Ce matin j'ai écouté un bootleg d'une prestation récente de Dylan.
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Ce concert est dingue. Il est, pour moi, la preuve évidente que notre Dylan est bel et bien le plus grand artiste du XXe siècle. Il y a d'abord le son du groupe, la façon dont les musiciens essayent d'être au plus proche possible du feeling de la voix du Zim. C'est quelque chose que je trouve toujours très frappant dans le band à Dylan. D'habitude, les musiciens jouent leur partition, qui sert d'écrin sur lequel le chanteur vient poser sa mélodie. Chacun connaît son job. Mais avec Dylan, c'est différent : on sent que les musiciens sont sans cesse sur le qui-vive, ils collent Dylan au cul pour essayer d'anticiper les éventuelles échappées que le Zim est capable de faire à tout moment.
Cela donne parfois l'impression que l'orchestre joue sur des œufs. Écoutez To Ramona, par exemple, pour retrouver cette impression. Cela donne un son très particulier au groupe, accentué par le fait qu’aucun instrument n’est caché derrière un effet. Tout est clair comme de l’eau de roche. C’est l’inverse du Wall of Sound, c’est l’ère de la transparence et de la fragilité.
Dans ce décor de grand théâtre apparaît alors la voix de Dylan. Incroyablement vivante. Comment un homme de presque 85 piges arrive-t-il à produire tant d’énergie dans son corps ? Je veux dire, Bob Dylan, c’est pas Paul McCartney ou Mick Jagger. Le secret ne peut pas résider dans le yoga ou les cures de détox. Dylan, il a brûlé les villes qu’il a traversées par les deux bouts. Il devrait être mort et enterré depuis longtemps. Et pourtant, sa voix brûle toujours comme les flammes de l’enfer.
La voix dit beaucoup de choses sur la santé d’un bonhomme. Sa santé mentale, bien sûr, mais aussi sa santé physique. Si on tend l’oreille, on entend l’envie et le plaisir de Dylan d’être sur scène. On sait qu’il est encore totalement dans son œuvre et que le corps suit. C’est totalement merveilleux.
Presque aussi merveilleux que cette capacité immémoriale à réinventer son répertoire. J’adore Dylan d’abord pour la façon qu’il a de voir une chanson. Pour lui, une chanson est un être vivant qui évolue au fil des ans, comme un être humain. Il a trouvé ce secret dans le répertoire des anciens, en remontant le fil des chansons de Guthrie, qui n’étaient la plupart du temps que des réécritures de vieux airs traditionnels.
Il n’a jamais cessé de faire cela : réinventer le répertoire des anciens. C’est encore plus flagrant depuis les années 90, mais cela a toujours été sa démarche. Cette capacité de faire du neuf avec de l’ancien est, pour moi, très inspirante dans la vie de tous les jours. Nous pouvons tous réinventer nos relations, notre travail, notre quotidien. Si nous le décidons, le banal n’existe pas.
C’est ce que j’entends aussi dans ce concert : le refus de la répétition, la volonté de chercher l’émerveillement dans ce que l’on croit déjà connaître. Dylan, je le crois, ne connaît jamais ses chansons par cœur. Il est sans cesse à la découverte d’une facette qu’il ignore encore de Masters of War ou de All Along the Watchtower. Il pense, il sait que la curiosité est la seule façon de vivre le miracle de la vie.