En comparant la musique de cette compilation avec celle de son premier album
Why Black Man Dey Suffer (et celle des
'69 Los Angeles Sessions) on peut notamment mesurer l'immense influence qu'a eu son voyage aux Etats-Unis en 1969 qui marque sa rencontre avec le mouvement politique des Blacks Panthers, du free jazz, du funk et de la marijuana.
Je retiens ce passage car il peut expliquer ton choix pour retenir l'année 71 comme début discographique. En effet c'est l'année des premiers enregistrements sur LP de l'Afrobeat arrivé à une certaine maturité. Le premier voyage de Fela en Angleterre lui a surtout démontré son insuffisance musicale face à des jazzmen chevronnés comme Miles Davis ou Coltrane qu'il essayait d'imiter. Mais son second voyage aux Etats-Unis cette fois-ci, a été véritablement formateur. Fini la jeunesse dorée et la vie dans le cocon familial, à la tête de son groupe Fela est confronté à la réalité sociale Américaine, à l'interdiction de jouer par le syndicat des musiciens américains, au froid et aux galères. Finalement il finira dans un club à L.Angeles où il jouera le soir tandis que certains de ses musiciens faisaient double journée car ils travaillaient aussi le jour. Ce sera aussi son éveil politique, épousant la cause des noirs américains dans leur lutte pour l'accès aux droits civiques et s'éveillant à l'africanité.
C'est aussi aux Etats-Unis qu'il va peaufiner le son de l'Afrobeat:
"
Quand je suis allé en Amérique, j'ai été exposé à l'histoire de l'Afrique, dont je n'avais jamais entendu parlé ici [au Nigéria].
C'est à ce moment que j'ai vraiment commencé à comprendre que je n'avais jamais joué de musique africaine.J'avais utilisé le jazz pour jouer de la musique africaine, alors que j'aurais dû utiliser la musique africaine pour jouer du jazz. Ainsi c'est l'Amérique qui m'a ramené à moi-même." (Fela Kuti-Le génie de l'Afrobeat par François Bensignor)
Le son de l'orchestre s'articule alors autour de la guitare rythmique qui marque les mesures et de la basse très groovy, le jeu très jazzy de
Tony Allen à la batterie dialogue avec les percussions et assure une polyrythmie subtile et efficace.Les cuivres et leur attaque très précise, puissante et sans vibrato signent la couleur si typique de l'Afrobeat,
Fela, lui, chante, danse et se glisse derrière les claviers.
Merci d'avoir tendu le filet de sécurité
Cush, je pensais m'écraser au sol après cette gaffe
La citation est effectivement explicite sur la vision de la musique africaine que Fela va transcrire sur ces disques dans les 70's.
Il vaut le coup ce livre de François Bensignor?
Ce qui m'a frappé de plein fouets dès la première écoute de
Why black man dey suffer, c'est le jeu de claviers. Des notes qui s'égrène comme des gouttes de pluie sur cette rythmique d'un autre monde. Je fus ensorcelé à la première écoute. L’engagement politique du titre éponyme est également à souligner. C'est une leçon d'histoire sur l’oppression de l'homme noir africain. Les abus, l'esclavage, l'imposition d'une culture occidentale prévalant sur la culture africaine, la dépossession des terres par l'homme blanc sont détaillés dans les paroles.