On lit ici ou là sur ce forum qu'aujourd'hui, il n'y a plus de grands songwriters, que le rock est mort, etc...
Bref, "c'était mieux avant". Peut-être.
Mais des grands, il y en a encore. Prenez par exemple le sieur Will Oldham.
Après avoir fricoté avec la scène punk-rock/post-rock de son fief de Louisville dans le Kentucky (il est notamment l'auteur de la fameuse pochette du
Spiderland de Slint :

),
il se lance avec son premier album (sous le nom de son premier avatar, The Palace Brothers, il en utilisera plusieurs) en 1993 :
There Is No-One What Will Take Care of You
Ce disque fait l'effet d'une bombe chez la presse branchée, et l'on invente le terme d' "antifolk" ou d' "alt-country" spécialement pour l'occasion.
Le disque a de quoi émouvoir. Avec des arrangements du plus bel effet lo-fi, Oldham offre une musique country désolée, complètement nue, survolée par un chevrotement sans âge.
Exemple avec "Idle Hands Are The Devil's Playthings" :
Il creuse ensuite ce même sillon en 1994, avec le EP
An Arrow Through The Bitch
dont est extrait le désolant "Stable Will", aux paroles american gothic à se pendre, avec un hululement final qui rappelle les grands frappadingues du country-blues :
et le LP Palace Brothers (renommé Days In The Wake), probablement son disque le plus effondré. la pochette dit tout :

la musique en dit encore plus
"Will You Miss Me When I Burn" (gloups) :
Le splendide "No More Workhorse Blues" :
Léger virage en 1995. Changement d'avatar, Palace Brothers devient Palace Music. Le son s'enrichit, s'électrise, et le ton devient moins déprimé, dans un style du coup plus proche de Neil Young. C'est l'album
Viva Last Blues :

Exemple d'ouverture à la lumière, le rock de "Work Hard/Play Hard" :
Puis en 1996, c'est l'introduction d'une boîte à rythme qui vient enrichir la palette de
Arise, Therefore, comme par exemple sur l'excellent "Stablemate" :

En 1997, les aventures continuent, cette fois-ci sous son nom bien réel de Will Oldham, pour ce qui reste à mon sens le chef-d'oeuvre mal connu du bonhomme,
Joya
En témoigne ce sublime "O Let It Be". Le ton reste grave, voire solennel, mais l'instrumentation blues-rock enrichit considérablement l'ensemble, qui prend des allures de classique instantané, à la Neil Young encore une fois si vous voulez :
Après une compilation (
Lost Blues & Other Songs), à partir de 1998 nous assistons à la naissance de Bonnie 'Prince' Billy, nom sous lequel Oldham publiera désormais l'essentiel de ses travaux. Premier LP en 1999,
I See A Darkness.

Fondamentalement, rien de changé : des classiques country-folk-rock avec toujours une voix d'écorché. Le ton est cependant parfois plus apaisé, comme sur ce "Another Day Full Of Dread" (gloups again), au piano qui fait mouche :
Ou comme sur ce "Just To See My Holly Home" presque guilleret
tiré de son album suivant,
Ease Down The Road (2001)

Suivront encore :
Master And Everyone (2003), le génial
Superwolf avec Matt Sweeney (2005),
The Brave And The Bold, en collaboration avec Tortoise (2005), son très grand classique
The Letting Go (2006), le moins convaincant
Beware (2009) et le tout récent
The Wonder Show Of The World qui signe son retour en grande forme.






Notons le point d'honneur que met Oldham à sortir des disques aux pochettes assez classe. Quelques illustrations de sa carrière récente :
Matt Sweeney & Bonnie 'Prince' Billy, "My Home Is The Sea" & "A Beast For Thee" (le deuxième titre est d'une beauté hallucinante)
Tortoise & Bonnie 'Prince' Billy, "Love Is Love"
"The Way" :
"Wai" :
Et pour finir un extrait de son dernier, le splendide "Go Folks, Go" :
Pour résumer, nous tenons là le grand classique américain de notre époque à mon avis. Il serait dommage de ne pas l'écouter tant qu'il est là, nos petits-enfants seraient capables de nous reprocher de n'en avoir pas fait une superstar de son vivant. Il est mal peigné, il est gros, sa musique est tout sauf aimable la plupart du temps (plus facile d'accès récemment), et c'est à mon sens le plus grand songwriter de notre temps.