Comme promis, voici la chronique de l'album pour élargir le débat.
Posons le décor.
Eric Clapton, 65 ans au compteur, et surtout mythique guitariste anglais pour lequel je ne vous ferai pas l’affront de rappeler les valeureux faits d’arme, vient de sortir un nouvel album. J’en entends au fond de la salle qui râlent « oh la la encore un Clapton, ‘tain ras le bol de ce blues pour bobo » tandis qu’à droite là-bas on se gausse sur la pochette et qu’une bande d’irréductibles crient au génie. Vu que le personnage et sa contribution à la musique populaire ne peuvent laisser indifférents, essayons d’y voir un peu plus clair sur ce que nous propose le bonhomme.
Un p’tit coup d’œil dans le rétro tout d’abord.
Clapton depuis le début du nouveau millénaire s’est rappelé au bon souvenir du blues et de quelques-uns de ses anciens partenaires de jeu. En 2000, il nous sort un album de blues électrique avec une de ses idôles BB King, récidive en 2004 avec 2 albums coup sur coup en hommage à Robert Johnson. Ce qui ne l’empêchera entre temps de pondre un album solo Reptile de plutôt bonne facture avant de céder à ses vieux démons pop fm avec l’album Back Home en 2005. Mais Clapton s’en fout de cet album, la même année, il fait quelques dates toutes sold-out avec Jack Bruce et Ginger Baker pour une dernière reformation de Cream. Le DVD testament compilant 3 dates au Royal Albert Hall de Londres monte un trio techniquement irréprochable, vocalement encore potable, mais auquel il manque le grain de folie musicale qui caractérisait les prestations du power trio lors de sa courte carrière. Autant surfer sur la vague des reformations et commémorations en vogue, alors Clapton s’associera à Steve Winwood en 2008-2009 pour une longue tournée qui sera, elle aussi, immortalisée par un superbe DVD de leurs concerts au Madison Square Garden de NY City. À mon humble avis, cette tournée est bien meilleure que ce qu’il a fait avec le dernier avatar de Cream. Et puis bien sûr, entre temps en 2006 il sort un LP avec JJ Cale. Album sympa, très laid-back évidemment, comment en auraient-ils fait autrement hein ? Et puis dernièrement, quelques dates avec Jeff Beck pour une tournée qui, d’après ce que j’ai pu lire et voir à droite à gauche fut mi-figue mi-raisin (Clapton avait l’air très fatigué, il avait l’air de s’emmerder royalement en + et le concert était découpé en 3 parties – 1 set Eric / 1 set Jeff et le final avec les 2 guitaristes). Et puis pendant tout ce temps, « God » a papillonné en allant jouer les guests sur les disques de ses potes, de Buddy Guy à Ringo Starr en passant par Macca et Rod Stewart.
Et maintenant ?
Pas de repos pour les braves, à peine terminées ses collaborations et tournées, Eric retourne en studio en compagnie de quelques fidèles pour mettre en boîte une nouvelle collection de chansons, sorties sobrement sous le nom de « Clapton ». Mais que vaut-il ce nouvel album du Dieu vieillissant ? Est-ce que Clapton a toujours autant la gnak qu’un John Mayall ? va-t-il enfin sortir un LP qui va faire retourner à leurs études tous les Bonamassa et Oli Brow de la terre ? C’est ce que nous allons essayer de voir en détaillant l’album piste par piste.
Track listing
Travelin' Alone : une cover d’un titre du bluesman texan Melvin Jackson. Rythmique entêtante, nappes d’orgue discrètes, on s’attend à ce que l’orage éclate d'un moment à l'autre, mais … finalement non. Le chant d’Eric est très bon sur ce titre.
Rockin’ Chair : une reprise d’un grand succès de Hoagy Charmichael (l’auteur de Georgia on my mind entre autres). Piano jazzy délicat, les balais sont de sortie sur la caisse claire. Voilà donc que le Dieu du blues anglais nous la joue jazz pour un titre interprété à l’origine par Louis Armstrong et immortalisé par Frank Sinatra.
River Runs Deep : Le fidèle JJ Cale offre ce titre, y joue de la guitare et chante avec Eric. Du JJ Cale typique, lent… très lent… un rien planant, la température monte de quelques degrés.
Judgment Day : encore une cover, cette fois c’est un hommage à Snooky Prior, harmoniciste américain décédé en 2006. Chœur un rien gospel, l’harmonica est ici tenu par Kim Wilson qui n’en fait pas trop, la part belle est plutôt faite au chant d’Eric qui, il faut bien le dire, s’est plutôt bonifié avec l’âge. Pas de solo de guitare sur ce titre, c’est suffisamment rare pour le souligner.
How Deep is the Ocean : toujours pas de compo originale, cette fois Eric nous embarque dans l’univers d’Irving Berlin pour ce titre connu et archi repris des Isley Brothers à Ella Fitzgerald en passant par Barry Manilow. Si vous n’êtes toujours pas dans les bras de Morphée, ce titre vous ravira par sa guitare jazzy et son ambiance jazz-club enfumée.
My very good friend the Milkman : allez hop, ça n’est pas le Great American Songbook volume 3567 mais presque, pour ce titre à l’ambiance New Orleans.
Can’t hold out much longer : cette fois c’est un hommage à l’harmoniciste (encore) Little Walter où, là encore, la guitare se fait discrète, tissant des liens avec l’harmonica
That's No Way to Get Along : une reprise (encore) mid tempo (encore) pour ce blues du guitariste d’origine cherokee Rob Wilkins. C’est Derek Trucks qui assure les lead sur ce titre et il éclabousse le morceau de toute sa classe.
Everything Will Be Alright : Un titre encore signé par JJ Cale, un des meilleurs de cet album du reste avec son faux rythme qui au moins a le mérite de vous tenir éveillé.
Diamonds Made from Rain : un titre composé par son fidèle guitariste et producteur Doyle Bramhall II où Sheryl Crow vient poser sa voix. Ambiance nostalgique et retour à quelque chose de plus « pop », je crois que ce titre doit sortir en single. Idéal pour rester tranquille sur le canapé avec votre copine/copain langoureusement couché(e) à vos côtés.
When Somebody Thinks You're Wonderful : encore un vieux titre de Harry Woods cette fois, à l’ambiance bastringue et jazzy. Assez convenu, le solo de guitare au milieu en est presque indécent.
Hard Times Blues : on reste dans les vieilleries pour un titre de Lane Hardin à l’ambiance acoustique. On s’croirait dans un champ de coton. Eric veut trop chanter à la manière des vieux bluesmen noirs, peu crédible sur le coup.
Run Back to Your Side : Oh punaise !!! Clapton s’est fendu d’un titre sur cet album, co-signé avec Doyle Brahmall II évidemment. Alors là changement de cap, on se demande du reste ce que vient faire cet ovni pop au milieu de cet album à l’ambiance plutôt jazzy. Ici c’est une compo originale du duo assez enlevée à rapprocher un peu d’un Forever Man pour situer.
Autumn Leaves : oui, vous ne rêvez pas, ce sont bien Les Feuilles Mortes de Prévert et Kosma où Clapton prend sa voix la plus douce pour clore ce disque. Malgré ses évidents progrès au chant, ce genre de titre ne lui va pas du tout et les cordes plombent encore plus le titre qui bénéficie quand même d’un joli solo de guitare acoustique.
Le bilan.
Clapton, pour son 19ème album solo n’a pas réinventé la roue. Il a puisé dans un catalogue de vieux titres, sans forcément les dépoussiérer puisqu’il a tenté de conserver une ambiance d’époque (Jazz, New Orleans, bastringue…).
Clapton, ex-dieu de la guitare s’est cette fois mis en retrait, laissant la part belle à d’autres instruments – piano, trompette, harmonica – et laissant aussi un peu d’espace à Derek Trucks qui le surclasse dans chacune de ses trop rares interventions.
Clapton est fatigué, il ne compose plus, n’envoie plus la sauce avec sa guitare et fait du mainstream, certes de meilleure qualité que ses prod’ pop 80’s avec Phil Collins (au hasard).
Fais gaffe Eric, d’autres vieux maîtres ont encore le feu. Hey Eric, t’as écouté le dernier album de John Mayall, lui aussi fait du blues, sans concessions, lui ! Quant à la jeune concurrence, ils ne vont pas tarder à te manger la laine sur le dos mon cher Eric. Puisses-tu un jour nous refaire un album de blues solide digne de ce nom où ta guitare flamboiera à nouveau au firmament.
Philou.
_________________ The world is full of kings and queens Who blind your eyes and steal your dreams
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