Depuis quelques jours, tourne en boucle chez moi le disque Through The Open Window: The Bootleg Series Vol. 18, des archives de Bob Dylan — cette fois-ci consacré à ses premières années, avant qu’il ne devienne la dernière légende vivante avec Clint Eastwood, peut-être.
Passée la déception de ne pas découvrir de vraie nouveauté, pour tous ceux qui, comme moi, ont écouté de nombreux bootlegs de cette période depuis des années, je reste toujours aussi sidéré par le niveau de ce gars qui avait à peine vingt ans au moment de ces enregistrements.
Quand j’entends, par-ci par-là encore, que Dylan ne sait pas chanter, je suis totalement effondré. Pour la petite histoire, à la sortie de ce disque, je me suis dit, pour la première fois, que j’avais envie de chanter une chanson de Dylan. Comme je ne parle pas anglais, j’ai cherché une adaptation de The Times They Are A-Changin’ sur YouTube.
D’abord, je me suis rendu compte que la mélodie était beaucoup plus aiguë que je ne le pensais en écoutant Dylan. Il chante avec une facilité déconcertante, à vingt ans déjà, des notes qu’on pourrait croire inatteignables pour une voix aussi « embrumée » que la sienne. C’est encore une découverte, après tant d’années d’écoute.
C’est encore plus flagrant quand on essaye de chanter With God on Our Side, dont la version française de Hugues Aufray est un vrai tour de force, dans le sens où elle met en lumière la complexité (relative, bien sûr, on est dans la folk) de la mélodie, alors qu’elle semble totalement naturelle lorsqu’elle est chantée par Dylan.
Ces versions françaises démontrent aussi, hélas, que les chansons de Dylan sont quasiment intraduisibles. Pas seulement à cause des paroles, mais aussi à cause des mélodies, qui supportent mal le son de la langue française. Il y a des mélodies propres à chaque langue, et le français rend rarement honneur aux mélodies anglophones.
Il leur faut d’autres assemblages de notes — ceux qu’ont défrichés des artistes comme Aznavour, Perret ou Brassens dans les années 60. Ces mélodies ont ensuite été modernisées par les vedettes des années 80, mais l’essentiel du travail était déjà fait, même s’il restait quelques grands innovateurs comme Voulzy, qui a réussi, d’une certaine manière, à importer l’univers des Beatles dans la chanson française.
Je ne voudrais pas oublier Dassin, qui est pour moi au-dessus de tout le monde. La véritable exception, celui qui a réussi mieux que personne à importer les mélodies anglo-saxonnes pour en faire de magnifiques chansons françaises. Salut les amoureux, Les Champs-Élysées et tant d’autres… À chaque fois, on a l’impression que les mélodies ont été inventées pour servir ces textes magnifiques. Mais non : elles préexistaient. Sur le papier, ça n’aurait pas dû marcher, mais Dassin a réussi, parce que lui et ses équipes étaient des génies.
