Inscription: Mar Mar 08, 2011 8:57 pm Messages: 4972 Localisation: Finistère
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Je l'ai très souvent écouté ce disque durant la semaine. Un des ADLS que j'aurais le plus écouté dirais-je même. Je le trouve chouette ce disque, mais pas, comme beaucoup ici, absolument bouleversifiant. J'aime beaucoup le premier morceau Toremoro ainsi que Kaikyo auquel je trouve un côté Western. Oui je sais c'est bizarre mais c'est pourtant le cas. Mais ce qui m'a vraiment frappé c'est la proximité de cette musique avec une autre, que j'aime beaucoup, et qui n'a à priori que peu de rapport. Il s'agit de l'album Flûtes Libres de Jean Cohen Solal. Un disque français datant de 1971 ""Rien ne peut arrêter un flûtiste". Par cette phrase lapidaire extraite de "Flûtes libres", Jean Cohen-Solal annonce la couleur. Dans sa musique, en effet, rien ne semble impossible, les frontières s'évanouissent et l'artiste explore, avance, projette ses visions hallucinées. Multi-instrumentiste éclairé, Jean Cohen-Solal apprend dès l'enfance la musique de chambre, l'orchestration, l'harmonie, le contrepoint. Ses instruments de prédilection : la flûte, la contrebasse, le piano. Il intègre un temps le GRM (Groupe de Recherche Musicale) et se signale chez Jacques Rouxel en élaborant le langage et les sonorités si singulières des "Shadoks", de la série du même nom (1966). Il signe un peu plus tard deux albums exceptionnels : icônes de référence en matière de musique progressive, à réminiscence ethno-baroque, "Flûtes libres" et "Captain Tarthopom" dévoilent les talents d'un esthète espiègle et virtuose, inventif et porté sur l'art de l'improvisation. Cohen-Solal et sa formation disposent d'une palette sonore insolite : flûte en ut, piccolo, flûte alto, contrebasse et basse électrique, instruments de percussion (tablas, batterie, accessoires divers), sitar, trompette, trombone, orgue, ondes Martenot, guitare électrique (celle-ci n'apparait que rarement). "Flûtes libres" héberge une petite série de thèmes puisant dans des répertoires variés ; "Concerto cyclique" inaugure l'opus et se compose de trois mouvements hypnotiques. Dès les premières notes, Jean Cohen-Solal donne toute la mesure de son art ; voici un flûtiste au timbre exceptionnel dont les qualités de vibrato désarçonnent. Sur fond de pop/jazz à la Soft Machine (période "Third"), l'artiste entame une partition riche en rebondissements, prépare une, puis deux lignes mélodiques en overdub, et s'élance sur une troisième ligne savante et foisonnante d'ornementations. L'escalade contrapuntique étourdit l'auditeur ; un deuxième mouvement plus abstrait tient lieu de point d'orgue avant la vertigineuse et dernière ascencion. Irisé de mil feux, ce mouvement révèle une fantaisie schizophrénique : d'un coté Cohen-Solal en transe, terrible et sublime, enivré par sa propre fougue, harcelant sa flûte d'un souffle ardent, de l'autre un crescendo guitare/basse/orgue/batterie flambloyant, solaire (breaks en pagaille et basse virevoltante). Le flûtiste a créé son langage et défriche une aire étrangère à ses pairs (Sahib Shihab, Yusef Lateef ou Harold McNair, pour ne citer qu'eux). Ici, la maestria de Cohen-Solal ne souffre aucune comparaison. Autre titre, "Raga du matin", comme son nom l'indique, s'inspire de la tradition indienne ; tablas et sitar campent un décor oriental ; le flûtiste intervient sur deux lignes mélodiques racées, légères, épicées (dont l'une en overdub, de nouveau). Elles témoignent de son sens de la couleur et des contrastes de timbres ; le thème invite à l'évasion, c'est l'instant de plénitude. Il en va de même pour "Matière", un solo de flûte élégant, bucolique, envoûtant, parée d'inflexions poétiques. Le morceau, d'ailleurs, évoque une figure libre ; il devient, par sa douceur, "le plus noble véhicule de la grâce" (dixit Umberto Eco). En opposition, la dernière piste du vinyle, "Quelqu'un", présente une longue trame électroacoustique, mystérieuse, opaque, nébuleuse. Nimbée d'effets fantômatiques, d'ébauches de sons, de phrases mélodiques, de réverbérations, de bruits étouffés, la musique, pénétrante et feutrée, draîne une langueur insoupçonnée ; l'homme-orchestre insinue l'étrange. Cette plage, organique et surréaliste, aurait parfaitement pu servir de soundtrack au métrage de Tarkovski, le métaphysique "Solaris" (1972). Ainsi s'achève "Flûtes libres", ou "Chûtes libres" en l'occurrence, un disque à tiroirs, fantastique et labyrinthique, révélant les savoir-faire d'un artiste insatiable."Ca sera donc 7/10 pour ma part. Le dernier morceau, et je ne parle pas du fameux "silence" tant vilipendé est juste insupportable !!!
_________________ "Pour éviter tout débat sur les groupes d'aujourd'hui qui se sont fait piquer leurs idées dans les années 70, il est de rigueur de parler de l'avenir"
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