Je vous lis depuis le début du topic, je serais bien en peine de proposer une liste de dix disques seulement (il en manquerait forcément, entre ceux que j'oublierais, et - plus effrayant - ceux que je ne connais pas), mais on parle de "révolutionnaire", quand même. Donc ça implique une idée de rupture avec ce qui se faisait avant, ça indique que tel album a posé un jalon qui remet en cause les oeuvres qui faisaient autorité auparavant, qui définit de nouveaux codes, qui a le pouvoir de frapper d'obsolescence ce qui se faisait avant lui.
Sur les critères donc, il y aurait : - Avancée en matière de production : sur ce plan, les Beatles quoi qu'on en dise, ont été les premiers à proposer des révolutions. Premier feedback enregistré sur "I Feel Fine", premières bandes à l'envers ("I'm Only Sleeping"), premières manipulations de vitesse des bandes ("In My Life", où le piano accéléré sonne comme un clavecin), Artificial Double Tracking (je ne me souviens sur quel morceau on l'entend pour la première fois), etc. Enfin sur un morceau comme "Strawberry Fields Forever", rien que le procédé utilisé pour assembler deux versions dans des tonalités et à des rythmes différents, sans compter le faux fade-out, c'est bien révolutionnaire ! - Nouveaux codes dans l'écriture : les concept-albums. Soudain les types se mettent à penser les albums comme un tout, et non plus comme une collection hétéroclite de titres, assemblée à partir de faces de singles avec les inévitables bouche-trous. Là encore, les Beatles sont les premiers, à ma connaissance, à manifester des ambitions dans ce domaine. Suivis de près par Brian Wilson pour "Pet Sounds". "SF Sorrow", "Tommy", etc, etc jusque ça devienne une vraie tarte à la crème. - En écho, nouvelles préoccupations dans les textes : obsolescence de la thématique "boy meets girl" au profit de considérations plus introspectives voire métaphysiques. Là c'est le milieu des 60s et je pense que les Beatles, là encore, ont contribué à faire changer la façon dont les artistes pop pouvaient s'exprimer, notamment avec leurs prises de position hors-disques sur la législation sur les drogues, ou la guerre du Vietnam. - Création de nouveaux genres musicaux : ou quand, par accident ou de façon délibérée, des artistes avancent d'un cran dans l'esthétique dans laquelle ils évoluent. Souvent il s'agit de Messieurs Jourdain, il n'y a pas vraiment d'acte de naissance et les paternités peuvent être disputées. Difficile de dire par exemple qui inventa le heavy rock. Les Kinks avec "You Really Got Me" ? Les Who ? Les Yardbirds ? Led Zeppelin ou Jeff Beck Group ? Jimi Hendrix ? Je trouve à ce titre que Black Sabbath est réellement révolutionnaire dans la mesure où 1. il s'affranchit de ses limites instrumentales en ralentissant son blues, et par-dessus le marché en le jouant fort et lourd, 2. il développe un nouvel imaginaire dans le langage rock, 3. il ouvre la porte à légions de groupes composés de mauvais instrumentistes mais qui ont des choses à dire. Pour le rock psyché, c'est pareil, difficile de dire qui l'a inventé, puisque ça se jouait quasi-simultanément des deux côtés de l'Atlantique. Pour le rock progressif, c'est pareil. On date généralement son apparition à la parution du "Court" de King Crimson, mais le Floyd du "Piper", les Moody Blues ou Procol Harum avaient déjà un pied dedans deux bonnes années auparavant. Le punk : les Ramones, les Sex Pistols, même si le MC5 ou les Stooges annonçaient déjà les choses (ou la notion de garage punk, formalisée avec la publication de la compilation "Nuggets"). Jusqu'aux nombreuses déclinaisons du genre heavy metal (Metallica est révolutionnaire si l'on prend les choses sous cet-angle-là). Les musiques électroniques (Kraftwerk et la scène allemande, pourtant largement influencée par les Terry Riley, La Monte Young, Stockhausen, John Cage et consorts). Où la dimension novatrice se révèle aussi parfois rétrospectivement en fonction de la portée et de la pérennité de certains courants devenus des genres à part entière (je pense au Velvet, dont on dit couramment que l'album à la banane s'est très peu vendu en son temps mais que chacun de ses acheteurs ont ensuite formé un groupe). - Remise en cause des formats : la durée des morceaux explose. Je vois bien les Stones d'"Aftermath" avec leur fameux "Goin' Home" être les pionniers de la chose, jusqu'aux excès regrettables de Yes avec "Tales From Topographic Oceans" (où la musique est pensée d'abord en fonction du critère de durée). - Nouveaux modèles instrumentaux : le guitar hero, utilisation d'instruments indiens (les Beatles encore), flûte soliste (Jethro Tull, demi-révolutionnaire puisqu'il ne faisait que transposer la méthode Roland Kirk au langage rock), lutherie électronique (mellotron, synthétiseurs, etc), nouveaux effets (la fuzz, les Stones de "Satisfaction" ou Link Wray de "Rumble ?). Parfois, on est dans l'anecdotique qui ne révolutionne guère mais témoigne d'une inventivité réelle, comme la cruche électrique des 13th Floor Elevators.
Donc en conclusion les Beatles sont révolutionnaires !
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