Forum de rock6070

Nous sommes le Jeu Déc 11, 2025 2:48 am

Heures au format UTC + 6 heures




Forum verrouillé Ce sujet est verrouillé, vous ne pouvez pas éditer de messages ou poster d’autres réponses.  [ 3 messages ] 
Auteur Message
 Sujet du message: ILL WIND — The Story
MessagePosté: Ven Aoû 14, 2009 8:33 pm 
Hors ligne

Inscription: Mer Juil 11, 2007 10:59 pm
Messages: 717
Image
de gauche à droite: Dave Kinsman, Carey Mann, Richard Griggs, Ken Frankel, Conny Devanney
(photo reproduite avec l’aimable permission de Ken)

ILL WIND

Sachez, néophytes, que Ill Wind, auteur d’un unique album, “Flashes” (mars 1968), est un groupe de Boston, Massachusetts: exemple attachant du grand virage omnicolore et multipare des sixties, particulièrement malmené par la déveine et la foirade des événements... Ill Wind, le Vent Mauvais!— Comme si ce nom, apocalyptique — titre aussi d’un standard créé en 1934: “Ill Wind (You’re blowin’ me no good)” —, avait agi comme un maléfice sur la destinée du groupe, annihilé ses promesses, dévasté ce que son talent aurait dû lui permettre de récolter. Oui! une fâcheuse galerne n’aura cessé de le ballotter de déception en déception, de griffer et de givrer ses efforts.

Avant que de résumer sa petite odyssée, je voudrais signaler le site que, sept, huit lustres après, ses membres se sont ingéniés à créer — Tapez “Ill Wind” sur vos claviers magiques*, et il apparaîtra —; dans le genre, il est exceptionnel, car y compris la musique (textes et chansons), tous les documents les concernant (articles et photos) se révèlent sous un simple clic; notamment le témoignage de Richard Zvonar, alias Richard Griggs, chanteur et guitariste rythmique, qui a laissé à David Moran, avant de mourir (en 2007), un long récit de l’aventure que fut Ill Wind — parlant aussi de l’avant, de l’après, et de mille détails instructifs et palpitants —, ainsi qu’un bel et copieux article de Richard Morton Jack paru en 2003 sur Ptolemaic Terrascope — offrant, là encore, un parcours complet du groupe — précis, bien narré —, agrémenté de substantifs avis sur le contenu de leur album. Je puise à ces deux abondantes sources que je recommande chaudement.
* ou là: http://www.ill-wind.com/

http://www.ill-wind.com/history/press/Terrascope.html
Article de Richard Morton Jack

http://www.ill-wind.com/history/press/Moran.html
Interviews de David Moran

Image
De gauche à droite: Judy Bradbury, Carey Mann, Dave Kinsman, Ken Frankel, Richard Griggs
(photo reproduite avec l’aimable permission de Ken)

LA GENÈSE

La formation à lieu à l’été 1966 au MIT de Cambridge (banlieue de Boston), elle naît de la rencontre des musiciens des Prophets (ex-Blues Crew), Judy Bradbury (chant), Ken Frankel (première guitare, banjo) et Carey Mann (guitare) et de Richard Griggs. Ce dernier — chanteur et guitariste rythmique, comme je l’ai déjà dit — accepte en fait, de la part de Ken Frankel, une invitation à remplacer leur bassiste, Stu Schulman, qui les quitte alors pour rejoindre un combo nommé The Catskills. Une audition à lieu. Il est jugé apte comme chanteur, mais non comme bassiste, aussi est-ce Carey qui va finalement suppléer le partant. Quinze jours plus tard, le batteur Dave Kinsman prend la place du précédent (un certain John) qui, atteint de mononucléose, ne peut continuer. Le groupe tourne peu sous ce line-up. Judy s’en va avant la fin de l’année; elle est remplacée par Conny Devanney.

LES MUSICIENS

Judy Bradbury a débuté dès l’année 1964, en duo avec Ken Frankel, son compagnon; tous deux jouaient du folk, et sans doute du bluegrass, genre de dilection pour Ken. Aucune information sur la première — seulement des témoignages enthousiastes sur la beauté de sa voix (et sur l’importance de sa carrière après sa séparation avec le groupe et son mariage avec Ken) —, peu sur ce dernier, sinon qu’il vient de Californie, qu’il a fait, très tôt, partie de groupes de rock et de folk, jouant de la guitare dans les premiers, du banjo et de la mandoline dans les seconds — accompagnant des figures de légende tels Jerry Garcia, Robert Hunter ou encore Richard Green. Elève appliqué, de caractère changeant — parfois renfermé, parfois facétieux —, il est encore très bricoleur — capable de fabriquer un clavecin à l’atelier de l’institut, et de transformer un magnéto deux-pistes en quatre-pistes. Il est, en outre, le principal compositeur avec son frère Tom, qui, dès le début s’emploie comme manager.
http://jwa.org/weremember/frankel
Judy Bradbury as Judy Frankel

«Despite long hair and beard, I was never a hippy. I had a Harley hog and a motorcycle jacket but I wasn't really a biker either.»* — Carey Mann (qui laisse aussi un témoignage à David Moron) a passé son enfance dans les banlieues — celle de Cleveland (Ohio), celle de Pittsburg (Pensylvanie) — avant que de se retrouver à Boston. Musicien accompli, pianiste et aussi guitariste, c’est en tant que tel, qu’il intègre des formations de jazz parmi les musiciens de l’institut. Mais il est éclectique: ses premières amours sont Buddy Holly et les Everly Brothers; dès le lycée, à Pittsburgh, il se joint à des groupes de dixieland; plus tard — à la basse acoustique — il accompagne Ken et Judy dans les clubs de Boston. Elève en mathématique, il a, comme Ken (qu’il rencontre alors qu’icelui fabrique son clavecin), un goût prononcé pour le bricolage et pour la technique : il scinde en deux un gros orgue Hammond pour le transporter plus facilement et s’occupe de l’équipement. Il en impose autant par sa taille — six pieds, sept pouces — que par le sérieux de son caractère. En outre, une grande détermination, un tour d’esprit parfois grinçant le rendent intimidant.
http://www.ill-wind.com/photos/Costello ... Carey.html
PHOTO

* Malgré mes longs cheveux et ma barbe, je n’ai jamais été un hippy. J’avais une moto Harley et un blouson, mais je n’étais pas, non plus, un motard.

«I remember as a toddler of two or three climbing up on the bookcase to peek behind the radio, looking for the little people inside.»* — Richard Griggs vient du nord du New Jersey (Philadelphie), d’une famille plutôt pauvre. Très imaginatif, nourri au lait de la radio et de la télévision — “Big John and Sparky”, côté ondes courtes, “Flash Gordon”, côté tube cathodique —, il aime particulièrement la science-fiction et considère la musique, l’ambiance et les bruitages de films tels que “Planète interdite” ou “L’étrange créature du lac noir” comme particulièrement influents. Il se repaît aussi de hits — fun et pasteurisés — du genre “Chantilly lace” (Big Bopper) ou “Yakety yak” (Coasters), mais, par-dessus tout vénère Dion et son exaltant “Rundaround Sue”! Très jeune, il joue un peu de trompette, mais aime surtout chanter: ses débuts se font avec les Silverstones, puis avec les Warlocks, lors de sa deuxième année au MIT. Les Warlocks! Grateful Dead!?... Que nenni! des milliers de miles séparant ceux-ci de ceux-là. Ce n’est qu’en 1963, à dix-sept ans, qu’il se met à la guitare. En 1964, il subit un choc en découvrant les Beatles à l’Ed Sullivan show; il cesse de se gominer les cheveux et apprend leurs chansons. En octobre 1965, lors d’un stage d’études à Los Angeles, il forme un groupe avec un certain Fred — The Mersey Blues — et trouve quelques engagements du côté de Santa Monica... 1966! Les temps sont mûrs pour la révolution psychédélique: les Beatles s'exhaussent avec “Revolver”, les Byrds se calent en orbite avec “8 miles high”, et Richard, qui a vu ces derniers au Trip d’Hollywood, se met à tirer sur d’étranges cigarettes — s’emparadisant aussi à l’écoute de “Come out” de Steve Reich, et de l’ahurissant “Freak out” des Mothers of Invention.
http://www.ill-wind.com/photos/Costello ... dDave.html
PHOTO

* Je me souviens de moi, bambin de deux ou trois ans, escaladant la bibliothèque pour voir l’appareil de radio et les gens minuscules cachés à l’intérieur.

Dave Kinsman, qui a répondu à une annonce laissée par le groupe dans un magasin de musique, séduit d’emblée les autres par sa bonne culture musicale et son jeu vif et précis. C’est le plus jeune. Il ne fait pas partie de l’institut, mais vient d’une école de commerce. Fils d’une vieille famille de la Nouvelle-Angleterre, il possède le caractère d’un vrai Yankee : «laconique, décontracté, éminemment pratique».
http://www.ill-wind.com/photos/Costello ... hDave.html
PHOTO

Conny Devanney vient du New Jersey, d’une famille catholique aisée. Elle aussi répond à une annonce, et elle se retrouve en lice avec deux autres chanteuses: Pricilla Donato — qui fera partie d’Ultimate Spinach (combo bostonien bien connu des fans de psychédélisme) — et Coco Kallis — qui fait alors partie de la troupe de Hair). Ce jour-là, elle sort de son boulot d’employée au téléphone, et surprend les autres, par l’uniforme qu’elle a gardé, par son allure B.C.B.G., et par son casque de cheveux bruns à la garçonne! Mais, ils sont conquis, enthousiasmés dès qu’elle se met à chanter: sa voix est claire, puissante, féline... «an Irish Barbra Streisand with a little Janis Joplin» dira Richard Griggs! De surcroît, elle est pleine d’allant et de bonne humeur, et posséde déjà quelques années de pratique, chantant du blues et des standards dans les clubs de New York et de la côte du New Jersey — notamment ceux appartenant au répertoire de Judy Henske, dont je la soupçonne d’être fan jusqu’à en imiter la coiffure! Elle est aussi l’épouse d’un certain Frank, candidat au doctorat, futur professeur au MIT. Plutôt fortuné, icelui voit d’un très bon œil l’activité de son épouse; il va entretenir de bonnes relations avec les autres musiciens, les invitant souvent dans sa maison du Cape Cod.
http://www.ill-wind.com/photos/Costello/Conny.html
PHOTO

Tom Frankel, le frère de Ken, dont j’ai indiqué le rôle de manager, a également une grande part créative puisqu’il compose — notamment les textes — de nombreux morceaux; venu de Californie, il est en fait présent dès 65-66 au sein du primitif Blues Crew, et se signale par des titres très accrocheurs comme “Pink fuzz” et “R. U. right”. Il est, d’autre part, présent à chaque gig et s’occupe de la sono. Impulsif, «généreux, flamboyant», il étonne par son débraillé vestimentaire, surtout les jours d’été, quand, sa chemise Paisley déboutonnée jusqu’au nombril, il s’en va pieds-nus, des grelots attachés à l’une de ses chevilles, ses longs cheveux flottant au vent.

LE NOM

«Ill wind is a-blowing
Too late to start growing
What good is your knowing
It's an ill wind, ill wind»


Le choix du nom se fait peu après l’arrivée de Dave Kinsman, alors que Judy est encore présente. Il est le résultat d’un intense [/i]brainstorming[/i]. Difficile de trouver un blaze original en cette époque où les noms commencent à surgir comme des papillons, et comme des papillons disparaissent. Et puis du nom vient peut-être la renommée? Carey Mann pense que les Rolling Stones — avec tout ce que ce syntagme contient de dédaigneux — flottaient alors dans les esprits. Quoi qu’il en soit, Ill Wind est le nom d’une chanson que Ken Frankel vient d’écrire; Tom le propose, et, faute de mieux, il est adopté. Dès le lendemain, Richard et Judy en reparlent; ils le trouvent impossible. Mais lorsqu’ils joignent Tom pour le lui annoncer, il est trop tard: tout le matériel professionnel — cartes, stickers — est déjà imprimé.

LES CONCERTS

Carey: «Working at colleges was always a much easier audience than in bars, and I think overall we did college-type stuff most of the time — weekend or 1-night gigs.»*
Leur première apparition a lieu au Rathskellar, à Boston, un rade, plutôt cradingue, rempli de footballeurs. Un certain Charlie Keats, agent artistique, installé à Manchester (New Hampshire) s’occupe de trouver des engagements. Bars, collèges, clubs, fiestas, etc... nos musiciens, ménageant le bon déroulement de leurs études, tournent peu, mais régulièrement; on les voit souvent au nord de Boston, mais aussi dans les stations de la côte et du Cape Cod; ils se produisent encore au Bitter End, à New York, dans l’East Village, là où chantait Conny. Leur look hippy, d’abord, déroute, leur musique aussi... pas longtemps: «Our strangeness turned to our advantage fairly quickly and we soon had a reasonable following»**, dit Richard, qui, comme Carey, se souvient de leur matos — amplis, guitares — qui peu à peu, comme l’accueil qui leur est fait, s’améliore; l’un évoque le passage d’une Gibson Melody Maker à une ES-335 et l’achat d’un Vox Super Beatle, l’autre les cordes James Howe qu’il utilisait, pareilles celle de John Entwistle, le bassiste des Who.
http://www.ill-wind.com/photos/Costello ... Party.html
Boston Tea Party - Octobre 1967

* Nous avions un meilleur public dans les lycées que dans les bars, et je pense que nous nous produisions la plupart du temps dans les lycées — pour deux soirées ou une nuit, les week-ends.

** Notre étrangeté tourna à notre avantage, ce qui nous amena un nombre passablement important de fidèles.

LE RÉPERTOIRE

Anticipons un peu! Des débuts aux derniers jours de l’année 1968 — date de leur séparation — ce répertoire, tel que s’en souvient Richard, consiste en «un mélange de courts et conventionnels arrangements et de jams plus extensives», soit: leur propres chansons et pas mal de reprises: Beatles, Lovin' Spoonful, Byrds, Love, et aussi quelques titres folk. Des Beatles, ils interprètent une «trilogie» “I'll Cry Instead/I Should Have Known Better/Daytripper”. De Lovin’ Spoonful, ils reprennent “You Didn't Have to Be So Nice”. Ils piochent aussi dans le rhythm ‘n’ blues avec des standards comme “Big Boss Man” et l’incontournable “Hey Joe”. Versant folk, ils déquillent “The water is wide”, “High flying bird” — que Connie, avant de faire partie du groupe, avait l’habitude de chanter. Et puis, le “clou”, l’hommage suprême, ils se fendent d’un pantagruélique “Satisfaction”, qu’ils transforment en «diatribe Zappa-esque» contre la guerre au Vietnam, accompagné d’un âpre constat de l’état de la société américaine.

LES DÉMOS

Les premières se font dans un studio de Boston, au Hanley Sound, probablement vers la fin de l’année 1966 et le début de l’année 1967. Quatre (au total?), que l’on peut capter sur le site: “All Over Love Is One”, “I Tell You I Know”, “Ill Wind, I Can See You. Les trois premières sont de Ken Frankel, la dernière de Carey Mann. Du moins pour “Ill Wind”, Judy est encore-là, mais elle quitte le groupe sans enregistrer la partie vocale.

Les secondes se font au studio A de Capitol, à New York; elles sont conduites par Dick Weissman. “Tomorrow You'll Come Back,” “You're All I See Now”, “R.U. Right” sont enregistrés au printemps 1967, “It's Your Life”, “People of the night” à la fin de l’été suivant (la partie de guitare de “R.U Right” étant aussi refaite). Les trois premières figurent sur le site. Weissman est un joueur de banjo, plutôt réputé: ex- membre des Journeymen — avec John Phillips et Scott McKenzie... The Mamas & The Papas, “If you’re going to San Francisco”... oui! oui! ceux-là mêmes! —, The Journeymen dont les trois albums parurent chez Capitol entre 1961 et 1963.
http://www.ill-wind.com/photos/Kinsman/Capitol1.2.html
Dick Weissman sessions - Avril 1967
Dick Weissman devant la console
http://www.ill-wind.com/photos/Kinsman/Capitol2.2.html
Dick Weissman sessions - Avril 1967
Ken, Richard, Carey, Conny
http://www.ill-wind.com/photos/Kinsman/Capitol1.4.html
A la porte du studio - Avril 1967

LE CONTRAT

Comme dans les romans, le sort semble propice, mais, comme dans les romans, ses revirements sont inattendus: Ken et Tom se font arrêter pour détention de L.S.D. et sont accusés de trafic. Capitol rompt les négociations. Heureusement les aléas judiciaires se résolvent sans trop de difficultés et, à l’automne, — par l’intermédiaire d’une agence (William Morris) — les musiciens se voient présentés à Tom Wilson qui les prend sous contrat pour la compagnie qu’il vient de créer: Rasputin. Le bonhomme, trente-six ans, a déja un sacré cursus. Ses débuts remontent aux mid-fifties avec la création de Transition Records, label où viennent se nicher des pointures d’avant-garde tels Sun Ra et Cecil Taylor. Il travaille ensuite pour United Artists, puis Columbia où il produit trois albums de Dylan : “The times they are a-changing” et les deux suivants, ainsi que le premier opus de Simon & Garfunkel. Il travaille ensuite pour Verve, où il s’illustre avec le “Projections” de The Blues Project, “Freak Out” des Mothers of Invention (et le suivant, “Absolutely Free”) et, cerise sur le gateau, “Chelsea Girl” de Nico — qui lui doit aussi l’enregistrement de “Sunday morning” sur le premier Velvet Underground.

On le lit trop souvent dans les biographies: les producteurs sont de fieffés coquins qui ne cherchent qu’à se remplir les fouilles! A en croire les intéressés, Tom Wilson parfait cette légende; et ceux-ci, obnubilés par l’idée de faire un album, se font souffler leurs droits d’auteurs. D’autres désillusions, d’autres vacheries les attendent...

L’ALBUM

Richard: «This being the post-Sergeant Pepper era, I was anxious to try all sorts of experiments. The brutal reality was that we were on a limited budget, so anything that didn't come together quickly was scrapped.»*

Il est enregistré, aux Mayfair Studios, à New York, en février 1968, durant quatre semaines, selon de strictes conventions syndicales: cinq jours par semaine, six heures par jour. Deux salles sont utilisées pour les prises de son, la console comporte huit pistes. C’est très confortable, princier même comparés aux moyens accordés à des groupes de cet acabit, mais Wilson n’en fiche pas une secousse: il a conclu — pour la publication — un arrangement avec ABC, et se contente de veiller au bon déroulement des séances en bouquinant les journaux. — Première déception pour nos intéressés qui comptaient sur son appui et son expérience.

Richard se rappelle tout: l’attitude désobligeante dudit Tom Wilson, les particularités techniques de l’enregistrement, le mix final réalisé sans la présence des musiciens. Il se souvient aussi d’un persistant mal de gorge, amoindrissant ses performances, laissant, du coup, une plus grande part à Conny. Wilson ne s’impliquant pas, les morceaux les plus ambitieux sont abandonnés: “Flashes”, par exemple — dont ne subsite que le nom et dont on peut estimer l’excellence dans la version publique (Westboro High School, décembre 1967— disponible sur le site), mais encore “Coming down”, “Transmutation”, “Delayed reaction” — dont on ne peut que rêver!

La parution à lieu probablement à la fin du printemps ou au début de l’été 1968. Elle fait l’objet d’une publicité sur deux numéros de Billboard Magazine, en juin et en juillet, à côté de deux autres productions de la compagnie Rasputin: le premier album de Fraternity of Man et celui de Bagatelle.

Image

Quant à la pochette, vous la voyez, elle est affreusement tarte et n’offre que l’intérêt rétrospectif d’identifier les musiciens: Carey Mann (debout) et (de gauche à droite) Dave Kinsman, Ken Frankel, Conny Devanney, Richard Griggs. Son décor, faussement troglodyte, en évoque une autre, tout aussi toc: celle de “Monster” de Steppenwolf. On peut maintenant se demander pourquoi les intéressés font grises mines (excepté Ken Frankel qui affecte un grand sourire): c’est, d’une part, qu’ils sont dépités, de l’autre qu’ils se gèlent — on est en plein hiver, et le studio n’est pas chauffé. Dépités?... Il y a de quoi! Un ami de Boston a réalisé une superbe maquette — un affriolant collage —, il l’a présentée à Tom Wilson, mais celui-là l’a refusée, alléguant le versement de droits pour les images utilisées. Résultat, comme, en résumé, le dit Richard Morton Jack: «un groupe de beatniks fringués en hippies, environnés de bouffées de fumée théâtrales».

Autre objet d’effarement pour nos ménestrels: les photos solarisées qui illustrent l’intérieur et le dos. La moitié est ratée, illisible, bonne pour le “Schmilblic” (ceux qui ont connu Guy Lux et l’O.R.T.F. me comprendront). Autres malfaçons: un “The” détestable accolé à “Ill Wind”, “People of the night”, le deuxième titre, faussement intitulé “Sleep”, Conny orthographié Connie.

Plus grave encore, mais il s’agit du disque lui-même, est la répétition d’une mesure à la fin de leur reprise de “High flying bird”, lorsque Richard chante «Lord look at me». — Avis à ceux qui tiennent aux originaux: les dix mille premiers albums ont tous ce défaut; il n’est corrigé que sur les deux mille suivant.

* Comme nous étions en pleine période post-Sergeant Pepper, j’étais rongé par l’envie d’expérimentation. La brutale réalité, c’est que notre budget était limité. Aussi tout ce qui ne venait pas facilement, rapidement fut écarté, mis au rebut.

LA MUSIQUE

Bien calée dans l’air du temps, elle oscille entre un folk teinté de bluegrass et un psychédélisme euphorisant, tour à tour ouaté et vaporeux, orientalisant et aventureux, tragique et grandiloquent. Les atouts ne manquent pas : la guitare preste et volubile de Ken, la voix saillante et plantureuse de Conny, le jeu de Carey, souple, ferme, résolu, la frappe de Dave, sûre, agile, intrépide. Ajoutez à cela des chœurs amples, embrumés ou étincelants, de réjouissantes gambades de banjo, des atmosphères étranges, hypnotiques et vous obtenez un album fichtrement attractif, une œuvre mémorable, que vous êtes fier de posséder et toujours ravi de faire découvrir. Qui plus est, il y a les textes: subtils, parfois très poétiques, centré sur les thèmes de la nuit, du sommeil et de l’oubli.

«I woke up this morning and the day was clear and fine
I didn't go to work, I went out just to ease my mind»


L’ouverture se fait avec “Walking and Singing” (Ken & Tom Frankel), un country-folk respirant la joie de vivre, évoquant des jours tranquilles, des ciels sans nuages: une claire ballade étayée par une basse ronde et prospère, une batterie menue filant un débonnaire tic-tac, ornée de voix à l’unisson, de gentils trilles de guitare électrique et de sifflotements guillerets. Un titre unique! — “Sleep”, avant-dernière chanson, offre aussi une brillante et alerte mélodie, mais les paroles ne possèdent pas cet optimisme; toute la suite, de fait, est trouble, sombre, parfois morose... à commencer par “People of the night” ...

«Leave your worries with the sunset
Let the nighttime help you forget»


Hymne — entonné par Conny, repris par Richard — ô combien nocturne et hypnotique! Mélodie ô combien juteuse et captivante — estampillée d’un rythme tout en syncopes, vissée par de longues goulées de charleston —, mélodie ascensionnelle qui s’étire en un long raga voluptueux: pure réplique des envolées de Ravi Shankar, et dont les accélérations vertigineuses révèle la science de Ken, autant que l’apertise des autres musiciens, qui ne le lâchent pas d’une semelle. La version enregistrée pour Capitol, soutenue par un riff de guitare acoustique, est plus brève, claire, vibrante, plus directe aussi. On peut la préférer, en l’espèce, pour l’absence de reprise du chorus, qui, ici, après un fade out, rejaillit inutilement.

«Little Man, little man
Where's your place?
Little Man, little man
Blankness is your face»


“Little man” prolonge les vaillances acrobates de Ken Frankel avec un préambule d’une minute quarante. Le jeu est frétillant, véloce, toujours admirable, mais cette parade nuit peut-être à l’aplomb du début — mollit sa belle énergie?... C’est une ritournelle très pop, battue en neige par des moulinets psychédéliques. Les paroles sont lunaires et amères: le petit homme en question est isolé en un ailleurs bizarre où les nuages de son esprit forment une coquille, où ses rêves constituent le centre de sa cellule.

«My mind it cries, it is not with ease
That I will find some way to please
This soul I've lost inside»


“Dark world” (“In my dark world”), qui bondit telle une nymphe hors des flots, est un chef d’œuvre — «one of the most personal and beautiful of all psychedelic recordings», dit Richard Morton Jack —, un Alhambra de douceur et d’émotion, qu’on écoute cent fois avec le même frisson: sa mélodie vous projette en un éther nimbé de tristesse, ses paroles vous couvrent d’un rêve langoureux — un charme qu’élabore la voix de Conny, claire, sensuelle, comme une lave opiacée, comme un duvet moelleux. Un vers du texte original évoquait des drogues absorbées, il est modifié, mais le tourment que chevauchaient les mots se reflètent en murmures, graves et troublants, ligotés dans un treillis de clairs arpèges de guitare. L’apogée est un solo de basse qui s’étire au milieu, ample, rond et limailleux.

«We are the people!»

La plat de résistance — qui conclue la première face — est “L.A.P.D.”, abréviation de Los Angeles Police Department. Un titre cauchemardesque et politique qui relate une manifestation — en juin 1967 — durement réprimée; précédant ainsi le fameux “Ohio” de Crosby, Stills, Nash & Young. C’est Richard, son auteur, qui — secondé par Conny — le chante avec toute la conviction requise. Ça débute par un roulement de batterie, puis les premières notes de “Star spangled banner”, interrompu par un coup de cymbale. Shift de la mélodie, jet vibrant de basse: la chanson démarre, traînante, obstinée, lourde comme un boa, caparaçonnée de chœurs plaintifs et vibrants, exprimant la hargne méthodique des policiers, la douleur et l’effarement — «Clubs rise and fall to the pulse of the hot surging blood in your heart»... «The air is heavy with the smell of the fear». Se mêlent à ses images d’autres plus sibyllines, évoquant le Plazza Hotel où le président Johnson assiste à un dîner de charité durant cet événement: «A thousand shining eyes will never shed a tear / And the Man inside his fortress doesn't hear a sound». Tout étant dit, les musiciens s’embroussaillent dans les lacis du psychédélisme: nouveau shift, pour un air de fête foraine qui pirouette en tardigrade solo de guitare — bercé par le fœhn maussade des autres instruments —, mutation en hymne martial distendu par la fuzz, éclaboussé par la voix réverbérée de Griggs — «In the name of the people of the City of Los Angeles I order you to disperse... disperse!». Autre réminiscence des faits: commandement au mégaphone avant que la foule ne réplique «We are the people! We are the people! We are the people!...». Ce que réitère Richard sur un ton de plus en plus fou et angoissé, tandis que la basse se crispe et se dégrimone, que la guitare piaule et gémit. Ajoutons que le jeu de Carey devait recouvrir les exclamations: volonté trahie lors du mixage au grand dam du principal intéressé!

«There's a high flyin' bird, way up in the sky,
And I wonder does he look down as he flies on by?»


La seconde face s’ouvre avec une éblouissante version de “High flying bird”. Composé par Billy Edd Wheeler ce péan de la côte californienne a déjà fait les choux gras de Judy Henske (1963), de Richie Havens (1967), il est au répertoire de Jefferson Airplane, qui l’a enregistré en décembre 1965 pour “Takes off”, mais il dépasse en intensité la version déjà flamboyante de la “reine des beatnicks” et envoie aux oubliettes celle que délivre Grace Slick et consorts au festival de Monterey, en juin 1967... «Lord, look at me, here, I'm rooted like a tree, here».... Conny exulte! Ce genre d’hyperbole lui va comme un gant: ses poignantes intonations, ses clameurs, ses fêlures émoustillantes travaillent le sentiment comme un boxeur son sac de frappe. Et personne ne chôme! Dave houssine diligemment sa charleston comme un jockey sa monture, Carey modèle la ligne mélodique avec l’assurance d’un charpentier, Richard attise la braise des refrains, et Ken libère d’estandilleux soli — langoureux, volutés comme il se doit. Une version publique — Porthmouth, New Hampshire, 13 janvier 1971 (disponible sur le site) — est encore plus fiévreuse, plus ardente, et on ne peut que regretter sa piètre captation.

«He had love to give you
But for love you couldn't ask»


Le soufflet retombe un peu avec “Hung up chick” — à mon sens du moins, car pour Richard Morton Jack c’est là une «another terrific song», dotée d’un riff «instantanément prenant», d’une «frappe propulsive et hypnotique». C’est ce riff — rotatif, psyché grand teint — qui me semble rabâché et ne m’accroche guère. Mais il faut admettre que le solo de Ken est assez charnu. Les paroles, chantées à la troisième personne par Conny, puis à la première par Richard, traduisent un dépit amoureux assez redoutable — «I've understood that she's no good / She gave me hope / A rope, that's fun / But long enough to hang me on».

«Sleep all the day... is the way to forget... what they say»

“Sleep”, conduit par Conny, que j’évoquais en décrivant “Walkin’ and singin’” n’est pour Richard Morton Jack qu’un «morceau décent bien rythmé». Pour moi, c’est un charmant country rock, sautillant, pétillant, pigmenté de banjo, chamarré de chœurs masculins, où se condense l’obsession de la nuit et de l’oubli.

«[...] dans le noir de mon esprit un aï, un paresseux du monde souterrain, ombrageux, ennemi du jour, remuant ses plis écailleux de monstre.» (James Joyce, “Ulysse, 1929, p. 40, coll. Folio, trad. A. Morel)...

“Full cycle” embaume tout le santal du psychédélisme. Ethéré, vaporeusement floydien, cousu de fins arpèges, galonné d’une basse feutrée et métronomique, de toms abrégés en ricochets suivis de frétillements de tambourin, il évoque ce «noir de l’esprit» hanté par un aï infiniment lent. Conny et Richard se partagent un chant qui n’est qu’un long linéament, que prolonge, à la fin, la plainte d’un orgue, acide et vibrante. Les paroles, aussi, sont des plus ténébreuses, évoquant un futur morne et lugubre — «Hatred and fear are bred inside / Man made this doom and souls have died».

LES AUTRES TITRES

Akarma — auteur d’un pressage CD en 2001 — ne s’est pas “fendu” pour obtenir les masters, ni même pour dénicher une bonne copie, et il faut se contenter d’un pâle ersatz, rugueux, cagneux. Les trois bonus qu’il apporte sont malheureusement de la même mouture, sinon pire: une version écourtée de “Sleep”, c’est-à-dire de “People of the night”, “You’re all I see now”, “Ill wind”. J’ai déjà parlé du premier.

“You’re all I see now”, signé Carey Mann/Sandy Darlington, et chanté par Carey, est une gentille ballade, pop, mid-tempo, florissante et un peu naïve — «You're all I see now / I'm gonna take you with me now / I've known I'd take you off with me / Since I first saw you there». Elle fait partie des titres enregistrés par Capitol en 1967 (disponibles sur le site), mais cette version, plus rapide, plus ferme, est bien meilleure, appréciable pour son petit solo de guitare et le piano qui y batifole à la fin.

“Ill wind” est un titre folk de Ken Frankel, daté de 1966, enregistré à Boston au Hanley Sound, où l’on retrouve le banjo, le pessimisme de “Full Cycle” et un peu de la mélodie de “Hung up chick” — «Ill wind is a-blowing / Too late to start growing / What good is your knowing / It's an ill wind, ill wind».

Des autres démos et reliquats de concerts, je vous instruirai plus tard, en guise d’épilogue.

LA POISSE

Reprenons le fil de l’histoire. Richard, écœuré du résultat, fâché de tous les travers qui l’accompagnent, tente de plier ses 30 centimètres de vynil pour les réduire en deux fragments, ne pouvant y parvenir, il les burine à coups de ciseaux.— Il lui faudra de longues années, l’écart creusé par les vicissitudes, pour apprécier l’album en toute sérénité, regrettant d’autant le succès qu’ils auraient — lui et les autres — dû obtenir... si le vent mauvais — la poisse — avait cessé de les harceler...

Un opus un peu bancal n’interdit pas une bonne promo: articles, radios, singles, tournée!... Celle-ci se résume à l’encart déjà cité dans les numéros de Billboard Magazine, une très courte revue sur Cashbox, plus, en septembre (le 29), une citation dans un volumineux article du New York Times Magazine sur Tom Wilson. — Le seul “papier” qui leur est, de fait, consacré, est celui, antérieur, d’une feuille locale, The Tech, par Steve Grant le 9 février 1968, lors des séances d’enregistrement; les musiciens s’y voient loués pour leur «instrumentation complexe et serrée», et leur style approchant celui de Jefferson Airplane. Par contre, l’album est quand même bien diffusée, spécialement en Nouvelle-Angleterre, et trois singles — bien que rarissimes — paraissent: “Walkin’ and singin’/High flying bird”, “[In my] Dark world/Walkin’ and singin’, “[In my] Dark world/High flying bird”... Malheureusement, le principal: la tournée — pourtant programmée — est annulée par Wilson au dernier moment! Icelui n’en averti même pas Tom Frankel, leur manager, en conséquence le groupe demeure un mois sans engagement. Carey s’en va alors, remplacé par un certain Michael Walsh.
http://www.ill-wind.com/history/press/Rasputin.html
L’encart publicitaire de Billboord
http://www.ill-wind.com/history/press/NYTimes.html
L’article de New York Times magazine
http://www.ill-wind.com/history/press/TheTech.jpg
L’article de Tech
http://www.ill-wind.com/photos/Levine/Michael010.jpg
Michael Walsh - été1970

Tous, ou presque, vivent à Wellesley, gros patelin à l’ouest de Boston, dans une big house louée par Tom Frankel. Ils forment, dit Richard, «une sorte de tribu hippy» où se trouvent Dave, Dick (“Berred”) Ouellette, leur roadie, Little Ron, son assistant, Michael, le remplaçant, et un couple venu de Californie: Jan et Michael. Richard vit tout près avec sa compagne, Ellie, dans une autre big house, régie par Ray Paret — le manager de Ultimate Spinach et de Quill — tout emplie des musiciens de ces groupes. Les répétitions ont lieu dans la maison de Tom — qui, victime d’un accident de voiture, souffre de la hanche —; Richard s’en souvient comme des moments «cordiaux et coopératifs, comme si tous savaient qu’ils marchaient au bord d’un précipice et qu’ils devaient veiller à maintenir leur équilibre». Ainsi projettent-ils de réaliser un deuxième album, produit cette fois par Tom Frankel. Wilson l’apprend et s’y oppose en faisant valoir une clause du contrat, lui permettant de prolonger celui-ci d’une année; une décision qui ne laisse d’autre choix aux musiciens que de se séparer: en décembre 1968, Ill Wind est officiellement dissous. Ken et Judy — Judy Bradbury, la première chanteuse — se marient et gagnent la Californie, tout comme le reste de la “tribu”.
http://www.ill-wind.com/photos/Walsh/Ea ... House.html
The big house

Les quelques mois précédant ce split, ils vont tout de même assurer quelques concerts, dont un grand nombre de “première parties”... Chuck Berry, Fleetwood Mac, Moby Grape, Van Morrison... qui sont autant de rencontres mémorables, comme celle avec Who...

Ce fut lors d’un concert au Boston Musical Hall, se souvient Richard: «Avant “Tommy”, mais il y travaillait et il joua “Pinball wizard”. Pete Townshend et Roger Daltrey étaient très liants, et nous devions nous retrouver dans notre maison de Wellesley après le show. Malheureusement Keith Moon a tout gâché. Complètement bourré, lors de la séance de destruction qui marquait la fin de leur second set, il s’est mis à balancer sa batterie dans la foule. Sweaty, leur roadie, interceptait les morceaux et les rebalançait aussi sec, tout en contenant les fans qui se ruaient en avant. Finalement, las de tout démolir, il a quitté la scène en titubant, renversant notre batterie au passage, avant que de passer son poing à travers une fenêtre, se blessant sérieusement. Peter et Roger décidèrent alors de retourner à l’hôtel pour s’occuper de lui.»

Leur dernier gig — deux soirées — à lieu en décembre, au Boston Tea Party (alors encore dans Berkeley Street) en compagnie de Fleetwood Mac (qui assure sa première tournée américaine). Lors de la première, le groupe de Peter Green est complètement naze: tous ses membres ont la grippe. Lors de la seconde, ils vont se pieuter avec une bouillotte et sont remplacés par The J. Geils Band, — qui, rappelons le, est du Massachusetts, et en est à ses débuts. C’est sans doute par enthousiasme qu’icelui déborde sur l’horaire prévu, carottant du même coup une part de la prestation d’Ill Wind. Dur, dur! pour un dernier concert. Plus dur encore pour Richard qui joue avec une côte cassée. — Pour se procurer un peu d’argent, il s’est fait engagé sur un chantier et, le jour-même, est tombé d’un échafaudage.

LA REFORMATION

Je ne sais rien de précis de la déconfiture générale, sinon que nul n’abandonne vraiment la musique, mais se tourne vers d’autres préoccupations. Fauché, Richard trouve un emploi de concierge, qu’il occupe six mois durant. Une période qu’il juge finalement assez bénéfique car elle lui donne le temps d’écrire nombre de chansons. Puis il revient à Boston et reprend ses études au MIT. Il rejoint aussi un groupe, nommé Slag, et joue dans les bars pour payer son loyer. Quant aux autres, ils se réunissent, avec une certaine constance, sinon régulièrement. Ainsi se retrouvent-ils, en avril 1970, à Pâques, dans un concert de charité, et — ô surprise! — partageant l’affiche avec Slag... Richard: «Nous prîmes si grand plaisir à être à nouveau réunis que nous décîdames de reprendre du collier: Carey Mann à la guitare et à l’orgue (remplaçant Ken), Michael Walsh à la basse, plus Dave et Conny, dans leurs emplois habituels.»
http://www.ill-wind.com/photos/Downes/HatchShell3.html
Concert au Hatch Shell concert - été 1970
Dave Kinsman, Michael Walsh, Conny Devanney, Carey Mann, Richard Griggs
http://www.ill-wind.com/photos/Walsh/RG&CD.html
Août 1970 - Richard Griggs et Conny Devanney sur scène au Preston's Airport Lounge, Nantucket

Carey ne reste pas très longtemps. Il est remplacé par Larry Carsman (venu de Detroit) qui, en novembre, cède la place à Walter Bjorkman: un ex-membre de combos tels que Cloud ou Swallow, et qui, se souvient Richard, «jouait le blues de manière très sinueuse et chantait d’une voix haute et claire». Ces mouvements correspondent à des dissensions: d’un côté le souhait de Richard — qui prend la place «créative» laissée par Ken — de travailler les compositions et d’affiner l’identité du groupe; de l’autre le pur bonheur que les autres éprouvent à jouer, à se produire sur scène. Il est regrettable que rien, sur le site, — s’il subsiste?— ne soit proposé des chansons de Richard. Il demeure que ce même Richard nous éclaire sur leur présent répertoire: «Nous jouions des morceaux des premiers temps, mais aussi des nouveaux, et d’autres reprises»: des titres de doo-wop, d’autres appartenant aux girls groups tels “In the Still of the Night” des Five Satins et “Will You Still Love Me Tomorrow” des Shirelles; des titres de soul aussi — “Do Right Woman” d’Aretha Franklin —, du folk rock, des standards tels “Get Together”, immortalisé par The Youngbloods, “Morning Dew”, catapulté par Tim Rose; et puis, encore, des titres des Beatles — “Something”, “Birthday”—, de Delaney and Bonnie — “Where There's a Will There's a Way”; et, durant le peu de temps passé avec Larry Carsman, des titres de blues — “Sweet Little Angel”, “How Blue Can You Get” —, et, avec Walter, d’autres titres comme “Crossroads” de Robert Johnson — à la manière de Cream au Winterland sans doute, avec de belles et longues écorchures de guitare!

LA FIN
«The second time I left Ill Wind I was fired.»

Seul Richard la raconte, elle naît d’une brouille qui semble un peu puérile. L’un des musiciens, n’appréciant pas la présence de la petite amie de Richard à tous leurs concerts —c’est à dire dans tous leurs déplacements, lui demande de bien vouloir, désormais, ne plus l’y emmener. Richard, ne pouvant accepter, lui et sa compagne se résolvent à voyager, avec guitare et ampli, dans une voiture bien à eux. Résultat, le différend s’accroît et finit par opposer Richard à tous les autres!... «Cela ne pouvait durer longtemps», immanquablement, un jour de printemps de l’année 1971, tous, ensemble, viennent lui signifier son “congé”!

EN GUISE D’EPILOGUE

En guise d’épilogue, je vous propose un bref aperçu des suppléments disponibles sur le site, autres que ceux qui figurent sur la réédition Akarma — “You’re all I see now”, “Ill wind” —, dont j’ai déjà parlé:

“It’s your life” (Ken & Tom Frankel — Capitol, New York, printemps 1967): Copieux, pop, plantureux, énergique, serti de chœurs, griffé de fuzz, soutenu avec ardeur et volubilité par la batterie, et frangé de réflexions existentialistes: «Watch people live, then you watch them die / First you're bound to laugh, then you're going to cry».

“RU right?” (“Are you right?”) (Ken Frankel — Capitol, New York, printemps 1967): Tout aussi pugnace, très rhythm ‘n’ blues, avec des guitares bondissantes, des coulis d’orgue, des chœurs baba au rhum et quatre petit yeah!, coquins et inattendus.... «You pass people on the street / And their face is just a frown/ And you're above them merely / ‘Cause they're crawling on the ground».

Et puis, il y a ces deux titres extraits d’un concert au Ladd’s, à Portsmouth, le 13 janvier 1971:

“Empty bed blues”: — «I woke up this mornin' with an awful achin' head / Because my new man has left me / In a room with an empty bed» — Un blues torride de J. C. Johnson, déjà goualé par Bessie Smith en 1928, et gaillardement repris par Judy Henske en 1963 — version modèle pour Conny qui s’exécute avec une ardeur sauvage, un “chien” très émoustillant. Dommage que le mix soit si bancal: d’un côté les abondant, pariétaux, bubajailleux soli de guitare; de l’autre la voix de Conny — ses moanings et ses rugissements — lointaine comme un drakkar, comme écrabouillée dans un coin des enceintes. La fin est renversante: notre donzelle (au sens honorable où on l’entendait au Moyen Age), se débonde, glapit, trépigne, jupitérise, foudre et tonnerre, puissance et colère... «leave you with an empty bed... BLUES»... achève-t-elle décochant ce mot dans une note haute claire, vibrante, débellatoire!

“High flying bird”: One more time! Mais l’on ne s’en lasse pas, se délectant aux fougueux déchirements de Conny, aux salves insatiables de Carey, escaladant les frettes de sa guitare.

«Things that crawl from your brain are not real — Il y a encore “Flashes”, titre répudié, orphelin, dû à la plume de Richard Griggs dont on peut heureusement connaitre la couleur grâce à l’enregistrement d’un autre concert — à l’école de Westboro (New Hampshire), le 23 décembre 1967 —, et dont on ne peut que regretter l’absence sur l’album. Un titre envoûtant, aussi sombre et psychédélique que “L.A.P.D.” -— très proche du style de Mad River (l’extraordinaire Mad River!) —, dont les paroles décrivent trois trips — acid experiences faites par l’auteur à l’automne 1966... «Trees wave to the stream - rocks in the sun / Who lives in my head? where have I gone?»... Stances résineuses tracées par Conny, frappe giroyante, tribale, rivets de basse, lourde, sourde, glutineuse, guitare vésicante -— écluse de notes cuivrées, lobées puis torcinées — et des saccades, des frelinements étranges, rauques, métalliques... Tout le morceau avance comme une horde de guerriers ébranlant le sol. Vers la fin, des roulements de caisse claire relaient cette marche fière, accélérant le rythme, accélérant l’allure de la guitare, muant son jeu en celui d’un fifre, alerte et sémillant.

Enfin figurent des compositions enregistrées en 1968 sur le quatre-pistes fabriqué par Ken Frankel, ébauche du deuxième album envisagé; toutes signées Ken et Tom, exceptée une — reprise d’un traditionnel, et toutes menés par Connie, exceptée la dernière — “Waking in the water” —, interprété en duo avec Richard:

“1 and 100”: Riff marteau-pilon... moulinets psychédéliques, embardée de fuzz, le tout mené par Conny, c’est là un titre assez cauchemardesque, une vision de la société de consommation... «I have to choose a way to go / To keep from prostitution / Too many factors I must know / To guess the mass reaction» — Le “Zabrikie Point” d’Antonioni, “L’an 01” de Gébé, “La société du spectacle” de Guy Debord n’ont rien changé: on vend sa liberté pour une vie conditionnée.

“Frosted summer’s drink”: Merveilleuse ballade, douce, aérienne, estivale, galonnée d’une batterie sautillante et feutrée, ourlée de guitares claires, éparpillant leurs arpèges comme les baguettes des fées leurs poudres scintillantes, guipée par la voix argentine de Conny et les unissons des autres musiciens... «The flowers weave a tapestry of rainbows in your hair / While crystal ribbons trace their patterns in the air»... Délicatesse! délicatesse... «que ça vous triche le temps, vous tille la peine» — comme disait Céline, dans “Guignol’s band” (1944, coll. Folio, p. 186).

“Mauti”: Un titre plein de hantises et de toiles d’araignées, à l’ambiance grinçante, mortuaire, tout sillonné de fuzz — évidemment lugubre —, nimbé de chœurs funèbres et d’un lamento tragique, électronique et tremblotant. Très psychédélique aussi, s’extravagant, descendant tout schuss la pente de siliceux labyrinthes où la batterie derviche, rebondit en toms basse hypnotiques, où les notes de guitare s’accuminent, mutines, jongleuses... «It's Christmas but there are no gifts for you / No surprise, no ribbons to undo / Just brightly-colored papers on the floor / And presents marching out the door».

“The water is wide”: Une vieille chanson écossaise, ou anglaise, reprise par une flopée d’artistes folk, notamment Fred Neil sur “Bleecker & MacDougal” (1965). Cette version, émaillée de pickings — guitare et banjo —, étançonnée par la batterie, sonnant à la manière des Byrds, est loin d’avoir la lenteur auguste et nonchalante de celle du créateur de “The dolphins”, mais n’en possède pas moins la tristesse infuse, la juste émotion... «Oh love is handsome and love is fine / And love is a dew when it is new / But when it’s old, it may grow cold / And fades away like morning dew».

“Waking in the water”: Une éclatante ballade, tranquille et cavalcadante, aussi touchante que “Frosted summer’s drink”, adorné de bruits d’eau, de crécelle, de clap-hands, de ruptures charmantes et inattendues. Le texte, très poétique, est une réussite... «Follow a sparrow to a forest made of crystal / Trees of silver music planted by a wandering minstrel / Dance to the melody, sing to the song in your heart».

THAT’S ALL FOLKS!... Et apprenez qu’une vraie réédition, avec booklet, photos et tout, vient de voir le jour sur le label Sunbeam*: deux CDs au total avec quinze inédits — ô joie!
* http://www.sunbeamrecords.com/

_________________
Carcamousse
Laudator temporis acti


Haut
 Profil Envoyer un message privé  
 
 Sujet du message: Re: ILL WIND — The Story
MessagePosté: Ven Aoû 14, 2009 8:55 pm 
Hors ligne
Modérateur
Avatar de l’utilisateur

Inscription: Dim Déc 16, 2007 3:53 am
Messages: 15010
Localisation: In the Heart of the City
Encore un magnifique album ...
Sympa, Carcamousse, de raviver ces pépites un peu oubliées.

_________________
The world is full of kings and queens
Who blind your eyes and steal your dreams


Haut
 Profil Envoyer un message privé  
 
 Sujet du message: Re: ILL WIND — The Story
MessagePosté: Dim Aoû 16, 2009 1:17 am 
Hors ligne
Avatar de l’utilisateur

Inscription: Mer Sep 12, 2007 2:04 am
Messages: 10151
Localisation: LYON
merci, l'ami carcamousse! coucouz

_________________
viewtopic.php?f=3&t=7667


Haut
 Profil Envoyer un message privé  
 
Afficher les messages postés depuis:  Trier par  
Forum verrouillé Ce sujet est verrouillé, vous ne pouvez pas éditer de messages ou poster d’autres réponses.  [ 3 messages ] 

Heures au format UTC + 6 heures


Qui est en ligne

Utilisateurs parcourant ce forum: Aucun utilisateur enregistré et 0 invités


Vous ne pouvez pas poster de nouveaux sujets
Vous ne pouvez pas répondre aux sujets
Vous ne pouvez pas éditer vos messages
Vous ne pouvez pas supprimer vos messages
Vous ne pouvez pas joindre des fichiers

Rechercher:
Aller à:  
cron
Powered by phpBB © 2000, 2002, 2005, 2007 phpBB Group. Color scheme by ColorizeIt!
Traduction par: phpBB-fr.com