

Ceci est une revue mixte, croisant le premier album de Country Joe and the Fish et “Anthem of the Sun” de Grateful Dead, car je leur trouve bien des parentés: 1, leur appartenance au psychédélisme; 2, leur indolence californienne; 3 leur sonorité: tous deux offrant cette épaisseur moelleuse où l’on se niche comme dans un vieux canapé, la même instrumentale clarté, et des variations mélodiques remarquables par leur élasticité... Et puis les pochettes, tiens! tout en cercles et faciès!
Country Joe.... “Flying high”On est d’autor cravaté par le son acide et pointu de la guitare, cette esbanoyante guitare qui s’amuse à descendre dans les octaves avant que ne s’installe le tandem basse-batterie, replet, peinard, judicieusement approprié à ce rock pantouflard contant l’histoire d’un
hitchhiker sorti de la débine par deux types en Cadillac...
«[...] the one with the fez, well he turns and he sez, “We'd like to help you make your trip.”, And I went flying high, All the way — all the way.»Grateful Dead... “That is for the other one” «The other day they waited, the sky was dark and faded, Solemnly they stated, he has to die, you know he has to die.»... L’orgue, fluet... des roulements de batterie, un peu martiaux... la guitare de Jerry Garcia, aimable et patineuse, qui répond aux vers qu’il prononce... La mélodie, souple, veloutée, va muer, se transformer, s’alambiquer, rebiquer, se déseingoigner en un rock nébuleux, serpentin, étonnamment raplapla — le volume sonore dégonflant, puis regonflant, le rythme maintenu par la cavalcade des batteries: lave étrange d’où s’esquivent des giclées d’orgue Hammond et des volutes de guitare. Mais la plus étrange de ces métamorphoses à lieu quand, au bout de cinq minutes, tout se fluidifie en un
fade out embrouillé, qui bientôt se désarticule pour nous transplanter en un univers extra-musical, sans rythme, sans harmonie, où se mêlent un grondement sourd, des sifflements, des tintinabulements, des cliquetis, des frottements indéfinissables qui se compressent, se figent en un rouleau basses-aiguës sur lequel vient
surfer une myriade de petits sons percutants, métalliques et chatoyants — qui vont de nouveau se diluer dans l’ouverture calme et gracieuse de “New potato caboose”, la chanson suivante.
Grateful Dead.... “New potato caboose” Ouverture diaphane, légère, diliculaire, tissée de fins arpèges de guitare sèche, galonnée par une basse veloutée. Chanson fructicoseuse où s’enchevêtrent un clavecin, de fines clochettes, un orgue, un gong, des chœurs, une batterie, qui librement trottine...
«This ground on which the seed of love is sown, All graceful instruments are known»... Chanson psychédélique, édénique, élastique — déboîtant sur des “prises”
live où, souplement, s’épanouit la guitare de Jerry Garcia, pleine de rêve et de «visions bleues».
Country Joe... “Not So Sweet Martha Lorraine” «She hides in an attic concealed on a shelf
Behind volumes of literature based on herself
And runs across the pages like some tiny elf»Le son de l’orgue tendu comme la corde d’un funambule!... Les cymbales carillonnant comme la cloche d’une locomotive!... Les guitares étincelantes comme des “cierges magiques”!... Ô joie, ô royale allégresse que cette adamantine, ergogène recoirdie !
Country Joe... “Death sound” Du blues! alpagueur, fouailleur, superbe, doté de guitares excoriantes et guépines, de frétillements de tambourin extraordinairement ophidien — comme si un vieux massasauga était là en
guest star! Et l’orgue qui vibre, hispide et fiévreux! Et la batterie, la basse qui boulonnent la mesure avec une ardeur mercenaire et une netteté horlogère!...
«I feel the black nails a-poundin' now, Yes, into the coffin of our love» — Quelle vitalité, nom de nom!
Grateful Dead... “Born cross-eyed” Volées de guitare, de batteries, scandées, heurtées, précipitées...
«Seems like I've been here before,
Fuzzy then and still so obscure, good-bye, good-bye, good-bye, good-bye»... Flammes, spasmes, liés, étirés, mouvants...
«And I don't want to see anybody cry, Meet me some mornin' in the sweet by and by, by and by, by and by»... Hôlement de l’orgue, floconnement des voix, et soudain, annoncée par un pépiement prismatique, acidulé, une aubade de trompettes,
mariachi, promptement fondue aux mordillements acrobates d’une guitare électrique. La chanson reprend pour quelques instants sa marche capricante, et s’évapore vitement.
Country Joe... “Porpoise mouth” «While waters rush down the mountain tongue, My organs play a circus tune»... Ô
zeitgest! psychédélisme! chapelle Sixtine du Bizarrisme! Ce “Porpoise mouth” est une valse clownesque et mélancolique. L’orgue et la batterie distillent la mélodie en souplesse, en pointillés — en sauts allègres et légers où viennent s’aimanter des arpèges de guitare, tiquetants, élisabéthains, un solo acide et vergé, enfin un bourdon vrombissant, électrique comme la molette d’un dentiste...
«I hunger for your porpoise mouth, And stand erect for love».
Country Joe... “Section 43” Le morceau de roi! Un instrumental de sept minutes, mouvant, nonchalant, où l’orgue étale ses ondes aiguës et paresseuses, où la guitare éparpille de petites notes claires et lustrées. Deux mouvements alternés: l’un envoûtant, ouaté, rythmé par une batterie tournoyante, tissant une ambiance spatiale proche de celles de Pink Floyd, un autre, léger, satinée, donnant l’impression de découvrir le ciel par-dessus les nuages; et, au retour du premier, la strideur d’un harmonica unie aux constantes sinusoïdes de l’orgue, la guitare devenue zigzagante et saccadée; cette même guitare qui, à la reprise suivante, se montre sanatoirement psychédélique, spitante et acérée, distordue et chaotique.
Grateful Dead... “Alligator” «Out of the river all ugly and green,
Came the biggest old alligator that I've ever seen!»La batterie: «Pa-pa-pa, pa-pa-pa, pa-pa-pa-pe-pe...» et la guitare qui enchaîne. Du
rock ‘n’ roll comme à l'école, mais qui s’embarbouille d’orgue, de congas, de kazoos, de chœurs-cacatoès, de pianos en guirlandes et d’une basse bien tumescente. Autre folie
alvéolaire, dont les paroles sont signées Robert Hunter, et qui s’efface pour laisser place à un passage en concert...
«Come on everybody! Get up and dance!. Les deux batteurs hardiment barattent ce que l’on peut appeler une samba, et l’on entend en sus des fanfarantes estocades des cliquetis de crotales, des frouements de güiro et autres
quesi quesi, bien coincts mais non identifiés. Puis Jerry Garcia et Ron McKernan, qui à la guitare, qui à l’orgue, vaguent et magnifiquement extravaguent, s’en donnant à cœur-joie, enluminant ce rythme citigrade et syncopé.
Country Joe... “Superbird” «Look, up yonder in the sky, now, what is that I pray? It's a bird it's a plane, it's a man insane, it's my President LBJ»... Un titre moqueur et folichon où le président Johnson est comparé à Superman. Un bon petit rock ‘n’ roll, pugnace et ignicole, actionné par un couple basse-batterie sthénique et trépidant,
customisé par une paire de guitares oxydantes et griffues.
Country Joe... “Sad and Lonely Times” Un joli petit rondelet, campagnard, relax. Tchacapoum de la batterie, guitare lentibarneuse, et un harmonica qui rappelle un air de Neil Young...
«My love stands beside me, Through the rain, through the wind and the snow»... Ah, oui! c’est là une chanson d’amour, idyllique et poudrée d’espoir...
«So long sad and lonesome times, So long lonely days».
Country Joe... “Love” «Deep in my heart, babe, the feeling is there»...
Bis repetita placent. Une titre
groovy, Booker T. & the M.G.s, avec un orgue catapultant des notes courtes et juteuses, la voix de Country Joe qui se fait rageuse et rauqueuse, et une gratte égrappante et chiquenaudeuse qui expédie son petit solo.
Country Joe... “Bass Strings” Lent
Serpentin
Diffus...
«Get so high this time that you know
I'll never come down, I'll never come down»...
Le voyage immobile dans toute sa plénitude: la batterie est hypnotique et feutrée, l’orgue lamellaire, effilé, la basse dodelineuse, la guitare épineuse, voltigeuse, désordonnée.
Country Joe... “The mask marauder” Grande parade orgue-basse-batterie, fringante! piaffante! superbe! Puis entrée de la guitare, pétillante et micacée, mêlée au carillon miroitant des cymbales....
«La-la-la –la-la-la-la!»... C’est là les seuls
lyrics, et là tout parme, se zébulonne en une valse désuète, tel l’air d’un de ces vieux carrousels où les chevaux, les lapins, les cochons hip-hopent sur leurs axes torsadés; ambiance aussi fantaisiste que celle de “New potato caboose” du Mort Reconnaissant, qu’étend un vésicant panel de sonorités: orgue
fuzz affilé, harmonica
western et léger, keyboard dandouillard et picotant, un autre grave et vrombissant.
Country Joe... “Grace” Voluptueux, aérien, chatoyant, onirique, envoûtant...
«Cold rain to splash water diamonds colored green and, Flash the sun to paint green her hair»... Tintements nacrés, stillations argentées, basse veloutée, lent déferlement de cymbales, guitare pâle, orientale — fine et sinueuse comme un dragon japonais —, et des voix réverbérées, des aspirations emparadisantes...
«Warm wind to touch the trees colored blue and, Flash the moon to paint blue my heart»... C’est un voyage versicolore, immatériel, entre l’alpha et l’oméga d’une pensée, les exultantes connivences de l’imaginaire...
«Soft skin to spend the every day colored gold and, Flash the sea to paint gold our love»... Et l’on entend souffler un vent sensuel et mystérieux, s’épartir fins sifflots, picoteux et gazouilleux zizilles....
«Your silver streak flash, Your silver streak flash, Your silver streak flash, Across the tiny door of my eye»... les voix s’entrecroisent et se répondent, les aspirations suggestives reprennent, relayées par quelques notes de flûte, tendres et narcotiques, la guitare, plus acide, s’élance dans un dernier solo...
«I love you, I love you, And I love you»... les cymbales éclatent et remuent, la guitare hache des accords concomitants, la basse gigote, élastique et rebondie. Le final se résume dans les coups portés sur le dôme d’une cymbale, le martèlement similaire d’une cloche à contretemps, les croches véloces de la basse et les accords immuables de la guitare, dont le dernier s’amplifie, se suspend, s’évanouit.
Grateful Dead... “Caution (do not stop on tracks)” «Just a touch of Mojo's hand, oh bring it back on, And it feels pretty good, yes indeed»... Reprise d’un passage
live. La musique paresse et se fait des messes, les batteurs paumoient leurs baguettes, l’orgue caquète, mais Jerry Garcia louvoie, hésite à se lancer, sécrète des notes basses et anémiées. Le bond est court et nonchalant. Il s’ensuit une longue désarticulation où les sons s’extravaguent en retentissements incantatoires et vibrants, puis meurent et renaissent, s’effilochent en hiements radiophoniques, en sonars insolites, en lallations lisses et flûtées, en vibrations limailleuses et tendues: toute une houle flaccide et biscornue qui va se délayer dans le blanc du silence, jusqu’au STOP affiché par le lecteur CD.
IMAGES:
http://i81.servimg.com/u/f81/11/01/35/51/electr11.jpgPochette de “Electric Music” (pressage français)
http://www.livedownloads.com/labels/gd439361.jpgCover of “Anthem Of The Sun” (big one)