CCR a écrit : ↑dim. 10 août 2025 19:33
les gros sous, ça ne sort pas non plus de la cuisse de jupiter, mais ça découle souvent d'une "demande". Dit autrement, parce qu'il y a un "public".
On est juste en train de passer de l'ère de la création "douloureuse ontologique" ( l'accouchement), autrement dit celle qui demande des efforts et une volonté ...à la création sans effort, avec l'IA.
Positif ou pas ? Ah mon avis on sera, comme souvent, dans l'"entre deux" avec toutes les possibilités qui en découlent. Une nouvelle ère quoi .
Et une nouvelle lutte, qui va être "terrible", parce que ça va être ultra rapide.
Et les pauvres vieux cons que nous sommes seront dépassés, comme l'ont été nos parents et pire encore nos ...grands-parents ( pour les plus de 50 ans)
J'entends parfaitement qu'il y ait une demande, mais je ne peux que m'interroger sur la nature de celle-ci. C'est-à-dire de savoir si elle relève d'un besoin réel, ou bien d'une injonction à suivre une nouvelle mode. Bien évidemment le concept de mode n'a rien de nouveau, il nous domine même depuis des siècles, et à ce titre je peux recommander un ouvrage récent, absolument passionnant, signé par Jeanne Guien,
Le désir de nouveautés. L’obsolescence au cœur du capitalisme (XVe-XXIe siècle), et paru aux éditions La Découverte. L'innovation technologique dans le domaine de la musique constitue elle aussi un moteur puissant d'évolution des conceptions, des représentations et par-là même des usages et des pratiques. La musique s'est depuis toujours nourrie des apparitions de nouvelles technologies, et de l'apparition de toute nouvelle lutherie (depuis un siècle, électronique) résulte un nouveau langage, porté par de nouveaux codes et transmis par de nouveaux artistes. Bien entendu, tout autant que de ne pas en avoir conscience, je ne peux pas prétendre ne pas y voir matière à progresser de façon positive, j'y suis même particulièrement attentif pour être le produit d'une certaine éducation musicale qui s'appuyait sur l'idée que la musique créée au moyen de synthétiseurs, ce n'était pas vraiment de la musique... pour finir inconditionnel de Kraftwerk, tenir un album tel que
On The Other Ocean de David Behrman pour une oeuvre majeure, et souscrire par a-priori de principe à toute idée sortant du cerveau de Brian Eno. Je n'exclus jamais l'idée de changer d'avis, il parait que le contraire serait le propre des imbéciles, et comme à peu près personne sur Terre ne souhaité-je me situer parmi eux, après tout, Queen faisait figurer sur les pochettes de ses premiers albums la mention crâneuse "No synthesizers" avant d'embrasser pleinement les manières de l'électro-pop.
En revanche, il me semble plus tentant de résister à la pulsion certes légitime qui s'empare de toute personne souhaitant s'inscrire dans son époque et par conséquent ne pas courir plusieurs risques tels que celui de passer à côté de la connaissance et la compréhension des évolutions de technologies contemporaines, d'être distancé par la jeunesse, d'être taxé d'ennemi du progrès, et de passer pour ce que tu appelais un vieux con. Certes l'on ne serait pas le premier à se trouver dans cette position désagréable, douloureuse pour certains, de plus il me semble que nous courons tous ce risque de passer un jour du supposé mauvais côté de la modernité, peut-être est-ce ce qui explique certaines réactions d'enthousiasme délirant devant l'IA générative : comme ça a été dit plus haut de manière très éloquente, un jour l'on regardera cela rétrospectivement, et à ce titre certains voudront s'être en leur temps et dès le début, situés "dans le bon camp". C'est légitime, mais l'on peut dissoner, principalement en raison de la temporalité, d'une part la valeur du temps, déformée par le principe d'immédiateté amené par le numérique, mais aussi le temps même où nous nous trouvons. A savoir un temps particulier de l'histoire de l'humanité où la connaissance et la conscience de notre empreinte sur la nature et le vivant sont des réalités désormais irréfutables. Ce même moment de l'histoire de l'humanité est également particulier parce qu'il nous amène au point de crête de la confrontation entre des projections dystopiques envisageant un futur non-désirable, et l'instant où elles se réalisent vraiment. L'innovation technologique a évidemment sa place là-dedans, mais le fait qu'il s'agisse d'un progrès, à savoir une évolution qui serait réellement bénéfique à l'humanité, reste sujet à débat âpre. J'endosse volontiers le costume du vieux con, simplement pour poser quelques questions :
- A l'image de ce que nous avons déjà pu observer, au sujet des nouvelles technologies de la communication qui nous rendent inaptes à communiquer, de la même manière que les nouveaux procédés de l'information sont plus que jamais porteurs de désinformation et donc créent la défiance envers le factuel au point que le relativisme ait institué la vérité alternative, comment considérer de nouveaux modes de création qui reposent sur un processus de recyclage concentrique sinon consanguin ? Disposer d'un outil offrant la nouvelle synthèse encyclopédique de toute la connaissance depuis les débuts de l'histoire de l'humanité, OK à la bonne heure, mais lorsqu'une machine t'écrit "⟟𝙅ẽlh’maar ϯool’vethu // phaôx ⟁", faut-il obligatoirement se pâmer ? Et si untel n'a plus d'inspiration mélodique, et bien cela arrive, il prend sa retraite et passe à autre chose, non ?
- Faut-il continuer à donner du pouvoir à des créations technologiques portées par des individus non seulement dominés par la cupidité mais qui plus est animés par aussi peu de foi et de respect de la condition humaine, par exemple Elon Musk ? Le type est l'incarnation de toutes les valeurs contraires à l'humanité (adoration des régimes totalitaires, hostilité envers des catégories de la population, mise en pratique des procédés du capitalisme et du néo-libéralisme les plus impactants pour la santé physique et mentale) et c'est lui le n°2 de la première puissance mondiale, constamment placé en faiseur de norme du fait de sa détention d'entreprises d'astronautique ou de microblogage ? Concernant l'intelligence artificielle, quels sont les bienfaits réels apportés à l'humanité par Grok ?
- Connaissant désormais l'impact écologique de ces outils, consommation d'énergie, consommation d'eau, extraction de minerais, pollution numérique, pollution atmosphérique, etc, pouvons-nous accepter sans broncher de laisser reposer toujours plus indéfiniment nos usages futurs sans au moins en questionner l'utilité et la pertinence ? S'il s'agit d'intervenir dans des domaines bénéficiant à la santé ou à la préservation de la biodiversité, l'on aurait certainement tort d'être contre, mais pour développer des catalogues entiers de faux groupes 70s ?
Il me semble qu'une fois de plus, aveuglés par la modernité et conditionnés par la norme sociale qui stigmatise toute critique de celle-ci, nous laissons nous présenter comme des lanternes ce qui s'apparente plus nettement à des vessies, et nous nous privons encore trop souvent du privilège de dire, merci ça ira comme ça. De toutes manière nous serons tous un jour le vieux con de quelqu'un, et il nous échappera autant des technologies de l'avenir que des savoirs du passé.
Sinon, pour la création douloureuse, si c'est trop douloureux, on peut prendre un Doliprane.