J'ai une théorie sur Prince.
A l'instar de Dylan il a la volonté de réunifier les deux Amériques, celles des noirs et des blancs (oubliant au passage les cultures Amérindiennes et Hispaniques, mais c'est une autre histoire...)
Dylan le fait à travers sa voix qui fusionne le style de Woody Guthrie et de blind willie Johnson mais aussi à travers ses obsessions pour la country (en particulier Hank Williams) et le blues. Il donne ainsi une couleur noire à sa musique qui trouve ses racines dans le folk des Appalaches et les child ballad.
Prince a, je crois, le même objectif mais il part de l'autre bout de la corde, celle de l'Amérique noire. Prince a ses racines plantées dans le funk et la soul, la musique groove des noirs . Il prend cet héritage, qu'il a assimilé mieux que personne, et blanchi les rythmes en les rendant drastiquement binaires. Sa voix, évite soigneusement les blue-note à tel point qu'il pourrait chanter dans une chorale blanche!
Quand est ce que Prince commence à salir un tant soit peu sa voix? Sur Dirty mind? ..Et encore ça reste léger. Là où Dylan dès le début décentre ses notes, prince, lui, prend bien soin de poser ses notes dans la cible à l'inverse des musiciens de blues.
Pour moi ces deux musiciens ont donc la même démarche, être un pont entre deux cultures
Je crois que cette volonté est également parfaitement incarnée à travers leur obsession pour Dieu. Dieu le personnage qui unie l'Amérique juste après le drapeau.
Ils sont donc, au fond, très semblables.
Ils enregistrent beaucoup et vite, et en ce faisant ils laissent une bonne partie de leur répertoire dans les placards faisant ainsi le bonheur des bootleggers.
Il arrive donc un moment où ils cherchent à répondre aux pirates. Dylan le fait à travers le lancement des Bootlegs series et Prince à travers Chrystal Ball.
Si la destination est la même pour les deux musiciens le chemin est très différent.
Pour autant que l'on sache Dylan ne s'est guère investie dans le projet des BS.
Dylan a un rapport très paradoxal au temps qui passe. Il ne s'en préoccupe ni pour lui même ni pour son œuvre et pourtant il est obsédé par l'histoire : L'histoire de la folk musique, l'histoire de l'Amérique..
Il l'a encore dit dans sa dernière interview en date : Je pense souvent à la mort de l'Amérique, jamais à ma propre fin.
Finalement je pense que Dylan ne croit pas à sa propre postérité.
Il sait que quelques chansons resteront probablement comme des flambeaux au milieu de la nuit mais que la plupart de son travail finira englouti par le sable du temps qui passe.
A quoi bon sauvegarder ce qui est déjà perdu?
Prince, au contraire enferme tout dans un coffre, le fameux Vault.
Prince croit en son immortalité.
Il veut tout garder, tout contrôler. En studio il a très longtemps travaillé comme le ferait un musicien fauché dans un home studio.
iI s'est occupé de tout. Composition, enregistrement, mixage..
Quand Dylan ne prenait même pas le temps de donner la grille d'accord à ses musiciens, prince, lui, s'intéressait au moindre détail de chaque instrument.
Lorsqu'il s'agit de travailler sur son disque de rareté il propose donc, avec Chrystal Ball, un album qui est à l'image du personnage : Excentrique .
Ce disque n'a pas de centre, il part dans toutes les directions :
De l'expérimental Chrystal Ball au remix très pop de Love sign. De l'hommage à James Brown qu'est Cloreen, chanson sur laquelle il fait tourner un pattern rythmique funk de façon linéaire pendant 15mn (!), au clin d'oeil à la chanson chorale qu'est an honest man d'une durée d'à peine 1mn30, il n'y pas de juste milieu sur cet album.
Prince va partout mais il le fait à chaque fois avec une obsession de l'accessoire qui n'appartient qu'à lui. Chaque chanson fourmille de milles détails de production à la fois inutiles et parfaitement indispensables.
Tout est en désordre sur cet album. On passe d'une époque à une autre sans transition, on coupe des chansons avant la fin, on rappe, on zappe, et au final on en retient quoi?
On en retient que prince est un génie et que ce disque est une mine d'or qui ne contient presque que de l'indispensable!
Il y a bien entendu de l'inutile. Pourquoi insister, par exemple avec P.control? Ce morceau était moche dans son premier costume, il le reste dans son nouvel habillage ..Mais qu'importe car malgré ces imperfections ce disque montre oh combien Prince était fou et génial à la fois. Il présente toutes les facettes du personnage qui font de ce mec un artiste unique, un des rares qui peut prétendre incarner l'Amérique!