The Unspoken Word — “Tuesday, april 19th.” (1968) (1er album)
Gene Stashuk: lead guitar, rhythm guitar & vocals
Dede Puma: vocals
Greg Buis: bass & vocals
Les Singer: drums
Angus MacMaster: keyboards
Tout ce que l’on peut dire des musiciens qui composent ce groupe c’est: 1, qu’ils sont originaires de Long Island; 2, que Gene (ou Zenya ou Zhenia) Stashuk est le principal compositeur; 3, que Dede Puma est connue pour avoir suggéré, en décembre 1966, aux membres de The Pigeons d’adopter le patronyme plus “hip” de Vanilla Fudge. Le premier se retrouvera au line-up de “Give it up” (1972) de Bonnie Raitt, jouant du violoncelle; la seconde à celui de “Honeysuckle Dog” (1972) de Chris Smither, assurant les harmonies vocales. Les Singer et Angus MacMaster rejoindront, courant 1970, une communauté agricole en Arkansas; ce dernier trouvera la mort le 5 février 1971 dans un accident d’automobile*; le premier composait alors des chansons en vue d’un album; je ne sais rien de Greg Buis. Leur nom vient — je pense — d’un poème de T. S. Eliot, “Ash Wednesday”, paru en 1930: «Still is the unspoken word, the Word unheard, The Word without a word, the Word within the world and for the world; And the light shone in darkness and against the Word the unstilled world still whirled about the centre of the silent Word». Un poème évidemment religieux où il faut entendre “Word” comme étant le Verbe, et “word” la parole donnée aux hommes.
Philippe Thieyre dans son encyclopédie du “Rock psychédélique américain” stipule leur premier album, issu sur Ascot (filiale de United Artists), et le déclare «rempli de bonnes surprises et d’une émouvante beauté». Son catalogage dans le domaine psychédélique, plus exactement «folk rock psychédélique» est une commodité, mais, certes, il emprunte aux trois genres, et l’on ne peut qu’être ébahi par un style souple et chatoyant, parfois féerique, apostillé de réminiscences baroques, ocellé d’accents de fanfare — trompettes pavoisantes, fracas de caisse claire —, galonné de ces volutes orientalisantes propres au psychédélisme — apanage de “Anniversary of my mind”, la première chanson, l’une des plus fertiles et des plus grisantes.
L’ensemble oscille entre cavatines et rondos vivaces, mais ces derniers s’ébrèchent en de délicieuses et minutieuses langueurs, tout comme les folks les plus doux s’éperonnent de frisques embardées; ainsi “Rossby” avec ses étirements gouachés de violons et de chœurs onctueux, “Waking up”, pétulant, funky, rompu de tendres bonaces.
Toutes les compositions sont presque exclusivement signées par Gene Stashuk; Dede Puma et lui se partagent le chant. Le timbre de voix irrévocablement folk de la première — semblable à celui de Judy Collins — est un attrait majeur, tout comme le sont les chœurs — diffus et vaporeux — auxquels participe Greg Buis. A la base guitare /basse/batterie s’ajoutent le piano, l’orgue — discret et satiné —, la trompette, le violon, mais aussi la flûte, le hautbois, le cor anglais, le sitar et le clavecin — de quoi contenter l’amateur d’orchestration vitaminée! Quant à la musique, aux chansons, on ne peut que tabler sur des comparaisons pour s’en faire une idée: celle d’Arthur12Lee, internaute à qui je dois cette découverte, qui rapproche les arrangements de ceux des premiers albums de Tim Hardin, et décèle l’empreinte de “Pet Sounds”; celle de Philippe Thieyre, qui voit dans “Waking up” l’équivalent des «plus belles réussites du groupe anglais Fairport Convention»; celle de Kurt Sampsel*, qui, parlant des variations de thème introduites dans l’œuvre, les associe à celles de “Music In A Doll’s House” de Family; moi, qui, intrigué par ce parallèle, ne peux m’empêcher de trouver à des titres comme “Mellowing grey”, “Me and my friends, “The breeze”, “3xtime” (titres de “Music In A Doll’s House”) le même charme et la même subtilité; moi, encore, qui discerne dans “For the world” les supernelles mélodies de “Forever Changes” et assimile “Sunday suit of clothes” aux détersives splendeurs de The Left Banke, pour ses saillies de violons et sa volubile alacrité; moi enfin qui, pour l’ensemble — le ton, les arrangements et le chant en duo —, considère “Girl with no eyes” de It’s A Beautiful Day comme le lumineux et parfait reflet de leur style.
“Tuesday, April 19h.” est un album concept narrant la peine à devenir adulte, évoquant, tour à tour, le passé, l’absence et les regrets — son titre, d’ailleurs, suggère une naissance ou une première communion: une encoche sur la muraille du Temps qui les empile et les confond —, et chaque chanson s’épanouit comme la fleur d’un lotus, offrant le même symbole de pureté, le même sentiment d’idéal et d’accompli.
“Anniversary of my mind” extravague sur un esprit à louer — celui du troubadour — et sur un cortège de badauds venus voir sa mort avant qu’elle ne survienne. — « To day we celebrate for the very first time, The anniversary of my mind, One by one the people shook my head and cried: “My, what’s inside!?, what’s inside!?”». C’est Gene Stashuk qui chante, d’une voix douce, légèrement froissée. La mélodie, tendre, mousseuse, irisée de sitar, tiquetée de clavecin, nimbée de chœurs et de violons, est portée par une basse dodue et papillonnante, une batterie svelte et crénelée, elle ouvre cette œuvre étonnamment concise, égrenant des titres s’irriguant l’un l’autre, se fécondant, offrant toujours ce style ondé, diffus, mouvant où s’entremêlent les voix de Gene Stashuk et de Dede Puma; ainsi, “For the world”, parabole sur le futur — montré par un homme assis au sommet d’une colline — s’achevant sur des battements de cœur, iceux menant à “Waking up” débutant comme une comptine. — «Close your eyes, close your eyes, The past will soon arrive».
“Moving day”, sur un air de valse incertain, pomponné de cor anglais, gingine de lancinants regrets. — «Sad was the day, When I moved away, For I never see my friends again [...] When mother died, I sat and cried… for days that had passed us by, days when I’d told her lies».
“After the before” offre une mélodie flébile, ample et veloutée, ses paroles, embuées de nostalgie, papelonnées de rêve, expriment ce mal infamant: grandir. — «Growing up is such a chore, Grown up sorry asks for more, After the before, never more».
“One day born again” clôt la face de l’album: brève reprise de la mélodie de “Anniversary of my mind”, chantée à l’unisson, accompagnée de deux guitares sèches égrenant des arpèges. — «Once you ever mind, You will find you have a friend, And on that day your first life will I found in end, One day you born again».
“Distant, oh so far” poursuit le piteux constat du déroulement de la vie. — «When, I’m young getting older, Doesn’t seem like, What my life might turn out to be, Distant, oh so far». La mélodie est douce, limpide, rythmée par les accords d’une guitare sèche, enluminée par un cor anglais et une flûte traversière s’extravasant en un merveilleux solo.
“Rossby”. «Les ondes de Rossby ou ondes planétaires sont des mouvements ondulatoires de la circulation atmosphérique ou océanique de grande longueur d’onde [.] Elles sont un sous-ensemble des ondes inertielles, identifiées en 1939 par Carl-Gustaf Rossby dans l’atmosphère.» (Wikipédia). Pratique, tout de même, Internet! Voilà qui expliquerait, en partie, les paroles de ce titre coruscant et musclé — «Listen to the drumming in the rain, Listen to the drumming out the rain» —, mais il pourrait être dédié à Paul Rossby, autre scientifique, copain d’école de Leslie Singer.
“Flock of birds” effile ses pensées sur l’amour et le bonheur, migrantes comme des tribus d’oiseaux cinglant vers le soleil : une ballade armoriée de hautbois, emplie de lyrisme, chantée en duo, à l’unisson. — «Flock of birds flying with us, Taking the son near to the sun, Flock of birds showing our love, As a chance to become».
“Sunday suit of clothes” célèbre l’idylle conjugale, l’union donnant sens à la vie, la comblant de bonheur, une chanson, comme je l’ai dit, joviale, stellée de violons, conduite sur un rythme martial, qui plus est, jaspée de cuivres, de hautbois, striée de guitare électrique. — «Since we met we found the place where we belong, Together day by day our love keeps growing strong, I feel much better, Since the day I met her, Feeling like a sunday suit of clothes».
“We’re growing” est une véritable marche, avec fifre et tambour, vaillante et têtue, scandant à gogo: «We’re growing, we’re growing, We’re almost ten feet tall». Son écho revient, par quatre fois jaspille, puis s’éteint.
«Belle étoile, brille, brille! Si tu brilles c’est que tu m’entends». Comme Gepetto, mon vœu le plus cher se trouve exaucé et, au lieu d’un approximatif repiquage en bois, j’ai maintenant une vraie galette de polycarbonate de 1, 2 millimètres d’épaisseur, galette éditée par un vrai label, “Fallout”, disponible sur un catalogue fort alléchant*, et qui, pour comble de bonheur contient les singles parus avant l’album, soit quatre titres supplémentaires; “Boy” et “And it’s come” offrant une grâce et une douceur élaborées, “On a beautiful day” une énergie et une mélodie dignes de The Mamas and The Papas, “Nobody’s nothing”, tout aussi pop et chatoyant, une couleur un peu plus soul.
En 1970, The Unspoken Word — sous ce nom, et cette fois sur le label Atco — sort un second L.P. Enregistré entre septembre 1969 et mars 1970, il est totalement différent, s’alignant sur le gargantuesque rock-blues en vogue à l’époque; ce qui ne veut pas dire qu’il soit mauvais, il est même fort attractif avec ses corpulents riffs de guitare et ces pulpeux jaillissements d’orgue Hammond, remarquable pour sa version live et marathonienne de “Personal manager” de B. B. King, celle, moite et voluptueuse, de “Around and around” de Chuck Berry, ou encore les balèzes et torrentiels te deum que sont “Pillow” et “I don’t need no music”, rock-soul où Dede Puma adopte une voix fêlée et féline proche de celle de Maggie Bell; ajoutons à ce tableau deux ballades acoustiques, le très cool “Sleeping prophet”, chanté en trio, seulement accompagné par Angus MacMaster au piano, et le plus rock “Sleepy mountain extasy”, soutenu par une seule guitare sèche, et l’on en vient à se dire qu’il serait noble et juste qu’un label éditât cette œuvre sous forme de galette polycarbonique. «Belle étoile, brille, brille! Si tu brilles c’est que tu m’entends»....
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www.motherearthnews.com/UnCategorized/1 ... Group.aspx
* Revue de Kurt Sampsel:
http://www.geocities.com/punkpsych/unspokenword.html
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www.soundlinkmusic.com