GUSTAVE GIBIER
(1848 - 1931)
Né à Mouilleron le Captif (Vendée septentrionale) le 24 mars 1848, Gustave Gibier décède à Tiffauges (Vendée orientale) le 3 septembre 1931. Compositeur peu connu, il laisse pourtant à la postérité une oeuvre musicale d'une grande fragilité que l'on pourrait comparer à l'ostéogenèse imparfaite. Aussitôt entrevue elle se craquelle, se dilue, s'évapore et n'est plus que poussière. Fort heureusement, il nous a légué quelques notes de frais et des courriers divers (lettres à son beau-frère, au garde-chasse de Mauzée sur le Mignon (Deux-Sèvres inférieure), au clown Geoffroy de Thrace qu’il admirait), faux bulletins de paie, bons de garanties d’appareils électroménagers, tickets de caisse du magasin “Pinces à linge et rideaux de douche pour la famille”, récépissés de consigne de la gare de Lyon, doubles de bons de commande de clés de sol en ut majeur... etc.
Nous vous proposons de suivre - au travers de ces quelques pages et des suivantes - son itinéraire artistique mais également personnel tant au niveau du vécu que du non dit symbolique pythagoricien (surtout par temps de pluie).
UNE ENFANCE CHOUANESQUE ET CHAFOUINE
Tout petit déjà, Gustave est jeune. La musique lui vient comme une seconde nature. A l'école primaire, il se découvre une passion immodérée pour le chant en choeur à une voix. Son désir de connaissance est immense. A la bibliothèque municipale, il dévore en quelques mois l'intégralité du rayon "Histoire de la Musique" qui se compose alors d'un recueil de chants de l'époque paléolithique et de l'abécédaire des conquêtes espagnoles en l'île de Noirmoutier au XVème siècle qui avait été mal rangé par le bibliothécaire.
Son choix est fait, il sera conquistador.
Il n'a plus qu'une idée en tête : relire le recueil de chant car il se rend bien compte qu'autrement, cette biographie n'a plus de raison d'être. Après relecture donc, son choix s'affine : il sera bibliothécaire. Il faut toute la bonne volonté du grand philosophe Kierkegaard, qui passait par là et par hasard, pour qu'il soit intimement convaincu que sa destinée est inéluctable : il sera pompiste dans une station Shell. Le philosophe a été convaincant et sera tellement marqué par sa rencontre avec Gustave qu'il en fera le fondateur de son oeuvre. Il déclara d'ailleurs à la revue numismatique des trolleybus jamaïcains que sans Gustave Gibier, jamais il n'aurait pu échafauder son concept de l'angoisse. Cependant, Gustave perçoit que quelque chose lui échappe. Cette soudaine vocation de pompiste, même si elle le remplit de joie, ne lui apparaît pas comme une résultante logique de ses multiples entretiens avec Kiekergaard et lui semble même quelque peu anachronique. Il s'en confie à Adolphine Massenet, soeur du célèbre compositeur de "Manon", "Le jongleur de Notre Dame" et de "Trou la la, y a un hibou qui bout". Celle-ci, après lui avoir conseillé d'enlever la main de sa culotte car ça la chatouille, lui chantonne quelques mesures du "Petit Pont de Bois", comptine qui ne sera reprise qu'au siècle suivant par un immense poète politiquement engagé et maire d’une charmante bourgade de notre belle France profonde et généreuse qui s’enorgueillit d’être le berceau des libertés, de la générosité de son peuple pour les opprimés, les sans logis, les miséreux magnifiques, fiers et courageux dans leur mal de vivre, indomptables et charismatiques, peuple issu de la fange, certes, mais peuple souverain à l’élan gracieux et parfois désinvolte, toujours sur le qui-vive, haletant de cette émotion qui fait les héros majestueux, prompts au combat pour la vérité enfouie au tréfonds des âmes sans scrupule, la populace quoi, la vile populace qui nous reproche nos trafics financiers, nos placements en bourse, notre argent dormant dans les coffres féconds de notre éblouissant pouvoir, nos bulletins de vote chatoyants des couleurs de Monsieur de Villiers, vicomte de la Motte en Biais ou approximativement... Tout ça quoi !
Le déclic, enfin, s'opère avec fulgurance : Gustave sera obsédé sexuel et musicien.
Les fêtes de Noël 1857 approchent. Gustave s'en va trouver son père à la boutique familiale (les Gibier tiennent l'unique garage à vélo de Mouilleron le Captif) et lui avoue son secret : il aime bien tripoter les filles et il veut être musicien. En raison de la première coordination subordonnée au premier “il”, son cher papa lui retourne une paire de mandales qui l’envoie valdinguer dans la réserve de pompes à vélo et pour avoir énoncé la seconde coordonnée, il lui propose un ocarina qu’il tient de sa tante Léontine. Gustave est déçu, profondément. Il quitte son père sans un regard et court rédiger sa lettre au père Noël. Après avoir vérifié dans le dictionnaire le sens des mots : “hypocondriaque” et “symphonique” qu’il croie synonymes, il trace d’une écriture malhabile et cependant belle ces quelques phrases qui ne font qu’une : “Je veux pour Noël un orchestre symphonique et même si les musiciens sont hypocondriaques, c’est pas grave”. Son père, empreint d’une gravité bonhomme, lit sa lettre avec une gravité bonhomme. Le hasard, témoin de toute chose, veut que le grand philosophe Kierkegaard est à ce moment de sa carrière premier clarinettiste basse du Symphonia Orchestra de Copenhague. Cet ensemble musical de renommé cantonale effectue une série de concerts d’adieu dans la région de La Mothe-Achard (Vendée équatoriale) et l’amitié que voue le penseur envers le jeune Gustave convainc l’orchestre d’accepter d’être l’espace fugitif d’un instant momentané de courte durée le jouet de l’enfant prodige.
C’est minuit. Il est Noël moins le quart dans l’église endolorie par les contractions de la Vierge Marie et où entre le boeuf et l'âne gris, ne dort pas encore, ne dort pas encore, ne dort pas encore le petit fils, mille anges divins, mille séraphins volent à l'atentour de ce grand Dieu d'amour, à la queue leu leu, à la queue leu leu, tout le monde s'éclate à la queue leu leu.
Gustave se tient droit dans la nef. Sa baguette de buis, souple et gracieuse, cristallise le silence autour de lui. Il va donner à jouer un grand orchestre. C’est la symphonie des âmes immaculées qui point à l’aube de son devenir.
Il lève le bras ; solennité et grandeur.
Puis, il se rend compte et les musiciens aussi, qui attendent : il n’a pas encore composé ; il est vierge de toute mélodie. Il s’en excuse et demande quelques instants afin d’écrire, d’illustrer le message qu’il souhaite avec hardiesse transmettre au monde. Il s’enferme pendant trois jours et trois nuits dans la chapelle axiale. Quand il en sort, il a ce mot qui transgresse toutes les lois humaines : “j’ai faim, j’ai envie de saucisson”.
Jambon et charcuterie lui sont apportés sur le champ et surtout dans la nef.
Les musiciens, êtres fragiles, se sont assoupis. il les réveille d’un éclatant : “Messieurs, la musique est prête ! Et vous ?”
Un tonnerre d’applaudissements salut cette saillie volontaire et enjouée. Gustave donne alors à lire sa composition au premier violon. Celui-ci, lecture faite, s’écarte de l’orchestre et prend le jeune Gibier à part. Il vient de lire et son émotion mélée malgré tout d'incertitude ne lui laisse aucun doute : Gustave, par sa jeunesse fougueuse, s’est laissé emporter par un trop plein d’éloquence. En effet, il a écrit - et nous ne citerons que quelques extraits - les phases musicales suivantes :
“Trou lalala lalala, la, lalalalalalala, laaaaaaaaaaa, lala, la lalalala, lalalala, laaaa, la la la laaaaaaaa, lala la, la, la la, la, la lalalalala, lala lala, lala, lala, laaaaaaa, laaaaa, laaaa, la la lalalalalalalala, lala, lalalala, la la laaaaaaaaaa, laaaaaaaaaaaa, laaaaaaaaaa, lala, la, la la la, laaaa, lalala, la la laaaaaaaaaaaaaaaaaaaaaaaaaaaaaaaaaaaaaaaaaaaaaa, la, lalala- la, itou...”
Raoûl-Edmond, le premier violon, lui explique qu’il s’agit là d’une transcription orale, certes digne de toute attention, mais que la musique s’écrit sur une portée avec des notes. Cette révélation transporte Gustave au sein des seins de l’Olympe. Une portée !!! Des notes !!! Mais bien sûr ! Quelle évidence ! Il demande quelques minutes supplémentaires à l’orchestre conciliant... Et il revient. Il porte entre ses doigts gourds les petits chats que vient de mettre bas la Mistigrise, la chatte du souffleur de carreaux, et ses cahiers d’écolier, ornés de notes médiocres, c'est un fait, mais ce sont les siennes à lui. Il en est fier. Il est brave, vaillant et écumant ; il a le sourire empoté des clercs de notaire devant un codicille. Raoûl-Edmond, avec une gravité bonhomme - lui aussi - ne dit rien puis lentement se tourne vers les musiciens, courbaturés de tant d’attente et leur déclare : “Nous avons devant nous un cas désespéré et desespérant. Partons avant qu'il ne soit trop tard et que la confusion ne nous atteignent aussi. Laissons le jeune Gibier à sa solitude de compositeur incompris.
UNE ADOLESCENCE CREATIVE
L’hiver 1864 fut décisif dans les choix musicaux de Gustave. Sept longues années se sont déroulées depuis sa révélation et Gustave n’a pratiquement rien réalisé, mis à part, mettre le couvert, faire son lit, pousser son petit frère dans l'escalier, aller le voir à l'hôpital puis au cimetière, passer sa main fugacement dans des culottes de passage. Il a seize ans en cet hiver 1864 particulièrement doux... mais qu'est-ce qu'on s'en fout... il ferait froid ça serait pareil. C'est vraiment chiant d'écrire, on finit par dire n'importe quoi.
Tel un Léonard de Vinci en goguette (cette expression n'a absolument aucune signification dans le contexte mais j'avais envie de la placer), il vient de dessiner les plans de la fusée Ariane en se demandant à quoi ça pourrait bien servir quand il quitte sa planche à dessin pour le piano droit qu’il a dérobé à la sauvette, la semaine précédente chez le cordonnier en allant chercher les mules de sa mère qui était en réparation (les mules pas sa mère). En effet, elle ressentait une légère douleur lancinante du côté du gros orteil gauche (sa mère pas la mule) et un rabotage intérieur de la feutrine (la feutrine de la mule pas de sa mère) n’était pas un luxe même s’il lui a fallu sortir vingt-cinq sous (à sa mère pas aux mules).
C’est peut-être pas cher pour vous, mais pour elle (sa mère pas sa mule) ça valait dire beaucoup. A cette époque, vingt-cinq sous représentaient environ cent liards ou huit cent mille dollars yéménites. Mais nous nous égarons (du verbe égarer, pas de l'endroit où on range les trains ou les voitures ; par exemple dans "La Bête Humaine", le film, on voit très bien Jean Gabin garer sa locomotive - la Lison, qu'il l'appelait le Gabin - dans la gare du Havre.
Avant le mouvement #me-too, on pouvait même garer sa femme. Que de fois n'avons nous pas entendu notre collègue Eric dire : "ce matin avant de partir au boulot, j'ai garé ma femme dans la cuisine, comme ça je sais où la retrouver ce soir quand je vais rentrer complètement torché vers 23 h 30").
Gustave s’est donc installé au piano et de nouveau un doute l’habite et il est poli. “Comment ça marche ?” se demande t-il à lui même et en aparté.
Il se souvient qu’un jour, c’était un dimanche matin, il a vu l’orphéon du village qui donnait à jouer une musique en hommage à Rikiki et Roudoudou les deux cantonniers morts assassinés par des feuilles mortes en colère avide de vengeance et sa mémoire est fidèle : les musiciens soufflaient dans leurs instruments. “Comment souffle t-on dans un piano ?” Son questionnement intrinsèquement correct se heurte cependant à la configuration architecturalement imposante de l’instrument. Après avoir essayé, en vain, de souffler alternativement sur les touches blanches et noires du Pleyel, il comprend qu’il s’agit d’un instrument à cordes frappées. Il se munit donc dans la minute d’une batte de base ball, oubliée par Kierkegaard, et entreprend avec toute la vigueur de son adolescence d’interpréter une improvisation dite déstructurante, méthodique et a-mélodieuse. Frappant d’abord avec légèreté, il n’obtient pas le résultat escompté. Il se met donc à cogner de plus en plus vivement accompagnant son geste de phrases qu’il estime jolies et à l’unisson de sa musique : “Tu vas parler charogne” ; “tu crois que tu me fais peur vieille peau” ; “Sale garce” ; “Putain de ta race” ; “Ta mère en slip devant Le Procope”... etc... Certains historiens musicologues analysent cet événement comme la genèse du mouvement dit “Hard Rock” ; je pense, quant à moi, qu’il faut plutôt le placer à l’épicentre de ce que l’on nommera au siècle suivant le Hard Core ou Rock Grunge, voire Rock Fusion.
Bien évidemment, il est nécessaire de signaler qu’avant de commettre cet acte fondateur d’une certaine catégorie de musique populaire, Gustave a tenté de “jouer” de ce piano en enfonçant tout simplement les doigts afférents à ses mains sur les touches afférentes à l'instrument. C’est parce qu’il a jugé horrible et indigne de lui le son qui en sortait qu’il a utilisé cette méthode, certes basique, mais Ô combien révélatrice de son génie précurseur. Fort heureusement pour le reste de sa carrière, son goût évoluera, son oreille se familiarisera avec le son des Steinway et autres Bontempi.
Puis, il se met au clairon.