J A Z Z et musiques improvisées - C'est ici qu'on en parle

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Douglas
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Re: J A Z Z et musiques improvisées - C'est ici qu'on en parle

Message par Douglas » ven. 23 févr. 2024 09:52

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Enrico Rava – Electric Five – (1995)

Un album enregistré sur Soul Note, le label cousin de Black Saints, dont le siège est à Milan. Donc rien de surprenant à retrouver Enrico Rava au « MU REC Studio » pour une session étalée sur deux jours, fin septembre quatre-vingt-quatorze. L’album se nomme « Electric Five », en effet il y a deux guitaristes électriques qui jouent sur cet album, Roberto Cecchetto et Domenico Caleri.

Pour le « Five », c’est un peu vrai, mais comme il y a un featuring, on passe à six, c’est Gianluigi Trovesi l’invité d’honneur, il joue du saxophone alto et de la basse clarinette. Pour le reste il y a Giovanni Maier à la basse et UT Ghandi à la batterie, une paire rythmique de qualité.

La couleur électrique est bienvenue et apporte un son qui va, Enrico est un musicien très ouvert et à l’écoute, rien ne l’effraie, et certainement pas cette douce fusion qui fonctionne bien, quand les guitares donnent, c’est un peu la fête, les solos des uns et des autres font également plaisir, particulièrement ceux du leader qui ne s’en prive pas.

Enrico est un « historique » du jazz européen, il a participé à quelques aventures mémorables du free jazz européen à l’époque, gagnant à cette occasion une renommée internationale et faisant partie des musiciens qui comptent. C’est aussi lié aux valeurs humaines qui l’habitent, à sa modestie, ainsi qu’aux attentions qu’il porte aux autres, aux jeunes musiciens particulièrement.

Cet album est plutôt bien, il contient environ quarante-huit minutes de musique, Enrico a composé une grande partie des onze thèmes. Il y a cependant quelques reprises, comme le « Milestones » de Miles Davis, « La Strada » de Nino Rota et Boplicity, le standard bop. Mais le titre qui se détache c’est celui d’ouverture, « Da Silva » qui ouvre l’album avec de grandes promesses.

Il fait souvent le coup, Enrico, la première pièce qui claque, et puis après c’est un peu inégal. On retrouve ce défaut ici, malgré que l’ensemble soit tout de même très écoutable sans risquer l’ennui, mais l’intérêt n’est pas constant, ni la couleur musicale qui varie un peu d’un titre à l’autre, il y a également le titre « Lavori Casalinghi » qui mérite un petit détour.

Né en dix-neuf cent trente-neuf, il tient encore le coup avec vaillance, qu’il bénéficie d’une vieillesse paisible, et, si parfois l’envie lui venait de jouer à nouveau du biniou, nous serions certainement à l’écoute !

C’est avec émotion que j’avais évoqué « 2 Blues For Cecil », avec Andrew Cyrille, William Parker & Enrico, ainsi que le duo avec Fred Hersch « The Song Is You », deux albums remarquables parus en vingt-vingt-deux !

Da Silva


Lavori Casalinghi


rava electric five - 5. milestones


rava electric five - 3. the fearless five
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Re: J A Z Z et musiques improvisées - C'est ici qu'on en parle

Message par Douglas » sam. 24 févr. 2024 05:50

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Maceo Parker – Life On Planet Groove – (1992)

Ce Parker n’est pas Charlie, mais il joue également du saxophone alto, dans une verve très différente du roi de be-bop. Mais on pourrait lui accorder qu’il pourrait s’appeler « dauphin », non pas en se référant à Charlie Parker, mais à James Brown dont il perpétue l’incroyable feeling et la puissante énergie, funk et groove sont ici au menu !

L’album a été enregistré les cinq, six et sept mars quatre-vingt-douze au restaurant « Stadgarten » de Cologne, l’album est d’ailleurs paru en Allemagne. Macéo Parker ne se contente pas de l’alto, il chante également et compose une bonne partie du répertoire, le concert s’étale sur soixante-seize minutes et s’ouvre sur l’excellent « Shake Everything You’ve Got » qui ouvre les hostilités pendant plus de seize minutes, de quoi se plonger à fond dans ce groove infernal.

Fred Wesley joue du trombone, Pee Wee Ellis du sax ténor et de la flûte, Rodney Jones de la guitare, Larry Golding de l’orgue Hammond et Kenwood Dennard de la batterie. Il y a également des invités, Kym Mazelle au chant, sur « I Got You (I Feel Good) » par exemple ou « « Got To Get U », Candy Dulfer au Sax alto et Vincent Henry à la basse et également au saxophone alto. Les musiciens chantent ou participent vocalement à la montée en température la chaleur ambiante.

Il y a un autres standard « Georgia On My Mind » de Carmichael, qu’aimait tant interpréter une autre légende du rythm’n blues, Ray Charles. Je me souviens avoir vu en concert ce-dernier, en extérieur et sans amplification. Ici l’énergie est totale et l’heure est à la fête, à la puissance des rythmes et de la danse !

On sait que Maceo a été à bonne école, puisqu’il est resté vingt-cinq années auprès de celui qu’on appelait le « Godfather », puis il passa dans la formation de George Clinton, « Funkadelic » ou même « Parliament », de quoi persévérer dans ce style dont il est un des maîtres incontestables, comme l’atteste ce « « Children’sWorld » que l’on entend ici…

Sur scène la maîtrise qu’il opère sur ses musiciens est assez spectaculaire, d’un claquement de doigt il lance la machine, la stoppe et la fait repartir, des petits gimmicks hérités de James Brown qui font bien sur scène et attirent le regard, par ailleurs il est formidablement entouré, chacun de ses musiciens est orfèvre dans ce qu’il fait.

Enfin un album de jazz-Funk dans cette rubrique, Oui, je reconnais et me repends…

Pass The Peas


Soul Power ´92


Georgia On My Mind


I Got You (I Feel Good)
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Message par Douglas » dim. 25 févr. 2024 03:10

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The Peter Brötzmann Chicago Tentet Featuring Mike Pearson – Be Music, Night – (2005)

Le « Peter Brötzmann Chicago Tentet » a déjà été évoqué par deux fois sur ce fil, à propos de « Short Visit to Nowhere » paru en deux mille deux, et de « Signs », de deux mille quatre. Cet album-ci continue la route puisqu’il est sorti en deux mille cinq !

On retrouve cette brochette absolument fantastique de solistes aux anches et aux cuivres, un « all stars » exceptionnel avec évidemment Peter Brötzmann à la clarinette, à la clarinette basse et au saxophone ténor, Mats Gustafsson au sax baryton et à la basse clarinette, Ken Vandermark au saxophone baryton et à la clarinette, Joe McPhee à la trompette et au saxophone alto et Jeff Bishop au trombone, ce dernier juste un peu moins légendaire…

Il y a également Fred Lomberg-Holm au violoncelle, Kent Kessler à la basse, Paal Nilssen-Love et Michael Zerang aux batteries, deux sommités de la batterie free. Il faut également ajouter un récitant, Mike Pearson, et c’est là que l’affaire se complique pour ce qui me concerne, malgré que la diction soit parfaite et claire… En effet l’album est centré sur une œuvre poétique de Kenneth Patchen, un poète américain appartenant apparemment à la « Beat Generation », bien que ce texte semble antérieur à la période, ici nous pourrions également évoquer le surréalisme, mais le texte est malheureusement en anglais, que je ne maîtrise hélas pas suffisamment !

Une grande partie de l’œuvre m’échappe donc, environ une quarantaine de minutes pendant lesquelles la musique accompagne le récit, il reste une partie entièrement instrumentale de vingt-cinq minutes au total, à laquelle s’ajoutent des phases intermédiaires exigées par la structure du récit. Ainsi, même sans comprendre, on ne perd pas tout à fait le fil de l’œuvre, apparemment exceptionnelle pour ce qui concerne l’écriture, à ce qu’il semble. En s’accrochant on peut saisir une partie du sens, mais il ne faut pas espérer davantage, sans base suffisantes.

La voix est donc ponctuée en arrière-plan par le clapotis des anches et des cuivres, mais aussi des cordes du violoncelle, des improvisations naissent et s’enflent, s’installant confortablement au premier plan quand le récit le permet, on ressent l’humeur du moment, quiétude, peur, colère… quelques passages instrumentaux magnifiques, et même carrément géants, trompent en partie la déception.

Hélas, le livret accompagnant ne nous fait part que d’un court poème, dont voici le tout début :

« Be music, night,
That her sleep may go
Where angels have their pale tall choirs.
»

Après l’intro, la dernière partie de onze minutes est également instrumentale, elle se déroule autour d’un thème écrit, un peu à la façon d’une chanson, ce qui n’est pas dans les habitudes de Brötz, du coup profitons et laissons-nous emporter par ce lyrisme triste et poignant… Un passage à la fois très beau et surprenant…

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Message par Douglas » lun. 26 févr. 2024 05:03

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DKV Trio – Baraka – (1997)

Nous restons en compagnie de deux musiciens présents sur l’album ci-dessus, avec cette formation légendaire de Chicago. En effet le saxophoniste ken Vandermark et le bassiste kent Kessler sont de la partie, en compagnie du grand Hamid Drake à la batterie, on pourrait même aligner en plus Peter Brötzmann qui a conçu cette pochette très graphique, voici le DKV Trio !

En cette période, les formations de Ken Vandermark dominent le free autour de la région de Chicago, il est toujours intéressant de s’intéresser au brillant saxophoniste et clarinettiste, qui joue toujours, avec une importante partie de sa discographie récente dispo uniquement sous forme de fichiers.

L’album s’ouvre sur l’excellent « Double Holiday » qui se lance, torride, puissant et infernal, avec l’efficacité d’un uppercut, de quoi mettre les pendules à l’heure et démontrer la grande efficacité de ce trio, dont l’impact pourrait être semblable à celui d’une murge, qui vous sors du temps, pendant près de onze minutes…

Bon, il aurait été plaisant de continuer sur le même schéma, mais la suite prend le contrepied et, par conséquent, baisse sérieusement en énergie, « Soft gamma Ray Repeater » est constitué de virgules, de points d’interrogation, d’exclamation et de suspension, de guillemets qui s’ouvrent et se ferment, avec le silence qui s’étale en toile de fond. La pièce avance avec une certaine lenteur avant de s’épaissir lentement, Vandermark y joue de la clarinette basse.

Mais le gros bloc, la somme, c’est le titre « Baraka » qui occupe trente-six minutes sur le Cd, la pièce est à la fois méditative et propulsive, passant d’un état à l’autre, ainsi les accélérations abondent et l’énergie ne manque pas, ni les pauses, les recherches qui sont plus calmes et s’étirent. Les tensions sont acceptées, ainsi que le bon groove, bien pulsé par l’incroyable Hamid Drake, dans son jardin et très à l’aise.

La pièce contient un quasi solo de clarinette, un solo de batterie fait d’une mince dentelle ainsi qu'un solo de contrebasse avec les cordes frottées par un archet. On voit donc la pièce se teinter d’une très grande variété de couleur et d’intensité.

Il reste encore deux pièces à cet album, « Figure It Out » et « Consequence », qui termine l’album sur une sorte de blues qui s’étire, lancinant…

L’album n’est pas pingre, il contient près de soixante-douze minutes dans son entièreté, avec d’infinies variations de free, il s’avère vraiment passionnant et, ce premier album du trio, participera lui aussi à attirer l’attention des musiciens européens qui multiplieront les rencontres musicales, avec Peter Brötzmann en tête de proue.

En écoute "Soft Gamma Ray Repeater", pas mon premier choix...
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Message par Douglas » mar. 27 févr. 2024 04:43

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McCoy Tyner – Extensions – (1972)

Un bel album de la période Blue Note De McCoy Tyner, souvent salué pour sa facilité d’accès, après le plus tortueux « Expansions » enregistré en août soixante-huit, où se remarquent déjà Wayne Shorter aux saxophones ténor et soprano, Gary Bartz au saxophone alto et Ron carter qui joue ici de la contrebasse, non plus du violoncelle.

Quelques musiciens reconduits mais aussi d’autres renforts remarquables, comme Alice Coltrane à la harpe, celle qui remplaça McCoy dans la formation de John Coltrane. Une autre montagne contournée, Elvin Jones, que l’on retrouve ici à la batterie, de quoi donner à cet album des parfums de légende, tous réunis autour de quatre compositions de McCoy, remarquable comme toujours au piano, et aux compos.

La pochette, très belle, suggère des accents d’Afrique, destination qui sera également objet de l’album suivant « Sahara, cette fois-ci sur Milestone. Autant d’albums quasi essentiels, dont l’écoute est fortement recommandée. Il est vrai que celui-ci jouit d’un petit « plus » encore, par la présence d’Alice qui joue sur trois des quatre pièces ici, apportant dans les cordes de sa harpe, des senteurs orientales, mais aussi un peu de l’histoire de Coltrane, de son esprit et de sa présence.

Ce dernier surgit également dans le jeu de McCoy, marqué aux accents inimitables qu’il apporta au quartet idéal, qui resteront à jamais une forte marque de la coltranitude. Et si on ajoute encore un peu d’émotion, avec la participation d’Elvin Jones, dont le jeu est monstrueux, toujours aussi puissant, plein, riche d’une extraordinaire force de pulsion, propre à enflammer les passions…

Les quatre pièces sont magnifiques, « Message From The Nile » la pièce d’ouverture, nous plonge en immersion dans ce jazz sublime que l’on qualifie de modal, « spiritual music », ou encore de musique universelle, au choix… On remarque la grande liberté dans le jeu de Wayne Shorter, excellentissime, qui semble vouloir s’extraire de cette glue coltranienne, pour tracer sa propre route et choisir sa destination.

Alice aussi s’associe à cette aventure mystique, particulièrement sur la dernière pièce, « His Blessings » qui semble vouée aux esprits, à la beauté du matin, à l’éveil de la nature, vers la vie qui arrive et se renouvelle sans cesse, comme un flux inextinguible… Cette pièce qui semble improvisée, pour une grande part, conclut l’album de façon positive.

Message From The Nile


The Wanderer (Remastered 1996)


Survival Blues (Remastered 1996)


His Blessings (Remastered 1996)
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Message par whereisbrian » mar. 27 févr. 2024 13:46

Merci, je ne connaissais pas cet album.

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Re: J A Z Z et musiques improvisées - C'est ici qu'on en parle

Message par Cactus » mar. 27 févr. 2024 18:51

Merci Douglas pour ce rappel fort utile concernant Macéo Parker ! J'avoue ne plus savoir combien de fois -nombreuses- j'ai assisté à une de ses représentations et toujours avec plaisir !! " Life on Planet Groove" est une bombe méritant de figurer dans toutes les discographies Jazz-Funk ....
Les miroirs feraient bien de réfléchir un peu plus avant de renvoyer les images . Jean COCTEAU

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Re: J A Z Z et musiques improvisées - C'est ici qu'on en parle

Message par Douglas » mar. 27 févr. 2024 21:56

whereisbrian a écrit :
mar. 27 févr. 2024 13:46
Merci, je ne connaissais pas cet album.
A mon goût il fait partie des meilleurs de Mc Coy sans Coltrane, avec "Sahara" et "Enlightenment".
Cactus a écrit :
mar. 27 févr. 2024 18:51
Merci Douglas pour ce rappel fort utile concernant Macéo Parker ! J'avoue ne plus savoir combien de fois -nombreuses- j'ai assisté à une de ses représentations et toujours avec plaisir !! " Life on Planet Groove" est une bombe méritant de figurer dans toutes les discographies Jazz-Funk ....
Merci d'apporter ton éclairage avisé sur ce genre !
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Re: J A Z Z et musiques improvisées - C'est ici qu'on en parle

Message par Douglas » mer. 28 févr. 2024 04:50

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Mats Gustafsson & Liudas Mockūnas – Watching A Dog. Smiling – (2024)

Un nouvel album issu du label « NoBusiness Records » paru dès janvier de cette année, limité à trois cents exemplaires et enregistré aux « Plokštelių » studios de Vilnius, le huit novembre deux mille vingt-deux, réunissant deux musiciens du Froid, le suédois Mats Gustafsson et et le lithuanien Liudas Mockūnas.

C’est très free, voire expérimental, les deux musiciens-souffleurs se lancent dans une parade sonore assez aventureuse, parfois mystérieuse ou même noisy, de quoi surprendre et interpeler, les voies empruntées ne sont pas banales, ni même usuelles, cette rencontre est toute en audace, étonnement, parfois très déstabilisante, histoire de contester ce droit au confort sonore qui semble pourtant dû à celui qui tend l’oreille, en attendant une sorte de récompense…

Mats Gustafsson joue des flûtes, du saxophone baryton et de l’électro, avec une largesse de moyens et de résultats sonores. Liudas Mockūnas utilise divers saxos, le soprano, le soprano sans anche, le sopranino et le saxophone basse ainsi que la clarinette contrebasse, l’éventail est large et les combinaisons multiples.

Tantôt les couleurs s’ancrent dans les contenus atmosphériques, dessinant des plans ou des lignes, à d’autres moments les instruments s’animalisent et font penser à un bestiaire inquiétant, ou bien encore aux humains et à leurs humeurs, des mélanges parfois s’organisent et tout semble se confondre…

Les six pièces s’organisent par trois gravées sur chaque face et les titres disent sur les contenus. « Watching A Dog. Smiling », « More Sad Than Love. Is Live », « It is. Like Me. », deux propositions sont donc énoncées dans chaque titre, délivrant comme une clef, une grille de lecture et de compréhension, comme pour décoder la musique et la lire, ainsi lui donner sens.

On connaît les difficultés actuelles du label, et on salue cette prise de risque concernant le choix hardi de cet enregistrement, promis à des ventes plutôt confidentielles, bien qu’il soit passionnant malgré la difficulté d’accès, d’ailleurs la dernière pièce se nomme « Une envie. Du néant » de quoi interroger, encore et sans cesse…

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Re: J A Z Z et musiques improvisées - C'est ici qu'on en parle

Message par Douglas » jeu. 29 févr. 2024 04:22

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Charles Gayle, William Parker, Hamid Drake : Live At Jazzwerkstatt Peitz – (2015)

Voici un enregistrement de Charles Gayle dans une période approchant la grande maturité, il jour ici du sax ténor sur deux pièces et du piano sur trois autres. Il est accompagné par William Parker à la contrebasse et Hamid Drake à la batterie, les pièces étant signées par les trois, on comprend de suite que l’improvisation est la règle ici, tant mieux, il s sont arrivés au stade où tous les chants sonnent juste.

C’est un enregistrement en public, à l’église de Stüler, dans la ville de Peitz, en Allemagne, le vingt-trois mai deux mille quatorze, lors du concert d’ouverture du festival « Jazzwerkstat 51 ». Un concert dédié au grand Peter Kowald, le bassiste allemand. Le Cd est bien plein, comme toujours avec Charles Gayle, c’est paru l’année suivante sur le label Jazzwerkstatt.

La première pièce est superbe, à la fois sereine et baignée dans le mysticisme, elle s’appelle « Fairless » et dépasse les vingt-huit minutes, chaque moment est une fête, des années après on ressent à son écoute un incroyable équilibre et une justesse de tous les instants, que ce soit lors des solos ou lors des phases collectives.

Même le solo de batterie d’Hamid Drake arrive à émouvoir, je suis très sérieux, on sent dans son toucher une sorte de retenue qui force la concentration et emporte l’adhésion. Un sentiment très rare illumine la pièce, un peu comme si, ce soir-là, en cette église, certaines choses aux contours mystérieux devaient être dites…

Pour les trois pièces suivantes, Charles Gayle se met au piano, son premier instrument, il en joue bien, en digne fils de Monk et de Cecil Taylor, mais avec ce truc qui n’appartient qu’à lui, ces sauts de puces, ces montées de notes sur le clavier et les descentes également, vers le grave, parfois même à la recherche du swing, il est formidablement soutenu par cette extraordinaire rythmique qui le choie et le cajole, l’emmène et le porte…

Trois pièces se succèdent ainsi, « Gospel », « Texturen » et « Angels », peut-être Charles se souvient-il de ces années où il fut pianiste de bar ? Il est certain également que la posture assise convient également bien à l’homme fatigué, qui a traversé la vie bien souvent dans l’inconfort, voire plus, tant il fut balloté par les forces implacables du destin qui ne l’épargnèrent guère, bien qu’il se tînt droit, solide et fier, au milieu de la tempête…

On entend cette tension, particulièrement sur « Angels », habité, puis calmé par un baume apaisant. Lors de la dernière pièce « Encore At Jazzwerkstatt », Charles retrouve son saxophone ténor, il aime à en jouer, bien que dans la plus grande partie de sa vie il se consacra à l’alto, plus vif et mordant. Sans doute la gravité et la sagesse qui le guident, l’ont-ils fait pencher vers le grave, le gros son, peut-être moins souple, mais plus serein, plus proche d’Ayler également, qui aimait prolonger le souffle jusque dans le cri !

Pour moi un très, très bel album…

Fearless


Encore


Texturen


Gospel
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Re: J A Z Z et musiques improvisées - C'est ici qu'on en parle

Message par Douglas » ven. 1 mars 2024 04:13

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John Zorn – The Fourth Way – (2023)

John Zorn est le compositeur et l’arrangeur des six pièces rassemblées sur cet album. Elles sont inspirées par un homme, Georges Gurdjieff, cet arménien, dont la date de naissance est imprécise, est mort en l’année quarante-neuf du siècle précédent, il est qualifié de mystique, philosophe et compositeur, son influence s’étendit pendant la première moitié du vingtième siècle, il pensait que l’homme vivait dans un « sommeil éveillé », aussi, élabora-t-il un système pour développer pleinement sa conscience.

On comprend que le gars était un chouïa allumé, mais il méritait bien l’attention de Zorn qui est resté toujours attiré par ces personnalités hors-normes, détenteurs d’un savoir irrationnel, souvent occulte. Pour mettre en musique ces illuminations liées à ce personnage fantasque, Zorn fit appel à un trio composé de musiciens qu’il admire, Brian Marsella au piano, Jorge Roeder à la contrebasse et Ches Smith à la batterie. Des musiciens extraordinaires, à même de transcrire l’esprit de la musique composée par le démiurge.

La première pièce « Meeting With Remarkable Men » dure vingt-trois minutes et semble dérouler à la façon d’une longue suite, très lyrique, contant un récit où les évènements se succèdent, tantôt très vifs et enlevés, à d’autres moments plus contemplatifs, voire très lyriques, s’adressant à l’âme humaine, une sorte de long récit initiatique…

La seconde pièce, « Journey To The Inaccessible » ne dure que quelques minutes, elle commence dans une sorte de discordance, figurant le doute ou l’inquiétude, l’hésitation, avant la décision… La plongée se poursuit « Into The Abyss », autant de pièces extrêmement vives où la vélocité des musiciens est mise en œuvre, toujours avec cette précision horlogère absolument phénoménale qui caractérise les œuvres de Zorn, à nouveau récompensé merveilleusement par ses interprètes, très au niveau, qui brillent de mille feux par ici…

Il faut attendre la quatrième pièce pour baisser le tempo et se laisser porter par la douceur d’une ballade, c’est « The Book Of Pleasure » qui nous offre cette pause voluptueuse, toute en douceur et volupté, calme, quiétude et sérénité. Mais la course devient à nouveau folle avec « Sacred Steps », endiablé, insaisissable, bref et intense !

L’album s’achève sur « Matins », quand on se lève et que tout redémarre, avec cette impression de repartir, alors qu’en fait, tout continue… Un album parfait à l’habitude de Zorn, travail de surdoués, exceptionnel !

Meetings with Remarkable Men


Into the Abyss


The Book of Pleasure


Matins
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Re: J A Z Z et musiques improvisées - C'est ici qu'on en parle

Message par Douglas » sam. 2 mars 2024 03:52

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Jowee Omicil – Let's Bash ! – (2017)

Suite à la bonne surprise de son album de deux mille vingt-trois, je me suis replongé dans ce que je connais de la courte discographie du multi-instrumentiste sous son nom. Je disposais de « Love Matters » que je trouvais un peu inégal, alors je me suis procuré ce « Let’s Bash » paru un an auparavant, mais dont les titres sont issus des mêmes sessions d’enregistrement.

Une première sélection peut être meilleure, ce qui pourrait être conforme à une certaine logique… Il faut dire que les pièces ont été enregistrées aux Studios La Buissonne de Pernes-Les-Fontaines, gage d’excellence et de qualité pour la partie son, tout ça s’est déroulé entre janvier et mars deux mille seize, lors d’une série de plusieurs rendez-vous, laissant aux musiciens une grande liberté pour enregistrer une quantité assez importante de titres.

Douze pièces se succèdent sur cet album effectivement enthousiasmant, bien qu’il ne ressemble en rien à l’esprit de “Spiritual Healing : bwa Kayman freedom suite” Ceremony, qui lui est un album à thème, ici nous avons droit à une série de titres qui se succèdent, parfois sans véritable unité stylistique, il y a, par exemple, des chansons, « Morais Spirit », « Something Clear » ou « Mellow On The Saxo » et beaucoup d’instrumentaux.

Il y a pas mal de musiciens, dans le Vaucluse, pour entourer Jowee, il joue du sax soprano ou alto, de la clarinette, de la trompette, de la flûte, du piano électrique et chante même, mais il ne fait tout de même pas tout… Ainsi sont également présents Michel Alibo ou Justwody Cereyo à la basse, Conti Bilong ou Jeffrey Deen à la batterie et aux percus, Jean-Philippe Dary ou Johatan Jurion aux claviers, Nenad Gajin à la guitare, et d’autres encore que je ne cite pas, car il y a eu pas mal de rendez-vous programmés lors de ces sessions.

Les parents de Jowee étant d’origine Haïtienne il a baigné tout naturellement dans cette culture caribéenne, et la musique qu’il joue est empreinte de ces influences, nombre de titre laisse à entrevoir ces couleurs chaudes et typiques, il aime d’ailleurs jouer en forme de cercle avec les musiciens qui l’accompagnent, pour susciter plus de vie et de chaleur.

Chaque titre est également suivi d’une dédicace, « Sur le Pont d’Avignon » est ainsi « dedicated to France » car le canadien est installé en France depuis pas mal d’années, il a joué ou côtoyé avec Ornette Coleman, Roy Hargrove et son RH Factor, Tony Allen avec lequel je l’ai découvert lors d’une retransmission de concert où il était remarquable, soulevant la foule…

En fait sa vie est un voyage fait de rencontres, toujours en suivant le fil des dédicaces on reconnaît par exemple Tinariwen, Charlie Chaplin, Luis Morais, Sade, Martinique, Haïti, Miles Davis évidemment, il lui dédie son titre le plus long « One Note For Miles » qui dépasse les onze minutes …

Nul doute que l’album est beau, diversifié et mérite une écoute très attentive…

Jowee Omicil - Let's Just Bash! (Official Audio)


Jowee Omicil - Mellow On The SaxO (Official Audio)


Jowee Omicil - One Note For Miles (Official Audio)


Jowee Omicil - Let's BasH - La Bohème - TVJazz.tv
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Re: J A Z Z et musiques improvisées - C'est ici qu'on en parle

Message par Douglas » dim. 3 mars 2024 04:52

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Eric Le Lann, Paul Lay – Thanks A Million – (2018)

Eric est trompettiste et Paul pianiste, les deux jouaient ensemble dans un quartet, et voilà que le sort s’en mêla. En effet une opportunité se fit d’aller jouer quatre concerts au Maroc, ce qui ne se refuse pas, car il faut bien vivre. Mais voilà, l’invitation n’est que pour deux musiciens, et c’est ainsi que Eric et Paul s’habituèrent à jouer en duo…

Mais il fallait également un répertoire, un fil conducteur, voilà pourquoi ils souhaitèrent, ensemble, interpréter une série de thèmes autour du plus grand et du plus « historique » instrumentiste des débuts de l’ère du jazz, Louis Armstrong lui-même. Il est bien connu que « Satchmo » n’était pas un immense compositeur, mais, par contre, un interprète extraordinaire, hors pair, que l’on a toujours plaisir à écouter, pour ce qui me concerne, cela va de soi …

C’est ainsi que se monta ce répertoire, riche de toutes ces pièces, souvent ancrées dans les années trente, qui sont restées immortelles et continuent, dans le souffle d’Eric et sous les doigts de Paul, à nous émouvoir encore aujourd’hui.

« Dinah », « Mack The Knife », « Tight Like This » ici réinventé, « Jubilee », « Azalea » ou encore « St James Infirmary » qui bouleverse, et ce fameux « Thanks Million » qui donne son titre à l’album, autant de pistes qui prennent à nouveau vie et consistance, elles sont dix au total à se succéder.

Il est également intéressant de noter que les deux interprètes n’appartiennent pas à la même génération, Eric Le Lann, l’ancien, possède déjà une discographie riche d’une vingtaine d’albums avec quelques classiques, comme « New York », « Live In Paris » avec Archie Shepp et le magnifique « I Remember Chet » en forme d'hommage, qui laissa sa marque.

Paul Lay est plus jeune, mais il a grande réputation et tourne beaucoup, il a également accompagné la chanteuse Isabel Sörling et enregistré quelques albums, dont celui-ci qui restera une étape marquante de sa discographie, car on peut le classer sans crainte dans les belles réussites, sans problème il fera bonne figure dans votre cdthèque.

Pour être complet il faut également noter deux pièces particulières, qui ne font pas partie de l’œuvre de Louis Armstrong, « Louison » est en effet une compo d’Eric Le Lann et « Farewell to Louis » est signée par Paul Lay, deux hommages qui ont bien évidemment leur place ici.

Voilà un bel album qui honore le jazz français, en même temps que Satchmo, magnifiquement servi sur cet enregistrement supervisé par Laurent de Wilde, et enregistré en mars deux mille dix-huit dans les studios de Meudon.

Tight Like This


Saint James Infirmary


Dinah


Mack the Knife
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Re: J A Z Z et musiques improvisées - C'est ici qu'on en parle

Message par Douglas » lun. 4 mars 2024 05:37

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Dave Douglas ‎– Meaning And Mystery – (2006)

Voici le Dave Douglas Quintet toujours aussi fringant, avec Dave Douglas à la trompette et à la composition, Uri Caine au Fender Rhodes, James Genus à la basse et le batteur Clarence Penn, le quintet rencontre son premier changement de personnel puisque le saxophoniste ténor Donny McCaslin remplace Chris Potter, parti voler de ses propres ailes.

A l’intérieur de l’album il y a un assez long texte en anglais ou Dave explique ses intentions, et surtout fait référence à Miles Davis à qui il rend hommage. C’est extrêmement intéressant car le son de l’album est fortement imprégné de la période pré-électrique, symbolisée généralement par l’album « In a Silent Way », on pense plus particulièrement au Fender Rhodes du magicien Uri Caine, extrêmement présent ici, avec son timbre si particulier, juste, bien sûr, sous les doigts du prodige, mais avec ce son qui se prolonge et semble vouloir faire tache, s’étaler malicieusement, la magie unique du Fender Rhodes !

Il y a également la basse énorme et terriblement précise de James Genus, que l’on entend à la fête sur « Painter’s Way », et puis le son de Dave qui sait ce qu’il doit au maître. Dès la seconde pièce « Culture Wars » nous sommes emportés. Les amateurs de Dave Douglas connaissent sa grande rigueur et sa terrible précision, mise à l’épreuve au sein de Masada, groupe phare et monstre d’équilibre musical, jamais pris en défaut.

Et bien avec ce quintet nous retrouvons cette diabolique machinerie, même la musique la plus complexe semble facile, quand nous l’écoutons, même si cette mise en place étonne et surprend, que ce soit sur « The Sheik of Things to Come » ou sur le très beau « Blues to Steve Lacy » et le Davisien « Invocation ».

Il y a bien, çà et là, quelques scories de hard bop qui s’échappent, faisant le lien et marquant le « d’où on vient », mais la musique ici contient une telle force qu’elle emporte, et son interprétation ciselée est d’une certaine façon sa « modernité ». Alors, bien sûr l’impression d’être à l’écoute d’un « grand » album est forte, comme souvent en écoutant Dave Douglas, ce très grand musicien, complet et majeur, qui force l’adhésion…

Painter's Way


Culture Wars


Blues to Steve Lacy


Invocation
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Message par Douglas » lun. 4 mars 2024 08:00

:voiture:
Modifié en dernier par Douglas le jeu. 7 mars 2024 02:14, modifié 1 fois.
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Message par Douglas » jeu. 7 mars 2024 02:13

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Ivo Perelman, Matthew Shipp, Jeff Cosgrove – Live In Baltimore – (2017)

Ivo Perelman est prolixe en enregistrements de studio, ses prestations live sont plus rares, bonne raison de se pencher sur ce « Live In Baltimore », qui ne contient qu’une pièce, « Second Set », mais remarquable par sa durée, cinquante et une minutes.

Ivo joue du sax ténor, Matthew Shipp du piano et Jeff Cosgrove de la batterie. Une formation ramassée sur ses trois pôles d’équilibre, ça s’est déroulé à Baltimore donc, à « An Die Musik », dans une vieille bâtisse où un espace musical a été créé, ce jour du vingt-cinq juin deux mille dix-sept. Ils étaient soixante-quinze dans le public, assis sur les soixante-quinze fauteuils en velours, un dimanche après-midi. « C'était comme jouer dans le salon de grand-mère » confie Ivo dans les notes de pochette.

Il y avait également ce défi musical, jouer pour la première fois en compagnie d’un nouveau batteur, Jeff Cosgrove, qui, avec un « o » supplémentaire, placé à côté du second dans son nom, aurait pu rassurer ses partenaires, avant même de s’assoir devant sa batterie… mais le test fut réussi haut la main, fort brillamment, comme en témoigne le groove de ce formidable enregistrement.

On connaît la réputation de Baltimore, la ville triste et sombre, perdue dans les affres de la pauvreté et de l’insécurité. Avec ses coupe-gorges et ses quartiers dangereux, où l’on peut perdre sa bourse dans chaque coin de rue, là où même les sourires peuvent sembler parfois inquiétants, car le mal ronge les humains, tant ceux qui vous promettent l’or, que celles qui vous offrent le bonheur et les plaisirs, fuis Baltimore et les malandrins, avant que de payer ton écot à la misère !

Rien de tel pour Ivo et ses partenaires, dans ce salon littéraire, jouant de la musique devant ces fauteuils réchauffés, où l’art se livre au jeu de la séduction, avec frivolité et coquetterie, devant ce parterre choisi, ces happy few heureux d’être là, tout comme nous rassemblés, devant ce petit trou de serrure, avec un casque hi-fi sur les oreilles…

Oui, tout se passe bien, c’est très, très beau, Ivo parfait comme à chaque fois, Matthew Shipp tout simplement incroyable, à lui seul il remplit l’espace, tapisse le fond, joue des soli et ravit l’oreille en nous comblant de ses prolifiques vertus musicales, magicien issu du Royaume des Lyres, tel un ange il agit, léger mais précis, invisible mais toujours présent, bienveillant et efficace, laissant juste assez d’espace à Jeff Cosgrove pour qu’il puisse marteler et faire sonner, les temps, le swing et l’énergie.

A nouveau un magnifique album de la part de ce ténor, si haut perché !

Live in Baltimore
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Message par Douglas » ven. 8 mars 2024 03:36

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Magic Carpet – Broken Compass – (2023)

Magic Carpet est un groupe de Chicago qui se doit de sortir du relatif anonymat dans lequel il baigne. Ils sont sept gars qui se sont réunis pendant des années, tous les dimanches, dans un restaurant éthiopien de la ville, et là ils jouaient, une musique colorée et bigarrée, celle qui se trouve sur cet album.

A ce stade il faut noter que, pour l’instant, l’album n’existe qu’en format vinyle ou dématérialisé. A l’intérieur du disque se trouve un bon de téléchargement avec un lien bandcamp, fort utile, car il contient un titre supplémentaire, « Sahara », absent de l’édition vinyle.

Les musiciens me sont à peu près inconnus, avec une exception notable, puisque Makaya McCraven est le batteur de la formation, un parmi les autres, mais dont le nom parle à tout le monde, désormais, cette identification remarquable éclaire d’un jour nouveau ce groupe, qui aurait pu rester longtemps un simple band ambianceur. Voici les autres membres, Ryan Mayer est aux percus, Parrish Hicks tient la basse, Tewodros Aklilu les claviers, Timuel Bey la guitare, Fred Jackson Jr le sax et Kaliq Woods la clarinette.

L’écoute de cet album, finalement incroyable, révèle un goût pour ce qu’on appelle souvent, par commodité, les musiques du monde, d’un ailleurs exotique souvent imprécis. On peut essayer de décoder partiellement ces multiples influences. Parlons par exemple des pièces qui rappellent l’Afrique, souvent de l’ouest, comme « Touarag Fever », « Rumba Gnawa » et bien sûr la pièce en plus, « Sahara », le nom même des titres est une identification de caractère et de provenance.

L’Andalousie est également à l’honneur, sur le magnifique « Andalucia », le jazz sur « Flow » et le funk sur « Aum U Wah ». On peut également ajouter des senteurs maliennes, ou reggae, ce qui importe dans ces variétés de couleurs ce sont toutes ces influences mélangées, qui apportent un extraordinaire parfum aux magnifiques compos.

Ici l’heure est au mouvement, à la danse, pour célébrer le corps. Les bases rythmiques sont essentielles, on en ressent la nécessaire élasticité grâce à cette basse sautillante, le duo McCraven/Fred Jackson est véritablement essentiel à cette pulsion rythmique continuelle qui assure une assise essentielle aux envolées de l’orgue ou de la guitare, du saxophone ou de la clarinette.

Cette musique est toute de joie et d’optimisme, de lumière et d’ondes positives, alors ne la négligeons pas et profitons sans prise de tête de cette facilité qu’elle nous offre, à bouger et sourire, ce qui déjà, n’est pas trop mal…

Aum U Wah


Andalucia


Touarag Fever


Song 4 da Universe
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Re: J A Z Z et musiques improvisées - C'est ici qu'on en parle

Message par Douglas » sam. 9 mars 2024 03:55

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Don Pullen – Kele Mou Bana – (1992)

Don Pullen est né le jour de Noël en quarante et un, et nous quitta en quatre-vingt-quinze, le laps de temps qui lui fut accordé lui permit de creuser un sillon profond dans lequel germa une musique vive et libre. Le free s’ouvrit à lui par l’intermédiaire de Guiseppi Logan avec lequel il enregistra deux albums sur ESP qui frappèrent les esprits en leur temps, soixante-quatre pour le premier et soixante-cinq pour le second…

Cette entrée en matière lui décerna une étiquette de joueur free qu’il a eu du mal à dépasser, on se souviendra également de son passage dans le groupe de Mingus où il laissa une trace profonde lors d’enregistrements en soixante-treize. Il fréquenta également « 360° music experience » et enregistra pas mal d’albums assez free ou d’avant-garde.

Mais, vers la fin de sa vie, en quatre-vingt-dix, il fondit l’« African Brazilian Connection » avec le saxophoniste alto Carlos Ward, le percussionniste sénégalais Mor Thiam au djembe, tabula et bâton de pluie, et deux musiciens brésiliens : le bassiste Nelson Matta et le percussionniste Guilherme Franco qui joue du timba, un tambour originaire d’Amérique du sud et du berimbau, un arc musical avec une corde frappée. Cet album est le premier enregistrement de cette conversion aux musiques de sensibilité ethnique, deux autres paraîtront un peu plus tard.

Ainsi son jazz se mélange aux rythmes latins ou africains, avec également un clin d’œil à la musique brésilienne. Cette formule lui assura un certain succès commercial et une notoriété plus importante, ainsi devint-il populaire, en Italie notamment. On peut imaginer qu’il aurait continué à parcourir cette route, si du temps lui avait été accordé.

Les compositions sont très partagées, ainsi Don Pullen n’en signe que deux, dont « Listen To The People » chanté par Keith et Tameka Pullen, l’autre pièce, chaloupée et parfois entêtée, « Doo-Wop Daze » est également une belle réussite avec un Carlos Ward excellent. Mor Thiam signe également deux pièces, dont le morceau titre. Guilherme Franco offre « Capoeira » qui fleure bien le Brésil et ouvre l’album, Nilson Natta et Yebga Likoba apportent également une création chacun.

Cette fusion est vraiment très réussie et la greffe ne demande qu’à prendre, ce qui sera fait lors de « Live… Again (at Montreux) » dont je vous parlerai bientôt.

Don Pullen - Capoeira


Listen To The People


Kele Mou Bana


Doo-Wop Daze
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Re: J A Z Z et musiques improvisées - C'est ici qu'on en parle

Message par Douglas » dim. 10 mars 2024 03:26

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Fred Van Hove – Flux (1998)

Fred Van Hove est un pianiste belge vraiment exceptionnel. Il est enregistré ici les quinze et seize janvier quatre-vingt-dix-huit, aux « Instants Chavirés », une sorte de festival itinérant, pour qui veut le suivre, dans un périmètre défini et différents lieux, où la musique la plus audacieuse et la moins conforme peut être écoutée. J’ai pu entendre pas mal de diffusions de ces manifestations toujours passionnantes, mais n’ai jamais pu en profiter en tant que membre du public.

Ce concert au piano solo, à Montreuil, est une représentation de ce qu’on peut y entendre, un gars seul pendant quatre-vingt-seize minutes qui joue des trucs si extraordinaires et prenants, qu’il est impossible de ne pas réagir ou d’être saisi par la puissance d’un tel flot qui se déverse sur vous, avec une force et une puissance incroyable.

Fred Van Hove nous a quitté en deux mille vingt-deux sans finalement faire trop de bruit, lui qui a souvent été accusé par les puristes d’aller trop loin. En l’année soixante-six ils sont quelques-uns à s’être trouvés pour mettre à bas l’ordre établi dans la musique, il a côtoyé Peter Brötzmann et Han Bennink, des cinglés. Ce trio a enregistré pas mal d’albums historiques du free jazz européens.

La formation simplement nommé « Brötzmann, Van Hove, Bennink » a enregistré sur le label « FMP » une bonne dizaine d’historiques, dont le premier se nomme « Balls » en soixante-dix. Son appartenance à de multiples projets a fait de Van Hove un incontournable du free, un petit coup d’œil sur sa discographie en dit énormément long.

Mais parlons un peu de son jeu, influencé par ce tourbillon de liberté qui souffla sur l’Europe, sous l’influence, pour le piano, de Cecil Taylor. Ce dernier a mis beaucoup de chose à plat et s’est montré à l’origine d’une énergie créatrice absolument féroce, qui infusa rapidement les conceptions des musiciens de free jazz qui se retrouvèrent dans cette liberté totale.

Van Hove, l’européen, était soumis à l’apprentissage de la musique classique, avec ses règles, ses ordonnancements, sa beauté et ses lignes. Tout ne s’oublie pas, mais se réinvente, et Van Hove devient vite un adepte de l’improvisation totale. Il dispose d’une technique phénoménale et est capable de jouer avec une rapidité hors norme, ses deux mains peuvent faire dialoguer le piano aussi aisément que deux pianistes différents, c’est tout bonnement extraordinaire.

Se plonger dans « Dérive », la première partie de « Flux », d’une durée de plus de cinquante-deux minutes, vous réduit à devenir l’objet d’un traitement particulièrement fantastique, sous les doigts de Van Hove des sentiments se créent, de tous ordres, une vague émotionnelle vous traverse, pour peu que vous l’autorisiez, vous devenez l’objet, parfois bousculé, de ce sorcier des sons et des énergies, qui bouscule et secoue, comme dans une transe…

La seconde pièce est également inhabituelle, une respiration de quarante - trois minutes, dense, percutante et percussive, puissante et intense, avec le poing ou l’avant-bras, Fred enfonce, défonce et perce l’espace sonore de ponctuations décisives, tandis qu’il plante un décor mouvant et insécure, avec des pièges et des chausse-trapes. Tout se déroule de façon simultanée, par bonheur il possède quatre mains bien utiles pour réaliser ces figures impossibles.

Bien qu’ayant parcouru son œuvre au travers de plusieurs albums, je m’aperçois, à l’écoute de celui-ci, de l’énorme importance de cet artiste, dont je n’avais jamais réalisé le réel impact sur le free jazz et le jazz européen en général. Mais il n’est jamais trop tard pour bien faire et réparer les oublis, tout en sachant qu’il est vain de vouloir tout embrasser ou tout connaître, il faut également être modeste dans ses objectifs, même au niveau d’un simple amateur de musique.

Pour moi un « choc » musical !

Fred Van Hove / Dérive (1998) - la première pièce de l'album...
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Re: J A Z Z et musiques improvisées - C'est ici qu'on en parle

Message par Douglas » lun. 11 mars 2024 03:59

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Anna Webber & Matt Mitchell – Capacious Aeration – (2023)

J’avais déjà évoqué Anna Webber sur ce fil avec le très bon double album « Idiom » paru en deux mille vingt et un. Le premier Cd était d’ailleurs consacré au « Simple Trio » qui était formé de nos duettistes auxquels se joignait le batteur John Hollenbeck. Il existe également un enregistrement de deux mille seize « Binary » qui les réunit. Celui-ci est paru sur Tzadik dans la Spectrum Series.

Ceci pour préciser qu’ils ne sont pas à leur première rencontre et qu’ils se connaissent très bien, s’apprécient, ayant déjà tissé des liens musicaux depuis pas mal d’années, ce qui explique la complicité évidente entre ces deux musiciens qui se devinent jusqu’au stade de l’anticipation, créant ainsi une conviviale collégialité.

Anna Webber joue du saxophone et de la flûte, elle excelle de façon virtuose sur les deux instruments. Matt Mitchell est un jeune pianiste dont le jeu, également brillant, s’harmonise parfaitement aux volutes de la flûte ou aux acrobaties du ténor. Ils avancent bien souvent de front, l’un accompagnant l’autre, le soulevant où lui donnant la réplique.

Le discours se place sur un plan qui peut sembler expérimental, car la combinaison des deux instruments est avant tout virtuose, dévoilant d’extraordinaires facultés techniques et l’expérience d’une pratique instrumentale très poussée. Briller sur Tzadik n’est pas accordé à tous, convenons-en.

Ainsi les pièces sont au nombre de cinq, la plus courte est celle qui ouvre l’album, de façon très vive, créant d’emblée une surprise, « Most Capacious » qui met direct les pendules à l’heure. La plus longue est la dernière, « Re-Aeration » de près de vingt-huit minutes, elle contient de merveilleuses impros qui sont le sel du jazz, Anna y joue de la flûte avec inspiration, l’imagination créative est ici à son sommet.

Sur le petit « obi » accompagnant on peut lire l’expression « un programme éblouissant et réfléchi de compositions et d’improvisations radicales », pour autant cette musique est charnue, vive et accessible, pas de trace d’élitisme forcené, bien qu’elle se tienne bien droite, sans faire appel aux racines du jazz, se cantonnant chaudement dans un registre de musique plutôt européenne évoquant parfois la musique de Steve Lacy.

Most Capacious


Glarbs 2.0


re-aeration


Zooquaria
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