Si c'est avec "Forever Changes", consideré par beaucoup comme le pendant d'un "Sergeant Peppers" ou d'un "Pet Sound", que Love accédera à une reconnaissance tardive, leur premier et éponyme album annonce un style déja fièvreux et qui une fois parvenu à s"extraire de ses racines folk et garage va tendre vers une pop lunatique et sophistiquée, tout aussi sombre que lumineuse .
"My little red book" exprime déja les colorations étranges de ce groupe mutant.
Co-composée par le pourtant orfèvre et glamoureux Burt Bacharach, ce morceau au rythme syncopé, aux riffs soudainement incisifs, au chant"soupe au lait"et à la sonorité sèche et crue laissant même parfois à désirer (écouter si possible la sonorité assourdie de batterie...), s'inscrit étonnament dans une mouvance "garage" qui sera d'ailleurs sublimée avec leur morceau le plus connu, "Seven and seven is" de l'album suivant, "Da Capo".
Dans ce même registre gagage , avec plus d'évidence pour les oreilles non averties, leur version speedée de "Hey Joe", "Can't explain", "My flash on you" ou encore "You'll be following" qui évoque des Byrds sous amphétamines( Brian Mc Lean, co-fondateur du groupe avec Arthur Lee, a d'ailleurs été roadie des Byrds dans un passé proche...).
Contrastant étrangement avec ces éléments garages, une ambiance folk profondémment influencée par les Byrds mâtine en effet la plupart des morceaux ( omniprésence d'une guitarre rythmique tout en arpèges scintillants et parfois utilisée à la manière d'un Keith Richard; harmonies vocales étherées...), quant elle ne les soudoient pas franchement ("Musroom clouds"; "Message to pretty", "Gazing").
Par ailleurs, ces 2 influences musicales typiquement Américaines viennent également se tamponner avec des influences plus anglaises et comme le laissent entendre l'hyper entraînant "No matter what you do" ou encore "Colour balls falling"voire "And more", imprègnés de sonorités Beatlesiennes et Stoniennes, soit de pop et de rythm'and blues.
Et c'est alors qu'intervient le chant exotique et écorché vif d'Arthur Lee, élément moteur et principal compositeur du groupe, tout en contraste lui aussi et qui vient ainsi unifier ces élans musicaux disparates voire antagonistes.
A rapprocher par moment, et en moins puissant du chant d'un Eric Burdon qui a lui aussi cotoyè les extrèmes mais successivement (Animals en Angleterre puis New Animals en Amérique) et non pas conjointement à l'instar de Lee, ce chant à la fois agressif ( énervé, syncopé, voire hoqueteux) et annonciateur du" Summer of love" (tout en volutes planantes, mélodieuses et harmoniques) est parmi les plus originaux et schizophrénique des sixties.
Et le tableau serait loin d'être complet sans évoquer ces franches tournures psychédéliques (signalons que cet album, sorti début 66 fait partie des précurseurs), présentes sur la plupart des morceaux et ouvertement développées sur certains tel le magnifique "Softly to me", représentatif du style que Love exploitera sur Forever Changes.
Dans cette mouvance psychédélique, signalons également "Gazing" aux résonnances folk,le très blues "Signed DC" ou encore "Emotions", instrumental qui lorgne vers la surf-music (!).
Avec ce 1er album à la sonorité très accoustique, Love, avec un panel de chansons contrastées et parfois dérangeantes, agitées de soubressauts rocks et tendues vers des horizons magnifiés, annonce les tiraillements d'une génération dont le regard tourné vers le rêve d'un monde harmonieux ne peut qu'apercevoir les feux de la guerre.
Ce malaise, Love cherchera à l'étouffer l'année suivante sur leur 3ème et chef d'oeuvre d' album, orchestrant avec superbe ses mélodies transgressives de volutes baroques.
A défaut de parvenir à noyer cette mélancolie ensoleillée sous des apparats aussi soyeux et seyants soient-ils,ces arrangements lui donneront les irrésistibles attraîts d'une Beauté fatale qui, vous le savez très bien va causer votre perte mais dans les bras de laquelle vous ne pouvez vous empêcher de vous jetter.Andmoreagain
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