J A Z Z et musiques improvisées - C'est ici qu'on en parle

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Re: J A Z Z et musiques improvisées - C'est ici qu'on en parle

Message par Douglas » ven. 29 mars 2024 03:53

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Rodrigo Amado The Bridge - Beyond The Margins – (2023)

Sur la couverture on peut lire en évidence le nom de Rodrigo Amado en tant que leader ou puissance invitante, dira-t-on. « The Bridge » est le nom du groupe qui inclut également le saxophoniste portugais Rodrigo Amado, et « Beyond The Margins » est le nom de l’album, je précise car ce n’est pas très clair à la seule vue de la pochette.

Les autres musiciens sont l’allemand Alexander von Schlippenbach au piano, l’étatsunien Gerry Hemingway à la batterie qui est installé en suisse, et le norvégien Ingebrigt Håker Flaten à la contrebasse. Ils sont enregistrés à « at Pardon To Tu », à Varsovie le trois octobre deux mille vingt-deux. Ils jouent deux pièces improvisées ainsi que des variations autour du « Ghosts » d’Albert Ayler.

Le premier titre est donc le massif « Beyond The Margins » de plus de quarante minutes. Cette pièce est celle de la rencontre car ce quartet ne comporte que peu de familiers, mais peut-être se sont-ils rencontrés ou ont-ils établis des conventions, c’est probable mais rien n’est dit. La seule concession se situe entre Amado et Alexander von Schlippenbach, qui avaient jouté ensemble une première fois, ce qui est certainement à l’origine de ce projet, plus aventureux, à quatre.

Au titre de l’anecdote on remarque que le label qui produit l’album est « Trost », l’autrichien, celui-là même qui publia l’extraordinaire « Akira Sakata & Entasis – Live in Europe 2022 » dont il a été parlé un peu au-dessus.

Comme souvent avec ces musiques free très improvisées, il faut patienter un peu avant que tout ne se mette en place pour que l’explosion ou le miracle se produise, ici c’est vers la vingt-huitième minute que tout se cristallise et devient incroyable, bien sûr les préludes sont également intéressants et possèdent un charme inoubliable, et même indispensable, nécessaire à l’apothéose…

Ainsi la musique est très contrastée, parfois badine ou mutine, elle semble se promener dans les paysages en dessinant des arabesques, à d’autres moments elle explose, semblant obéir à la loi incontournable de la création et de la dissémination. A ce stade on remarquera que le jeu de Rodrigo Amado ne recourt pas aux effets qui firent les belles heures du free d’autrefois, pas de cri, de couinement ou autres décorations sonores intempestives, le son du sax reste « propre » tout du long, volubile quand c’est nécessaire, et virtuose souvent, mais sans scories ni divagations.

La seconde pièce « Personal Mountains » voit Schlippenbach continuer son approche artistique, comme en parallèle avec celle du saxophoniste, mais avec toute la longévité musicale dont il a été acteur, lui, l’historique artisan du free, qui joua avec les plus grands et connaît son bréviaire du bout du doigt. L’ultime pièce, « (Visiting) Ghosts » nous renvoie aux grandes heures de cette musique et nous en propose une photographie et une lecture passionnante. Après un départ tourbillonnant et virevoltant qui s’achève petit à petit en murmures et balbutiements, jusqu’au silence…

Un très bel album !

Beyond the Margins (Live)


Personal Mountains (Live)


[Vísiting] Ghosts [Live]
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Re: J A Z Z et musiques improvisées - C'est ici qu'on en parle

Message par Douglas » sam. 30 mars 2024 02:35

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Charlie Parker, Dizzy Gillespie, Bud Powell, Charles Mingus, Max Roach – Hot House (The Complete Jazz At Massey Hall Recordings) – (2023) – RE

Voici une réédition du classique des classiques du jazz, un album tellement fondamental et pour tout dire énorme et incontournable, qu’il existe plus de cent vingt rééditions différentes, sous de multiples labels et dans un grand nombre de pays. Le premier que j’ai eu c’est celui sur « America records » avec le n° 30 AM 6053.

Ce qu’il y a de si extraordinaire ici c’est déjà çà : Charlie Parker, Dizzy Gillespie, Bud Powell, Charles Mingus et Max Roach, c’est-à-dire la réunion de ce qui se fait de mieux en matière de be-bop, ce nouveau jazz en train de naître, qui bouscule toutes les règles, au « Massey Hall » de Toronto au Canada, le quinze mai mille neuf cent cinquante-trois. Il n’existe aucun équivalent d’un tel album, l’enregistrement est donc unique, éblouissant, il revêt le statut d’un document historique, d’une valeur exceptionnelle.

D’ailleurs le premier miracle c’est que ces bandes aient pu être sauvées. Il existe pas mal d’anecdotes autour de cet album, la plus importante et aussi la plus extraordinaire est celle de la prise de son. Il y avait comme un léger problème sur la version originale : la basse de Mingus est presque inaudible, on sait que ce dernier est colérique, dès qu’il prend conscience du problème en écoutant les bandes dans les studios de la radio CKFH, il repartit avec les bandes à New York, se ré-enregistra, et publia une nouvelle version. Il existe donc deux versions différentes du concert.

La salle n’était pas pleine, bien que l’événement fût ensuite reconnu universellement comme l’un des plus importants du jazz, il faut dire qu’au même moment se tenait un match de boxe revanche entre Jersey Joe Walcott et Rocky Marciano, on raconte que le trompettiste Dizzy Gillespie essayait de se tenir au courant de son évolution alors qu’il était sur scène…

Le pianiste Bud Powell venait par chance de quitter l’hôpital psychiatrique « Bellevue » de New York. Il était alors considéré comme le pianiste be-bop par excellence, l’étrangeté du jeu de Monk n’avait pas encore fait son chemin et il n’est que d’écouter ses parties de piano pour être subjugué par sa vélocité et la magnificence de son jeu.

Passé les six premiers titres de l’album en quintet, qui constituaient à l’origine l’intégralité de l’album, nous pouvons entendre Bud Powell en trio, avec Charles Mingus à la basse et Max Roach à la batterie. Ce dernier est une légende de l’instrument, alors à la pointe de la modernité, le temps passant il restera à l’aise dans tous les « univers-jazz » qui lui seront proposés, aussi bien aux côtés d’Anthony Braxton que d’Archie Shepp. Son solo ici sur « « Drum Conversation » est absolument fantastique !

Et Charlie Parker, me direz-vous ? Lui l’étoile filante du bebop qui incarna ce genre plus que quiconque, il nous quittera en mars cinquante-cinq, une des raisons pour lesquelles une telle réunion est unique. Pour des causes liées au droit il masque sa présence sous un pseudo, « Charlie Chan » qui ne trompe personne, il joue avec un saxophone alto en plastique de la marque « Grafton », car son Selmer était au « clou ».

Alors pourquoi écouter encore cet enregistrement d’un autre âge, sans doute suranné, vieilli, dépassé ? Alors c’est que… non, il arrive que le temps n’arrive pas à ses fins, plus de soixante-dix ans après la musique tient bon encore, et elle n’a pas fini de chanter ! Tout brille encore, épate et surprend, la vélocité des musiciens, l’incroyable technicité de ces solistes hors normes, le répertoire éblouissant dont chaque titre témoigne. Dizzy Gillespie est tout simplement stellaire, ils sont peu à atteindre un tel niveau…

Le second Cd de cette réédition propose la version de Mingus avec l’ajout de la contrebasse, alors, bien que je possède une version vinyle ancienne, je n’ai pas pu résister longtemps à cette réédition tout à fait satisfaisante au niveau du son, au regard des versions antérieures. Il y a eu des problèmes de diffusions retardant de plusieurs mois la sortie des éditions Cds, mais les très onéreux vinyles étaient, quant à eux, dispos.

L'Histoire en marche!

A Night In Tunisia (Without Overdub / Live At Massey Hall / 1953)


Hot House


All The Things You Are / 52nd Street Theme (Without Overdub / Live At Massey Hall / 1953)


Lullaby Of Birdland (Live At Massey Hall / 1953)


Drum Conversation (Live At Massey Hall / 1953)
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Re: J A Z Z et musiques improvisées - C'est ici qu'on en parle

Message par Douglas » sam. 30 mars 2024 10:51

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Charlie Parker (1920-1955), souvent appelé "bird", est généralement considéré comme le roi du be-bop. Sa vie ne sera pas facile, car c'est également un fameux toxico, souvent en recherche de sa dose...

Musicien des musiciens, il fait l'admiration de tous, ce "bird" est un oiseau rare qui va, presque à lui seul, inventer le be-bop, enfin c'est ce qu'on raconte encore aujourd'hui, tout en sachant que, s'il tire la charrette, ils sont quelques-uns à grimper dedans, dont certains noms figurent un peu au-dessus, à la "Hot House".

Ça s'est passé en mille neuf cent quarante-cinq, alors qu'il désirait interpréter "Cherokee", de Ray Noble, dont voici la version de mille neuf cent trente-huit:



Charlie Parker, emporté par ses démons, son incroyable vélocité et sa vision quasi effrayante, en joue une version complètement hallucinée, qui contient toutes les innovations qui feront le be-bop, le monde du jazz bascule et se scinde en deux blocs, les "anciens" contre les "modernes", une bataille déjà entamée qui s'enflamme à nouveau, une méchante querelle qui n'a pas fini de s'éteindre, quand le free poindra...

Les historiens du jazz vont mettre des années à définir qui sont les musiciens qui accompagnent Bird, on prétendait que Miles Davis jouait la trompette et Dizzy Gillespie du piano. Voici ce que déclara Miles Davis sur le tard:

"Je me souviens que Bird voulait que je joue "Ko-Ko", un morceau basé sur les modifications de "Cherokee". Maintenant, Bird savait que j'avais du mal à jouer "Cherokee" à l'époque. Alors, quand il a dit que c'était le morceau qu'il voulait que je joue, j'ai juste dit non, je n'allais pas le faire. C'est pourquoi Dizzy joue de la trompette sur " Ko-Ko ", " Warmin' up a Riff " et " Meandering " sur Reboppers de Charlie Parker, parce que Je n'allais pas sortir et m'embarrasser. Je ne pensais pas vraiment que j'étais prêt à jouer des morceaux au tempo de "Cherokee" et je ne m'en suis pas caché."

Voilà vous savez tout, dites-vous bien qu'à cette époque la révolution musicale était là, tout avait basculé, les harmonies, la mélodie, on ne passe pas loin de l'atonalité et il faut un Max roach surpuissant pour emballer tout ça ! Voici "ko-ko" ou "koko".



L'année suivante, en quarante-six, il va interpréter un autre chef d’œuvre, "Lover man", qu'il va ensuite renier, je me demande encore pourquoi, tellement c'est déchirant :

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Message par Douglas » dim. 31 mars 2024 04:32

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John Zorn – Nothing Is As Real As Nothing – (2023)

Paru en décembre dernier, ce Cd est assez curieux, entre bizarre et seul de sa catégorie chez Tzadik, bien qu’appartenant à la célèbre « Archival Series ». C’est, pour tout dire, ce manque de pochette. Elle a été oubliée, snobée, remplacée par un étui de plastique, le label est pourtant réputé pour la qualité de ses pochettes, jusque dans les détails, souvent inattendus. Il y a pourtant l’immanquable obi, avec sa petite présentation et quelques renseignements, le minimum : le nom des musiciens et des titres.

Par contraste, côté musique ça régale, comme s’il y avait eu urgence à le faire paraître, alors que, dans le même laps de temps, au moins quatre autres albums sortent ! Est-ce un manque de moyens financiers* ? Ou bien une impossibilité logistique pour tenir ce calendrier ? L’album paraît un peu « cheap » sans ses atours, mais « qu’importe le vin pourvu qu’on ait l’ivresse ! »

Déjà côté musicos c’est plutôt la « Grosse Bertha » qui est en place, si je puis me permettre cette comparaison guerrière, parce que, forcément ici, on se bat plutôt à fleurets mouchetés. Regardez plutôt : Bill Frisell, Julian Lage et Gyan Ryley aux guitares, de quoi converser galamment en chemise à dentelle.

C’est un énième rendez-vous après les lumineux « Teresa d’Avila », « Nove Cantici per Francesco d’Assisi », « Virtue », « Parables » et « A Garden of Forking Paths », voici le sixième de la série, construit autour de la personnalité de Samuel Beckett, qualifié, sur le petit obi accompagnant, comme étant un des plus grands écrivains-visionnaires du vingtième siècle.

Chacun des albums précédents est une petite perle, alors, je vous rassure, celui-ci ne se démarque pas, ou alors pour le meilleur. On retrouve l’exquise délicatesse de ce trilogue ou chacun écoute l’autre avec la déférence nécessaire, tous conscients de la nécessaire humilité qu’exige cet exercice, « Rien n’est aussi réel que rien » annonce le titre, mais ce « rien » est ici est tout de grâce et de beauté, de mutuelle considération…

Pour ceux qui apprécient la musique calme ou folk, instrumentale et, bien évidemment, les guitares. Toutes les pièces sont belles et méritent l’attention, « Stirrings, Still » qui ouvre l’album avec une grande respiration, « Eleuthéria » la mystérieuse, toute en fragilité, ou « The Dream Paradox » dissonante et méditative ou bien encore « The Unameable » comme une douce ballade innocente et curieuse, qui batifole et se promène, et « Endgame » qui signe la sortie, d’abord calme et sereine avant de s’échapper vers le point de fuite…

(*A l'heure de mettre sous presse on nous informe que les dernières nouvelles du front font pencher la balance côté problèmes financiers. Le label Tzadik, ayant été mis à mal par la faillite d'un de ses distributeurs US.)

Stirrings, Still


The Unnamable


Eleuthéria


The Calmative
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Re: J A Z Z et musiques improvisées - C'est ici qu'on en parle

Message par Douglas » lun. 1 avr. 2024 01:11

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Jaimie Branch, Isaiah Collier, Gilles Coronado, Tim Daisy – Stembells – (2023)

Elle nous a quitté, Jaimie Branch, et voici déjà paraitre son premier album posthume. Je l’ai déjà écouté plusieurs fois et il me plaît vraiment cet album un peu étrange, pas free et pas ressemblant avec ce qu’elle faisait avec « Fly Or Die », une œuvre à part, et ça me va.

C’est un partage avec Isaiah Collier qui joue des saxs ténor et soprano, ainsi que des percussions, il y a peu, je vous avais parlé de son album « Parallel Universe » paru lui aussi en deux mille vingt-trois. Il y a également le magnifique guitariste Gilles Coronado qui joue de la gratte électrique et Tim Daisy qui tient la batterie.

Jaimie, elle, joue de la trompette, bien sûr, mais également des synthés et de l’électro, ce qui peut paraître plus surprenant. Son importance est grande à ce jeu, car elle occupe l’espace, tissant des textures vraiment remarquables qui donnent une grande densité à cet album. Tout ça a été enregistré à l’Experimental Sound Studio de Chicago, le vingt avril deux mille vingt-deux.

Cette opération s’est déroulée pendant la deuxième quinzaine d’avril, lors d’une tournée entre Chicago et le Midwest via « The Bridge », un réseau transatlantique entre Paris et Chicago. C’est le dix-septième volume de « Bridge Session ». L’album présenté ne contient qu’une pièce, le bien nommé « Hmmmm » de trente-sept minutes.

Quelques mots de Jaimie figurent à l’intérieur de la pochette, en gros ça dit : « Toute la musique qui a existé et qui existera toujours est ici, maintenant. Elle existe dans un nuage juste au-dessus de nos têtes et lorsque nous jouons, nous l'extrayons de l'éther pendant un petit moment avant de la renvoyer. » Voilà, c’est dit !

Vous l’avez deviné nous sommes loin des cadres établis et ce qui se joue ici ne s’adapte à aucune case, un mélange ethno-jazz-électro indéfinissable, qui serpente et nous enchante à chaque minute. C’est plein de moments surprenants et charmants, et, si ça s’énerve un chouïa, ce n’est que pour la bonne cause, cet album m’émerveille tout simplement.

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Re: J A Z Z et musiques improvisées - C'est ici qu'on en parle

Message par Douglas » mar. 2 avr. 2024 02:12

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Arooj Aftab, Vijay Iyer, Shahzad Ismaily – Love In Exile – (2023)

Arooj Aftab est une chanteuse d’origine pakistanaise qui vit désormais à Brooklyn. Shahzad Ismaily est lui aussi d’origine pakistanaise, il vit également à New York, mais ce sont ses parents qui ont émigré vers le sol américain où il est né. Vijay Iyer, aka Vijay Srinivas Raghunathan, est lui d’origine indienne, bien qu’il soit également né aux States, à Rochester, peu après l’arrivée de ses parents, c’est un musicien remarquable et d’une grande envergure.

Vijay Iyer joue du piano, du Fender Rhodes et de l’électro, Shahzad Ismaily du moog synth, et de la basse, une Fender Precision 1964, précise-t-on sur la pochette du double vinyle. Bien que ces deux musiciens soient le plus souvent attachés à l’idiome « jazz », ici c’est différent. Les savants mélanges de musique d’inspiration ethniques dont joue souvent Vijay disparaissent au profit d’une musique atmosphérique, méditative oubliant parfois les attaches rythmiques.

Le morceau « Shadow Forces » qui ouvre la seconde face a été nominé aux Grammy Awards, Vijay Iyer y dessine une trace assez répétitive au piano tandis que la voix d’Arooj Aftab psalmodie lentement, puis le pianiste s’exprime sur un magnifique solo, bien soutenu par le lointain Shahzad qui s’infiltre avec beaucoup de subtilité.

L’album est vraiment très lent et ne plaira peut-être pas à tous sur la longueur, toutes les pièces n’ont pas la saveur de « Shadow Forces » et parfois une trop grande uniformité se dégage. La voix d’Arooj se promène souvent à la façon d’une litanie, sans rechercher une grande expressivité me semble-t-il, certes elle peut envoûter, car son chant est lancinant et il est des moments que l’on traverse où cela convient parfaitement.

Il y a également comme une économie de moyens, un désir d’infinité océanique qui se dévoile sans hâte, laissant le temps au temps. On voit que le jazz n’est plus là, évaporé dans l’éther, comme disparu dans les nuages, navire divagant que soutient souvent le seul Vijay, juste assez pour que rien ne coule, surnage et se maintienne…

Il semble que cet album porte un projet d’ «ambient » et propose une sorte d’équilibre entre la musique vocale, électronique et instrumentale. Elle prend délibérément le parti-pris de la lenteur et vous impose d’entrer en mode relaxation, yoga, zen, de quoi vous déstresser une bonne fois, en outre peut-être serez-vous sensibles aux paysages sonores, souvent éclatants… A noter la prise direct du son lors de l’enregistrement studio.

Arooj Aftab, Vijay Iyer, Shahzad Ismaily - Shadow Forces


Sajni


Haseen Thi


To Remain/To Return
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Re: J A Z Z et musiques improvisées - C'est ici qu'on en parle

Message par ornen » mar. 2 avr. 2024 13:17

Merci Douglas ! Je trouve cette musique superbe, même si j'ai du mal à la classer, entre Ambient et musique orientale.

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Re: J A Z Z et musiques improvisées - C'est ici qu'on en parle

Message par Douglas » mer. 3 avr. 2024 01:16

ornen a écrit :
mar. 2 avr. 2024 13:17
Merci Douglas ! Je trouve cette musique superbe, même si j'ai du mal à la classer, entre Ambient et musique orientale.
Plaisir que ça t'ai plu, tu résumes bien...
il y a une actualité concernant Vijay Iyer qui vient de sortir "Compassion" sur ECM, je vous en parlerai bientôt...
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Re: J A Z Z et musiques improvisées - C'est ici qu'on en parle

Message par Douglas » mer. 3 avr. 2024 01:28

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Pepper Adams Quartet – Live In Europe – (1977)

Pepper Adams joue du saxophone baryton et c’est un des meilleurs spécialistes de l’instrument. Il est surnommé « The Knife » car il joue de son instrument de façon rude et tranchante, un peu rauque et guttural. Né en mille neuf cent trente, il appartient à la génération des années cinquante, celle du be-bop qui révolutionna alors le jazz.

Cet enregistrement est assez populaire, notamment en France où l’album s’est alors bien vendu, je me souviens de son apparition dans les vitrines. Il est accompagné par le Georges Arvanitas Trio, Georges est l’excellent accompagnateur au piano, souvent élu pour accompagner les pointures américaines de passage.

Il y a également Jacky Samson à la basse et Charles Saudrais à la batterie, ce trio était très performant pour soutenir n’importe quel souffleur bop sans faillir. L’enregistrement s’est déroulé en public à l’Alhambra de Bordeaux, le quatre novembre soixante-dix-sept. Le son est tout à fait excellent et l’album régale encore…

Quatre compos sont jouées, deux par face, deux sont signées Pepper Adams et la troisième, début face B, est de George Arvanitas, « Min and Maj Blues », quant à la dernière c’est le célèbre « Body and Soul » de Johnny Green que Coleman Hawkins a élevé au rang de classique ultime.

Bien entendu tout le charme tient dans la couleur et le son du baryton qui résonne. A cette époque il y avait pas mal de saxophonistes baryton plus ou moins célèbres, parmi lesquels Serge Chaloff, Cecil Payne et Gerry Mulligan, ce dernier étant sans doute le plus renommé, mais dans cette liste Pepper Adams n’était pas le moins connu et beaucoup le préféraient, même à Gerry Mulligan, mais accordons que les deux soient également fantastiques !

Sur cet album, excellemment soutenu par le trio Arvanitas il régale vraiment, les titres se succèdent avec un égal bonheur, « Bossa Nouveau » et « Ephemera » sur la face une se tiennent sur plus de vingt-cinq minutes d’enregistrement. Et les deux titres suivants sont également satisfaisants.

L’album est paru sur Impro, chez « Sun Records » et se trouve souvent, même en très bon état, à prix modique, pour ceux qui aiment le jazz et particulièrement le post-bop, joué de façon impeccable par un saxophoniste au son puissant et original, de quoi passer de bons moments !

Bossa Nouveau (Live)


Ephemera (Live)


Min. and Maj. Blues (Live)


Body and Soul (Live)
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Re: J A Z Z et musiques improvisées - C'est ici qu'on en parle

Message par Douglas » jeu. 4 avr. 2024 02:42

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Andre 3000 - New Blue Sun – (2024)

Le millésime au-dessus correspond à la sortie physique, pour ce qui me concerne, c’est le double Cd, je l’attends depuis presque trois mois, quand commande fut faite, il est arrivé aujourd’hui, enfin réceptionné… L’histoire est connue, le gars c’est la moitié d’Outcast, André Lauren Benjamin, ce qui donna à cet album un genre de notoriété qu’il n’aurait sans doute pas connu si le nom avait été différent.

Adieu Hip Hop, veau, vaches, cochons, couvées… Reste l’ambient, essentiellement, André a sauté du plongeoir Hip Hop, a effectué un salto avant et se retrouve immergé dans la veine électro-ambient en compagnie de quelques sommités des lieux avec lesquelles il s’est acoquiné, lui et ses flûtes, pendant presque quatre-vingts minutes.

Mon approche de l’ambient est assez parcellaire et je n’aime pas forcément tout, sur cet album c’est un peu ça, il y a parfois un peu d’ennui, mais pas tant que ça, et jamais de déplaisir. Le second Cd particulièrement est essentiellement passionnant, les amateurs de Carlos Niño, dont je fais partie, ne seront de toute façon pas déçus.

Carlos, multi-instrumentiste, multi-couleurs qui joue des cloches, cymbales, tambours, gongs, percussions, carillons et des plantes aussi, si, si… Nate Mercereau joue des guitares, certaines bricolés aux synthés et des samples également. Il y a aussi Surya Botofasina aux claviers et aux synthés ces trois-là sont les permanents avec Andre 3000 qui joue des instruments à vents digitaux, comprendre des flûtes de diverses sortes, y compris les synthétiques…

Sur le second CD Diego Gaeta remplace Surya aux claviers, Matthewdavid s’ajoute à l’électro et Shabaka intervient sur la pièce « Minety Three ‘Til Infinity And Beyoncé » et joue de la flûte shakuhachi, une flûte japonaise à cinq trous, la pièce est bien chouette. « Ghandi, Dalai Lama, Your Lord & Savior J.C. / Bundy, Jeffrey Dahmer, And John Wayne Gacy » qui suit avec bonheur qui fait bien plaisir également.

Toutes les compos appartiennent à l’univers des improvisations plus ou moins préparées, on laisse tourner les bandes et on voit… Une façon de faire qui a ses avantages et ses adeptes, pour ma part j’apprécie généralement les résultats de cette liberté commune qui a l’avantage de permettre d’écarter la part la moins inspirée, et de conserver la fleur de sel…

« Ants To You, Gods To Who ? » qui suit est flottant, élastique, un peu chamallow avec ses synthés en avant qui se superposent, et ces ajouts qui pointent, venus de tous côtés pour ajouter de la variété, puis repartir, s’éteindre et laisser la place…

La dernière pièce « Dreams Once Buried Beneath The Dungeon Floor Slowly Sprout Into Undying Gardens » dépasse les dix-sept minutes, c’est une pièce très aérienne et vaporeuse qui obéit à la loi des gaz et des vents, sans racine elle obéit aux lois des vibrations et se frotte avec une grande quiétude aux sons qui s’ajoutent et repartent, dans la tranquillité et la douce insouciance… Le final est assez grandiose, ample et serein, avec force et majesté.

André 3000 - BuyPoloDisorder's Daughter Wears A 3000® Shirt Embroidered


André 3000 - Ninety Three 'Til Infinity And Beyoncé


André 3000 - Ghandi, Dalai Lama, Your Lord & Savior J.C. / Bundy, Jeffrey Dahmer, And...


Dreams Once Buried Beneath The Dungeon Floor Slowly Sprout Into Undying Gardens
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Re: J A Z Z et musiques improvisées - C'est ici qu'on en parle

Message par Douglas » ven. 5 avr. 2024 04:09

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John Zorn – Homenaje A Remedios Varo – (2023)

Le quartet « Incerto » est une véritable machine à jouer du Zorn, on ne cesse d’être éblouis par ces musiciens qui gravitent autour du démiurge et qui ne cessent d’exécuter les prouesses les plus folles, sous la houlette d’un Zorn toujours exigeant. Voici l’éblouissant « Homenaje A Remedios Varo » un hommage à la peintre espagnole surréaliste, Remedios Varo.

Le fabuleux Julian Lage est le guitariste de la formation, il joue en compagnie d’un trio New Yorkais formé de Brian Marsella au piano, Jorge Roeder à la basse et Ches Smith à la batterie. L’album a été enregistré en avril vingt-trois et publié en octobre, il ne possède pas de livret, un simple obi fait la médiation.

A chaque album de Zorn l’éblouissement est grand, à chaque fois on se dit que ça va, on a compris, cette virtuosité continuelle est un peu lassante, à force d’y être confronté, et pourtant, on se laisse prendre à tous les coups, les compos malines ou exquises, les surprises continuelles, les climats différents dans lesquels baignent les compos, rien ne lasse et tout émerveille, comme l’éblouissant « Remedios (A Wilderness Of Mirrors) » par exemple.

Zorn est-il le roi du jazz de chambre ? Tout le laisse à croire, qui peut faire mieux ou même aussi bien, certes la multiplicité des albums, des formations, toutes au service des compos zorniennes pourraient aboutir à un nécessaire essoufflement, un genre de suffocation, comme une aspiration par le vide au minimum, un juste retour des choses, pour qu’il y ait, enfin, une sorte d’équilibre…

Force est de reconnaître qu’il n’en est rien, rien ne fléchit, rien ne tombe, mollasse, au fond d’un trou, comme aspiré par le néant, ou le vide sidéral, ou encore la redite, le cycle de l’ennui, du déjà entendu, créant l’envie de zapper, de dire « pause, on arrête » et d’aller voir ailleurs…

C’est qu’ici tout est merveilleux, pile poil ajusté, une sorte de perfection, il y a même comme une fascination à observer cette maestria musicale, sans doute le plaisir du « beau », de l’émotion contenue, ou bien cachée, car cette perfection affichée cache probablement une faille, une blessure ou même une souffrance quelque part, il faut dire que l’homme est fascinant et que la musique est pour lui un horizon indépassable et une raison de vivre.

Alors celui-ci est le quatrième de la formation après l’éponyme « Incerto », puis « Multiplicities II », « Full Fathom Five » dont il faudrait que je vous parle, et celui-ci qui tient hautement son rang…

The Week with Nine Mondays


Blue Equinox


Somnambula


A Wilderness of Mirrors
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Re: J A Z Z et musiques improvisées - C'est ici qu'on en parle

Message par Douglas » sam. 6 avr. 2024 04:15

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Bright Moments – Return Of The Lost Tribe – (1998)

Cet album ressemble à un essaim de musiciens issus de l’AACM de Chicago. C’est en effet Kahil El’Zabar (assis à l’avant sur la pochette) qui a réuni ces historiques pour la formation de ce « All Stars » absolument remarquable. A gauche on reconnait Maurice McIntyre, puis Steve Colson, Malachi Favors et le plus à droite, Joseph Jarman.

Joseph Jarman, que l’on entend canal droit, joue du sax alto et de la flûte, il est également récitant sur « Kudus » dont il est l’auteur ainsi que de « Song of Joy For the Predestined ». Kalaparusha Maurice McIntyre joue du sax ténor, sur le canal gauche, il a composé la dernière pièce, « Dream Of ». Adegoke Steve Colson joue du piano et compose la cinquième pièce, « Fragmentation- Prayer at Twilight ». Malachi Favors est le bassiste et Kahil El’Zabar le batteur-percussionniste, on l’entend sur la pièce « Kudus » en tant que récitant. Il a également composé trois pièces, la première, « Return Of The Lost Tribe », la quatrième, « Dance’M » et la sixième, « Ornette ».

Cet album est l’unique de cette formation, mais il est fameux, par les personnalités qu’il contient, mais également pour la musique jouée, presque pas free en fait, très écoutable pour tous, et surtout très belle et admirablement interprétée, car chacun ajoute ce qu’il a de meilleur en lui, l’album file sans faiblesse de la première à la dernière note.

A l’avant Jarman et McIntyre assurent un front et une cohésion imparable, ils sont extraordinaires et se complètent avec malice, nous offrant une parade joyeuse pleine de cohésion. Le rare Colson au piano est très vivace, il est assez rarement enregistré mais bénéficie d’une « aura » dans ce milieu que forme l’AACM, rien que pour ça l’enregistrement est assez précieux, ce musicien mérite une attention particulière lors de l’écoute.

Malachi Favors et Kahil El’Zabar forment une paire rythmique de rêve, ils portent à eux deux cette coolitude que l’on entend ici, et on se dit qu’un tel album n’a pas de prix, tant il respire la bonne musique, ce bon jazz que l’on aime, increvable et hors du temps et des contingences, il est là tout simplement, à portée, prêt à être saisi…

Chaque pièce est une joie, un ilot à découvrir, à explorer, avec sa particularité et sa personnalité. Juste en faire le tour sans parvenir à détacher un titre ou tout simplement comparer, car il serait sot d’introduire de la « note » ou de la « mesure » à ce que l’on entend, non, juste écouter et ouvrir les chakras.

Return of the Lost Tribe


Kudus


Ornette


Song of Joy for the Predestined
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Message par Douglas » dim. 7 avr. 2024 02:14

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Hans Reichel – Bonobo Beach: Some More Guitar Solos – (1981)

Une réédition Cd de ce magnifique album de Hans Reichel est parue en deux mille vingt-deux, réalisée par le label « Corbett vs. Dempsey », limitée à cinq cents exemplaires. On connaît le respect de ce label pour les œuvres et les artistes, le Cd contient de petites attentions très utiles, comme cette sous-pochette protectrice ou cette photo de l’artiste avec au verso des dessins montrant la lutherie du guitariste et son évolution.

Je vous ai déjà présenté deux albums signés par Hans Reichel, « Bonobo » de soixante-seize et « Stop Complaining / Sundown » des duos avec Fred Frith ou Kazuhisa Uchihashi, ces deux belles réussites se voient complétées par ce très bel album, peut-être le plus réussi. Il faut dire que je l’ai pas mal écouté et qu’il revient facilement sur la platine CD.

C’est lié à cette ambiance très tranquille, assez unique, un mélange de virtuosité, de sons diaboliques et surprenants, quelque chose qui tient de l’étrange et de l’envoutant, du genre qui vous scotche lentement… Ces sonorités sont inédites et viennent de nulle part, Hans trafique ses guitares et en sort de sons, des accords, des lignes absolument uniques, indéfinissables et inimitables.

Il bidouille les frettes, les chevalets et d’autres parties qu’il modifie, réarrange, ou supprime. Ce travail sur le son est un préalable à la création, ou sa première étape. Son ambition est de créer l’outil qui lui permettra de jouer la musique qui trotte dans sa tête ou dans son cœur. Il se trouve que cet album est réputé pour être à la fois accessible et populaire.

C’est également un maître guitariste, parfois on a l’impression qu’il joue du « koto » japonais, c’est vraiment inouï. La première édition de l’album est parue sur le label free FMP, ce qui est tout de même logique, car il compose beaucoup, mais improvise également, parfois on le compare même à Derek Bailey.

Pourtant ses thèmes, ses airs qu’il compose, et les évolutions des pièces restent constamment dans ce que j’appelle parfois la coolitude, c’est-à-dire un sentiment confortable ou l’appétit de musique est facilement rassasié, un sentiment de plénitude et de joie un peu ébahie. Ce qui ne veut pas dire que cette musique est facile ou qu’elle cherche à se vendre, c’est au contraire une musique avant tout sincère, même si, peut-être, plaît-elle aux enfants !

Hans Reichel - Bonobo Beach - (dommage que l'album craquouille...)
Southern Monologue - 00:00
Bonobo Beach II - 04:45
Could Be Nice - 09:38
Two Small Pieces Announced by Cigar Box - 18:48
Bonobo Beach I - 25:44
Could Be Nice Too - 33:36



Le même, mais les pièces de cet album, couplé à un autre, sont situées entre 8 et 14 !

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Re: J A Z Z et musiques improvisées - C'est ici qu'on en parle

Message par Douglas » lun. 8 avr. 2024 04:00

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Myra Melford's Fire And Water Quintet – Hear The Light Singing – (2023)

Myra Melford est une pianiste assez incroyable, elle respire le free car elle est tombée dedans quand elle était petite, en écoutant Cecil Taylor et Ornette Coleman. Elle a été l’élève de Gary Peacock, a rencontré Ran Blake, puis Leroy Jenkins, et encore Jaki Byard et Don Pullen, elle a enregistré depuis les années quatre-vingt-dix et possède une discographie déjà fournie.

A côtoyer de si illustres musiciens elle s’est imprégnée de tout ce talent comme une éponge, car elle est travailleuse et douée, même très. Elle a formé ce quintet en deux mille vingt et un avec d’autres femmes musiciennes de premier ordre, Mary Halvorson à la guitare, Ingrid Laubock aux saxs ténor et soprano, Tomeka Reid au violoncelle et Lesley Mok à la batterie, de gauche à droite sur la photo, Myra Melford est la plus à gauche.

Cet album est la suite de « For The Love Of Fire And Water » paru en vingt-deux, avec les mêmes, mise à part Susie Ibarra, remplacée par Lesley Mok. C’est une suite, mais pas vraiment en fait, car les titres ici commencent tous par « Insertion » suivi d’un numéro, ce qui indique que ces pièces s’insèrent dans la première suite mais ne la continue pas, comme un commentaire ou un ajout. Je ne possède pas encore le premier volume et ne l’ai pas écouté, je ne suis donc pas le mieux placé pour faire un commentaire sur ce procédé.

Tout ce que je puis dire c’est que j’ai déjà écouté plusieurs fois cet album, et qu’il me procure à chaque nouvelle écoute des sensations renouvelées, c’est même un accroissement dans l’intérêt qu’il me procure. La musique est entièrement composée par Myra Melford et les compos sont vraiment formidables, souvent complexes et envoûtantes.

J’ai même du mal à délimiter la ligne entre partie écrite et solo, tant tout cela semble toujours tomber avec une incroyable justesse, un peu à la façon d’un Zorn qui contrôle tout, même si ici ce n’est évidemment pas le cas. L’album passe à grande vitesse et les cinquante-deux minutes semblent ne durer qu’un quart d’heure, tellement l’emprise est forte, distillée par cet ensemble incroyable.

Il est impossible de sélectionner une pièce plus qu’une autre, ou de mettre une musicienne en avant, tellement l’ensemble est formidable. Certes on sera sensible aux extrapolations géniales de Mary Halvorson, mais vraiment toutes sont extraordinaires. Encore un album à ne pas rater, qui donne l’envie d’écouter le précédent !

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Message par Douglas » mar. 9 avr. 2024 02:35

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Anna Webber – Shimmer Wince – (2023)

Paru l’année dernière, tout comme « Capacious Aeration » dont je vous ai parlé, voici un autre album de l’étonnante Anna Webber, étoile montante de la « Downtown Scene » de New York. Les deux albums sont assez différents, si ce n’est ce parti-pris avant-gardiste. Celui-ci est vraiment étonnant, il surprend par son originalité et séduit en même temps, certainement un des albums les plus originaux de l’année vingt-trois, qui représente un cru assez faramineux en fait…

Ils sont cinq, et pourtant, à l’écoute, ils semblent être le double. Anna Webber joue du saxophone ténor et des flûtes, elle donne la direction et compose. L’excellent Adam O’Farrill joue de la trompette, Elias Stemeseder des synthés, Mariel Roberts du violoncelle et Lesley Mok de la batterie, (tout comme pour l’album du dessus).

Il faut un peu se plonger dans le livret pour comprendre l’enjeu. Pour cet album Anna Webber travaille à partir des accords uniques utilisant la série harmonique connue sous le nom de « Just Intonation ». C’est un ancien système d’accordage qui se base sur les harmoniques naturelles et les résonances des notes. Dit ainsi, ça n’explique pas grand-chose, mais quand on écoute on comprend mieux.

Ainsi l’album est empreint de minimalisme et de structures répétitives. La base rythmique est solide, souvent entêtée, elle aime à se répéter, même si elle tolère une évolution. On ne peut pas strictement parler de jazz et encore moins de musique contemporaine, car le groove est là et nous maintient fort bien.

L’harmonie est bien là également, avec pas mal d’équilibre et tous ces éléments qui s’ajoutent et se superposent. Les impros également sont présentes, Adam O’Farrill est énorme, ainsi qu’Anna Webber, à la flûte particulièrement où elle brille, comme sur « Squirmy ». Parmi les compos, bien que toutes soient remarquables on peut attirer l’attention sur « Swell » qui ouvre l’album et « Wince » qui le continue, il y a également « Periodicity 1 » qui montre bien ce qu’est cet album ainsi que « Shimmer » qui le termine.

Reste à insister sur l’accessibilité d’un tel enregistrement qui est vraiment aisément écoutable. Même s’il possède à l’origine une ligne directrice, puisqu’il suit les principes de la Juste Intonation, celle-ci est précisément utilisée pour obéir à l’harmonie, ce qui, en général, plaît plutôt bien.

Encore un très bel album qui pourrait plaire à beaucoup.

Swell


Wince


Periodicity, Pt. 1


Squirmy
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Re: J A Z Z et musiques improvisées - C'est ici qu'on en parle

Message par Douglas » mer. 10 avr. 2024 03:38

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Roscoe Mitchell / Brus Trio – After Fallen Leaves – (1992)

Un album « Silkheart Records » à qui il a fallu un certain temps pour arriver à maturation, bien qu’il ait été enregistré en deux jours seulement, les trente et trente et un octobre quatre-vingt-neuf. Ensuite il a été masterisé le huit mars quatre-vingt-dix, au Studio neuf de la Radio suédoise de Stockholm, avant qu’il ne patiente pour la sortie définitive, en quatre-vingt-douze, sans autre précision.

Peut-être est-ce dû au parti-pris par Roscoe Mitchell de vouloir illustrer ce voyage automnal, en Suède, par un mix de free et de musique, parfois, d’inspiration contemporaine, bien que le saxophoniste soit toujours bouillant et défricheur : n’est pas un fondateur de l’Art Ensemble de Chicago qui veut ! Roscoe joue des saxs alto, ténor et soprano, ainsi que de la flûte. Dès la troisième pièce, « The Reverend Franck Wright » il impressionne gravement, en jouant un solo mortel et usant de la technique du souffle continu !

C’est là, en Suède, qu’il rencontre le « Bus Trio » qu’il embarque dans l’aventure, avec Arne Forsén au piano, Ulf Åkerhielm à la contrebasse et Gilbert Matthews à la batterie, aux gongs, aux carillons et aux percussions. Comme à l’habitude sur ce label, le pli est pris et la durée est maximum, soixante-sept minutes et trente-trois secondes pour être précis.

Ce qui caractérise cet album c’est sa soumission aux phénomènes météorologiques, parfois c’est le grand calme, la paix, des points et des traits, avec le silence en toile de fond, et d’autres fois c’est la tempête qui souffle et même l’orage, sans pitié et avec force. Il peut également y avoir un entre-deux, mais pas trop fréquemment.

La pièce « After Fallen Leaves » illustre bien ce calme et cette sérénité, au son de la flûte d’abord, avant que n’arrive le saxo ténor, tout doucement, et presque sur la pointe des pieds, sur une douce couche de vibraphone… « Mr Freddie » qui continue le périple, débute par une courte déflagration, puis file sa vie au son de l’alto de Mitchell.

Retour au calme, aux traits et aux points avec le long « Come Gather some Things » qui offre également des passages de respiration circulaire au soprano, ainsi que des passages ou le saxophoniste se convertit au shakuhachi, cette flûte japonaise à cinq trous est propice à la méditation et au voyage intérieur…

Un album très marqué par la personnalité de Roscoe Mitchell, le « cherchant », celui qui ne se repose pas mais part toujours en quête, ce qui l’emmènera de plus en plus souvent du côté des musiques désincarnées et de la musique expérimentale.

Sing


The Reverend Frank Wright


After Fallen Leaves


And Then There Was Peace
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Re: J A Z Z et musiques improvisées - C'est ici qu'on en parle

Message par Douglas » jeu. 11 avr. 2024 03:59

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Ursus Minor – Zugzwang – (2005)

Voici le premier album de la formation « Ursus Minor » dont le nom signifie « Petite Ourse », en rapport avec la constellation du même nom, donné lors d’une nuit où elle brillait, inscrite dans le ciel, alors que le groupe était en quête d’un nom et venait de terminer un concert… Dans l’ordre d’arrivée, c’est le troisième que je classe dans les rayons de ma Cdthèque, pourtant il est bien différent des deux autres…

Ils sont quatre musiciens à l’origine, Tony Hymas et ses claviers, Jef Lee Johnson et sa guitare électrique, François Corneloup aux saxophones baryton et soprano et David King à la batterie, ils ont l’air de jouer du jazz comme ça, mais…

Pour tout dire, c’est un véritable et succulent bordel, dans le sens désordre et difficile à classer, ranger et caractériser, mais c’est bon, bien que difficile à embrasser, cerner. Alors on va faire doucement, car il y a des invités, et, du coup, le jazz s’en va parfois, et même souvent, par la fenêtre, et puis…

Et puis il y a « les voix ». Boots en est une, qui arrive dès le premier titre, « Won’t Stop Raining » et qui nous plonge dans une ambiance genre, « vous allez voir », avec gratte et piano qui répètent le même motif…

Et puis il y a trois rappeurs américains, Boots Riley, M1 et Umi, déjà ça change le décor, mais ce n’est pas tout, car il y en a encore deux autres, français cette fois, et ils rappent avec notre langue, Spike et D’ de Kabal. J’aime particulièrement ce dernier avec cette voix si malaisante qui faisait le charme de la formation « Spoke Orkestra » dont je vous ai déjà parlé quelque part. « D’ » à lui seul décape grave avec des textes dérangeants et non consensuels. Ainsi l’anglais et le français se mélangent hardiment, en même temps que le jazz et le rap, mais ce n’est pas tout…

C’est que… Il y a également Jeff Beck qui joue sur quatre pièces, peignant lui aussi de sa couleur rock cet album, comme sur « Square dance rap », ou « Lists » ou encore « Won’t Stop Raining » et « Portable Solution » avec la chanteuse soul Ada Dyer, qui intervient pour calmer un peu tout ça, car il faut bien reconnaître que de temps en temps ça déjante un peu et faut s’accrocher…

Pour ma part je retiens quelques titres, « Le Soldat Rangé », « Lists » ou « Burn one Down » en plus des pièces déjà citées. Il est rare de proposer un tel mélange avec des genres qui parfois peuvent paraître très différents et presque pas compatibles, bien que désormais preuve est faite que rien n’est impossible au monde de la musique…

Won't Stop Raining (feat. Boots Riley, M1, Jeff Beck)


Le soldat rangé (feat. D' de Kabal, Spike)


Square Dance Rap (feat. Boots Riley, D' de Kabal, Spike, M1, Umi, Jeff Beck)


Lists (You Gotta Remember We Can't Forget) (feat. Boots Riley, D' de Kabal, Spike, M1, Umi,...
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Re: J A Z Z et musiques improvisées - C'est ici qu'on en parle

Message par Douglas » ven. 12 avr. 2024 02:20

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Peter Brötzmann, Sabu Toyozumi – Triangle - Live At OHM - (1987)

Voici un album paru grâce au label « NoBusiness Records », en septembre deux mille vingt-trois, dans une série limitée non connue. Il réunit le souffleur désormais défunt Peter Brötzmann, en compagnie du batteur percussionniste japonais Sabu Toyozumi.

Brötzmann joue du saxophone ténor et du tárogató sur « Triangle » et « Valentine Chocolate ». Ça s’est déroulé en concert live le quatre décembre quatre-vingt-sept à OHM, Koiwa, dans la ville de Tokyo, au Japon. Les deux musiciens signent les pièces collégialement, on comprend bien qu’ici il s’agit surtout de musique improvisée.

Brötzmann a longtemps entretenu un goût pour les duos saxo, batterie. A cet égard Sabu Toyozumi est un partenaire de choix, lui aussi très versé dans le free jazz. Je ne sais si on peut parler d’une école japonaise de la batterie et des percussions, mais Toyozumi se montre très martial dans son approche, évoquant de façon ostentatoire une certaine rigueur militaire dans son approche, ce qui ne manque pas de sel, quand on songe au pauvre Brötzmann, ainsi gentiment déstabilisé.

Cette avancée dans les pièces, toute droite et pleine de fierté et de rectitude de la part du nippon, entraîne un volume de son important, avec de fortes résonnances qui semblent vouloir tirer le duo vers une direction victorieuse, voire conquérante, à la façon d’une marche militaire. On ressent une très forte amplitude en provenance de la caisse claire qui emplit l’air presque de façon autoritaire.

Il faut à Peter Brötzmann presque de la ruse et de la malignité pour sortir de ce piège, il lui faut être ingénieux et espiègle, lui qui, à l’habitude, fonce droit et défriche en avançant, aussi le voilà adroit sur « Triangle » et habile sur « Valentine Chocolate » les deux titres au tárogató, pour apporter de la nuance, du sensible et même du sensuel, mais sans testostérone pour une fois, enfin, au moins pendant un temps…

Car tout repart sur « Depth of Focus » qu’il emmène à son gré, bien soutenu par Toyozumi, ils enregistrent la pièce la plus longue ici, très équilibrée, un quart d’heure durant pendant lequel ils se montrent complémentaires et complices…

La force de l’album tient dans ce contraste et cette confrontation, qui débouchent finalement sur une belle dualité, riche et féconde, comme on le voit sur le très bref « Membrane System » assez révélateur. Un enregistrement au bout du compte passionnant, qui fera de ces deux-là des amis…

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Re: J A Z Z et musiques improvisées - C'est ici qu'on en parle

Message par Douglas » sam. 13 avr. 2024 01:57

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Alice Coltrane – Live at Carnegie Hall, 1971 – (2020)

Ce vinyle est un EP de deux mille vingt, il tourne en quarante-cinq tours et ne contient qu’un seul titre, « Africa », qui se partage entre la face A et la face B, « Africa Part One » qui dure treize minutes quarante-cinq secondes et « Africa Part Two » de quatorze minutes et vingt-trois secondes.

Il ne faut pas le confondre avec la sortie toute récente « The Carnegie Hall Concert » de deux mille vingt-quatre, officielle celle-là, avec, semble -t-il, l’intégralité du concert en quatre titres, « Journey In Satchidananda », « Shiva-Loka », « Africa » et « Leo », version que je vous conseille évidemment.

Alice est au piano et à la harpe, Kumar Kramer à l’harmonium, Pharoah Sanders au saxo et à la flûte, Archie Shepp au saxo également et aux percus, Tulsi est au tambura, un instrument à cordes persan, Jimmy Garrison et Cecil McBee sont aux contrebasses, Ed Blackwell et Clifford Jarvis aux batteries. Une formation exceptionnelle.

De quoi, sur cette EP, apprécier vivement ce répertoire coltranien, une version d’« Africa » assez dantesque qui donne à entendre, et à espérer de l’intégrale que j’attends encore. La fin de la pièce avec le duo de saxophone voit l’arrivée d’un Shepp sous l’influence de qui vous savez. Le public est très présent et participe avec enthousiasme pendant la durée de la pièce, particulièrement lors des solos des basses.

Un apéritif en fait, j’ose espérer que la nouvelle version officielle et complète, possède un son avec une définition encore supérieure, car des progrès semblent en effet possibles et souhaités, pour profiter à plein de ce qui s’annonce comme une sortie notable et attendue de la part des amateurs d’Alice.

Il est d’ailleurs possible que ce soit la parution de cette version « pirate » de deux mille vingt, qui ait joué son rôle pour offrir enfin aux amateurs la parution intégrale de ces bandes tant désirées.

La version youtube correspond à l'album officiel, non pas à l'album que je présente:

Africa (Live)
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Re: J A Z Z et musiques improvisées - C'est ici qu'on en parle

Message par Douglas » dim. 14 avr. 2024 02:57

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Joe McPhee Po Music – The Loneliest Woman – (2012)

Cette pièce est en fait inédite, c’est une version du célèbre titre d’Ornette Coleman « Lonely Woman », elle fut enregistrée lors des sessions de « Topology I » puis « II », enregistrées pour le label Hat Hut, dans la série « Hat Art », le vingt-cinq mars mille neuf cent quatre-vingt-un, à Boswil, en Suisse.

La formation Po Music présentait une version très augmentée. Joe McPhee au sax ténor et au cornet de poche, avec le saxophoniste André Jaume, le guitariste Raymond Boni et le bassiste François Mechali, Il y avait également la pianiste Irène Schweizer, le percussionniste Pierre Favre, le saxophoniste baryton Daniel Bourquin, le violoncelliste Michael Overhage et le tromboniste Radu Malfatti.

Il faut également compter avec la chanteuse Tamia (Valmont) qui intervient également vers la fin du morceau. Il aura fallu attendre trente années pour avoir accès à cette belle pièce jusqu’alors écartée. A l’écoute, sa publication est amplement justifiée, même si elle est livrée sous la forme d’un petit EP d’une durée de treize minutes et vingt-deux secondes.

C’est François Mechali qui introduit la pièce en quelques notes d’une juste précision avant que ne soit exposé le célèbre thème, le genre de truc qui se fixe à jamais dans nos neurones, alors qu’il y a quelque chose qui prévient que non, ça ne devrait pas, et pourtant…

McPhee, Jaume, Bourquin et Malfatti ensemble inscrivent la suite de notes assassines pour que se perpétue la malédiction et nous voilà pris, une nouvelle fois dans le piège fielleux de cet air maudit… Puis le piano d’Irène se glisse et introduit une impro bluesy qui déchire un peu, avant que le cornet ne geigne et ne creuse la blessure…

Ça y est on est barré, Jaume se lâche dans le même registre plaintif, tristesse et bribe d’espérance se mélangent curieusement quand arrive à droite la voix de Tamia, sans parole, juste une plainte, un cri qui s’exprime, un râle, mélangeant gémissement et rage contenue…

Le thème revient, chargé de ses malédictions et de sa beauté intérieure, « The Loneliest Woman » est passée devant nous, une nouvelle fois…

Joe McPhee Po Music — The Loneliest Woman EP (2012)
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