sensations, la douceur et la sérénité nous enveloppe et nous emmène, de la plage à la place, puis nous prend, alors qu’« Il était nuit » avant de nous quitter, en souriant…

« Surface calme », comme un poème :
Les lampes brillent sur la place, il était nuit, trace légère… Ces yeux amoureux des ténèbres.

Trace légère / Bao Luo rencontre Jean-Marc Foussat
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