1 Bonjour Bernard, nous allons donc concentrer notre entrevue sur la mission principale du label Muséa, la réédition d'album. Dans un premier temps, pouvez vous nous expliquer la démarche de votre label quand vous entreprenez une réédition? Contactez vous directement les musiciens ou passez vous par le label qui détient les masters?
Pour toutes rééditions, qui constituent environ un tiers de notre catalogue, nous recherchons tout d'abord le producteur, car c'est avec ce dernier que doit être signé le contrat de licence.
Nous entrons également en contact avec les musiciens, d'une part par simple courtoisie, mais aussi pour les interviewer de manière à rédiger une biographie. Leur avis est déterminant pour le choix des bonus, la conception du livret etc. Ils sont associés de près à ces décisions.
Savez vous combien touchent les artistes lorsqu'un de leur ancien album est réédité?
Tout dépend du contrat d'origine qui les lie au producteur. S'il s'agit d'une auto-producteur, nous payons aux artistes une redevance d'environ 15%
2 On connait tous ici le sérieux et le super boulot que l'équipe Muséa emploi lorsque vous réeditez un album: un son impeccable, des bonus ambitieux et indispensables, et des livrets toujours très instructifs, Bref, du travail fait avec passion. Pour autant, dans le cadre de notre fanzine, on a pu s'aperçevoir que ce n'était pas le cas de tous les labels (disque vinyle rippé, pochette scannée sans note de pochette...). Quel est votre éthique en la matière?
C'est très simple: Musea, qui rappelons le, est constitué en association sans but lucratif, est la réunion de passionnés de Rock Progressif et de divers courants proches de ce style.
Notre ligne directrice, lorsque nous concevons un disque, est de se placer dans la peau du fan qui est en chacun d'entre nous. Le disque que nous ébouchons, nous le voulons d'abord pour notre propre collection, nous en sommes les premiers intéressés. Ceci garanti un résultat dans lequel l'auditeur final, le fan pourra se retrouver.
3 En interrogeant les membres des Savage Resurrection (groupe US psyché qui a sorti un album en 68), on a été consterné d'apprendre qu'à coté de la réédition officielle, sorti en 90 et autorisé par le groupe, l'album fut depuis réeditée deux fois par des labels douteux, sans que le groupe soit à un moment donné consulté ni rétribué. Connaissez vous ces pratiques? Sont elles courantes et vous sentez vous concerné par le débat, ou la lutte qu'il semble nécessaire d'être menée? Vous etes vous déja vu réédité un album et quelques mois après, de nouveau réédité par un autre label?
Oui, la piraterie existe à grande échelle sur bon nombre de nos rééditions. J'ai déja pu trouver des versions illégales de nos disques en Corée du Sud, en Russie, au Brésil, aux USA etc. C'est monnaie courante, et nos moyens de lutte sont quasi inexistants: il est absolument impossible de localiser les labels qui publient ces pirates, et quand bien même on pourrait y parvenir, les moyens d'actions légaux sont inappropriés: les coût représentant une action en justice à l'autre bout du monde est dissuasif par rapport aux enjeux.
4 On en arrive au téléchargement. Déjà, dans un premier temps, qu'en pensez vous honnetement? L'impact de ce phénomène fut il si négatif pour le label Muséa?
A titre personnel, et en tant qu'auditeur d'un autre siècle (j'écoute du Prog depuis sa naissance à la fin des années 60 !), je ne suis pas intéressé par le téléchargement. Je reste viscéralement attaché à l'objet. Je trouve que le mélomane a déja beaucoup perdu au passage du vinyl au CD, que ce soit au niveau de la chaleur du son qu'au niveau de la splendeur des pochettes de LP, qu'aucun CD n'égalera jamais. Alors les fichiers sonores sans illustration graphique, sans notes de pochettes, très peu pour moi !
Parlons de l'impact du téléchargement sur l'activité de Musea. Globalement parlant, nos ventes de disques ont diminué de moitié sur ces 10 dernières années. Il est difficile d'identifier les causes de cette baisse, même si la profession accuse invariablement le téléchargement illégal et la copie privée. Il est néanmoins indéniable que le téléchargement illégal est l'une des causes de cette baisse.
Alors, nous avons réagit en proposant un téléchargement légal de l'intégralité de notre catalogue, sur un nombre important de sites. Mais après maintenant près de 2 ans de présence en ligne, le téléchargement de nos titres ne représente qu'à peine plus de 1% de nos ventes.
5 Le gouvernement américain fait aujourd'hui la chasse aux « blogspots » comme Lost In Tyme ou CGR, qui proposaient une quantité non négligeable d'albums rippés ou réédités par certains labels douteux. Ne pensez vous pas au contraire que ces blogspots permettaient au plus grand nombre de découvrir et d'écouter ces chefs d'oeuvre, et ensuite de prévoir un achat fructueux?
C'est bien sûr l'alibi avancé par ce genre de site. Je pense plutôt que si l'on souhaite vraiment faire découvrir un artiste, il est plus honnête de proposer à l'écoute des morceaux de courte durée, en streaming, comme nous le faisons sur notre propre site. Que des individus échanges entre eux des musiques pour se les faire découvrir mutuellement est une chose, passer à l'échelle "industrielle" pour proposer gratuitement des albums entiers en est une autre.
6 Pour finir, et en vous remerciant d'avance pour le temps consacré, pensez vous que l'industrie du disque dans l'état actuel pourra lutter sans cesse contre le téléchargement? Ne vaudrait il pas mieux envisagé une solution hybride satisfaisant les deux parties?
L'industrie du disque (quelle expression affreuse !) a déja baissé les bras: plusieurs majors ont indiqué qu'à court terme, leur stratégie était de mettre l'intégralité de leur catalogue en téléchargement gratuit. Mais me direz vous, comment vont ils gagner de l'argent, puisque c'est leur motivation première ? C'est très simple, ils vont entrecouper les téléchargements par de la publicité, payée par les annonceurs. La musique est donc ramenée au rang de produit d'appel pour vendre de la pub: belle dégradation !!!! Face au manque de respect vis à vis des artistes manifesté par les consommateurs pratiquant le téléchargement illégal, les professionnels de la musique ont vraiment l'impression que la musique est totallement dévalorisée.
7 Le mot de la fin: un petit scoop pour nous, la prochaine pépite rééditée par Muséa?
Nous sommes toujours sur la brèche concernant les rééditions rares ! Nos deux prochaines sorties sont le second album jamais sorti de Wurtemberg, ce groupe dirigé par un luthier, qui expérimente les instruments à cordes de son invention. Et puis suivra le second album jamais publié de Neuschwanstein, Alice in Wonderland, dans un style résolument "genesissien" !
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