«La plaque d’immatriculation est pas bien placée, mon gars, elle est pas éclairée, votre clignotant m’a pas l’air en bon état, et les freins, voyons un peu le frein à main.» — “Acid test”, Tom Wolfe (traduction Daniel Mauroc)
Moutain Bus... nombreuses sont les compagnies de transport dont le nom comporte ces deux termes, mais à la fin des années 1960 ce “bus” évoque une autre “route” et une contagieuse liberté... «The blue bus is calling us, Driver, where you’re takin’ us?» (“The End”, The Doors); qu’on se souvienne aussi des Merry Pranksters... Non! ses passagers ne viennent pas de Californie, ils viennent de Chicago. Let me introduce them:
Ed Mooney (electric and acoustic guitar), Tom Jurkens (vocals), Steve Krater (drums and percussion), Bill Kees (electric, acoustic, 12 strings and bottleneck guitar), Lee Sims (drums and percussion), Craig Takehara (bass and banjo)
Mooney joue au sein de Moons and the Stars (1962-1964), Jurkens, lui, conduit Jurk and the Bushmen (1965). Tous deux se réunissent pour former Rhythms Children, avec l’appui de Steve Titra, Joe Wilderson et Steve Krater. Le groupe se dissout lorsque Wilderson émigre au Canada pour échapper à la mobilisation, puis se reforme, choisissant cette fois le nom de Mountain Bus, avec Mooney, Jurkens, Krater, plus Billy Kees (ex Fantasy et Hearts of Soul) et Lee Sims — peut-être faut-il aussi ajouter Craig Takehara, qui figurera quatre ans plus tard au line-up de leur album?
Durant quatre ans Mountain Bus mène la vie cahoteuse et difficile d’une formation en mal d’engagements et de publicité. Il joue à droite à gauche et aux environs; notamment au réputé Alice’s Revisited, au 950 West Wrightwood; ainsi qu’au coffee house du même nom sur Lincoln avenue. Il répète aussi longtemps au 187 Wacker Drive, dans un local sale, infesté de rats, avant que de trouver refuge dans l’arrière-salle d’un restaurant. Ces activités ne profitant guère, ses membres sont obligés de travailler à plein temps; le plus souvent dans des magasins de disques, notamment Round Records — icelui devient leur quartier général, et son propriétaire, David Solomon, leur manager et agent.
Trois connaissances de cet homme propice forment à ce moment-là Good Records, filiale de leur compagnie: People’s Art Corporation. Afin de concurrencer les “majors”, il leur vient l’idée de vendre directement aux boutiques, abaissant ainsi de moitié le prix d’un album. Au printemps 1971, Good Records passe un contrat avec les studios Streeterville Recording, et Mountain Bus enregistre un large microsillon: “Sundance”.
La chevelure crépue et bouffante du personnage figurant sur la pochette — sobre et intrigante — incite à penser qu’il s’agit, soit de Steve Krater, soit d’Ed Mooney, que l’on voit plus nettement au verso, ainsi que les autres protagonistes.
De gauche à droite et de haut en bas: Lee Sims (drums and percussion), Tom Jurkens (vocals), Steve Krater (drums and percussion), Craig Takehara (bass and banjo), Ed Mooney (electric and acoustic guitar), Bill Kees (electric, acoustic, 12 strings and bottleneck guitar) — La petite photo au milieu est celle de Jimmy Nielsen, ingénieur du son.
Question contenu, nos ménestrels plongent leur racines dans le terreau fertile du blues-rock et délivre une musique capiteuse, pleine d’une aménité toute californienne. La présence de deux guitaristes et de deux batteurs (à l’instar des Allman Brothers, dont on peut les rapprocher) rehausse leur style et confère une ampleur exaltante à des proliférations incessantes: ce magma ductile, versicolore qui n’appartient qu’au psychédélisme et qui vaut tous les scenic railways et les voyages en apesanteur. Leur goût pour les soli vagabonds, leurs eflluves kaléidoscopiques les situent dans la lignée de Grateful Dead (celui de “Dark Star” surtout!), mais ce parralèle commodément répandu, est à moitié juste et l’on peut trouver d’autres références pour les répertorier; ainsi un internaute évoque-t-il la fusion entre les premiers albums de Grand Funk Railroad et Blue Image!!! Personnellement, je me bornerais à relever des concordances avec les morceaux suivants: “China cat sunflower” de Grateful Dead (“Aoxomoxoa”), “Gold and silver” de Quicksilver Messenger Service (1er album) et “In memory of Elisabeth Reed” des pré-cités Allman Brothers (“Idlewild South”), et ce pour sa couleur latine. Je les rapprocherais aussi de The Youngbloods pour la douceur de leurs mélodies. Certes, de tous ces groupes, ils n’ont pas la stature — ils leur manquent l’inventivité, le fini des compositions —, mais ils ont la flamme et l’on sent qu’ils prennent plaisir à jouer, à jouer ensemble (une unité d’ailleurs confirmée par une signature collective): c’est là l’essentiel!
Nous sommes en novembre 1971. “Sundance”, sans atteindre des performances olympiques, se vend bien et de surcroît recueille des critiques favorables de la presse lorsque parvient une injonction de Windfall Music visant à interdire le droit d’utiliser le nom de “Mountain”. Windfall Music, qui représente légalement Mountain, le groupe de Leslie West et Felix Pappalardi, non seulement considère que l’utilisation du nom est préjudiciable, mais exige de stopper vente, promotion, diffusion, etc. Une vilénie, dont Mountain se défend d’être l’instigateur, et que pourrait aisément parer les incriminés s’ils en avaient les moyens, le nom de Mountain Bus étant antérieur à celui de Mountain. — En réalité, les arguments avancés par Windfall seraient une manœuvre orchestrée par Columbia (label auquel appartenait Mountain) pour abattre un compagnie voulant changer les règles du marché (Good Music ayant aussi augmenté le taux des royalties). L’entreprise réussit: Good Music dépose le bilan et l’essor du groupe se fossilise pour l’éternité.
3500 exemplaires vendus, combien en stock?... “Sundance” rejoint l’obscure légion des oubliés paradant dans les bacs à soldes, défilant dans les encyclopédies. Il faut attendre 1998 pour voir sa résurgence: sous forme d’un CD édité par Gear Fab Records. Le son est parfait, le contenu original (sept titres) est augmenté d’inédits, le “booklet” détaille l’historique que j’ai résumé ici.
Sept titres, disais-je ?...
1/ “Sing a new song”. Pas de doute, c’est du rock ‘n’ roll, franc et direct. L’on se dit: “Encore du rock ‘n’ roll!”. Mais la brillance, la vivacité, l’entrain dont ils font montre sont si touchants que l’on se laisse gagner par l’euphorie. Le tempo chemine gentiment, les guitares pétillent comme l’écume, la voix de Tim Jurkens réverbe, se dédouble, souple et mélodieuse.
2/ “Rosalie”. Du bonheur, de la volupté! Les guitares vagabondent, virevoltent, la basse s’affirme avec de beaux arrondis, les percussions carambolent avec grâce et sérénité: on peut se laisser entortiller mille fois dans ces volutes, et mille fois être emporté.
3/ “I don’t worry about tomorrow”. Ce joyeux tribut à la country music, fleure bon le p’tit bal du sam’di soir, les lampions, la buvette, le tonneau en perce et les filles nippées pour l’occasion. Une ambiance “rurale” que viennent renforcer les voix des «Good People» (les fondateurs de Good Records) et celles de Glenna et Hershey.
4/ “Sundance”. «Gypsy girls come spinning beneath the golden crown, All their gowns are flashing in the sun [...] Dance calls the dawn, Dance with circling sun». Palpitante de poésie, gainée d’une ardeur hellénique, fécondée par le suc fringant des batteries, le doux lacis des guitares, cette “danse du soleil” évoquant les Grandes Plaines et une Arcadie joyeuse est le titre le plus réussi et le plus captivant de l’album: après une amorce vive, mouvante anagogique, les guitares éclatent en gerbes étincelantes étayées par des percussions incantatoires et volubiles.
5/ “I know you rider” est un traditionnel, dont je ne connais qu’une autre version: celle de Hot Tuna (premier album). Brandillante, “derviche”, entrelaçant bootleneck et wah-wah, elle s’épanouit, fuse en une kyrielle de crescendos bohèmes et aphrodisaques.
6/ “Apache Canyon” est la pièce la plus éthérée, la plus magique de cet album. Ses arpèges cristallins de guitares, ses modulations erratiques évoquent magistralement l’image d’un canyon: ses hautes murailles dorées aux formes capricieuses, gardiennes du vent et du soleil. C’est un instrumental, prélude au titre suivant, lui aussi instrumental.
7/ “Hexahedron”. La frappe en pointillé — cymbales, tom basse — soutient les vibrations chatoyantes des guitares qui, de lentes, se font spasmodiques, deviennent plus fiévreuses, plus abrasives. Mais il faut admettre que l’élan n’aboutit pas, que ça cafouille et lambine un peu avant que de se dissoudre dans les mêmes ripements serpentins et languides qui marquent le début.
Un mot sur les inédits...
Il y en a cinq. Deux proviennent d’un enregistrement studio datant de 1970, les trois autres sont extraits de concerts. Tous démontrent leur attachement au blues-rock de manière plus radicale — un peu confuse parfois — et offre avant tout une valeur documentaire. Relevons tout de même une trépidante reprise du “(Meet me) Down in the bottom” de Willie Dixon (live), ainsi “Young man’s blues”, un titre de leur composition.