Les Rockets
On évoque souvent l’époque héroïque du rock français et les galères des petits groupes obligés d’entasser le matos dans une vieille fourgonnette n’en pouvant plus. Mais ces vicissitudes étaient bien peu de choses en comparaison du martyr des musiciens du groupe Les Rockets. Obligés durant des années de s’enduire le corps de peinture argentée, comme dans un épisode de "Au Cœur du Temps", avant chaque prestation scénique ou télévisée et de porter des costumes et des platform boots à paillettes. Comble du sacrifice, ces mutants musicaux avaient le crâne rasé, ce qui pour l’époque était inouï.
Les Rockets naissent en 1974 mais sous le nom des Rocket Men pour un premier simple. Ils sont un petit groupe inconnu nommé les Crystals, approchés dès 1972 par Claude Lemoine, une sorte de mentor un peu original, avec un certain génie pour les coups artistiques, qui va rapidement les coacher. Ce producteur a depuis longtemps l’idée d’un groupe qui proposerait une musique vaguement futuriste, plus bankable qu’authentiquement artistique, avec un look SciFi kitsch et retro. Les atouts visuels seront complétés par un jeu de scène robotique précurseur d’un fameux groupe de
Düsseldorf. Aux premiers pas artistiques du groupe, la gestuelle était orientée vers les arts martiaux et le karaté, très en vogue à l’époque, voir ne serait-ce que le très gros carton du "Kung Fu Fighting" de Carl Douglas. Surtout après un second 45 tours "Samouraï, hymne du karaté" (sic !) composé par Jacky Chalard. Une bonne partie du succès du groupe proviendra évidemment de leur look qui surpassait celui n’importe quel groupe glam ou disco, et de leurs shows. Ils se feront même fabriquer par
Jacobacci des guitares aux formes futuristes adaptées, genre Barbarella.
C’est avec le 45 tours "Future Woman" que l’équipe mettra dans le mille et trouvera la bonne recette qui fera décoller leur fusée. Une version longue sera réalisée pour les discothèques sur l’idée, une fois de plus, de Claude Lemoine. C’est cette version qui va donner le départ de l’intérêt du public italien pour les Rockets, par l’intermédiaire de Maurizio Cannici, patron avisé du label
CGD.
Groupe culte d’une pop kitsch, les Rockets n’ont pas laissé un énorme souvenir en France hormis certains ados ou post-ados pas très difficiles de l’époque dont j’étais, mais qui a du en surprendre plus d’un découvreur tardif avec son "concept". Destinée à un large public, la musique se situe entre disco et rock glam au départ avec une dose de space music assez pauvre, grapillant dans le rock électronique allemand . On pourrait qualifier l’utilisation des moogs et synthés de « gadget ». On est en effet assez loin de la pop sophistiquée qui fleurit tous azimuts dans le Rock français à l’époque, très progressive, qui s’inspire des musiques des modèles anglo-saxons les plus ambitieuses. La leur s’orientera de plus en plus vers une musique électronique discoïde, pas toujours d’un très bon goût et qui tournera pas mal en rond. Les Rockets vont néanmoins connaître un succès énorme auprès du public Italien auquel ils vont se consacrer dès la fin des années 70.
Ils sont parmi les tous premiers groupes et artistes d’une vague qui va avoir un gros succès commercial, celle d’une disco synthétique, voie ouverte déjà par Giorgio Moroder. Certains vont en faire leurs choux gras : Cerrone, Space et son "Magic Fly pour la France, qui eux connaîtront un succès considérable en Russie et pays de l'Est, et qui dure encore. La branche la plus sérieuse sera perpétuée par des groupes nettement plus intellectuels, Kraftwerk en tête, et tout un mouvement de musique électronique « industrielle». Les Rockets vont même faire des émules comme The Droid, par exemple. On se dit aussi que Daft Punk n’a pas eu à aller chercher l’inspiration très loin. Un morceau comme "Cosmic Race" sur l’album suivant "On The Road Again" est à mettre en parallèle avec les premières productions de Jean-Michel Jarre, qui lui connaitra un succès international.
Si les Rockets ne proposaient pas une musique d’une très grande qualité, le groupe était assez fascinant. Précurseur plutôt spécial, il a du influencer et donner des idées à pas mal de monde pendant longtemps. Sûrement un des rares premiers groupes d’inconnus à avoir à l’époque à avoir autant de moyens au départ, un projet original, pensé et construit (celui du producteur).
Lasers, vocoder, batterie électronique et traitements en tous genres en plus des synthétiseurs, les Rockets font partie des pionniers français d’une musique qui sera baptisée bien plus tard
Electro. Le savoureux décalage avec une musique "sérieuse" et le concept du groupe les rapprochent de groupes comme Devo. Allez savoir si les gars d’Akron ne connaissaient pas les petits français…
La composition du groupe en 1976 :
Christian Le Bartz vocals,
Gerard L'Her bass and vocals,
Alain Maratrat guitar,
Bernard Torelli guitar, Michel Goubet keyboards,
Alain Groetzinger drums and percussions.
Dès l’année suivante, Bernard Torelli quitte la formation et Louis Bertin remplace Michel Goubet aux claviers.
Ne pas confondre avec Les Rockets, groupe français quasi inconnu du début des années 60, ou bien The Rockets groupe US ayant réalisé un album en 1968 du même nom et qui deviendra Crazy Horse, et avec les autres Rockets de Detroit formé en 1972 par l’ancien Amboy Dukes David Gilbert et Jim McCarty. Bon, en principe on doit pas les confondre...)
Je me bornerai à faire un survol du premier album sorti chez
Decca en 1976, pour lequel j’ai un certain attachement.
Apache
"Les Rockets" démarre sur une reprise du classique des Shadows en disco assez indigeste. L’interprétation pataude par le groupe, est loin d’être un modèle de finesse. Les sonorités sont assez hallucinantes, avec des cordes complètement superflues. Un petit pont avec des congas et ça repart ! D’ailleurs, le choix dans la reprise d’un morceau comme Telstar aurait été plus judicieux . Un truc qui est mal à sa place en ouverture du disque.
Ballade sur Mars
Rock assez carré qui démarre comme du Alice Cooper puis balance comme du Martin Circus entre deux périodes, avec des vocaux dans le même genre, limités mais sympathiques. Le son est riche avec cordes et vocoder, et le morceau se révèle assez addictif après quelques écoutes.
Fils du Ciel
Pour moi, un des meilleurs singles de cette année pourtant riche, un rock pêchu, sorte de rencontre entre « Born To Be Wild » et « Fils de Lumière », avec toujours des motifs de synthes moog assez croquignolets et le gimmick de la voix impersonnelle avec écho accompagnant le refrain. Une belle production qui emporte le morceau haut.
Future Woman
Le gros hit des Rockets qui représentera leur marque de fabrique et va les mener au succès, à base de rythme spatiodisco. Des paroles en salmigondis européen, plutôt comique, pour ratisser large. Claude Lemoine fera réaliser une version longue plus synthétique et encore plus disco pour les boîtes, une excellente idée pour le tiroir-caisse.
Le Chemin
Un tempo lent assez beau avec une belle ambiance, avec une voix haut perchée et des textes sur le thème de l’Atlantide.
Apesanteur
Un tempo lent progressif et planant à la Pink Floyd, avec un chant et des arrangements qui pourraient rappeler Ange, la puissance d’évocation en moins, et c'est juste pour donner un semblant d'idée. Loin de moi l'idée de les mettre en compétition avec le groupe belfortain.
Last Space Train
Un instrumental country sauce disco avec même des petits passages de cordes à la ELO, une guitare parfois twangin’, les moogs ne chômant pas dans une sarabande des plus émoustillantes, parvenant même à faire oublier la simplicité du thème. Kitschissime !
Genèse Future
Morceau tartignole composé par François Bréant, avec des synthés gazouilleurs, servant de fond à un monologue narratif futuriste sur thème de la renaissance d’un monde cosmique…
Bonus
La sortie de l’intégrale CD a permis de trouver les premiers 45 tours par les Rockets, "Samouraï, hymne du karaté" de 1975 et "Rocket Man" sorti en 1974 sous le nom des Rocket Men. L'édition italienne du disque comprend une version du classique "Ave Maria" de Schubert, je ne sais pas (plus) si elle était présente à l'origine.
http://rapidshare.com/files/208435074/R ... s.rar.html
Liens utiles :
http://www.lesrockets.com/
http://www.blogotheque.net/Biniou-Cosmique
Si certains malades mentaux voulaient récupérer les autres albums...
http://pauldurango.blogspot.com/2008/04 ... -rock.html
Pour conclure, pourquoi s’intéresser à un groupe pareil ? C’est un peu le penchant que certains peuvent avoir envers des films fantastiques italiens, voire mexicains, alors qu'on sait qu’il y a mieux dans le cinéma américain.