Jazz A Confronto 27 (1975)
A. Lybia (A. Shepp, Garrett)- 21’20 B. My Heart Cries Out To Africa (A. Shepp, C. Greenlee) – 19’03
Rome, Italie, Septembre 28, 1975 / HORO HLL 101-27
Archie Shepp - sax ténor, sax soprano Charles Majid Greenlee - trombone Dave Burrell - piano David Williams - basse Beaver Harris - batterie
Après avoir enregistré son album pour Black Saint, Archie Shepp est resté quelques mois en Italie, sollicité par Horo, autre label indépendant, il en a profité pour graver quelques magnifiques plages, comme les deux titres figurants sur cet album. Les années 70 ont été très fécondes chez Shepp, il a pendant cette période enregistré un nombre impressionnant d’albums d’excellente qualité. L’expérience et la maturité se conjuguent avec une créativité continuelle, étonnante, comme si le musicien était habité par une verve créatrice inépuisable. Tous ceux qui ont pu assister aux concerts de cette période se souviendront longtemps de ces moments-là, quelque part en dehors du temps.
Dès les premières notes de Lybia l’auditeur est emporté par la déferlante Archie Shepp, le thème vous submerge et vous plonge sur un rythme effréné dans une course folle. Tout est en place, vous voilà embarqué malgré vous, à la suite du ténor, dans un périple diablement balisé. Le son tout d’abord, irréprochable, le ténor est chaud, la basse ronde, les cymbales clinquantes et le piano obsédant, attention, fusil à deux coups, le cuivre guette pour vous cueillir… Ce quintet est mortel, précis au possible, Beaver Harris, le vieux compagnon, déjà aux côtés de Shepp en 1966, avec des allers-retours certes, signe ici son douzième album aux côtés du leader, son style reste enraciné dans les fondements rythmiques du jazz mais développe un avant-gardisme qui le poussera à toujours reculer les limites de la polyrythmie, particulièrement par son jeu aux cymbales comme sur cette plage où il propulse le quintet en relançant constamment les deux solistes. La basse de David Williams tient l’édifice et résiste à toutes les tempêtes, plantée au centre du spectre sonore, tel le mât du navire, elle est le pivot à partir duquel tout s’articule, solide, grave et résonnante elle tient bon et assure une assise sans faille à la section rythmique. Dave Burrell, sideman de luxe et fidèle parmi les fidèles, lui aussi arrive au terme de sa collaboration avec Archie Shepp, longtemps celui-ci s’est privé de pianiste, s’essayant au piano lui-même, mais Dave Burrell a su devenir le compagnon indispensable, il incarne un soutien rythmique solide, doué d’une capacité à relancer sans cesse la machine, reculant toujours les limites du possible et dessinant continuellement de nouvelles frontières pour mieux faire jaillir la sève créatrice… Dans ce contexte Charles Majid Greenlee joue sur du velours et son solo cuivré s’intègre avec justesse dans cette mixture bouillonnante qui incarne sans conteste un chef d’œuvre oublié…
Verso de la galette, face B, Shepp délaisse son ténor et joue du soprano pour ce cri du cœur que représente My Heart Cries Out To Africa. La colère s’est éteinte, l’atmosphère change et l’ambiance se fait lyrique, tendre et nostalgique. Dans ce contexte Dave Burrell excelle, toute sa sensibilité, souvent cachée derrière son rôle de rythmicien fonçant comme à la parade, se dévoile avec délicatesse et finesse, ciselant avec précision de délicats contours mélodiques aux accents les plus inattendus, jouant de nos attentes en ménageant les surprises avec une subtile sagacité. Mais c’est Charles Majid Greenlee qui ouvre le bal accompagné par Shepp en contrepoint, le cuivre déroule son timbre caverneux et bourru avec une exquise douceur qui parle directement au ventre, délivrant sa force d’expressivité unique qui touche, à tous les coups, avec, pourtant, une improbable justesse. Shepp coupe court au paradoxe en s’essayant au soprano, comme aimait à le faire Coltrane, la sonorité perchée de l’instrument épousant avec bonheur l'ambiance générale de la pièce, tendre et sentimentale. Il se montre habile sur l’instrument, y transposant son phrasé si naturel au ténor.
Pour moi, chef d’œuvre.
_________________ "Music is the healing force of the Universe" Albert
Dernière édition par Cush le Lun Oct 29, 2012 4:35 pm, édité 4 fois.
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