Comment faire l’impasse sur un tel album? Difficilement, c’est vrai. Encensé aussi bien par la critique que par le public, Astral Weeks est une pure merveille de l’année 68. Je m’en vais donc vous en faire la chronique, sans objectivité parce que c’est certainement l’album que j’emmènerai sur mon île.
1968 donc, novembre plus précisément, Van Morrison a 23 ans, étonnante maturité musicale me direz-vous, mais le jeune irlandais est baigné dans la musique depuis son plus jeune âge, imprégné de musique traditionnelle irlandaise, de R&B, de Rock’n’roll…
Astral Weeks est souvent considéré comme le premier véritable album du chanteur en solo, ce qui n’est pas complètement faux. Avec Them, il sort 4 albums, puis quitte le groupe en 66. Puis vient sa conflictuelle collaboration avec Bert Berns, durant laquelle deux albums sortent via le label Bang Records; mais ces deux albums ne ressemblent en rien aux volontés de l’artiste. Le premier, Blowin’Your Mind! est l’assemblage de morceaux enregistrés à New York durant une cession en 1967 (pour l’enregistrement du tube Brown Eyed Girl). Van n’a même pas été averti de la sortie de cet album… Le second est presque une blague. Sous contrat avec Bang Records, il leur doit encore un disque avant de passer chez Warner; évitant de se compromettre à nouveau, Van leur envoie un enregistrements de bandes foireuses. Il s’agit du Payin’ Dues sorti finalement en 94.
Mais venons en à Astral Weeks. Van Morrison s’entoure de musiciens jazz expérimentés, et très axés sur l’improvisation. Ca tombe bien, lui aussi. La formation est composée de Connie Kay, batteur du Modern Jazz Quartet, Richard Davis qui fait des prouesses à la contrebasse, Jay Berliner accompagne Morrison à la guitare, et enfin John Payne à la flûte, sans qui -à mes yeux- l’album n’aurait pas la même valeur. Voilà la formation de base, mais on trouve des cordes, des cuivres et également un clavecin.
Peu de témoignages sur les cessions d’enregistrement, si ce n’est que nous savons que les morceaux que nous connaissons sont tous en partie improvisés, et souvent mis en boîte très rapidement.
N’attendons plus, voici le décorticage par morceaux du disque. *se met l’album, prend une bouffée, sourie *
1- Astral Weeks : La contrebasse commence, suggestive, et la batterie, légère, puis la guitare et enfin la voix. Ce morceau est emblématique de tout l’album, empreint d’une espèce de mélancolie conjuguée à une vitalité enjouée. Les flûtes sont libérées, lâchées. La voix de Morrison est, à son habitude d’une sincérité presque génante, je connais des gens qui ne peuvent pas l’écouter, trop intense, trop présente! Je peux comprendre ce point de vue, mais à mes yeux, c’est LA voix la plus touchante qu’il m’ai été donné d’entendre. « […] To be born again[…] « In another time In another place[…] ». Ce morceau n’est pas le premier pour rien, il nous invite à rentrer dans cet « autre lieu ». Et nous y entrons.
2- Beside You : Morceau plus sombre, plus triste, plus lent aussi. Les paroles me sont difficiles à traduire, parce que souvent très poétiques. Mais ce qui est particulièrement touchant, c’est la manière dont Morrison insiste sur les mots, en les répétant, en les allongeant, y mettant toute sa force. La guitare est sublime tout le long du morceau, elle s’emballe avec une force tellement dramatique!
3- Sweet Thing : Ah, quel morceau! Porte bien son titre celui là. C’est le genre de morceau qui, comme le premier, nous donne une décharge de vitalité pure. La formation atteint des sommets, tous s’envolent très loin, dans des contrées magiques, et nous auditeurs conquis, on prend le même aéroplane. Les musiciens s’emportent tellement réciproquement que par moments on sent la Van qui a un peu de mal à les suivre, il donne beaucoup dans les variations de voix et les nuances, est pas toujours juste et tente de s’adapter à une rythmique folle. Des détails qui rendent l’album encore plus attachant.
4- Cyprus Avenue : Van Morrison est un homme très particulier, pas toujours agréable car hermétique au star-system (on va pas lui en vouloir pour ça d’ailleurs), mais c’est aussi un homme très spirituel et sensible. Cette chanson, empreinte de nostalgie, l’illustre très bien. Et c’est certainement l’une des plus belles. Le clavecin y est pour beaucoup, mais la voix, tantôt hésitante, tantôt hurlante, révèle toute l’intensité intérieure du bonhomme. La flûte et le violon épaulent cette voix dont on ressent la fragilité finalement. Mais quelle idée de génie ce clavecin bon dieu!
5- The Way Youg Lovers Do : Tiens, voilà les cuivres! Ce titre semble être plus structuré que les précédents, pas moins fougueux, juste moins fou. Quoique… Ecoutez donc cette batterie, c’est incroyablement bon, subtil. C’est aussi le morceau le plus court de l’album, moins de guitares, mais les cuivres, qui annoncent la future carrière de Van.
6- Madame George : Ralala, voilà ce qui est peut être mon morceau préféré. Personne ne sait qui est cette Madame George, pas Van lui-même, pourtant, il nous la chante pendant quasiment 10 minutes, avec une émotion sans pareil. Difficile à expliquer ce qu’on peut ressentir, et puis pas envie de causer de tel ou tel instrument, là c’est pure sensation. Arf, et ce « And the loves to love to love the love » dont on a l’impression qu’il dure à l’infini. Vraiment ce morceau est une pure merveille, j’voudrais qu’il dure toujours!
7- Ballerina : Alors, comment enchainer après ça hein? Très bien, avec Bellerina, tout en vague comme si les musiciens avaient calqués leurs partie sur l’océan. Les violons sont encore là; d’abord discrets, puis ils s’intensifient, mais toujours avec douceur. Tout est doux d’ailleurs dans ce morceau, sauf la voix qui tranche parfois violemment, comme pour se débattre, lutter contre quelque chose. En écoutant très attentivement comme je suis en train de le faire, je suis très impressionnée par les nuances, les musiciens s’entendent à merveille à ce niveau là, et chapeau à Van encore une fois, qui est le véritable arrangeur sur cet album.
8- Slim Slow Slider : L’album se termine sur ce titre très dépouillé comparé au reste de l’album, lui très riche en instrumentation. La contrebasse est mise à l’honneur, la guitare indique vaguement un rythme à suivre, sans toutefois l’imposer, laissant ainsi libre court à la voix et au saxo soprano dans le lointain. Et puis, soudainement, la batterie claque, le saxo part brièvement en free et nous laisse, rêveur.
Que dire de plus? Un album brillant, étincelant même. Tout est là, le talent de musiciens venus du jazz, des compositions complexes mais toujours magnifiées dans l’improvisation, et une voix unique, de part son timbre et l’émotion très sincère et assumée qu’elle dégage.
C’est un de mes albums ultimes, pour des raisons personnelles, mais aussi pour sa qualité objective, chaque écoute révèle quelque chose, c’est assez rare de ne jamais se lasser comme ça. Bref, je le conseille très très vivement à ceux qui ne l’auraient pas encore écouté.
Des amateurs? Des « «pas convaincus » ?