Sunrise In Different Dimensions (1981)
Recorded live on Sunday February 24, 1980 at Gasthof Mohren Willisau/Switzerland. Hat Hut Records – hat Hut SEVENTEEN (2R17) Originale en haut, réédition coffret au-dessous.
A1 Light From A Hidden Sun 3:55 A2 Pin-Points Of Spiral Prisms 4:40 A3 Silhouettes Of The Shadow World 7:20 A4 Cocktails For Two 3:20
B1 'Round Midnight 6:50 B2 Lady Bird / Half Nelson 8:00 B3 Big John's Special 3:40 B4 Yeah Man! 3:30
C1 Provocative Celestials 10:55 C2 Love In Outerspace 4:55 C3 Disguised Gods In Skullduggery 9:00
D1 Queer Notions 2:55 D2 Limehouse Blues 3:50 D3 King Porter Stomp 3:30 D4 Take The A Train 5:05 D5 Lightnin' 2:45 D6 On Jupiter 3:35 D7 A Helio-Hello! And Goodbye Too! 3:10
Alto Saxophone, Oboe, Flute – Marshall Allen Baritone Saxophone, Alto Saxophone, Flute – Nöel Scott Baritone Saxophone, Flute – Danny Thompson Baritone Saxophone, Tenor Saxophone – Kenneth Williams Drums – Chris Henderson, Eric Walker Piano – Sun Ra Tenor Saxophone, Clarinet, Flute – John Gilmore Trumpet, Flugelhorn – Michael Ray
Voici un album de la dernière période de Sun Ra, celle des bilans et du regard en arrière. Il est encore vaillant, bien sûr, capable de toutes les audaces et en pleine maîtrise de son art, mais sur cet album, enregistré live en Suisse à Willisau pour la compagnie Hat Hut, il se tourne vers les grands classiques et propose une relecture d’une dizaine de standards et de grands classiques de l’histoire du jazz, ce qui ne l’empêche pas d’apporter son lot de contributions, bien sûr. C’est à la tête d’un octet qu’il se présente ce soir là, sans contrebassiste mais avec deux batteurs, les fidèles sont bien présents et, côté musiciens, ça assure grave.
Il semblerait que pour une partie des pièces jouées ce soir là, pour une part improvisées, les titres des morceaux n’aient pas été encore choisis, ils figureront au complet lors des rééditions. On préférera l’édition vinyle qui contient l’intégralité du concert, contrairement à l’édition CD qui a été tronquée.
On dit que souvent les vedettes se font attendre, et bien pas Sun Ra qui ouvre le concert par une composition au piano solo, Light from a hidden Sun. Cette improvisation au clavier démontre à nouveau le grand talent de Sun Ra qui interprète ici, avec une très grande maîtrise un air plein d’une grave majesté.
Il enchaîne avec Pin-points of spiral prisms qu’il introduit seul au piano avant d’être rejoint par Michael Ray à la trompette qui improvise en duo avec le maître bientôt rejoint par l’Arkestra et sa masse orchestrale qui segmente ainsi, par ses interventions, la pièce en différents solos. Comme de juste tout s’achève avec brio.
Silhouettes Of The Shadow World permet à John Gilmore d’offrir un solo incendiaire, suivi par Marshall Allen qui s’exprime en duo avec le Sun, qui l’accompagne et le pousse vers les notes suraigües de son instrument sur lesquelles il improvise exclusivement, faisant preuve d’une prouesse comme il les aime.
La première face s’achève sur une magnifique reprise du premier standard de la soirée Cocktails for two de Johnston. L’accompagnement de Sun Ra est très respectueux, ne s’échappant de l’interprétation que pour apporter le grain de folie qui en fait ici tout le sel, en contraste complet avec le cri très free du ténor qui s’assagit.
Les standards défilent sur la face deux. Tout commence par une interprétation du chef d’œuvre de Thelonious Monk ‘Round midnight. La version ici se fait chaloupée sur un tempo accéléré. John Gilmore s’empare du thème et de l’improvisation, on ne dira jamais assez l’immense talent de ce saxophoniste, qui fut, en son temps, l’une des influences reconnues de John Coltrane. Encore un très bon moment de ce concert.
C’est ensuite le medley Lady Bird/Half Nelson de Tadd Dameron et de Miles Davis qui est joué, après avoir parcouru le territoire de Cecil Taylor jusqu’à présent, c’est dans les pas de Mc Coy Tyner que Sun Ra introduit très brillamment la composition, l’Arkestra entre dans la danse et tout se fait swing, les solos sont déchirés mais la pulsion rythmique d’avant-guerre pulse avec une force inouïe, et l’on se souvient du passé de Sun Ra, de son admiration pour Fletcher Henderson dont il rejoindra le band, de la science savante qu’il a des grands orchestres. Le public est conquis.
Big John Special de Horace Henderson, le frère de Fletcher, est joué avec une maestria que lui seul peut offrir, tant il est l’héritier naturel de ce pan d’histoire. Yeah Man ! est interprété avec le même allant, les deux pieds dans les années trente, dans la tradition, et tout est huilé à la perfection. Nul doute que ce retour aux styles anciens puisse surprendre de la part de cet avant-gardiste de tempérament, mais finalement pas tant que ça, pour qui connaît son parcours.
La face C est dévolue aux compositions de Sun Ra et (donc) jouées sur un registre free que l’on pressent dès les premières notes de Provocative Celestials. Le ténor John Gilmore soutenu par les deux batteurs est bientôt rejoint par Marshall Allen et nous sommes conviés à une orgie free à laquelle s’invite le reste de l’Arkestra par interventions successives qui s’ajoutent les unes aux autres, soutenues par les deux batteurs qui interviennent par intermittence, à ce jeu des silences ajoutés Marshall Allen se retrouve bientôt seul et se libère dans le cri et le registre le plus aigu de son instrument.
Love in Outerspace voit Sun Ra retrouver son orgue sur lequel il joue une sorte de « paloma » aux accents latinos, accompagné par le jeu sautillant des batteurs. Disguised Gods In Skullduggery conclut la troisième face avec Sun Ra qui retrouve son piano pour une introduction méditative, Marshall Allen le rejoint avec le hautbois pour un duo très lyrique, la complicité entre ces deux-là est exceptionnelle, John Gilmore intervient alors avec la section rythmique puis, s’esquive et s’efface à nouveau devant le duo qui poursuit son marivaudage.
Retour à la relecture de grands classiques sur la dernière face de l’album, c’est Queer Notions de Coleman Hawkins (the bean) qui ouvre le bal, l’orchestre est parfaitement en place et l’on décèle ici ou là, au coin d’un solo, une petite pointe amusée de tel soliste qui pousse « un poil » trop la note, comme pour souligner l’aspect joyeux et ludique de cette musique. On poursuit dans le même registre, plein de rythme et de swing avec l’enlevé Limehouse Blues de Braham-Furber. Place ensuite au standard des standards King Porter Stomp de jerry Roll Morton, comme à la parade, enlevé et haut en couleur avec un final dans le suraigu, comme il convient…
Prenons maintenant The A train avec Billy Strayhorn l’introduction au piano est pleine d’inventivité, Sun ra mêlant d’improbables accords, tout en gardant la mélodie intacte. L’interprétation est tout à fait personnelle et l’orchestre du Sun réussit à s’échapper avec brio à la route Ellingtonienne, une relecture inventive et réussie.
Restons avec Ellington pour l’interprétation suivante, Lightnin’ qui rend hommage au Duke, une nouvelle leçon de swing ! On Jupiter est un titre de Sun ra sur lequel June Tyson intervient pour chanter « Sur Jupiter le ciel est toujours bleu » ! L’album s’achève avec A Helio-Hello! And Goodbye Too! Brûlot bien free comme on les aime, l’improvisation collective c’est ça, mesdames et messieurs !
Encore un superbe album aux multiples facettes de la part de Sun Ra qui se refuse décidément à porter une étiquette. La musique de Sun Ra est multiple et diverse, elle embrasse toute l’histoire du jazz et sa portée est universelle (il nous avait, finalement, bien prévenu).
_________________ "Music is the healing force of the Universe" Albert
|