Phluph est... un sourire pendu à un cintre... une conscience dans une bataille de prix... un mot gentil en France... le bruit d’enfants courant, terrorisés... l’attente d’une héritière... le frottement de cuisses gainées de soie dans un wagon du métro... un prêtre qui pleure au Vatican... une sirène gémissant dans une cour d’école... le baiser de la fuite... le piment de la création... le viol d’une rose... le cheminement de pèlerins... la seconde voiture d’un défilé... l’enfant des enfants... la chanson de Tom Bombadil... la carrière de la virginité... la confiance du prince Myshkin... la prière de Richard Speck... le rire d’un faucon... le futur de la Chine... une perle d’amphétamine... un anneau de regrets... le souffle de Beowulf... le confort de l’argent... l’expérience d’une rivière... l’humilité d’un abraxas... un défaut de mémoire... un assaut de conquérants espagnols... amgately [?]
Phluph est un groupe de Boston, plus exactement de Cambridge, qui réunit Lee Dudley (baguettes et chant), Ben Blake (guitare de proue et chant), John Pell (basse et chant), Joel Maisano (orgue et chant).
Pas de biographie: nul ne semble savoir d’où surgissent les musiciens et ce qu’ils feront après leur unique album, édité par MGM en 1968. — Comme ceux de Beacon Street Union, Orpheus, Ultimate Spinach, Chameleon Church parus cette année-là, il est estampillé “Boston Sound”. Ce fameux “Boston Sound” (ou “Bosstown Sound”), étant, rappelons le, une pure invention de la firme MGM, qui pensait ainsi attirer l’attention du public vers ce qui se passait à l’est du pays.
La pochette présentant les musiciens empaquetés dans ce cocon verdâtre rappelle — entre autres — celle du “Wheels of fire” de Cream, mais l'analogie réside principalement dans le nom: Marshmallow Fluff, littéralement «duvet de guimauve», étant une crème du genre Nu... ou Ne... (pour ne pas citer de marque) célèbre aux Etats-Unis. L’orthographe entretient la distance avec la friandise, mais présente le “produit” comme telle, ce qui est “savoureux”; de plus, sachant que dans le langage courant fluff signifie “faute”, on ne peut que goûter la subtilité de l’invention! En retournant l’emballage, on trouve le délire dont la traduction me sert de liminaire, ainsi que ce dithyrambe: «We can’t see anything that could possibly hold back a group like this, when their reputation catches up with their ability, Phluph may very well be famous through out the world». Le moins que l’on puisse dire c’est que le service promotion n’y allait pas de main-morte.
L’œuvre est mineure, certes, mais elle est piquante. Plutôt pop que psyché, et plus encline à une alacrité british qu’à des croisières mystico-nonchalantes, elle se distingue par le son de l’orgue: petit clavier si commun à l’époque, mais que Joel Maisano utilise à ravir, faisant le jokari entre Bach et la fête foraine. Les autres musiciens sont tout aussi compétents et Blake, Pell et Maisano se relaient au chant.
“Doctor Mind”, le premier titre, fait songer au célèbre “My friend Jack” de The Smoke avec son petit trot débonnaire et charmant, ses fringantes hachures de guitare. “It takes a lot to laugh, it takes a train to cry”, est une reprise de Dylan*, pétulante, capricante, mais “dulcifiée” pourrait-on dire, tant le blues marquant l’original y est absent. “In her way”, avec son rythme effréné, sa basse qui dindaille, la frappe précipitée du batteur, une guitare jaculatoire et ruginante, est le titre le plus stimulant. “Another day”, d’un tempo plus mesuré, a des accents de kermesse et de marche militaire. “Girl in tears”, frétillant mais moelleux, proche du style qui fit les beaux jours de Caravan, s’évade vers des horizons féeriques. “Ellyptical machine”, bourré d’énergie, pomponné d’accents follets, sprinte avec les Byrds. “Lovely lady” est un titre abracadabrant: une comptine flasque et malicieuse où drageonnent fugue, valse et air de carrousel; quand le psychédélisme fait le joli cœur! “Death of a nation”, superlicoquentieux, oscille du côté de Lovin’ Spoonful. “Love eyes” se présente comme une obligeante ballade, puis, conduite par les chatouillis délicieux de l’orgue, vagabonde, extravague, la guitare se fait orientale, picotante, puis s’étire, s'émie, se dissémine dans l’éther d’un ragle acidulé. “Patterns” offre des atours plus évaltonnés et se range aux côtés de “In her way”; son final évoque irrésistiblement “Paint it black” des Rolling Stones.
Onctueusement vôtre,
*“Highway 61 revisited” (1965)